mercredi 29 septembre 2010

"Tenaces, les stéréotypes générationnels", Entrevue avec Iris Gagnon-Paradis pour La Presse

Publié le 29 septembre 2010 à 07h53 | Mis à jour à 07h53

Les jeunes butinent d'un emploi à l'autre, croient tout savoir et veulent travailler pour de grosses entreprises... Ces stéréotypes ne tiennent pas nécessairement la route, selon un sondage publié la semaine dernière par le cabinet RSM Ritcher Chamberland.

Soixante-dix-huit pour cent des jeunes de 18 à 34 ans croient que les PME offrent de meilleures possibilités de développement de carrière que les grosses entreprises, 30% n'ont pas confiance en leurs compétences et 41% prévoient travailler jusqu'à trois ans pour le même employeur. Ces résultats, tirés d'un sondage réalisé par Angus Reid Strategies auprès de 1000 répondants canadiens pour le compte du cabinet de comptabilité et de services-conseils RSM Ritcher Chamberland, viennent remettre en question certains stéréotypes répandus sur la génération Y.

Ces résultats n'étonnent pas Jean-François Rougès, doctorant en management et consultant pour le Groupe Martin Forest. Parmi ses sujets de prédilection, la rencontre intergénérationnelle. «Ce sondage montre que le comportement des jeunes est paradoxal seulement si on le regarde avec des yeux de baby-boomers ou de X», avance-t-il.

La suite à lire ici.

mercredi 15 septembre 2010

Apple contre le reste du monde (partie 3)

Dans les deux parties précédentes nous avons vu comment Apple s’est installé comme la référence sur le marché des téléphones intelligents, ce qui lui donne un fort pouvoir de négociation et lui permet de capter une part importante du cash dans la chaîne de valeur.
Dans cette partie nous verrons comment Apple a joué le rôle du challenger sur le marché du livre numérique.

Sur ce marché, le leader est Amazon. Sa stratégie a été de s'imposer comme un standard. Une marque très forte, une plateforme de vente en ligne qui fait référence, manquait un terminal. Amazon a choisi de le développer. Ainsi naquit le Kindl.

Phase 1 : créer le standard

Dans une première phase Amazon a cherché à vendre des Kindl afin de bâtir le standard de l'industrie. En effet, on peut supposer qu’un client équipé d’un terminal aura plus de mal à changer de fournisseur. Pour cela Amazon a négocié avec les éditeurs des conditions avantageuses pour eux : en maintenant des prix d’achat élevés aux éditeurs, et en revendant à perte à 9,99$, en échange de contrats très stricts.
En procédant ainsi, Amazon est devenu incontournable sur le marché du livre numérique. Le Kindl s'est imposé comme le standard chez les lecteurs du fait de la grande quantité de titres disponibles, et Amazon est devenu le partenaire obligé des éditeurs (parce qu’il détenait le marché, les lecteurs équipés d’un Kindl, et la plateforme de distribution). Amazon a donc construit un pouvoir de négociation très élevé vis-à-vis des éditeurs et des clients.

Phase 2 : jouer de son pouvoir de négociation


Une fois sa situation installée, Amazon s’est vu en situation de jouer de son pouvoir de négociation pour imposer ses conditions. Objectif : revoir les conditions des contrats avec les éditeurs pour améliorer ses profits.
Parmi les conditions : signer des contrats d’exclusivité et baisser leurs prix de vente à Amazon afin qu’elle génère une marge sur la vente de livre.
Si les éditeurs râlaient ils étaient coincés. Amazon était la référence incontournable en matière de vente en ligne et le Kindl, le principal outil de lecture. Dans le bras de fer qui s’engageait, Amazon était en position de force. Jusqu’à ce que….

Phase 3 : avec le iPad, une modification des rapports de force


Jusqu’au iPad. Un des intérêts du iPad est d’être un terminal de lecture. Appel a donc créé une plateforme de distribution : iBooks. Sur ce marché, où il apparaît comme un challenger, Apple n’applique pas les mêmes conditions que sur iTunes. Pour attirer les éditeurs, Apple leur permet de fixer un prix de vente plus élevé et une répartition des profits 70/30. Cela arrange les éditeurs à deux niveaux : générer plus de profits qu’avec Amazon et moins cannibaliser les livres papiers.
Dès lors l’équilibre des forces s’est modifié.
Mcmillan voit l’opportunité et lance la révolte, refusant les conditions d’Amazon, souhaitant s’aligner sur celles d’Apple. Amazon réagit en jouant de ce qu’il pense être son pouvoir de négociation en menaçant l’éditeur de retirer ses livres de la vente.
Mais voilà en refusant les publications de Mcmillan Amazon affaiblit son offre et renforce celle de son principal concurrent : Apple. Au final, Amazon est contraint de modifier les conditions offertes aux éditeurs. Apple a réussi à modifier les règles du secteur.

