samedi 31 janvier 2009

Requiem

La presse économique est une litanie de désastres. Portant, il est frappant de voir que toutes les entreprises ne sont pas touchées par la crise de la même façon. Quelques exemples :

Starbucks va supprimer 6700 emplois et fermer 300 cafés. En juillet dernier, un premier plan avait été lancé un premier plan de suppression de 11000 emplois et de fermeture de 600 cafés. La concurrence de Mc Donald’s, en particulier, est particulièrement vive.
Mc Donald’s de son côté s’en sort plutôt bien et voit ses ventes progresser en 2008, même si son bénéfice chute. Un vaste plan d’expansion planétaire est en cours.

Kodak va supprimer 18% de ses effectifs après avoir vu ses ventes s’effondrer en fin d’année de 24%. En revanche, Canon est moins gravement touché, puisque son CA a « seulement » baissé de 8,6%. Le segment des boîtiers haut de gamme à visée reflex et objectif interchangeable pour professionnels et amateurs est d’ailleurs plus en forme que celui des appareils compacts.

Les constructeurs automobiles, GM, Ford et Chrysler en particulier, sont au fond du trou. Fiat s’en sort mieux que ses concurrents, alors que l’entreprise était moribonde il y a quelques années.

Sony, Hitachi, NEC, Toshiba, tombent les uns après les autres dans le rouge et annoncent licenciements et « restructuration de leur appareil productif », comme on dit dans les communiqués destinés aux analystes. Nintendo, sa Wii et sa DS, est aussi touché mais s’en sort mieux.

Finalement en cette période de crise, H&M, la chaîne de vêtements à bas prix suédoise, triomphe. Au cours du quatrième trimestre, période noire pour l’économie, son chiffre d’affaires a augmenté de 15,3% et son bénéfice net, de 9,4%.

En France, la grande distribution classique a vu ses ventes baisser en 2008, alors que le maxidiscompte est en pleine croissance.

Un constat semble s’imposer : dans un même secteur la crise ne touche pas toutes les entreprises de la même façon. Peut-on en tirer des enseignements ? Non. Mais au moins peut-on émettre des hypothèses. Deux facteurs me paraissent jouer un rôle décisif :

1. La sensibilité au prix :

Les succès de McDonald’s, de H&M ou des maxidiscomptes, prouvent qu’en temps de crise, la sensibilité au prix augmente. Les entreprises dont la stratégie adopte le cocktail suivant me paraissent particulièrement menacées : prix élevé + cible large + différenciation sur des attributs secondaires du produit.
L’exemple Starbuck vs. McDonald’s me paraît particulièrement significatif. Ce qui fait la valeur perçue par le client chez Starbuck (et justifie le prix) c’est un peu la qualité du café et beaucoup l’ambiance, l’expérience vécue autour du café, ce que je nomme des attributs secondaires. En situation de sensibilité au prix, les consommateurs vont d’abord sacrifier les attributs secondaires. Conséquemment, ils vont chercher leur café chez McDonald’s.

2. Le repli vers la référence :
En situation de crise, le prix n’est pas le seul critère de choix. Cependant, dans un contexte d’incertitude et d’angoisse, les comportements du consommateur se rationalisent. Il se renseigne avant d’acheter et a tendance à aller vers les fournisseurs qui font référence. Les entreprises les plus menacées sont donc celles dont le positionnement est flou.
Le contraste entre Kodak et Canon l’illustre bien. Kodak n’a jamais réussi à prendre le virage et à s’imposer comme une référence dans le numérique. Il est probable que l’attachement à son image, plus que la qualité des produits, était devenu un facteur d’attraction important. Dans le contexte de crise, le consommateur se tourne vers les marques références dont Canon. Remarquons par ailleurs que chez Canon, les produits spécialisés se portent mieux que les produits grand public.
Le cas de Fiat est aussi frappant. Mourante il y a quelques années, la marque renaît. Si elle reste généraliste, l’entreprise doit ses succès à des positionnements différenciants et qui font référence dans deux segments sur lesquels Fiat concentre ses efforts : l’entrée de gamme (avec la Grande Punto et la Fiat 500, toutes deux voitures de l’année dans plusieurs pays) et le haut de gamme (avec les marques Lancia et Alfa Romeo).

Conclusion :
- Si votre positionnement est flou, que vous visez un large marché indifférencié,
- Si votre prix est élevé et que la différence de prix entre votre offre et celle de vos concurrents repose essentiellement sur des attributs secondaires et non sur le cœur de votre offre,
- Si une analyse rationnelle ne vous désigne pas comme une référence dans votre marché,
La crise risque d’être un dur moment.


Alors que faire ? Des pistes dans le prochain message.

jeudi 29 janvier 2009

Suffit-il de répondre à un besoin ?

