TaskRabbit est une entreprise étonnante. Créée en 2008, l'entreprise compte aujourd’hui 500 coursiers à San Francisco, New-York, Boston, Los Angeles, San Antonio, Chicago, Austin, Seattle, et Orange County, réalisant 3000 tâches par mois (un chiffre d’affaires autour de 4 millions par mois à la mi-2011). En décembre 2011, l’entreprise a levé 17,8 millions de dollars pour financer son développement international. Donc ça marche.
Le principe est simple. D’un côté des personnes souhaitant embaucher quelqu’un pour réaliser une tâche. De l’autre les coursiers. Ceux-ci sont référencés puisqu’ils sont évalués par leurs clients après chaque tâche. Les tâches sont très variées : identifier les bons restos à Paris pour un voyage, accompagner les enfants à l’école, faire la cuisine. 6% des demandes concernent l’assemblage de meubles IKEA. TaskRabbit propose une offre spécifique destinée aux entreprises pour prendre en charge les petites tâches qui rencontre un succès inattendu. La demande la plus folle ? "Aide moi à écrire une lettre d'amour à mon ex-copine pour la reconquérir" et "Aide moi à mettre tout le bureau de mon collègue dans du papier bulle".
Tout cela est hautement "internetisé". On peut ainsi suivre en direct la carte des tâches réalisées.
Pour inscrire la tâche sur le site, les clients peuvent utiliser leur téléphone intelligent pour prendre une photo et enregistrer un mémo vocal, pas de rédaction laborieuse. Ils reçoivent alors des offres de différents coursiers avec des CV, des délais d’intervention et des tarifs différents, parmi lesquelles ils choisissent.
Une fois la tâche réalisée vient le temps du paiement. L'appareil photo du téléphone intelligent est utilisé pour scanner la carte de crédit du client. L'application extrait les informations - numéro de carte, date etc. pour le paiement, L’entreprise prend une commission de 12% à 30%.
Source : www.bostinno.com
TaskRabbit utilise des principes de gamification pour fidéliser les coursiers. Comme dans un jeu vidéo ceux-ci progressent de niveau en niveau en fonction de leurs comportements et décisions à toutes les étapes du processus :
- 15 points si l’on est à moins de 15% du prix maximum fixé par le client.
- 15 points si l’on propose une offre dans les 30 minutes suivant son dépôt.
- 3 points par courriel envoyé à des amis les enjoignant de rejoindre l’équipe des coursiers de TaskRabbit.
- Des points en fonction des évaluations clients.
Plus on monte, plus il est difficile de progresser dans les niveaux. 60 points sont nécessaires pour passer du niveau 0 au niveau 1, alors qu’il en faut 1700 pour passer du niveau 20 au 21.
A l’été 2011, le coursier le plus élevé était un ancien officier de l’armée américaine de 58 ans. Il était au niveau 21. Progresser dans les niveaux donne accès à des bénéfices (un t-shirt au niveau 5, des cartes de visite à son nom au niveau 10).
Une fois par mois, TaskRabbit organise une soirée pour permettre aux coursiers de se socialiser et de partager leurs expériences. Après s’être suivis virtuellement sur leurs profils, ils ont l’occasion de se rencontrer en chair et en os.
Evidemment ce type de job n'est pas fait pour tout le monde. Il attire un certain type de personnalités qui ressemblent à Leah Burque, la fondatrice, elle-même coursier de niveau 10, que le magasine Wired décrit comme : « des assistants personnels de célébrités en puissance ». Les plus acharnés s’impliquent à plein temps et génèrent jusqu'à 5000$ par mois.
Une conférence de Leah Busque qui présente TaskRabbit et l’inscrit dans une vision renouvelée de ce qu’est le voisinage, du réseau social au réseau de service :
Pour découvrir le site personnel de Josh dans lequel il raconte sa vie de coursier chez TaskRabbit.
Affichage des articles dont le libellé est Cas d'entreprises. Afficher tous les articles
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mercredi 4 avril 2012
jeudi 15 mars 2012
L’entreprise sans chef, c’est possible. Morning Star l’a fait.
Que diriez vous d’une entreprise où :
- Personne n’a de chef, chacun est un manager,
- Chacun négocie ses responsabilités avec ses pairs,
- Chacun est responsable d’acheter sur les budgets de l’entreprise ce dont il a besoin pour faire ce qu’il a à faire, sans aucune validation,
- Chacun peut même décider d’embaucher les personnes dont il a besoin,
- Les salaires sont décidés en concertation avec les pairs.
Vous en rêvez ? Morning Star l’a fait ?
Qui sont donc ces hippies post-modernes ?
Loin de la start-up financée à travers des rondes successives, par des investisseurs crédules, Morning Star est le leader mondial dans la transformation des tomates. L’entreprise fondée en 1970 agit comme sous-traitant pour de nombreuses marques. Elle produit entre 25% et 30% des tomates transformées utilisées aux Etats-Unis. Trois usines, 400 employés à temps plein, 700 millions de dollars de chiffre d’affaires par an, beaucoup d’équipement lourd dans un secteur intensif en capital. Morning Star c’est aussi une compagnie de transport qui déplace autour de deux millions de tonnes de tomates par an et une entreprise de récolte.
Et le succès ne se dément pas. Sa croissance est plus rapide que la concurrence. Sur la base de ses études de benchmarking, Morning Star se considère comme le transformateur de tomates le plus efficace au monde. Ce qui lui permet d’autofinancer en grande partie sa croissance.
Un article de Gary Hamel publié dans le numéro de décembre 2011 de la Harvard Business Review nous fait découvrir cette entreprise qui présente une petite originalité : elle n’a pas de hiérarchie (si ce n’est un président fondateur Chris Rufer qui est plus une référence, un recours, qu’un dirigeant). C’est une organisation parfaitement plate.