Trois morales à l’histoire :

1. ne jamais prendre son pouvoir de négociation comme une donnée.
2. ne pas profiter de son pouvoir pour capter une part indue de la valeur créée dans la chaîne de valeur, cela finit toujours par ouvrir la porte à des concurrents.
3. rester vigilent sur les modèles d’affaires émergents qui modifient la répartition de la valeur créée.

jeudi 1 juillet 2010

Apple contre le reste du monde (partie 2)

Dans la première partie, nous avons vu que la relation entre Apple et les compagnies de télécom était tendue. Apple capte une bonne partie de la valeur créée dans la chaîne de valeur, au détriment de ces dernières qui doivent supporter des investissements massifs, en particulier pour faire évoluer les réseaux. Comment Apple a-t-elle réussi à s’imposer ainsi ?

Le modèle des cinq forces de la concurrence de Porter nous donne un cadre d’analyse pertinent pour comprendre ce qui se passe. Jusqu'à présent le combat a compté quatre rounds :
Round 1 : Le iPhone, une rupture sur le marché
Round 2 : Des concurrents se lancent
Round 3 : L'émergence d'un challenger
Round 4 : La lutte pour rester le standard


Round 1 : Le iPhone, une rupture sur le marché


Le iPhone a constitué une rupture dans l’univers de la téléphonie mobile par son design, par son interface tactile, et surtout par la démarche de crowdsourcing dans le développement de milliers d’applications grand public ou de niche.
Avec son inimitable talent marketing, Apple a crée une énorme attente dans le public. Sa stratégie dès lors a été d’assurer l’exclusivité de la vente du iPhone à une marque par pays.

L’intérêt pour la compagnie de téléphone : gagner des parts de marché en ayant l’exclusivité d’un produit innovant et tendance, générer du chiffre d’affaires dans la mesure où les multiples applications du iPhone promettaient de nouveaux usages. Pour toutes les compagnies c’était une bonne affaire.

En choisissant la compagnie qui allait avoir l’exclusivité de la distribution du iPhone, Apple s’assurait d’être « du bon côté du bâton » et pouvait imposer ses conditions. Par exemple le fait de ne pas permettre que le logo de la compagnie de télécom apparaisse sur l’écran d’ouverture du iPhone. Le pouvoir de négociation était du côté de Apple.


Round 2 : Des concurrents se lancent

Naturellement, face au succès du iPhone la concurrence s’est organisée. Une multitude de concurrents ont émergé. Les compagnies téléphoniques qui ne distribuaient pas le iPhone avaient donc la possibilité de distribuer d’autres téléphones intelligents. L’équilibre des forces pouvait s’en trouver modifié et le pouvoir de négociation pouvait s’équilibrer. Mais Apple disposait d’un atout majeur : la supériorité de son produit. Par sa stratégie de crowsourcing, Apple avait donné une valeur considérable à son téléphone. Les nouveaux entrants ne pouvaient pas proposer la même valeur.

Le réflexe d’Apple a été de continuer à faire de son iPhone le standard du marché. Pour écraser la concurrence a été de permettre à d’autres marques de distribuer son téléphone. Ainsi les nouveaux entrants étaient confrontés à la concurrence directe dans chacune des marques. La supériorité du iPhone étant incontestable, la bataille tournait à l’avantage de Apple. Le statut de standard de l’industrie du iPhone se trouvait paradoxalement renforcé. Le pouvoir de négociation restait du côté de Apple qui, malgré les maugréments des compagnies téléphoniques pouvait continuer à imposer ses conditions.


Round 3 : L'émergence d’un challenger


Pour pouvoir bousculer cette position dominante, il était nécessaire d’avoir un produit capable de se comparer au iPhone : par sa qualité et le volume d’applications disponibles. Ce ne fut pas le Palm Pre, malgré ses promesses. Le concurrent véritable émerge lorsque Google se lance sur le marché avec la puissance de son image qui lui a permis de stimuler très rapidement le développement d’applications et une rupture : son système d’exploitation.