Au cœur des stratégies qui réussissent, il y a le fait souvent le fait de répondre aux besoins des clients et pas seulement à leurs attentes. Le cas de la marque de vêtements « La bourse ou la vie » pousse cette logique à son extrême et c’est assez troublant.



Le site s’ouvre sur la présentation du concept. Lequel part de l’analyse de ce qui, selon ces entrepreneurs, est le besoin qu’il y a derrière le choix d’un vêtement de marque : le besoin de projection de son statut social et de son « pouvoir d’achat ».

La traduction de ce besoin en offre est étonnante (et très amusante) : la boutique du site propose des TShirt unisexe ou femme sur lequel s’affiche distinctement le prix que vous le payez. Ainsi vous choisissez de payer 49€, 79€ ou 109€ un tee-shirt qui dans les trois cas est identique. Le fait d’inscrire le prix sur le vêtement (et seulement le prix, pas de marque), comble le besoin de distinction sociale.

Considérons que cette offre comble le besoin qui est le principal dans la motivation d’achat d’un vêtement de marque : la distinction sociale. Ce dont on peut douter : l’esthétique, la qualité, sont aussi des besoins. Mais admettons. La réponse à ce besoin, peut-elle susciter des attentes des clients ? J’ai des doutes.

Il y a de nombreux exemples de réponses à des besoins réels mais ne se traduisent pas en attentes. Souvent parce que le besoin reste secondaire ou que les produits arrivent trop tôt. Par exemple : le Newton (l’ancêtre du Palm), ou la voiture électrique dans les années 80 ou 90.

D’où quatre hypothèses en ce qui concerne La bourse ou la vie :

1. La bourse ou la vie est une idée géniale, décalée, qui est allé au plus loin dans l’analyse du besoin des clients de la mode, et là franchement chapeau. Les stratégies de la mode ne seront jamais plus les mêmes. Conformément à leur promesse, ils auront lancé une révolution.

2. La bourse ou la vie choisit un positionnement très subtil. Et là encore l’idée est intéressante. Ils répondent aux besoins d’une tribu urbaine-décalée-humour-branchouille.

3. La bourse ou la vie est une expérimentation scientifique mesurant l’importance accordée par les consommateurs à l’identification à un « pouvoir d’achat ».

4. La bourse ou la vie une merveilleuse performance d’Art contemporain, dont l’objectif non avoué est la dénonciation de la subordination de l’individuation à l’identité de marque.

Affaire à suivre. Ceci dit, allez acheter votre tee-shirt.

samedi 24 janvier 2009

La stratégie : l'art de poser les bonnes questions

Retombé, un peu par hasard sur un article de la HBR que j'avais mis de côté et laissé s'enterrer du fait d'une technique de rangement que je qualifierais de "volcanique".

Préambule : En stratégie, la bonne réponse n'existe pas. Ou plutôt la réponse est reste incertaine (liée aux évolutions d'un environnement que l'on ne maîtrise pas) et transitoire.
L'art de la stratégie est celui du questionnement. Les bonnes questions génèrent des idées nouvelles.

Délirer en dehors de la boîte
Une pensée magique s'est développée chez les gestionnaires. Le fameux : pour se réinventer, il faut penser en dehors de la boîte. Cela donne lieu; très souvent, à des ateliers très stimulants, très amusants, mais peu productifs. D'une part parce que l'on ne réinvente pas son métier tous les jours. D'autre part, parce que l'idée de devoir mettre en oeuvre les idées en dehors de la boîte, a quelque chose de terrifiant.

Etre créatif en regardant la boîte différemment
Dans l'article “ Breakthrough thinking from inside the box” publié dans la Havard Business Review de décembre 2007, Coyne, Clifford et Dye proposent une idée intéressante. En questionnant différemment son modèle d'affaires actuel, en exploitant des informations auxquelles on ne s'intéresse pas, en utilisant différemment l'étalonnage (benchmarking), il est possible de mettre en évidence des opportunités inattendues permettant de se réinventer en permanence (plutôt que de chercher la bonne idée qui va tout changer).
Ils proposent, pour ce faire, une série de questions que j'ai adaptées.

S’intéresser aux clients hors-moyenne :

  1. Quels sont nos clients les plus inattendus ? Pourquoi viennent-ils chez nous ?
  2. Pourquoi les non-clients ne viennent-ils pas chez nous ?

Regarder au-delà des frontières du métier :

  1. Qui d’autre fait face aux mêmes problèmes que nous, mais pour des raisons entièrement différentes ? Comment les ont-ils résolus ?
  2. Quelles sont les percées qui ont été réalisées dans notre business qui pourraient être appliqués dans d’autres industries ? Quelles sont les informations sur les clients qui est créée dans notre métier et qui pourrait être la clé pour améliorer radicalement un autre secteur ?