On critique souvent la hiérarchie. Hamel liste les arguments :
1. Ca coûte cher.
2. Cela augmente le risque de prendre des décisions catastrophiques pour deux raisons : (1) plus la décision est importante, moins il y a de monde qui a le statut suffisant pour la contester, (2) les managers les plus puissants sont ceux qui sont les plus éloignés du terrain.
3. Cela ralentit la prise de décision et l’adaptation.
4. Cela déresponsabilise les employés à la base, qui doivent valider tout ce qu’ils font. Ce sont pourtant ceux dont on attend le plus de réactivité opérationnelle.
Alors comment faire fonctionner une entreprise sans hiérarchie ? A la lecture de l’article, je retiens quatre conditions pour réussir cette auto-organisation : sens partagé + autonomie + coordination + feed-back.
1. Sens partagé
L’autonomie de chacun est maximale. Chacun est libre d’organiser son travail comme il l’entend, d’acheter tout ce dont il a besoin pour fonctionner ou de déclencher un processus d’embauche. Pour éviter que cela parte dans tous les sens, la première condition est de partager un projet fort qui donne la direction et permet à chacun de s’aligner.
La mission de Morning Star s’énonce ainsi : « produire des produits et service autour de la tomate qui répondent systématiquement aux attentes de qualité de service de nos clients ». C’est en l’ayant en tête que chaque employé doit formaliser sa mission individuelle qui décrit sa contribution à la mission de l’entreprise
2. Autonomie
Chez Morning Star, l’autonomie et l’empowerment ne sont pas des mots vains. Il n’y a pas de définition de postes. A chacun d’inventer son utilité en fonction du projet global, de ses objectifs, de ses talents et de ses compétences qui évoluent avec le temps. Et chacun est responsable de se donner les moyens (compétence, ressources, outils, etc.) pour réaliser sa mission.
Au quotidien, chacun a la liberté d’engager les dépenses pour acheter ce dont il a besoin pour fonctionner. Personne ne doit autoriser ces dépenses. Evidemment ceux qui achètent les mêmes choses se regroupent. Chacun peut aussi déclencher une embauche s’il en a besoin pour réussir sa mission.
L’entreprise mise aussi sur la créativité de tous. N’importe qui peut proposer des améliorations dans n’importe quel domaine. Une façon radicale de briser les paradigmes ! Grand soin est pris des idées nouvelles. Un comité d’anciens agit comme coach.
3. Coordination
La coordination entre les employés repose sur plusieurs mécanismes qui créent du collectif.
Premier niveau de coordination : les relations individuelles
Chaque année chacun prend entre 20 et 60 minutes pour négocier des accords appelés CLOU (Colleague Letter of Understanding) avec les collègues avec lesquels il est le plus en relation dans l’exécution de sa mission. Chaque CLOU comporte : livrables, objectifs chiffrés, engagements réciproques de livraison, etc. Au total 3000 CLOU sont signés tous les ans dans l’ensemble de l’entreprise.
Chacun doit aussi bâtir un plan d’affaires incluant ses besoins financiers, ainsi qu’une analyse du retour sur investissement (ROI) projeté. Dans le cas où il prévoit un investissement important, le salarié va aller se concerter avec ses collègues, puisqu’il devra coordonner son plan avec ceux des autres.
Deuxième niveau de coordination : les relations entre unités d’affaires
Morning Star compte 23 unités d’affaires qui, elles aussi, contractualisent leurs relations (ex. prix, volumes, planification de la livraison).
Tous les ans, en février, chaque unité d’affaires a 20 minutes pour présente son plan pour l’année à venir à ses pairs (20 min. de présentation). Ceux-ci peuvent investir un argent virtuel dans les stratégies les plus prometteuses. Les unités qui ne reçoivent pas beaucoup d’investissements savent qu’elles n’ont pas convaincu et qu’elles seront sous observation. Pas de validation donc, ou de veto, mais de l’interinfluence.
Ces relations contractuelles entre employés et entre équipes tissent un réseau d’interdépendance qui créent de la cohérence.
4. Feed-back
La mise à disposition d’outils de feed-back est indispensable pour permettre un ajustement continu autonome, puisqu’il n’y a pas de manager pour scruter minutieusement les fichiers excel.
Les individus ont accès à un maximum d’information en fonction de leurs objectifs. Les unités d’affaires reçoivent deux fois par mois leurs résultats et sont classées en fonction de leur niveau de performance.
Tous les ans, en janvier, un processus de feed-back permet à chaque salarié et chaque unité d’affaires de justifier sa performance au regard de ses CLOU, de proposer des plans d’amélioration, ainsi que de recevoir du feed-back de ses collègues. Et les discussions sont poussées. Généralement il faut presque une journée pour traiter le cas d’une unité d’affaires.
La philosophie de Morning Star est de rendre l’information est accessible à tous pour permettre à chacun de comprendre le fonctionnement global, de mesurer son impact personnel, de négocier des CLOU pertinents et de s’ajuster en continu.
Les questions que l’on se pose
Evidemment le modèle amène à se poser quelques questions réflexes :
Question : comment se gèrent les désaccords ?
Réponse : dans un premier temps, un médiateur intervient. S’il y a contestation, un jury de six collègues se penche sur la question. Et si le désaccord demeure, cela remonte jusqu’au président qui tranche.
Question : comment se décident les salaires ?
Réponse : à la fin de l’année, chacun s’auto-évalue en fonction de ses résultats. Huit comités sont élus pour couvrir l’ensemble des unités d’affaires. Ils décident du salaire octroyé à chaque employé. Et cela marche plutôt bien : les salaires sont de 10 à 15% plus élevés que chez les concurrents.
Question : s’il n’y a pas de hiérarchie, comment gérer la progression de carrière ?
Réponse : les experts sont reconnus par les autres employés, et ils gagnent plus. Mais c’est effectivement un enjeu pour ceux qui quittent et se font embaucher ailleurs sans beau titre ronflant.