Pour installer rapidement Android comme un challenger au standard de l’industrie qu’est le iPhone, Google adopte une stratégie inverse à celle de Apple :
- Plutôt qu’une position fermée, Google ouvre : il crée certes son propre téléphone et équipe les appareils de plusieurs constructeurs de téléphones. Par exemple le Droid de Motorola, a connu un meilleur lancement que le iPhone: 1,05 millions d’exemplaires vendus en 74 jours contre 1 million.
- Google négocie aussi des conditions plus favorables pour les compagnies de télécom, capte une part moins grande de la valeur créée.
Dit autrement, les compagnies de téléphone ont intérêt à privilégier les solutions Android qui sont plus rentables pour elles, comme l’affirme Bouygues, et l’avantage produit d’Apple se réduit.

En outre les opérateurs se rebellent. Ainsi des compagnies de télécom (AT&T, Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, etc.) et des constructeurs (Samsung, LG, Sony) ont créé la « Wholesale Applications Community », une plateforme technique commune pour développer des applications concurrentes à celles d’Apple (précisons que les spécialistes sont sceptiques face à cette initiative). Ils espèrent ainsi reprendre du pouvoir dans la chaîne de valeur.

Ces évolutions se constatent dans les parts de marché. Aujourd’hui il se vend plus de téléphones Android que de iPhones. Le pouvoir de négociation entre Apple et les compagnies de télécom se rééquilibre puisqu’il existe une alternative crédible. (Sur le graphique ci-dessous le iPhone apparaît sous le nom de son système d’exploitation OS X, RIM est le nom du fabriquant du Backberry qui est a un modèle d’affaires différent des autres, puisque concentré essentiellement sur les usages professionnels avec peu d’application développées).



Round 4 : La lutte pour rester le standard


La lutte est ouverte pour être perçu comme le standard. La stratégie de domination par le produit d’Apple se poursuit :
- Le iPhone 4 propose des fonctionnalités nouvelles qui redonnent un avantage au téléphone intelligent’
- Apple continue à enrichir l’accès au contenu qui donne de la valeur à son téléphone. Ainsi même si elle est destinée principalement au iPad, iBook, la plateforme de vente de livres contribue à enrichir l’univers auquel le iPhone permet d’accéder.


Conclusion


Le modèle de profit d’Apple repose sur une domination dans le pouvoir de négociation qui lui permet d’imposer ses conditions aux compagnies de télécom. Avec l’arrivée d’Android, cette domination s’érode. A long terme le succès d’Apple reposera sur sa capacité à rester le standard par une domination produit (innovation dans le produit + enrichissement de l’univers de contenu auquel le téléphone donne accès), ou par le choix de rentrer dans le rang en alignant ses conditions sur celles de ses concurrents (ce qui me paraît peu probable).

Sur le marché de la téléphonie Apple voit son pouvoir de négociation attaqué par un nouvel entrant. Dans une troisième partie, nous verrons comment Apple a attaqué Amazon sur le marché du livre électronique

jeudi 17 juin 2010

Apple contre le reste du monde (partie 1)

Une phrase lue dans un vieux numéro du mensuel Enjeux Les Echos a attiré mon attention : « Désormais pour tous les Orange, Vodafone ou AT&T de la terre, Apple est le pire des fournisseurs. En installant dans la poche de leurs clients, (…) un iPhone permettant de consommer des services électroniques, Apple s’est surtout enrichi lui-même » (Nokia le dernier atout de l’Europe, David Barroux, Enjeux les Echos, février 2010)
A rapprocher d’une affirmation de Olivier Roussat, DG de Bouygues Telecom : « Nous allons pousser Android à fond »

La phrase est violente. Elle met en évidence un problème stratégique majeur : la répartition de la valeur créée au sein de la chaîne de valeur.
Pour mieux comprendre commençons par analyser les modèles de profit d’Apple et de ses partenaires en aval de la chaîne : les compagnies de Télécom.


1. Le modèle de profit du iPhone d'Apple
Avec son iPhone, Apple génère des revenus de plusieurs façons :

- En vendant son iPhone au grand public
Selon le site iSuppli, le coût de fabrication d’un iPhone est de 172,46$ pour les pièces et de 6,50$ de coûts de fabrication. Le prix de vente public du iPhone est autour de 500$. Apple réalise donc une belle marge sur chaque appareil vendu.