Examiner les contraintes :

  1. Quel est le principal tracas du client dans l’achat ou l’utilisation de notre service ?
  2. Quels sont les clients qui pourraient être des utilisateurs majeurs si nous pouvions éliminer une barrière spécifique que nous n’avons jamais prise en considération ?

Imaginer la perfection :

  1. Que ferions-nous de différent si nous avions des informations parfaites sur nos clients ?
  2. Comment nos produits changeraient-ils si nous les personnalisions pour chaque client ?


Revisiter les prémisses sous-tendant les produits et les processus :

  1. Quelles sont les technologies intégrées dans notre offre qui ont le plus changé depuis sa création ? Comment les autres industries les intègrent-ils dans leurs produits et services ?


mercredi 14 janvier 2009

Le paradoxe de la stratégie


Le meilleur premier paragraphe d’un livre de stratégie que je me souviens avoir lu, ouvre le livre de de Michael E. Raynor (2007), « The strategy paradox – Why committing to success leads to failure and what to do about it » (Currency Doubleday, New York).


Citation :

"Here is a puzzling fact: the best-performing firms often have more in common with humiliated bankrupts than with companies that have managed merely to survive. In fact, the very traits we have come to identify as determinants of high achievement are also the ingredients of total collapse. And so it turns out that, behaviourally at least, the opposite of success is not failure, but mediocrity."


Traduction libre :

Il y a quelque chose de déroutant : les entreprises les plus performantes ont plus de choses en commun avec les banqueroutes humiliantes, qu’avec les compagnies qui ont réussi à survivre. En fait les caractéristiques que nous avons identifiées comme déterminantes dans une grande réussite, sont aussi les ingrédients d’un échec total. Cela révèle que, du point de vue des comportements, l’opposé du succès n’est pas l’échec, mais la médiocrité.


Les caractéristiques du succès sont les mêmes que celles de l’échec.

Cela rejoint un principe sur lequel j’insiste beaucoup auprès de mes étudiants. Un vaste catalogue de stratégies à succès est disponible dans les livres (voir par exemple les travaux de Collins). Le fait qu’il s’agit d’une reconstruction a posteriori est rarement précisé. Précaution d’usage : Rappelons nous que pour une entreprise qui a réussi en appliquant une stratégie modèle, il doit y en avoir dix qui ont échoué. La stratégie est contingente, liée aux caractéristiques personnelles de chaque organisation (c’est le point de vue de l’école de la contingence). Ajoutons le facteur hasard (que Porter intègre dans son modèle des 5 forces de la concurrence). Ainsi vous pouviez avoir une stratégie idéale le 10 septembre 2001.


Conclusion : toujours se méfier des bonnes pratiques des autres.

Ce qui a marché chez d'autres peut donc vous conduire à votre perte. Ce que signale Gary Hamel dans son excellent livre Leading the Revolution. Les bonnes pratiques sont les pratiques des autres. Hamel plaide pour la capacité à tourner le dos aux solutions des autres, et à inventer ses propres solutions, adaptées à son propre contexte. Et puis il passe un long passage à s’émerveiller de l’audace innovatrice d'Enron…

lundi 12 janvier 2009

Trop de sucre rend myope : introduction au concept de myopie stratégique


Un article de libération lu pendant les fêtes mérite un petit décryptage.


A ma droite, dans un coin du ring, les sucriers européens et leur substitut au méchant sucre qui nous bouche les artères : l’aspartame. Rappelons en passant que des études nous rappellent régulièrement qu’il existe des doutes sur la nature cancérigène de la chose. En 2006 en France, la filière sucrière emploie en France 52.500 personnes et génère un chiffre d'affaires de 3,4 milliards d'euros.


A ma gauche la Stevia rebaudiana, une planta d’Amérique du Sud, au pouvoir sucrant 200 fois supérieur à celui du sucre. Pesant zéro calorie. Après transformation, elle peut être utilisée comme du sucre classique ou comme un édulcorant. Au Japon, la stevia est consommée depuis 1975, et a raflé 40% du marché des édulcorants. Aux Etats-Unis, la FDA a autorisé le 19 décembre, l’usage d’un dérivé de la plante. Début 2009 Coca et Pepsi vont mettre sur le marché des boissons à base de stevia, dont un jus d’orange, le Trop50 contenant 50% de calories en moins (Pepsi).


Vous vous dites que le combat est inégal et que la stevia va écraser notre bon vieux sucre betteravier et sa bonne conscience synthétique, l’aspartame. Que nenni ! La régulation est tellement complexe en Europe qu’elle n’a pas pu se développer. Il existe aussi un débat sur sa toxicité, débat un tantinet surréaliste quand on considère les doutes sur l’aspartame. Disons que le principe de précaution intègre des variables d’ajustement économiques. Gageons que le lobby sucrier doit être à la manœuvre.