Deux conditions de réussite majeures
Pour réussir durablement deux conditions de réussite me paraissent clés.
Tout d’abord le projet global doit être incarné. Chris Rufer, le fondateur est toujours président. Il est le recours suprême, celui qui porte la culture de l’entreprise. On peut se demander comment se prépare sa succession.
D’autre part, tout le monde n’est pas fait pour être à l’aise dans ce type de modèle. Chez Morning Star, on constate qu’un an est nécessaire à un nouvel embauché pour devenir performant dans ce mode de gestion. Et il n’est pas facile de s’y faire. Ainsi 50% des nouveaux embauchés quittent dans les deux ans qui suivent.
Dans une organisation en croissance, on comprend qu’il s’agit là de deux enjeux majeurs.
Conclusion : allez, osez !
Evidemment le modèle de Morning Star n’est pas transposable partout, tout de suite. Mais il a pour moi deux intérêts majeurs :
1. On ne pourra plus nous dire qu’une hiérarchie est par essence nécessaire pour faire fonctionner un groupe humain. Ecoutez bien managers et gestionnaires autour de vous, au fond d’eux mêmes ils en sont persuadés.
2. On peut rendre une organisation plus performante si on va vers plus d’auto-organisation. Mais pour cela il est nécessaire de réunir les quatre conditions en même temps : le partage d’un projet, l’autonomie, la coordination des activités et le feed-back. Pensez combien de projets de délégation, d’empowerment ou autre ont échoué par manque de l’un ou l’autre de ces ingrédients.
- Personne n’a de chef, chacun est un manager,
- Chacun négocie ses responsabilités avec ses pairs,
- Chacun est responsable d’acheter sur les budgets de l’entreprise ce dont il a besoin pour faire ce qu’il a à faire, sans aucune validation,
- Chacun peut même décider d’embaucher les personnes dont il a besoin,
- Les salaires sont décidés en concertation avec les pairs.
Vous en rêvez ? Morning Star l’a fait ?
Qui sont donc ces hippies post-modernes ?
Loin de la start-up financée à travers des rondes successives, par des investisseurs crédules, Morning Star est le leader mondial dans la transformation des tomates. L’entreprise fondée en 1970 agit comme sous-traitant pour de nombreuses marques. Elle produit entre 25% et 30% des tomates transformées utilisées aux Etats-Unis. Trois usines, 400 employés à temps plein, 700 millions de dollars de chiffre d’affaires par an, beaucoup d’équipement lourd dans un secteur intensif en capital. Morning Star c’est aussi une compagnie de transport qui déplace autour de deux millions de tonnes de tomates par an et une entreprise de récolte.
Et le succès ne se dément pas. Sa croissance est plus rapide que la concurrence. Sur la base de ses études de benchmarking, Morning Star se considère comme le transformateur de tomates le plus efficace au monde. Ce qui lui permet d’autofinancer en grande partie sa croissance.
Un article de Gary Hamel publié dans le numéro de décembre 2011 de la Harvard Business Review nous fait découvrir cette entreprise qui présente une petite originalité : elle n’a pas de hiérarchie (si ce n’est un président fondateur Chris Rufer qui est plus une référence, un recours, qu’un dirigeant). C’est une organisation parfaitement plate.
On critique souvent la hiérarchie. Hamel liste les arguments :
1. Ca coûte cher.
2. Cela augmente le risque de prendre des décisions catastrophiques pour deux raisons : (1) plus la décision est importante, moins il y a de monde qui a le statut suffisant pour la contester, (2) les managers les plus puissants sont ceux qui sont les plus éloignés du terrain.
3. Cela ralentit la prise de décision et l’adaptation.
4. Cela déresponsabilise les employés à la base, qui doivent valider tout ce qu’ils font. Ce sont pourtant ceux dont on attend le plus de réactivité opérationnelle.
Alors comment faire fonctionner une entreprise sans hiérarchie ? A la lecture de l’article, je retiens quatre conditions pour réussir cette auto-organisation : sens partagé + autonomie + coordination + feed-back.
1. Sens partagé
L’autonomie de chacun est maximale. Chacun est libre d’organiser son travail comme il l’entend, d’acheter tout ce dont il a besoin pour fonctionner ou de déclencher un processus d’embauche. Pour éviter que cela parte dans tous les sens, la première condition est de partager un projet fort qui donne la direction et permet à chacun de s’aligner.
La mission de Morning Star s’énonce ainsi : « produire des produits et service autour de la tomate qui répondent systématiquement aux attentes de qualité de service de nos clients ». C’est en l’ayant en tête que chaque employé doit formaliser sa mission individuelle qui décrit sa contribution à la mission de l’entreprise
2. Autonomie
Chez Morning Star, l’autonomie et l’empowerment ne sont pas des mots vains. Il n’y a pas de définition de postes. A chacun d’inventer son utilité en fonction du projet global, de ses objectifs, de ses talents et de ses compétences qui évoluent avec le temps. Et chacun est responsable de se donner les moyens (compétence, ressources, outils, etc.) pour réaliser sa mission.
Au quotidien, chacun a la liberté d’engager les dépenses pour acheter ce dont il a besoin pour fonctionner. Personne ne doit autoriser ces dépenses. Evidemment ceux qui achètent les mêmes choses se regroupent. Chacun peut aussi déclencher une embauche s’il en a besoin pour réussir sa mission.
L’entreprise mise aussi sur la créativité de tous. N’importe qui peut proposer des améliorations dans n’importe quel domaine. Une façon radicale de briser les paradigmes ! Grand soin est pris des idées nouvelles. Un comité d’anciens agit comme coach.
3. Coordination
La coordination entre les employés repose sur plusieurs mécanismes qui créent du collectif.