- En vendant son iPhone aux compagnies de téléphone
Les compagnies de télécom offrent le iPhone à prix réduit pour attirer les clients, de 100$ à 200$. Même si Apple leur fait une remise de volume important, Apple génère une marge confortable. Symétriquement, le coup d’acquisition d’un nouveau client pour les compagnies téléphoniques est très élevé (nous y reviendrons).

- En prenant un pourcentage sur les revenus liés à l’utilisation de son iPhone (abonnement et facturation à l’usage)
Apple prend une commission de 25% à 30% des revenus générés chez les compagnies de télécom par l’utilisation du iPhone : abonnements et frais d’utilisation hors forfait. La justification est que l’usage du iPhone génère des consommations nouvelles et des revenus nouveaux pour les compagnies de téléphonie.

- En prenant une commission sur les éléments de contenu à travers iTunes, les applications qui sont créées ou les livres électroniques.
Apple a développé autour du iPhone des plateformes d’accès à du contenu qui augmentent la valeur de l’objet et lui permettent de générer des revenus supplémentaires. Ainsi la commission d’Apple est de 70% sur iTunes, 30% sur Appstore, 30% sur iBook).

Tout cela est évidemment très rentable. Rappelons que la capitalisation boursière vient de dépasser celle de Microsoft, ce qui consacre un basculement d’ère : du fixe au mobile, de l’interface clavier à l’interface naturelle la main, de l’utilisation sérieuse à l’utilisation ludique.


2. Le modèle de profit des compagnies de téléphonie

Voyons à présent le modèle de profit des compagnies de téléphone.

- Les revenus
Les compagnies facturent des abonnements et des coûts liés à l’usage (dépassement de forfaits, etc.). Apple en capte 25% à 30%.
En face de ces revenus, les coûts sont considérables.

- Le coût d’acquisition des nouveaux clients.
Pour attirer des clients, les compagnies de télécom proposent des téléphones à prix réduit. Elles investissent pour proposer les téléphones à ce prix. Ajoutons la publicité, les charges salariales du personnel de vente et le coût d’acquisition des clients se révèle très élevé. Les contrats qui obligent le client à rester plusieurs années permettent à terme un retour sur l’investissement de départ. Mais les lois évoluent, ce type de contrat est de plus en plus combattu. Le risque pour les compagnies de télécom augmente.

- Le coût de mise à niveau des infrastructures.
Les téléphones intelligents consomment énormément de bande passante. Les applications développées sont de plus en plus gourmandes (pensons par exemple que le iPhone4 permettra la vidéoconférence). Les compagnies de télécom doivent donc mettre à niveau leur infrastructure, élargir la bande passante. Les investissements à réaliser sont considérables. SFR par exemple a investi 1,4 milliard d'euros dans son réseau en 2009 (soit 11,6% de son chiffre d'affaires).

On comprend à la comparaison des modèles que les compagnies de télécom ont le sentiment qu’Apple capte l’essentiel de la valeur créée dans la chaîne de valeur qui conduit au client.

La question qui se pose alors est : mais pourquoi se sont-ils laissé imposé cela ? et que peuvent-ils faire ?

Pour réfléchir à la question nous nous appuierons dans la seconde partie sur l'analyse du rapport des forces entre Apple et les compagnies de télécom, dans la plus pure tradition du modèle de Porter des cinq forces de la concurrence.

mardi 1 juin 2010

Le troisième âge du capitalisme

La question d’un déséquilibre croissant dans la répartition de la valeur créée entre actionnaires et salariés est au cœur du débat public depuis quelques années. Le grand oublié des discussions est le client.

J’ai eu l’occasion ces dernières semaines d’animer des groupes de travail chez des clients, en l’occurrence des banques. J’ai ainsi pu échanger avec une centaine de collaborateurs (traduction en Français du Québec : employés) et de managers (gestionnaires) sur leur vision de la situation actuelle de leur entreprise. Au cours de ces discussions, un point m’a frappé : leur sentiment que la recherche de la performance à court terme attribuable aux exigences d’une entreprise cotée en bourse, au durcissement des règles prudentielles, aux besoins de financement d’un groupe en plein développement international et à l’épanchement des pertes de la crise financière. Pour eux l’atteinte de ces objectifs de performance financière à court terme s’est faite au détriment des clients (qui manifestent dans les enquêtes une baisse de la satisfaction) et des salariés (qui ont vu leurs conditions de travail se durcir). Nombreux parmi ceux avec qui j’ai échangé avaient perdu une certaine fierté de leur métier, ce qui a un impact direct sur la motivation, donc l’engagement à long terme. Ce que j’appelle le syndrome Alcatel de « l’entreprise sans usine » de Tchuruk.