Ce qui m’intéresse dans cette actualité, ce n’est ni le rôle des lobbys, ni la complexité réglementaire européenne. En réalité, je me pose une question : mais pourquoi donc ce ne sont pas les sucriers qui mettent la stevia sur le marché ?


- Leur métier n’est pas seulement de vendre du sucre, ils produisent déjà de l’aspartame.

- Ils ne sont pas surpris par une rupture technologique. Cela fait plus de 30 ans que la plante est utilisée au Japon.

- Le marché n’est pas réfractaire au produit. Il est naturel, il sucre, il est zéro calorie.


Alors quoi ? Les stratèges seraient-ils des cloches à fromage ? Cela peut toujours se discuter. Ils sont surtout victimes de myopie stratégique. Le fait que l’on ne voit pas les choses comme elles sont, mais comme nous sommes programmés pour les voir. Quand on fait de l’argent pendant 30 ans avec un produit de synthèse l’aspartame, il est difficile de voir un produit naturel comme un substitut plausible. Votre responsable de la R&D est probablement un chimiste. Vos chercheurs aussi. Vos fournisseurs sont des producteurs qui font de la betterave depuis 150 ans. Vos vendeurs ont des argumentaires en or pour vanter l’aspartame. Vos responsables marketing ont investi des sommes considérables pour bâtir une image de marque. Voir la stevia, son potentiel, c’est instantanément remettre tout cela en cause. A trois ans de la retraite…


Remarquez que les sucriers ne sont pas les seuls :

- Ce ne sont pas les fabricants de fiacres qui ont inventé les voitures.

- Ce ne sont pas les fabricants d’ordinateurs qui ont développé l’ordinateur personnel.

- Ce ne sont pas les distributeurs de disque qui ont développé la vente en ligne de la musique (mais Apple).


Je me souviens d’une dirigeante d’un grand groupe français, un des leaders de la vente par correspondance, qui nous expliquait en 1999 que jamais, au grand jamais, ses clientèles ne pourraient se passer du catalogue. Aujourd’hui ils licencient, alors que leurs ventes sur Internet progressent.


Je ne résiste pas au plaisir, facile, de vous livrer ces quelques citations :


1927 : « Mais qui a donc envie d’entendre parler les acteurs de cinéma ? » Harry W. Warner, président de la Warner Bros


1946 : « La télévision ne conservera aucun des marchés qu’elle a gagnés au cours des six premiers mois… les gens en auront vite assez de regarder une boîte en contreplaqué tous les soirs » Darrel F. Zanuck, patron de la 20th Century-Fox


1975 : « Nous en vendrons jamais nos dessins animés sur vidéocassettes » Plan stratégique de Disney


1977 : « Il n’y a aucune raison que les gens aient un ordinateur chez eux » Ken Olsen, président de Digital Equipment


1982 : « Les ordinateurs de 640K suffiront pour tout le monde » Bill Gates


1993 : « Internet n’a pas d’avenir » Bill Gates


Petite question : Les compagnies pétrolières deviendront-elles des géants de l’énergie renouvelable ?


La myopie stratégique est un phénomène fascinant et qui touche inévitablement tout stratège. J’y reviendrai souvent sur ce blogue sous deux angles :

- Pourquoi sommes nous myopes ? Plusieurs perspectives peuvent être adoptées : la path dependency, la théorie institutionnelle, etc.

- Comment lutter contre la myopie stratégique ? Quels sont les processus que l’on peut mettre en place dans une réflexion stratégique pour éviter de voir non comme il est, comme nous sommes programmés pour le voir.





samedi 10 janvier 2009

Série « les outils de diagnostic », aujourd’hui les caractéristiques d’une culture champagne

La capacité d’une organisation à innover, tant dans l’offre que dans les processus, est un incontournable dans le contexte économique actuel (voir par exemple la note précédente sur l’étude de Tallon). L’innovation n’est plus uniquement la responsabilité d’un département de R&D ou de marketing. C’est un effort permanent et foisonnant de l’ensemble de l’entreprise : des petits progrès continus dans les processus, aux nouveaux produits, aux technologies révolutionnaires.

Ajoutons que c’est aussi un moyen de motiver les personnes. Je ne connais personne qui n’a pas envie de donner ses idées, de contribuer à améliorer ce qu’il fait, d’inventer. Le problème ce sont les attitudes, les processus, les cultures créaticides. « On l’a déjà fait, ça marche pas », « on va pas changer, on livre la marchandise », « on n’a pas les budgets », « on n’a pas le temps », « es-tu sûr que ça va marcher ? », « qui va le faire ? », « ya rien de prévu pour ce genre d’idées », etc.