Premier niveau de coordination : les relations individuelles
Chaque année chacun prend entre 20 et 60 minutes pour négocier des accords appelés CLOU (Colleague Letter of Understanding) avec les collègues avec lesquels il est le plus en relation dans l’exécution de sa mission. Chaque CLOU comporte : livrables, objectifs chiffrés, engagements réciproques de livraison, etc. Au total 3000 CLOU sont signés tous les ans dans l’ensemble de l’entreprise.
Chacun doit aussi bâtir un plan d’affaires incluant ses besoins financiers, ainsi qu’une analyse du retour sur investissement (ROI) projeté. Dans le cas où il prévoit un investissement important, le salarié va aller se concerter avec ses collègues, puisqu’il devra coordonner son plan avec ceux des autres.
Deuxième niveau de coordination : les relations entre unités d’affaires
Morning Star compte 23 unités d’affaires qui, elles aussi, contractualisent leurs relations (ex. prix, volumes, planification de la livraison).
Tous les ans, en février, chaque unité d’affaires a 20 minutes pour présente son plan pour l’année à venir à ses pairs (20 min. de présentation). Ceux-ci peuvent investir un argent virtuel dans les stratégies les plus prometteuses. Les unités qui ne reçoivent pas beaucoup d’investissements savent qu’elles n’ont pas convaincu et qu’elles seront sous observation. Pas de validation donc, ou de veto, mais de l’interinfluence.
Ces relations contractuelles entre employés et entre équipes tissent un réseau d’interdépendance qui créent de la cohérence.
4. Feed-back
La mise à disposition d’outils de feed-back est indispensable pour permettre un ajustement continu autonome, puisqu’il n’y a pas de manager pour scruter minutieusement les fichiers excel.
Les individus ont accès à un maximum d’information en fonction de leurs objectifs. Les unités d’affaires reçoivent deux fois par mois leurs résultats et sont classées en fonction de leur niveau de performance.
Tous les ans, en janvier, un processus de feed-back permet à chaque salarié et chaque unité d’affaires de justifier sa performance au regard de ses CLOU, de proposer des plans d’amélioration, ainsi que de recevoir du feed-back de ses collègues. Et les discussions sont poussées. Généralement il faut presque une journée pour traiter le cas d’une unité d’affaires.
La philosophie de Morning Star est de rendre l’information est accessible à tous pour permettre à chacun de comprendre le fonctionnement global, de mesurer son impact personnel, de négocier des CLOU pertinents et de s’ajuster en continu.
Les questions que l’on se pose
Evidemment le modèle amène à se poser quelques questions réflexes :
Question : comment se gèrent les désaccords ?
Réponse : dans un premier temps, un médiateur intervient. S’il y a contestation, un jury de six collègues se penche sur la question. Et si le désaccord demeure, cela remonte jusqu’au président qui tranche.
Question : comment se décident les salaires ?
Réponse : à la fin de l’année, chacun s’auto-évalue en fonction de ses résultats. Huit comités sont élus pour couvrir l’ensemble des unités d’affaires. Ils décident du salaire octroyé à chaque employé. Et cela marche plutôt bien : les salaires sont de 10 à 15% plus élevés que chez les concurrents.
Question : s’il n’y a pas de hiérarchie, comment gérer la progression de carrière ?
Réponse : les experts sont reconnus par les autres employés, et ils gagnent plus. Mais c’est effectivement un enjeu pour ceux qui quittent et se font embaucher ailleurs sans beau titre ronflant.
Deux conditions de réussite majeures
Pour réussir durablement deux conditions de réussite me paraissent clés.
Tout d’abord le projet global doit être incarné. Chris Rufer, le fondateur est toujours président. Il est le recours suprême, celui qui porte la culture de l’entreprise. On peut se demander comment se prépare sa succession.
D’autre part, tout le monde n’est pas fait pour être à l’aise dans ce type de modèle. Chez Morning Star, on constate qu’un an est nécessaire à un nouvel embauché pour devenir performant dans ce mode de gestion. Et il n’est pas facile de s’y faire. Ainsi 50% des nouveaux embauchés quittent dans les deux ans qui suivent.
Dans une organisation en croissance, on comprend qu’il s’agit là de deux enjeux majeurs.
Conclusion : allez, osez !
Evidemment le modèle de Morning Star n’est pas transposable partout, tout de suite. Mais il a pour moi deux intérêts majeurs :
1. On ne pourra plus nous dire qu’une hiérarchie est par essence nécessaire pour faire fonctionner un groupe humain. Ecoutez bien managers et gestionnaires autour de vous, au fond d’eux mêmes ils en sont persuadés.
2. On peut rendre une organisation plus performante si on va vers plus d’auto-organisation. Mais pour cela il est nécessaire de réunir les quatre conditions en même temps : le partage d’un projet, l’autonomie, la coordination des activités et le feed-back. Pensez combien de projets de délégation, d’empowerment ou autre ont échoué par manque de l’un ou l’autre de ces ingrédients.
vendredi 17 juin 2011
La transformation d'eBay
Dans le magasine Wired de juin, un article surprenant de James Surowiecki : « Going… going… gone. Auctions were supposed to be the new way to buy and sell everything. It didn’t turn out that way – just ask eBay ». Le post ci-dessous est une adaptation de ce texte.
eBay est une pépite créée en 1995. Fille du premier boom de l’Internet, elle a prospéré même pendant l’explosion de la bulle. En quelques années l’entreprise est devenue une référence avec son modèle de grand bazar où les achats se faisaient par enchères. Elle réalisait en 2010 9,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Aujourd’hui les enchères ne représentent que 31% du chiffre d’affaires de eBay. La plupart des ventes sur le site s’effectuent par le bouton « buy it now » avec un prix fixe comme sur n’importe quel site de vente en ligne. Le modèle enchères répond de plus en plus à des usages de niches pour certaines catégories de produits, par exemple il représente 80% à 85% pour les voitures usagées. Les enchères sont particulièrement pertinentes lorsque des personnes ont des opinions différentes sur la valeur d’un bien et que les vendeurs manquent de connaissance sur la demande, situation caractéristique sur le marché des objets de collection.
