jeudi 30 avril 2009

Symposium au BIT (partie 2)

Suite des aventures de Tintin à la SDN.

Face au défi de main d’œuvre, quelques voies de progrès ont été mises en évidence :

Un impératif de formation tout au long de la vie.

Pour commencer un paradoxe : le temps passé à étudier est de plus en plus long, alors que le chômage des jeunes augmente. Ce que quelqu’un du Bengladesh a résumé ainsi : « Plus on étudie, moins on est qualifié ». Propos que, comme chargé de cours à l’Université Laval, je trouve passablement inconvenant.
Cela souligne au minimum le besoin de rapprocher les entreprises et les institutions de formation afin d’adapter l’offre de formations.
Autre impératif : développer l’apprentissage tout au long de la vie. Tous les intervenants insistaient sur la responsabilité de chaque individu dans ce domaine. Beau travail de sensibilisation en perspective, ainsi que quelques heures de plaisir de négociation sur les conventions collectives.
Dans ce contexte, la reconnaissance des acquis professionnels, les compétences que les individus acquièrent et qui ne sont pas sanctionnées par un diplôme, est un facteur clé. Et là j’ai pris conscience de quelque chose qui m’avait échappé. Dans les pays du Sud, nombre de compétences sont développées dans le cadre d’activités de l’économie informelle. C’est pourquoi le Ghana a mis en place un programme qui reconnaît ce type d’acquis. On n’a pas tous les mêmes problèmes. Cette forme de créativité institutionnelle m’impressionne. J’aimerais vraiment savoir comment cela marche (malheureusement, il n’y avait personne du Ghana au symposium).

Un premier réservoir de compétences dans lequel puiser : l’immigration.

Ce n’était pas le thème central de la conférence. Donc pas grand-chose à en dire, sinon l’importance mainte fois signalée de la reconnaissance des diplômes d’origine. Et une anecdote glaciale mais pertinente du représentant Sénégalais qui amène à voir les choses différemment. Il raconta que le Sénégal avait reçu une liste d’emplois ouverts à l’immigration de la part de l’agence pour l’emploi française. Lesquels emplois étaient déjà en situation de pénurie au Sénégal. Le pillage des cerveaux comme réponse au défi démographique ? Pas si évident.

Un réservoir de compétences : Les jeunes mères.
Le taux d’emploi des mères d’enfants de moins de trois ans est très variable en fonction des pays. Il est de 36% en Allemagne, de 54% en France, et de 84% en Islande (où l’on s’emmerde quand on reste chez soi, j’imagine). Cette population est un réservoir important de main d’œuvre. Pour le mobiliser, plusieurs conditions sont à réunir : du support (comme des garderies), la proposition d’emplois qualifiés à temps partiel (qui sont plutôt rares) ainsi qu’une évolution du rôle des pères dans le soin des enfants.

Un gigantesque réservoir de compétences à valoriser : les boomers
(en plus, avec un peu de chance, cela nous coûtera moins cher en retraite)
Plusieurs études présentées mettent en évidence que les employeurs reconnaissent beaucoup de qualités aux travailleurs d’expérience : plus soucieux de qualité dans le travail, plus disciplinés, plus fidèles, plus éthiques, une plus grande capacité à gérer le stress, et des réseaux professionnels plus développés. Bon ils coûtent un peu plus cher. Mais les départs à la retraite anticipés (dans quasiment tous les pays le départ réel est largement en deçà du départ légal) sont un drame, une perte considérable de compétence. Un constat s’impose : il faut continuer à en tirer le jus le plus longtemps possible. Mais dans le respect de leur épanouissement personnel (c’est l’Organisation Internationale du Travail, quand même).

Cependant la mobilisation de ces travailleurs n’est pas facile. Figurez-vous qu’à partir d’un certain âge, les gens veulent partir à la retraite. En particulier dans les métiers pénibles. Cela souligne qu’une approche non différenciée selon métiers n’est pas pertinente. Un professeur d’université et un ouvrier de la construction n’ont pas la même date de péremption. Ajoutons qu’il faut aussi intégrer les trajectoires individuelles (santé, objectifs de vie). Donc un besoin de flexibilité dans la gestion des âges, dans la transition travail-retraite. La personnalisation du contrat de travail apparaît une fois de plus comme un impératif.

L’adaptation des conditions de travail est aussi un incontournable pour tenir compte des capacités physiques des boomers. Exemple spectaculaire avec un constructeur de camion qui a adapté sa chaîne de production. Pour ne pas obliger ses employés âgés à se glisser sous les camions pour faire du montage et à travailler les bras en l’air, la solution a été de renverser les camions. Les travailleurs peuvent alors travailler à genoux.

Autre exemple d’adaptation : une bannière pharmaceutique américaine a mis en place une « snowbird policy » grâce à laquelle ses employés seniors peuvent changer de région en fonction de la saison (l’hiver en Floride et l’été dans les montagnes).

Autre dynamique à faire évoluer : les gens dans la cinquantaine ont accès à beaucoup moins de formation. On ne leur parle pas de carrière, mais d’organisation de leur retraite. C’est un problème de culture, un effet pervers de ce qu’un intervenant a nommé la néophilie (l’amour de ce qui est nouveau). Et cette discrimination sourde vis-à-vis de l’âge semble se situer en bas de la pyramide des causes justes, derrière (dans l’ordre) le racisme, le sexisme, et l’homophobie.

Un responsable RH d’Areva a détaillé le dispositif qu’ils ont mis en place. J’ai retenu plusieurs points intéressants dans une démarche très complète et très cohérente. Ils ont mis en place notamment des « entretiens d’expérience ». Ils débutent 24 à 36 mois avant le départ en retraite. Le futur retraité y discute avec son gestionnaire d’organisation et de formalisation de la transmission du savoir, et de possibilité de continuation de contribution post-départ à la retraite. Ce second point est vraiment intéressant. Areva a constaté que plusieurs de ses anciens employés intervenaient comme consultants pour des entreprises nucléaires pendant la retraite. Plutôt que de perdre cette compétence, l’entreprise propose à ses retraités de rejoindre une communauté de référents seniors qui seront mis à contribution en interne. D’autre part, elle a créé une société de service qui (par un mécanisme qui a l’air un peu complexe) permet aux retraités d’intervenir comme consultants sous le chapeau d’Areva. En un mot, Areva se voit comme une organisation Demografit (j’aime l’expression, c’est moche, ça dit ce que ça a à dire, c’est le monde des affaires).

Et moi ? J’avais 1H30 pour sensibiliser tout ce beau monde aux différences générationnelles, et aux impacts que cela a sur la création d’un environnement de travail qui soit stimulant et mobilisant pour toutes ces générations.

Pour ceux qui veulent en savoir plus, je vous conseille de lire ce dossier que j’ai écrit dans le cadre de mes activités de consultant.