Dans un article de la Harvard Business Review de janvier-février 2010, The age of customer capitalism, Roger Martin pose le problème et, plein d’optimisme, annonce un troisième âge du capitalisme. Sa thèse, quelques exemples à l’appui :

Le capitalisme managérial, la première époque du capitalisme débute en 1932. Elle se caractérise par une séparation de la propriété et du management de l’entreprise. La personne du manager professionnel, formé, succède aux héritiers à la tête des entreprises.

Le capitalisme financier, seconde étape du capitalisme, l’objectif devient la maximisation de la valeur pour les actionnaires (dividendes et cours de bourse), GE est le modèle de cette époque. Autre exemple, lorsque Rio Tinto rachète Alcan, son patron dit : "With our attractive cost position, strong technology portfolio, complementary refining and smelting assets, and a strong growth pipeline, Rio Tinto Alcan's mission is to create maximum sustainable value for Rio Tinto shareholders and to fulfil our mutual commitments to all of our stakeholders”. La mission de la nouvelle entreprise est de maximiser la valeur crée pour les actionnaires. Le client, les produits ne sont pas cités.
Selon les auteurs le modèle a atteint ses limites. Pour l’auteur il faut remettre les choses en ordre.

Le capitalisme orienté client
, troisième âge du capitalisme.
Retour aux sources. A quoi sert une entreprise ? Mobiliser des individus compétents pour créer de la valeur pour des clients à travers des clients ou des services.
Toutes les entreprises doivent se poser la question de l’utilité qu’elles ont pour leurs clients. Elles ne pourront pas réussir durablement si elles ne se concentrent pas sur cet aspect. Deux exemples sont frappants : le credo de Johnson & Johnson, la mission de Procter & Gamble n’ont pas bougé depuis de longues décennies. Elles mettent clairement en ordre les choses :
1. Définir l’utilité pour les clients.
2. Considérer que la valeur créée pour les actionnaires est un résultat de la satisfaction du client.

Credo de Johnson & Johnson :
« We believe our responsability is to the doctors, nurses and patients, to mothers and fathers and all others who use our products and services… We are responsible to our employees, the men and women who work with us throughout the world… We are responsible to the communities in which we live and work and to the world community as well… Our final responsibility is to our stockholders… When we operate according to these principles, the stockholders should realize a fair return.”

Mission de Procter & Gamble
We will provide branded products and services of superior quality and value that improve the lives of the world’s consumers. As a result, consumers will reward us with leadership sales, profit and value creation, allowing our people, our shareholders and the communities in which we lie and work to prosper

Michelin s’est donné des valeurs : respect du client, respect des personnes, respect des actionnaires, respect de l’environnement, respect des faits. La valeur de respect des actionnaires a été rajoutée aux autres valeurs dans les années 90, au moment où l’entreprise faisait face à des résultats financiers insuffisants qui la mettaient en péril. La façon dont est formulée cette valeur est intéressante :
“Respecter l’actionnaire, c’est reconnaître totalement son rôle et sa prise de risque, l’associer à la vie de l’entreprise et s’efforcer, dans la durée, de répondre à ses attentes.
Notre conviction est que la recherche de la performance économique, le souci de l'environnement ainsi que l'attention portée aux personnes, et plus généralement à la société, sont non seulement compatibles mais indissociables.
Par la recherche d'un niveau de bénéfice suffisant, nous répondons non seulement aux attentes de nos actionnaires, mais nous nous donnons également les moyens de répondre à nos besoins d'investissement, d'accroître la rémunération de nos collaborateurs, d'améliorer notre performance environnementale et de participer au développement des pays où nous sommes présents. »

1. Michelin énonce une volonté de dépasser l’actionnaire anonyme pour en faire un partenaire du projet de l’entreprise qu’il cherche à associer durablement.
2. La satisfaction de l’actionnaire et des autres parties prenantes sont présentées comme indissociables.
3. La satisfaction des actionnaires est présentée comme un moyen pour atteindre des buts plus élevés.