Pourquoi les internautes se sont-ils détournés des enchères ?
Le désenchantement de l’expérience eBay
A ses débuts, participer à une enchère sur eBay avait ce que les économistes appellent un « bénéfice hédoniste ». L’enchère était une compétition. D’ailleurs ne dit-on pas gagner une enchère plutôt qu’acheter un produit. C’était ludique, stimulant, voire addictif. Utiliser eBay était en soi une expérience.
Mais le « snipping » (de l’anglais familier « faire une bonne affaire ») s’est développé. Cette pratique consiste à placer des enchères au dernier moment pour l’emporter. Dès lors pourquoi attendre sept jours pour se faire coiffer au dernier moment, systématiquement et sans pouvoir rien y faire. En outre, les internautes sont des plus en plus sensibles à l’efficacité et à la rapidité. Passer du temps pour acheter, suivre l’évolution d’une enchère, n’intéresse plus grand monde.
Les internautes se sont lassés. L’expérience eBay s’est désenchantée.
Des prix qui s’alignent sur ceux du marché
Cet intérêt pour les enchères se doublait du sentiment de faire une bonne affaire. Ainsi une étude de 2005 montre que lorsque les internautes avaient le choix entre un prix fixe en dessous du marché et une enchère, une majorité choisissaient de tenter leur chance.
Hors peu à peu les internautes se sont rendu compte qu’au final cela leur coûtait plus cher que prévu : ils se laissaient emporter dans les enchères, et multipliaient les soumissions sur des objets qu’ils n’avaient pas prévus.
En outre l’avantage prix de eBay s’est réduit. Un effet d’apprentissage collectif a joué, aidé par la multiplication des sites de comparaison des prix. Au cours du temps, les internautes ont appris la valeur des choses. Les prix fixés par les enchères se mirent à être de plus en plus justes, et les bonnes affaires de plus en plus rares. Un vendeur d’électronique sur eBay a réalisé une étude concluant que pour des iPods Touch le prix fixe et les enchères variaient de 2$ dans un sens ou dans l’autre.
Le développement de la concurrence et de modèle alternatifs
A ses débuts la grande diversité des biens était un avantage concurrentiel pour eBay. Aujourd’hui la vente en ligne s’est développée. Une multitude de distributeur en ligne et de spécialistes se sont développés. Ceux-ci sont excellemment référencés dans Google (avec la création d’adresses uniques pour chaque référence). Ainsi si à la fin des années 90 quelqu’un qui cherchait un objet rare avait pour réflexe de se rendre sur eBay, il commence aujourd’hui par Google pour trouver la liste des vendeurs existants et les comparateurs de prix.
Le modèle des enchères permettait à eBay d’entretenir l’idée de la bonne affaire. Hors depuis quelques années, la vente promotionnelle s’est développée massivement sur Internet à travers des modèles alternatifs : ventes privées, ventes groupées, ticketing, etc. (pensons à vente-privée.com, Groupon, etc.). Depuis 10 ans, le consommateur a pris du pouvoir, et se sent moins prisonnier du prix fixé par le vendeur. Il a trouvé des alternatives aux enchères de eBay.
Un modèle de facturation attaqué par Amazon
L’ancienne structure de facturation de eBay aux vendeurs était un pourcentage sur le prix de vente du produit et non du montant total de la facturation au client qui inclut les frais de transport ce qui encourageait ces derniers à maintenir des frais de shipping élevés.
eBay a connu une déstabilisation concurrentielle forte le jour où Amazon a choisi de réinvestir une partie de l’argent mis en marketing dans la livraison sans frais.
Enfin, dans le respect de l’esprit démocratique de eBay, certaines (rares) fraudes ont été mal gérées ce qui a terni l’image de la marque .
Conclusion
L’évolution de eBay est une revue de l’histoire de la consommation sur Internet. Elle montre comment :
- Les internautes sont devenus des consommateurs de plus en plus rationnels pour qui les critères de l’efficacité et du prix sont devenus primordiaux.
- La concurrence s’est multipliée avec des modèles d’affaires très diversifiés et parfois étonnants (pensons à Groupon par exemple).
Face à ces enjeux, l’entreprise a su se réinventer sous trois axes :
- Un ciblage des enchères sur des marchés de niches (en particulier les objets de collection).
- Une évolution vers la vente en ligne classique sur le modèle d’Amazon pour exploiter son image et sa base client.
- Une diversification vers des métiers nouveaux et très rentables : StubHub (vente de tickets), vente promotielle (Half.com) et surtout Paypal.
eBay va très bien, merci.
eBay est une pépite créée en 1995. Fille du premier boom de l’Internet, elle a prospéré même pendant l’explosion de la bulle. En quelques années l’entreprise est devenue une référence avec son modèle de grand bazar où les achats se faisaient par enchères. Elle réalisait en 2010 9,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Aujourd’hui les enchères ne représentent que 31% du chiffre d’affaires de eBay. La plupart des ventes sur le site s’effectuent par le bouton « buy it now » avec un prix fixe comme sur n’importe quel site de vente en ligne. Le modèle enchères répond de plus en plus à des usages de niches pour certaines catégories de produits, par exemple il représente 80% à 85% pour les voitures usagées. Les enchères sont particulièrement pertinentes lorsque des personnes ont des opinions différentes sur la valeur d’un bien et que les vendeurs manquent de connaissance sur la demande, situation caractéristique sur le marché des objets de collection.
Pourquoi les internautes se sont-ils détournés des enchères ?