Créer un contexte organisationnel qui stimule et organise l’innovation est un enjeu stratégique majeur sur lequel je reviendrai souvent. Les entreprises innovantes ont ce que j’appelle une culture champagne, une culture stimulante qui favorise le pétillement des idées, partout dans l’organisation. Aujourd’hui je l’aborderai sous l’angle du climat de travail (ce qui n’est, j’en conviens, qu’une partie du problème).

Paru dans la Harvard Business Review de janvier 2009, un outil très intéressant développé par The creative problem solving group qui permet de réaliser un diagnostic sur le climat organisationnel stimulant la créativité. Donc je fais tourner (J’ai légèrement adapté les définitions des critères : conflit pour le formuler de façon positive, et prise de risque en introduisant la perception d’un droit à l’erreur).
Neuf critères sont définis :

- Défis/Implication
Les membres de l’équipe se sentent concernés par leur travail et en sont fiers. Ils sont amenés à se dépasser.

- Liberté
Les membres de l’équipe sentent qu’ils ont la latitude d’essayer de nouvelles choses dans la façon de faire leur travail.

- Confiance/Ouverture

Les membres de l’équipe se sentent à l’aise pour échanger des idées et travailler ensemble.

- Idéation

Les membres de l’équipe ont des moments dédiés pour réfléchir et développer de nouvelles idées (en dehors de leurs tâches opérationnelles).

- Ludique / Humour
Les membres de l’équipe perçoivent leur contexte de travail comme serein, agréable à vivre. L'humour et le jeu ne sont jamais très loin.

- Conflit
Les membres de l’équipe n’ont pas la perception de vivre dans un climat de conflit et de tensions interpersonnelles. Les problèmes relationnels sont gérés de manière adulte et dans le respect des personnes.

- Support aux idées
Les membres de l’équipe soutiennent les idées des autres

- Débat
Les membres de l’équipe discutent et challengent de manière constructive les idées et les façons de faire des autres

- Prise de risque
Les membres de l’équipe sentent qu’ils peuvent prendre des risques maîtrisés et qu’il existe un droit à l’erreur


Posologie :

Ce modèle est un excellent outil de diagnostic organisationnel. Deux utilisations m’apparaissent intéressantes :

Comme support d’un sondage organisationnel afin d’identifier les zones de progrès en matière de climat de travail.

Si vous êtes gestionnaire, comme outil de discussion avec votre équipe dans une perspective de développement et de fédération de l’équipe.
Distribuez cette grille aux membres de votre équipe, demandez leur de la remplir et d’identifier des exemples concrets qui justifient leur évaluation.
Dans une équipe avec un certain niveau de maturité et d’ouverture, vous pouvez le faire en direct dans une réunion. Dans une équipe où le niveau d’ouverture est moindre, envoyez la grille et demandez un remplissage anonyme. Compilez les résultats. Vous pouvez les présenter lors d’une réunion d’équipe et approfondir le diagnostic en demandant des exemples concrets qui justifient les évaluations. Si la situation est vraiment tendue, rencontrez chacun des membres de l’équipe individuellement avant de faire le partage collectif.
Dans tous les cas, identifiez, compte tenu du diagnostic, des voies de progrès concrètes : des règles du jeu à se donner ou des processus à mettre en place au sein de l’équipe.

mercredi 7 janvier 2009

Survivre par l'excellence opérationnelle, se différencier par la valeur-ajoutée

Toujours dans la préparation du cours de stratégie. Je réfléchissais à la façon d’utiliser l’article scientifique qui m’a le plus marqué au cours des trois derniers mois. Et soudain le déclic : tellement bon, qu’il faut faire tourner.
Dans ma série « réhabilitation de la recherche en administration des entreprises », aujourd’hui : TALLON P.P., (2008), “A Process-Oriented Perspective on the Alignment of Information Technology and Business Strategy”, Journal of Management Information Systems, 24(3), 227–268.
Partez pas tout de suite, vous allez voir, les conclusions sont utiles, même pour des gestionnaires.

Petite mise en contexte
Mon sujet de recherche tourne autour de l’alignement stratégique au sein des PME. La présomption est qu’une entreprise dont les différents éléments (sa stratégie, son organisation, son infrastructure TI, sa compétence, sa culture, etc.) sont cohérents, est plus performante.
Les résultats empiriques semblent aller, globalement, dans ce sens. J’insiste sur le globalement, on reste en sciences humaines, donc ça dépend. Ca dépend en particulier pour les entreprises qui adoptent une stratégie particulière : les défenseurs (dans la typologie de Miles et Snow) ou l'excellence opérationnelle (dans la typologie de Treacy et Wiersema). Plusieurs études montrent que les entreprises qui suivent ces stratégies ont beau être plus alignées, elles ne sont pas plus performantes.
L'étude de Tallon nous donne une piste d'explication. Et croyez moi, cela soulage, parce que je commençais à sérieusement m'inquiéter.

