mardi 29 mai 2012

Le jeu à la conquête du travail

Texte de ma chronique Radio dans l'émission L'Après-midi porte conseil conseil. On peut entendre la chronique ici.

Peut-être comme près de 18 millions d’internautes, avez-vous vu cette vidéo où l’on voit à une sortie de métro un escalier transformé en piano. Chaque marche est une touche qui joue la note quand on marche dessus. Parce que c’est amusant les gens délaissent l’escalier mécanique à côté et font de l’exercice sur le piano géant en s’amusant à produire des mélodies plus ou moins cohérentes. C’est une opération menée par Volkswagen. Plusieurs sont visibles sur le site Thefuntheory.com



Google a affiché des énigmes sur des panneaux géants au bord des routes. Chaque bonne réponse menait à une autre énigme qui vous rapprochait de l’adresse où envoyer votre CV. Tapis Rouge est une application en 3D dans laquelle l’internaute réalise diverses missions au sein d’une compagnie de création de films d’animation. L’étudiant québécois découvre ainsi de manière stimulante les différents métiers du secteur des technologies de l’information et de la communication. Un secteur qui souffre cruellement d’une pénurie de talents.

 

Les exemples de colonisation du travail par le jeu se multiplient.

Selon Gartner, la moitié des entreprises utilisera le jeu d’ici 2015. Pourtant qui n’a pas entendu cette phrase « Au travail ! On n’est pas là pour s’amuser ». Pendant longtemps le jeu était perçu comme l’antithèse du travail. Que se passe-t-il donc ? Plusieurs phénomènes expliquent la colonisation du travail par le jeu. Dans le fond nous sommes tous restés de grands enfants.

- Parce que le jeu est naturel. Notre cerveau adore jouer. Ainsi le Centre des grands brûlés de Washington a créé le jeu SnowWorld dans lequel les victimes du feu doivent lancer des boules de neige à des pingouins dans un environnement en 3D. Cette simple immersion virtuelle a permis de réduire de moitié leur sensation de la douleur. Steve Couture, PDG de Frima Studio à Québec, résume bien la situation : “On n'arrête pas de jouer parce qu'on vieillit, on vieillit parce qu'on arrête de jouer”

- Parce qu’est arrivée sur le marché du travail une génération de trentenaires qui ont grandi avec les jeux vidéo.

- Parce que le jeu est de plus en plus présent dans nos vies : nous jouons comme consommateurs, comme internautes.

- Parce que jouer est efficace : de nombreuses études scientifiques démontrent que le jeu est un stimulant qui donne plus envie de faire une tâche (comme l’affirme le site thefuntheory ; « fun is the easiest way to change people’s behaviour for the better”), qu’on apprend mieux, que les jeux en réseau développent la capacité à développer des relations sociales entre les individus.

-  Parce que certaines interfaces de travail empruntent aujourd'hui les mécanismes du jeu. Par exemple avions, grues, et certains outils chirurgicaux se contrôlent par des joysticks.


Il faut distinguer deux types de pratiques.

- Les jeux sérieux. C’est à dire des jeux dont l’objectif est essentiellement l’apprentissage.
- La ludification. C’est à dire l’application des principes de jeu à des situations non ludiques.

Un exemple de jeu sérieux : le comité de main d’œuvre du commerce de détail du Québec a créé un monde virtuel, Zone Détail. Les superviseurs ou les employés s’y créent un avatar et se trouvent confrontés à des situations réalistes de gestion d’un commerce de détail. Même chose dans le shôtels Hilton Garden Inn.

Un exemple de ludification : RedCritter Tracker est un outil de pilotage de projet en méthode Agile qui introduit la ludification. Par exemple les membres de l’équipe gagnent des badges et des récompenses en fonction des tâches accomplies. Il en existe cinquante différents, dont certains, les plus prestigieux, ne peuvent être attribués qu’à une seule personne. Des classements sont publiés. Les badges sont fièrement affichés sur le profil de chacun et les points peuvent être dépensés dans le magasin de récompenses, elles bien réelles (des cartes cadeux à des diners avec les dirigeants).




A quoi cela peut servir ?

A recruter

L’Oréal a lancé "Reveal", un jeu vidéo en ligne qui propose aux joueurs des mises en situation professionnelles. Cela permet d’identifier les meilleurs. L’Oréal présélectionne ainsi un tiers de ses stagiaires.