Le désenchantement de l’expérience eBay
A ses débuts, participer à une enchère sur eBay avait ce que les économistes appellent un « bénéfice hédoniste ». L’enchère était une compétition. D’ailleurs ne dit-on pas gagner une enchère plutôt qu’acheter un produit. C’était ludique, stimulant, voire addictif. Utiliser eBay était en soi une expérience.
Mais le « snipping » (de l’anglais familier « faire une bonne affaire ») s’est développé. Cette pratique consiste à placer des enchères au dernier moment pour l’emporter. Dès lors pourquoi attendre sept jours pour se faire coiffer au dernier moment, systématiquement et sans pouvoir rien y faire. En outre, les internautes sont des plus en plus sensibles à l’efficacité et à la rapidité. Passer du temps pour acheter, suivre l’évolution d’une enchère, n’intéresse plus grand monde.
Les internautes se sont lassés. L’expérience eBay s’est désenchantée.
Des prix qui s’alignent sur ceux du marché
Cet intérêt pour les enchères se doublait du sentiment de faire une bonne affaire. Ainsi une étude de 2005 montre que lorsque les internautes avaient le choix entre un prix fixe en dessous du marché et une enchère, une majorité choisissaient de tenter leur chance.
Hors peu à peu les internautes se sont rendu compte qu’au final cela leur coûtait plus cher que prévu : ils se laissaient emporter dans les enchères, et multipliaient les soumissions sur des objets qu’ils n’avaient pas prévus.
En outre l’avantage prix de eBay s’est réduit. Un effet d’apprentissage collectif a joué, aidé par la multiplication des sites de comparaison des prix. Au cours du temps, les internautes ont appris la valeur des choses. Les prix fixés par les enchères se mirent à être de plus en plus justes, et les bonnes affaires de plus en plus rares. Un vendeur d’électronique sur eBay a réalisé une étude concluant que pour des iPods Touch le prix fixe et les enchères variaient de 2$ dans un sens ou dans l’autre.
Le développement de la concurrence et de modèle alternatifs
A ses débuts la grande diversité des biens était un avantage concurrentiel pour eBay. Aujourd’hui la vente en ligne s’est développée. Une multitude de distributeur en ligne et de spécialistes se sont développés. Ceux-ci sont excellemment référencés dans Google (avec la création d’adresses uniques pour chaque référence). Ainsi si à la fin des années 90 quelqu’un qui cherchait un objet rare avait pour réflexe de se rendre sur eBay, il commence aujourd’hui par Google pour trouver la liste des vendeurs existants et les comparateurs de prix.
Le modèle des enchères permettait à eBay d’entretenir l’idée de la bonne affaire. Hors depuis quelques années, la vente promotionnelle s’est développée massivement sur Internet à travers des modèles alternatifs : ventes privées, ventes groupées, ticketing, etc. (pensons à vente-privée.com, Groupon, etc.). Depuis 10 ans, le consommateur a pris du pouvoir, et se sent moins prisonnier du prix fixé par le vendeur. Il a trouvé des alternatives aux enchères de eBay.
Un modèle de facturation attaqué par Amazon
L’ancienne structure de facturation de eBay aux vendeurs était un pourcentage sur le prix de vente du produit et non du montant total de la facturation au client qui inclut les frais de transport ce qui encourageait ces derniers à maintenir des frais de shipping élevés.
eBay a connu une déstabilisation concurrentielle forte le jour où Amazon a choisi de réinvestir une partie de l’argent mis en marketing dans la livraison sans frais.
Enfin, dans le respect de l’esprit démocratique de eBay, certaines (rares) fraudes ont été mal gérées ce qui a terni l’image de la marque .
Conclusion
L’évolution de eBay est une revue de l’histoire de la consommation sur Internet. Elle montre comment :
- Les internautes sont devenus des consommateurs de plus en plus rationnels pour qui les critères de l’efficacité et du prix sont devenus primordiaux.
- La concurrence s’est multipliée avec des modèles d’affaires très diversifiés et parfois étonnants (pensons à Groupon par exemple).
Face à ces enjeux, l’entreprise a su se réinventer sous trois axes :
- Un ciblage des enchères sur des marchés de niches (en particulier les objets de collection).
- Une évolution vers la vente en ligne classique sur le modèle d’Amazon pour exploiter son image et sa base client.
- Une diversification vers des métiers nouveaux et très rentables : StubHub (vente de tickets), vente promotielle (Half.com) et surtout Paypal.
eBay va très bien, merci.
samedi 15 août 2009
Crocs et Fitflops : le miroir piégé aux alouettes
Alors voilà, Crocs est au bord de la faillite. L’an dernier l’entreprise a perdu 185 millions de dollars et licencié un tiers de ses effectifs (contre un bénéfice de 200 millions en 2006). Au deuxième trimestre 2009, les ventes ont chuté de 11% et le troisième trimestre s’annonce encore moins bon.
Un beau plantage stratégique. Je ne connais pas précisément cette entreprise. Mais en y réfléchissant un peu, il y a quelque chose de prévisible dans ce naufrage. Et pourtant toutes les décisions stratégiques peuvent paraître rationnelles.
1.Une innovation technologique : un procédé de moulage qui permet de fabriquer des chaussures en plastique moulé antibactérien.
2.La vente à des investisseurs américains qui ont les ressources financières et les compétences pour exploiter le filon en élargissant le marché du médical au grand public.
3.Une stratégie marketing brillante qui réussit à créer la mode. Et des petits clous à enfoncer dans les chaussures qui doivent générer une marge indécente.
4.Un triomphe, les Crocs se vendent comme des petits pains. L’entreprise se dit alors qu’elle tient un filon et décide, c’est logique, de diversifier son offre de chaussures : des modèles variés, plus esthétiques, pour séduire une nouvelle clientèle et multiplier les ventes chez ses clients fidèles (car les Crocs sont solides et on n’en change pas fréquemment). En sept ans 100 millions de paires sont vendues.