Ce qui compte, c’est la mise en œuvre de la stratégie plus que la stratégie
Tallon distingue deux dimensions dans la stratégie : son contenu (ce qu’elle est) et son processus (comment elle est mise en œuvre). Beaucoup de recherches sur l’alignement étudient le contenu des stratégies et ne tiennent pas compte de la façon dont les entreprises les mettent en œuvre. Or des stratégies identiques peuvent être mises en œuvre à travers des processus et des activités différentes. Selon la théorie basée sur les ressources, c’est même cette configuration unique de processus, d’activités et de compétences qui crée un avantage concurrentiel durable. Pour l’auteur, comprendre l’impact de l’alignement sur la performance, et expliquer les différences et paradoxes constatés, suppose donc de dépasser l’analyse au niveau du contenu des stratégies pour étudier les processus de mise en œuvre.

Concentrer les efforts sur les processus clés en fonction de la stratégie choisie
Pour être performante et mettre en œuvre la stratégie qu’elle a choisie, l’entreprise recherche un alignement de processus et d’activités pertinent. L’hypothèse posée par Tallon est que si un alignement étroit est essentiel pour les processus clés, un alignement lâche, voire un non-alignement des processus secondaires n’a pas d’impact sur la performance. C’est ce que vérifie son étude empirique
Tallon s’appuie sur la typologie des « disciplines de valeur » développée par Treacy et Wiersema. Selon cet auteur une entreprise peut choisir une des trois stratégies : excellence opérationnelle, intimité client, ou leadership produit. Des processus clés différents sont nécessaires pour mettre en œuvre chacune de ces stratégies. De même le rôle des infrastructures TI varie (voir le tableau).


L’échantillon étudié est constitué de 241 grandes entreprises. La performance est mesurée à partir de données financières. Les autres informations ont été recueillies par questionnaire auprès du dirigeant et du responsable TI de chacune des entreprises.

Pour les stratégies d’intimité client et de leadership produit : un lien entre alignement des processus clés et performance
Il ressort des résultats que, conformément aux hypothèses, l’alignement des processus clés est critique pour soutenir la discipline de valeur choisie : le support aux ventes et au marketing pour l’intimité client, l’amélioration des produits et services et dans une moindre mesure le support aux ventes et marketing pour le leadership produit. En outre, l’utilisation des TI crée de la valeur lorsqu’elles sont utilisées dans les processus clés.
L’étude conclut aussi qu’un plus grand alignement entre les processus clés et les disciplines de valeur génère de la performance pour les entreprises poursuivant des stratégies d’intimité client et de leadership produit. En revanche, pour celles poursuivant des stratégies de coûts, il n’y pas de lien entre alignement et performance.

Enseignement 1 pour un gestionnaire : en fonction de votre stratégie, identifiez vos processus clés et investissez massivement pour les améliorer. Mettre des efforts sur des processus secondaires a un impact très marginal sur la performance. Et attention : vos processus clés sont intimement liés à votre stratégie et peuvent être très différents d’un concurrent qui adopte une proposition de valeur différente.

L’excellence opérationnelle : une stratégie de survie et non de différenciation
En ce qui concerne la stratégie d’excellence opérationnelle, l’hypothèse d’un alignement plus grand dans le domaine des relations avec les fournisseurs et de la production et opérations n’est pas supportée. Cela ne signifie pas que cet alignement n’est pas important pour cette discipline de valeur, mais que cela ne leur permet pas aux entreprises de se différencier. Dit autrement, l’excellence opérationnelle apparaît comme un incontournable pour toutes les stratégies. Une entreprise qui n’est pas fiable opérationnellement (dans la qualité de ses produits, la fiabilité de ses délais, etc.) ne peut pas exister sur un marché quelle que soit sa promesse aux clients. Les entreprises qui visent une excellence opérationnelle minimisent l’alignement sur trois processus secondaires (l’amélioration de l’offre, le support aux ventes et le marketing et relations clients), sans créer un alignement supérieur aux autres stratégies dans leurs processus clés (focus sur la relation fournisseurs et opérations). Cela fait dire à Tallon que la stratégie de l’excellence opérationnelle est une stratégie de survie plus que de différenciation.

