jeudi 1 juillet 2010

Apple contre le reste du monde (partie 2)

Dans la première partie, nous avons vu que la relation entre Apple et les compagnies de télécom était tendue. Apple capte une bonne partie de la valeur créée dans la chaîne de valeur, au détriment de ces dernières qui doivent supporter des investissements massifs, en particulier pour faire évoluer les réseaux. Comment Apple a-t-elle réussi à s’imposer ainsi ?

Le modèle des cinq forces de la concurrence de Porter nous donne un cadre d’analyse pertinent pour comprendre ce qui se passe. Jusqu'à présent le combat a compté quatre rounds :
Round 1 : Le iPhone, une rupture sur le marché
Round 2 : Des concurrents se lancent
Round 3 : L'émergence d'un challenger
Round 4 : La lutte pour rester le standard


Round 1 : Le iPhone, une rupture sur le marché


Le iPhone a constitué une rupture dans l’univers de la téléphonie mobile par son design, par son interface tactile, et surtout par la démarche de crowdsourcing dans le développement de milliers d’applications grand public ou de niche.
Avec son inimitable talent marketing, Apple a crée une énorme attente dans le public. Sa stratégie dès lors a été d’assurer l’exclusivité de la vente du iPhone à une marque par pays.

L’intérêt pour la compagnie de téléphone : gagner des parts de marché en ayant l’exclusivité d’un produit innovant et tendance, générer du chiffre d’affaires dans la mesure où les multiples applications du iPhone promettaient de nouveaux usages. Pour toutes les compagnies c’était une bonne affaire.

En choisissant la compagnie qui allait avoir l’exclusivité de la distribution du iPhone, Apple s’assurait d’être « du bon côté du bâton » et pouvait imposer ses conditions. Par exemple le fait de ne pas permettre que le logo de la compagnie de télécom apparaisse sur l’écran d’ouverture du iPhone. Le pouvoir de négociation était du côté de Apple.


Round 2 : Des concurrents se lancent

Naturellement, face au succès du iPhone la concurrence s’est organisée. Une multitude de concurrents ont émergé. Les compagnies téléphoniques qui ne distribuaient pas le iPhone avaient donc la possibilité de distribuer d’autres téléphones intelligents. L’équilibre des forces pouvait s’en trouver modifié et le pouvoir de négociation pouvait s’équilibrer. Mais Apple disposait d’un atout majeur : la supériorité de son produit. Par sa stratégie de crowsourcing, Apple avait donné une valeur considérable à son téléphone. Les nouveaux entrants ne pouvaient pas proposer la même valeur.

Le réflexe d’Apple a été de continuer à faire de son iPhone le standard du marché. Pour écraser la concurrence a été de permettre à d’autres marques de distribuer son téléphone. Ainsi les nouveaux entrants étaient confrontés à la concurrence directe dans chacune des marques. La supériorité du iPhone étant incontestable, la bataille tournait à l’avantage de Apple. Le statut de standard de l’industrie du iPhone se trouvait paradoxalement renforcé. Le pouvoir de négociation restait du côté de Apple qui, malgré les maugréments des compagnies téléphoniques pouvait continuer à imposer ses conditions.


Round 3 : L'émergence d’un challenger


Pour pouvoir bousculer cette position dominante, il était nécessaire d’avoir un produit capable de se comparer au iPhone : par sa qualité et le volume d’applications disponibles. Ce ne fut pas le Palm Pre, malgré ses promesses. Le concurrent véritable émerge lorsque Google se lance sur le marché avec la puissance de son image qui lui a permis de stimuler très rapidement le développement d’applications et une rupture : son système d’exploitation.

Pour installer rapidement Android comme un challenger au standard de l’industrie qu’est le iPhone, Google adopte une stratégie inverse à celle de Apple :
- Plutôt qu’une position fermée, Google ouvre : il crée certes son propre téléphone et équipe les appareils de plusieurs constructeurs de téléphones. Par exemple le Droid de Motorola, a connu un meilleur lancement que le iPhone: 1,05 millions d’exemplaires vendus en 74 jours contre 1 million.
- Google négocie aussi des conditions plus favorables pour les compagnies de télécom, capte une part moins grande de la valeur créée.
Dit autrement, les compagnies de téléphone ont intérêt à privilégier les solutions Android qui sont plus rentables pour elles, comme l’affirme Bouygues, et l’avantage produit d’Apple se réduit.

En outre les opérateurs se rebellent. Ainsi des compagnies de télécom (AT&T, Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, etc.) et des constructeurs (Samsung, LG, Sony) ont créé la « Wholesale Applications Community », une plateforme technique commune pour développer des applications concurrentes à celles d’Apple (précisons que les spécialistes sont sceptiques face à cette initiative). Ils espèrent ainsi reprendre du pouvoir dans la chaîne de valeur.

Ces évolutions se constatent dans les parts de marché. Aujourd’hui il se vend plus de téléphones Android que de iPhones. Le pouvoir de négociation entre Apple et les compagnies de télécom se rééquilibre puisqu’il existe une alternative crédible. (Sur le graphique ci-dessous le iPhone apparaît sous le nom de son système d’exploitation OS X, RIM est le nom du fabriquant du Backberry qui est a un modèle d’affaires différent des autres, puisque concentré essentiellement sur les usages professionnels avec peu d’application développées).



Round 4 : La lutte pour rester le standard


La lutte est ouverte pour être perçu comme le standard. La stratégie de domination par le produit d’Apple se poursuit :
- Le iPhone 4 propose des fonctionnalités nouvelles qui redonnent un avantage au téléphone intelligent’
- Apple continue à enrichir l’accès au contenu qui donne de la valeur à son téléphone. Ainsi même si elle est destinée principalement au iPad, iBook, la plateforme de vente de livres contribue à enrichir l’univers auquel le iPhone permet d’accéder.


Conclusion


Le modèle de profit d’Apple repose sur une domination dans le pouvoir de négociation qui lui permet d’imposer ses conditions aux compagnies de télécom. Avec l’arrivée d’Android, cette domination s’érode. A long terme le succès d’Apple reposera sur sa capacité à rester le standard par une domination produit (innovation dans le produit + enrichissement de l’univers de contenu auquel le téléphone donne accès), ou par le choix de rentrer dans le rang en alignant ses conditions sur celles de ses concurrents (ce qui me paraît peu probable).

Sur le marché de la téléphonie Apple voit son pouvoir de négociation attaqué par un nouvel entrant. Dans une troisième partie, nous verrons comment Apple a attaqué Amazon sur le marché du livre électronique