5.En 2006 l’entreprise est introduite en bourse. Normal : les résultats sont là et l’entreprise doit avoir besoin d’argent frais pour assurer son développement.
6.En 2008 les premières difficultés. La réaction classique : pas de réflexion de fond sur l’offre et le positionnement mais des licenciements et une délocalisation en Chine pour baisser les coûts.
7.2009 : ça sent le sapin.
Fonction et mode : les avantages distinctifs des Crocs.
Les crocs ont deux avantages produit certains : le premier est fonctionnel, le second est lié à la mode. Les Crocs sont antibactériennes et lavables à la machine. Ces caractéristiques sont distinctives. On peut les acheter pour des raisons fonctionnelles. Cet avantage est durable. On peut avoir toujours besoin de ce type de chaussures.
La seconde distinction est liée à un design ignoble mais marquant est lié à la mode. Pour des raisons qui tiennent en partie à la compétence de l’équipe de marketing et pour beaucoup au coup de chance, la mode s’en est emparée. Mais cet avantage est peu durable. Il dure ce que durent les modes, l’espace de quelques années, le temps de faire le tour de la planète.
En fait, le succès monstre de Crocs depuis quelques années repose à mon avis sur un coup de chance, un effet de mode, qu’elle ne maîtrise pas vraiment.
Certaines marques comme Mephisto ou Geox ont bâti leur succès en capitalisant patiemment sur un avantage concurrentiel de type fonctionnel, en créant des lignes qui peu à peu se mettaient à suivre la mode, mais ne sont jamais la mode.
Au contraire Crocs a cédé au miroir aux alouettes du succès de mode.
Le miroir piégé aux alouettes.
Quelques hypothèses sur la réflexion stratégique de Crocs (que je n’ai jamais eu en main, donc je suis peut-être complètement hors sujet).
- Toute réflexion stratégique doit se structurer à partir de ce qui constitue l’avantage concurrentiel. Dans le cas de Crocs il est de deux natures : un avantage fonctionnel durable et un avantage lié à la mode. Il paraît évident que celui sur lequel repose le succès durable est le premier. Essayer de rester à la mode quand on est Crocs est perdu d’avance.
- En diversifiant son offre, Crocs commet deux erreurs importantes : une erreur produit et une erreur de chaîne de valeur.
L’erreur produit : Ses autres produits ne démontrent pas tous le même avantage fonctionnel. D’autre part, ils ne peuvent pas être à la mode. Ce qui était à la mode c’était le sabot Crocs, pas la marque Crocs. Diversifier une marque si jeune, avec des produits si laids et si chers est une décision étrange.
L’erreur dans la chaîne de valeur : La diversification consomme beaucoup de ressources. Elle complexifie la chaîne de valeur : du design à la distribution. Les magasins doivent être plus grands, les stocks plus importants, etc. Elle a un coût. Et je serais curieux de connaître la part de ces produits dans les ventes totales.
- Ces erreurs sont le fruit d’une myopie stratégique. Un premier biais est cognitif : Il est difficile d’admettre que l’on a réussi par chance, que l’on ne maîtrise pas tout sur un marché. La contrepartie est angoissante : ce n’est pas parce que vous prenez les bonnes décisions que le marché va réagir favorablement. Un autre biais est organisationnel : tout le monde dans l’organisation a intérêt à expliquer qu’ils ont maîtrisé le succès, que leurs décisions en sont à l’origine. En 2006 quand l’entrée en bourse est un triomphe, essayez d’être celui qui annonce que ce n’est peut-être pas la bonne stratégie.
Alors qu’aurait pu faire Crocs ?
Personnellement, je reste convaincu que pour réussir durablement il faut bien cerner son avantage concurrentiel et s’y tenir.
Crocs aurait eu intérêt à rester focussé sur l’exploitation de son avantage fonctionnel et à utiliser le succès de mode comme une aubaine. Dit autrement : limiter la diversification, utiliser le cash généré par le succès de mode pour investir dans le sabot (et quelques déclinaisons) pour l’installer durablement (en se disant que la mode va passer et qu’il ne faut pas s’emballer et se prendre pour un autre). Converse par exemple a basé son succès sur un modèle de base qui a un succès régulier et revient à la mode périodiquement.
Tout en conservant son positionnement grand public, je pense que Crocs aurait intérêt à concentrer ses efforts sur certains marchés spécifiques où l’avantage fonctionnel pourrait être exploité pleinement : tous les domaines collectifs où l’hygiène est importante (la santé, l’éducation, les maisons de retraite, etc.). Cela peut supposer des efforts de mise en marché différents : force de vente dédiée, signature d’accord de fourniture pour des établissements, efforts sur les prix, etc. C’est certes moins sexy, moins glamour, les photos sont moins belles dans le CV du PDG, mais à mon avis, c’est beaucoup plus durable.
Les Fitflops, les prochaines victimes ?
D’ailleurs depuis deux ans, les Fitflops font un triomphe (2 millions de paires vendues en 2008). Avec leurs semelles en trois parties qui créent des micro-déséquilibres, elles obligent les muscles à travailler. Elles ont donc un avantage fonctionnel.
Cèderont-elles au piège du succès de mode ou sauront-elles gérer avec clairvoyance leur avantage fonctionnel pour s’installer dans la durée ?
Réponse dans deux ans.
Un beau plantage stratégique. Je ne connais pas précisément cette entreprise. Mais en y réfléchissant un peu, il y a quelque chose de prévisible dans ce naufrage. Et pourtant toutes les décisions stratégiques peuvent paraître rationnelles.
1.Une innovation technologique : un procédé de moulage qui permet de fabriquer des chaussures en plastique moulé antibactérien.
2.La vente à des investisseurs américains qui ont les ressources financières et les compétences pour exploiter le filon en élargissant le marché du médical au grand public.