Enseignement 2 pour un gestionnaire : L’excellence opérationnelle est un incontournable quelle que soit votre stratégie. C’est un seuil pour exister sur un marché. Mais une entreprise ne peut pas se différencier sur cette base. C’est parce que vous allez apporter une valeur particulière à vos clients qu’ils vont vous choisir, et non seulement parce que vous faîtes bien votre métier. Dans un contexte d’hyperconcurrence, il n’est de salut que dans l’innovation et la création de valeur-ajoutée.


lundi 5 janvier 2009

Faîtes vos courses en 2020

Durant les fêtes, ma mère, détecteur breveté de signaux faibles d’évolution, a partagé ce constat : « décidément, il y a moins de monde dans les magasins. » Et de poursuivre : « Les gens achètent de plus en plus sur Internet ».

Pas faux. Selon le baromètre de la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance) qui porte sur près de 45 000 sites, la hausse des ventes sur internet en France s’est poursuivie au 3ème trimestre 2008. L’ensemble des sites de vente en ligne a vu son chiffre d’affaires progresser de +27% sur un an.
Pour le mois de décembre, le site Internet de la Fnac Eveil et Jeux a vu ses ventes progresser de 15% à 20%, celui de Pixmania de 35%.

Cela amène à se questionner sur l’évolution de la grande distribution à la française, c'est-à-dire des hypermarchés (Carrefour, Auchan, HyperU, Leclerc, etc.) fonctionnant sur le modèle : « tout sous le même toit », libre service et voiture (je précise parce que ce n’est pas un modèle universel).

Petit exercice de prospective.
Je vous propose un scénario extrême d’évolution du modèle de la grande distribution. Il en existe beaucoup d’autres. Une réflexion stratégique à long terme supposerait de tous les explorer.
Ce scénario est basé sur les considérations suivantes :
- L’évolution de l’Internet se poursuit : le haut-débit se généralise, les interfaces de réalité virtuelle se développent.
-L’économie ne connaît pas de récession majeure qui bouleverserait les façons de consommer.

Outre la pertinente constatation de ma mère sur la croissance de la vente en ligne, plusieurs signaux faibles d’évolution sont à souligner :

- La fréquentation des hypermarchés est en baisse. Ainsi les ventes de produits alimentaires ont baissé de 0.6% en janvier 2008, 0.7% en février, 1.8 % en mars et 4.1% en avril.

- Carrefour a réduit la taille de certains de ses hypermarchés les plus grands. Les clients se lassent du gigantisme. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. La taille de ces magasins géants fait perdre du temps. Face à une offre complexe (par exemple en informatique ou en électroménager) le conseil est peu présent. Magasiner en hyper coûte plus cher : les prix sont plus élevés que chez les hard-discounters, on dépense plus puisque l’on se laisse tenter par des achats non prévus (ou alors on sort frustré), enfin cela coûte cher en essence.

- En parallèle Carrefour développe ses concepts de magasin de proximité : Les Carrefour Contact visent la proximité rurale, les Carrefour City s’attaquent aux villes. Enfin les magasins Champion sont transformés en Carrefour Market.

- La vente croisée (cross-merchandising) se développe. Ainsi dans les hypermarchés on trouve aujourd’hui des ustensiles de cuisine en vente dans les rayons de conserves ou des produits de puériculture dans le rayon couches. Au-delà de cette approche « artisanale », il est possible de traiter la masse d’information dont disposent les distributeurs (à travers les cartes de fidélité ou les informations recueillies sur les sites Internet) pour connaître les comportements des clients et proposer une offre personnalisée. Les sites de vente en ligne de produits culturels (fnac ou amazon) sont passés maîtres dans cette façon de vendre.

Fort de ces titillements, le scénario.
En 2020 les distributeurs se voient comme des partenaires dans la consommation tout au long du cycle de vie des produits : depuis la fabrication (développement des filières et de la traçabilité), l’achat (le choix du produit qui répond aux besoins), l’utilisation des produits et la gestion de leur fin de vie (recyclage, vente d’occasion).
Les hypermarchés tels que nous les connaissons aujourd’hui ont disparu. Les distributeurs se sont réorganisés autour de quatre pôles :

1. Des magasins en ligne
La vente en ligne est développée pour les produits de bazar, vêtements, produits culturels, électroménager, informatique, ainsi que pour les produits alimentaires non périssables (conserves, etc.), surgelés et certains produits frais (yaourts, fromages, etc.). Des interfaces nouvelles, conviviales permettent au client de remplir son caddy virtuel.
Dans dix ans les univers virtuels auront beaucoup progressé. Oubliez les pages tristes d’aujourd’hui, transpositions à peine améliorées des pages des catalogues papier. Allez voir par exemple le mannequin virtuel pour vous faire une petite idée de ce qui pourra se passer demain. Et pourquoi pas un jeu « Carrefour » avec la Wii Gen5 qui permettrait de faire du sport tout en faisant ses courses ?