L'Oréal organise aussi le "L'Oréal Brandstorm", jeu d'entreprise qui réunit tous les ans 50 000 étudiants de 280 universités et de 45 pays. Par équipes de trois ils s’affrontent dans la gestion d’une marque. Le sujet en 2012 : inventer un noveau produit pour la marque The Body Shop : depuis la conception du produit, de son emballage jusqu’à la stratégie marketing et de mise en marché. Là encore un excellent moyen pour faire parler de la marque et repérer les meilleurs talents.

A former 

L’avantage du jeu c’est qu’il permet d’essayer des choses sans risque, et que derrière son personnage, on peut se désinhibe et que l’on peut se révéler à soit même. Comme on le fait avec les simulateurs de pilotage d’avion, on peut créer un monde virtuel dans n’importe quel métier pour que les gens se créent un avatar et expérimentent des situations nouvelles pour développer leurs compétences, leurs réflexes, leur confiance en eux, dans des contextes stimulants, amusants et réalistes. Les avantages par rapport à la salle de classe : c’est concret, ce n’est pas ennuyeux, c’est accessible en tout temps et en tout lieu : entre deux clients pour quelques minutes, à l’hôtel en voyage d’affaires, depuis la maison un jour où l’on travaille de chez soi.

A créer de la reconnaissance et du lien

Par exemple chez Frima Studio, entreprise de Québec qui crée des jeux vidéos, l’intranet s’est ludifié. Les employés cumulent des points en fonction des tâches qu’ils effectuent. Ils se récompensent aussi entre eux. Ces points sont échangeables contre des services facilitant la vie (cuisine, plomberie, garde d’enfants, etc.). Un classement est effectué en fonction des Frimachievements dans plusieurs catégories. Ce n’est pas la performance brute qui est récompensée. Ainsi les catégories sont l’autonome, l’aidant naturel, le socialiste (celui qui s’investit dans le club social)..

Chez Zappos le distributeur de chaussures lorsque les employés allument leurs ordinateurs, avant d’entrer le mot de passe, ils doivent essayer de croiser un nom et une photo de collègue qui apparaît de manière aléatoire. Le système enregistre et publie les scores de tout le monde. Un outil clé pour créer de la reconnaissance dans ce contexte est le badge que l’on gagne quand la communauté reconnait votre contribution dans un domaine.

Pensez aux jeux massivement multijoueurs comme World of Warcraft. On pourrait très bien imaginer un univers virtuel de ce type à l’intérieur d’une entreprise dans laquelle chacun jouerait son rôle. Il y aurait des espaces d’apprentissage, des lieux de socialisation, des espaces de travail collaboratif, un laboratoire de test de nouveaux produits (comme Nike et bien d’autres l’avaient fait dans Second Life.




Quel joueur, quelle joueuse êtes-vous ?

Si le jeu est naturel nous sommes chacun un ou une joueuse. Richard A Bartle, un pionnier de l’industrie du jeu vidéo a identifié quatre profils de joueurs dans les jeux vidéos multijoueurs en ligne qui peuvent nous aider à savoir quel type de joueur nous serions dans notre travail.

- Le faiseur : celui qui joue pour réaliser des tâches, accumuler points et récompenses en réalisant de nouvelles missions. Dans une entreprise il adore les badges et le principe d’accumation de points contre récompenses.

- L’explorateur : il cherche à découvrir de nouvelles choses, à explorer les zones cachées des mondes virtuels. En entreprise il va être à l’affut des nouveautés, il va farfouiller partout, essayer tout ce qu’il peut.

- Le socialiseur : il joue pour socialiser, le jeu est un espace pour rencontrer du monde et échanger. En entreprise il va adorer tous les mécanismes de socialisation et de collaboration.

- Le compétitif : il veut battre les autres, gagner est son obsession. En entreprise il adore les classements.



Conclusion 

Les mécanismes de jeu dans le travail ne sont pas nouveaux. Les employés de Rona portaient des badges pour récompenser leurs compétences ou leur fidélité avant que l’on parle de ludification. Mais on constate une extension du domaine du jeu dans le travail. Nous aimons jouer, même si nous ne sommes pas tous les mêmes joueurs. En jouant nous sommes plus motivés, nous apprenons mieux, nous créons de nouveaux espaces de socialisation. Alors profitons en.