3.Une stratégie marketing brillante qui réussit à créer la mode. Et des petits clous à enfoncer dans les chaussures qui doivent générer une marge indécente.
4.Un triomphe, les Crocs se vendent comme des petits pains. L’entreprise se dit alors qu’elle tient un filon et décide, c’est logique, de diversifier son offre de chaussures : des modèles variés, plus esthétiques, pour séduire une nouvelle clientèle et multiplier les ventes chez ses clients fidèles (car les Crocs sont solides et on n’en change pas fréquemment). En sept ans 100 millions de paires sont vendues.
5.En 2006 l’entreprise est introduite en bourse. Normal : les résultats sont là et l’entreprise doit avoir besoin d’argent frais pour assurer son développement.
6.En 2008 les premières difficultés. La réaction classique : pas de réflexion de fond sur l’offre et le positionnement mais des licenciements et une délocalisation en Chine pour baisser les coûts.
7.2009 : ça sent le sapin.
Fonction et mode : les avantages distinctifs des Crocs.
Les crocs ont deux avantages produit certains : le premier est fonctionnel, le second est lié à la mode. Les Crocs sont antibactériennes et lavables à la machine. Ces caractéristiques sont distinctives. On peut les acheter pour des raisons fonctionnelles. Cet avantage est durable. On peut avoir toujours besoin de ce type de chaussures.
La seconde distinction est liée à un design ignoble mais marquant est lié à la mode. Pour des raisons qui tiennent en partie à la compétence de l’équipe de marketing et pour beaucoup au coup de chance, la mode s’en est emparée. Mais cet avantage est peu durable. Il dure ce que durent les modes, l’espace de quelques années, le temps de faire le tour de la planète.
En fait, le succès monstre de Crocs depuis quelques années repose à mon avis sur un coup de chance, un effet de mode, qu’elle ne maîtrise pas vraiment.
Certaines marques comme Mephisto ou Geox ont bâti leur succès en capitalisant patiemment sur un avantage concurrentiel de type fonctionnel, en créant des lignes qui peu à peu se mettaient à suivre la mode, mais ne sont jamais la mode.
Au contraire Crocs a cédé au miroir aux alouettes du succès de mode.
Le miroir piégé aux alouettes.
Quelques hypothèses sur la réflexion stratégique de Crocs (que je n’ai jamais eu en main, donc je suis peut-être complètement hors sujet).
- Toute réflexion stratégique doit se structurer à partir de ce qui constitue l’avantage concurrentiel. Dans le cas de Crocs il est de deux natures : un avantage fonctionnel durable et un avantage lié à la mode. Il paraît évident que celui sur lequel repose le succès durable est le premier. Essayer de rester à la mode quand on est Crocs est perdu d’avance.
- En diversifiant son offre, Crocs commet deux erreurs importantes : une erreur produit et une erreur de chaîne de valeur.
L’erreur produit : Ses autres produits ne démontrent pas tous le même avantage fonctionnel. D’autre part, ils ne peuvent pas être à la mode. Ce qui était à la mode c’était le sabot Crocs, pas la marque Crocs. Diversifier une marque si jeune, avec des produits si laids et si chers est une décision étrange.
L’erreur dans la chaîne de valeur : La diversification consomme beaucoup de ressources. Elle complexifie la chaîne de valeur : du design à la distribution. Les magasins doivent être plus grands, les stocks plus importants, etc. Elle a un coût. Et je serais curieux de connaître la part de ces produits dans les ventes totales.
- Ces erreurs sont le fruit d’une myopie stratégique. Un premier biais est cognitif : Il est difficile d’admettre que l’on a réussi par chance, que l’on ne maîtrise pas tout sur un marché. La contrepartie est angoissante : ce n’est pas parce que vous prenez les bonnes décisions que le marché va réagir favorablement. Un autre biais est organisationnel : tout le monde dans l’organisation a intérêt à expliquer qu’ils ont maîtrisé le succès, que leurs décisions en sont à l’origine. En 2006 quand l’entrée en bourse est un triomphe, essayez d’être celui qui annonce que ce n’est peut-être pas la bonne stratégie.
Alors qu’aurait pu faire Crocs ?
Personnellement, je reste convaincu que pour réussir durablement il faut bien cerner son avantage concurrentiel et s’y tenir.
Crocs aurait eu intérêt à rester focussé sur l’exploitation de son avantage fonctionnel et à utiliser le succès de mode comme une aubaine. Dit autrement : limiter la diversification, utiliser le cash généré par le succès de mode pour investir dans le sabot (et quelques déclinaisons) pour l’installer durablement (en se disant que la mode va passer et qu’il ne faut pas s’emballer et se prendre pour un autre). Converse par exemple a basé son succès sur un modèle de base qui a un succès régulier et revient à la mode périodiquement.
Tout en conservant son positionnement grand public, je pense que Crocs aurait intérêt à concentrer ses efforts sur certains marchés spécifiques où l’avantage fonctionnel pourrait être exploité pleinement : tous les domaines collectifs où l’hygiène est importante (la santé, l’éducation, les maisons de retraite, etc.). Cela peut supposer des efforts de mise en marché différents : force de vente dédiée, signature d’accord de fourniture pour des établissements, efforts sur les prix, etc. C’est certes moins sexy, moins glamour, les photos sont moins belles dans le CV du PDG, mais à mon avis, c’est beaucoup plus durable.
Les Fitflops, les prochaines victimes ?
D’ailleurs depuis deux ans, les Fitflops font un triomphe (2 millions de paires vendues en 2008). Avec leurs semelles en trois parties qui créent des micro-déséquilibres, elles obligent les muscles à travailler. Elles ont donc un avantage fonctionnel.
Cèderont-elles au piège du succès de mode ou sauront-elles gérer avec clairvoyance leur avantage fonctionnel pour s’installer dans la durée ?
Réponse dans deux ans.
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