Une très bonne connaissance des profils de chaque client permettra d’adapter l’offre. Au fur et à mesure, cette connaissance s’affinera et permettra la proposition d’une offre de plus en plus adaptée aux besoins de chacun, tout en proposant des ouvertures vers des nouveautés :
- identification de produits récurrents
- propositions de vente croisée en lien avec les habitudes de consommation
- propositions de produits « découverte » adaptés au profil du client
- ajustement de la tarification en fonction du profil : volume de consommation, fidélité, promotions sur des produits découverte, etc.

Dès lors se pose la question complexe de la livraison chez le client. La gestion de la livraison à domicile à grande échelle met en œuvre des infrastructures et des compétences spécifiques que les distributeurs ne maîtrisent pas aujourd’hui, et qu’il peut être très coûteux de développer. Or, dans ce modèle de distribution, les capacités stratégiques pour les distributeurs seront la gestion des informations clients et la gestion de l’assortiment afin de constituer des offres attractives et personnalisées. La capacité à livrer n’apparaît pas comme une capacité distinctive (le client s’attend à être livré), mais comme un impératif.
C’est pourquoi les enseignes ont développé des partenariats avec des experts en logistiques (UPS, FedEx, etc.) qui ont créé des filiales spécialisées dans la livraison à domicile.

2. Des magasins de proximité
De taille moyenne, voire réduite, ces petites surfaces permettent au client de trouver une épicerie à proximité de chez lui. Y sont présents les produits frais, les produits phares adaptés en fonction de l’achalandage, et les produits de première nécessité.
La gestion de l’assortiment de ces points de vente est très décentralisée pour permettre une adaptation aux réalités locales : âge, niveau socio-culturel des clients, adaptation à la culture locale et à la saison.
L’autonomie de gestion ainsi élargie permet aussi de redonner un attrait aux carrières dans le monde de la distribution qui a été perdu avec les stratégies (nécessaires) de centralisation.

3. Une communauté de clients
Pour donner de la valeur-ajoutée à leur offre, les distributeurs animent des communautés de clients et de regroupements (clubs, associations, etc.) qui échangent informations et conseils autour de l’achat et de l’utilisation des produits (recettes de cuisine, conseils de bricolage, etc.).
Cette information permet de valoriser certains produits que les clients n’achètent pas parce qu’ils ne savent pas quoi en faire. Elle accompagne certaines opérations thématiques (le mois chinois, la semaine malgache), qui permettent d’animer l’offre proposée de manière personnalisée aux clients.
Cette communauté anime aussi un marché de l’occasion.

Voilà un des scénarios possibles pour le futur. Il y en a bien d’autres. Je continue à surveiller les signaux faibles et je vous préviens.

samedi 3 janvier 2009

La mémoire courte : comment faisions nous sans eux, il y a cinq ?

En préparant les cours de stratégie que je vais donner cet hiver, je cherchais des exemples pour illustrer la rapidité du changement. J’ai fait quelques recherches. Et je n’ai pas été déçu. Je fais donc tourner.

Il y a cinq ans YouTube, Google map, Google Earth, le iTune Music Store d’Appel, n’existaient pas. Ils virent tous le jour en 2005. Le iPod était un gadget de geek avec des boutons (le iPod, pas le geek). Le iPhone, n’était pas encore une rumeur. Skype avait un an. Aujourd’hui ces applications transforment les façons de consommer, travailler, apprendre, s’informer, vivre, de chacun d’entre nous.

Elles ont aussi bouleversé de manière radicale des industries bien établies : télécoms, musique, télévision, ou information écrite. Des modèles d’affaires presque centenaires se sont trouvés face à un défi de réinvention majeur.
D’autres secteurs, moins directement concernés, ont tout de même rapidement intégré ces nouveaux outils dans leurs opérations. Voir par exemple :
- Comment une agence immobilière utilise Google Map
- Comment la géolocalisation permet d’améliorer la rapidité d’intervention des experts sur la route chez AXA ou Michelin.
- Comment le marketing viral s’est développé en exploitant les possibilités de l’Internet 2.0

Moralité : ne jamais sous-estimer les changements à venir et leur capacité à rebattre les cartes du jeu concurrentiel.

jeudi 1 janvier 2009

Année 2009

La crise économique, le conflit israelo-palestinien, la réduction de la croissance en Chine, la chute du prix du pétrole, le développement des énergies renouvelables, le passage à l'Euro de la Slovaquie, l'arrivée d'Obama : quelques bourgeons d'une année nouvelle. Et si celle-ci n'est pas bonne, rassurons-nous, il y en aura bien d'autres.
Allez, je vous laisse avec la chanson bonheur de 2009 signée Playing for Change