Conclusion :
Se recentrer sur les clients, et donc indirectement sur les métiers, est un levier de motivation à long terme. Cela donne du sens, permet au corps social de se trouver une utilité. Espérons que le capitalisme soit vraiment entré dans un troisième âge.

Des questions à vous poser :
- Quelle place donnez-vous à vos clients dans le projet de votre entreprise ?
- Dans votre entreprise, vos employés ont-ils le sentiment que les métiers sont valorisés ?
- Vos clients ont-ils l’impression qu’ils sont au cœur de vos soucis ?

dimanche 16 mai 2010

C’est pas tout, il faut vendre ! (Partie 4 : Innover dans les modes de distribution)

Dans un mode hyperconcurrentiel, en réponse à des attentes clients qui évoluent radicalement, les modes de distribution sont un levier majeur de différenciation. Au-delà de l’expérience que l’on fait vivre au client à travers le canal de vente, sujet que nous n’aborderons pas ici, les modes même de distribution sont la source d’innovations potentielles importantes.

Deux approches les magasins éphémères et la distribution automatique peuvent être pertinents dans des contextes particuliers. Quant à l’intégration des canaux pour créer une proximité multicanal sans couture, elle m’apparaît comme une tendance de fond à laquelle toute entreprise devrait réfléchir.

1. Les magasins éphémères

Qu’on les nomme « pop-up stores », « magasins éphémères » ou « guerilla stores », depuis quelques années, ce format de distribution se multiplie. L’idée est de créer des points de vente à durée de vie limitée, de quelques jours à quelques mois. De nombreuses marques se sont lancées, tour d’horizon.

- Un modèle d’affaires
Chronostock a fait son modèle d’affaire de l’ouverture et de l’exploitation de magasins éphémères dans le domaine du petit électroménager et des instruments de cuisine. Cela la met en concurrence directe avec les sites de vente flash sur Internet.
L’enseigne investit un espace libre, par exemple une crèche désaffectée, et pendant quelques mois écoule son stock à prix cassés : 20% à 40% moins cher que dans le commerce traditionnel.
Dans une entrevue à Intermédia, l’un des deux fondateurs, Edouard de Jandin explique très clairement le modèle d’affaires : « Cela coûte très cher d'émerger en ligne. Et la logistique est également coûteuse. Alors qu'ici le client repart avec son produit. On loue simplement un entrepôt pour stocker le matériel qu'on achète. Et il n'y a pas de réassort. Quand le produit est épuisé, c'est fini. En réduisant les coûts au maximum, on propose des prix plus compétitifs que sur internet. »
Pour annoncer l’ouverture de ses magasins temporaires, Chronostock organise des jeux de piste sur Internet.

Chronostock est une exception. A première vue (et je peux me tromper) peu d’entreprise choisissent ce modèle d’affaires. Pour la plupart des marques les magasins éphémères sont des canaux complémentaires utilisés pour des occasions particulières.

- Une réponse à la saisonnalité des ventes

L’ouverture de magasins éphémères peut être une solution pertinente pour répondre à une forte saisonnalité des ventes. On pourrait ainsi imaginer des magasins qui ouvrent dans les stations de ski en hiver et sur les plages en été distribuant des marques (nombreuses) s’adressant à ces deux marchés. Ainsi Toys'R'Us ouvre 80 points de vente éphémères aux Etats-Unis au moment de Noël. Une première expérience a été menée en France dans un centre commercial de Seine-et-Marne.

- Une plateforme pour lancer un nouveau produit
La création d’une boutique éphémère est un bon moyen de créer du bruit autour du lancement d’un produit et de créer un cercle d’ambassadeurs autour de lui, tout en recueillant leurs commentaires. Les exemples sont multiples.
Pour lancer son Cube, Nissan a créé à Paris du 26 novembre au 31 décembre 2009 son Cube Store. Pour y entrer, il fallait avoir été coopté ou postuler sur Internet. A l’intérieur : la vente de produits japonais ainsi que des événements qui plongeaient le visiteur dans l’univers du produit.
Pour le lancement de Windows 7, un café design accueillait à Paris les impatients qui souhaitaient tester le nouveau système d’exploitation.
Procter et Gamble décline le concept pour plusieurs de ses marques. Clearblue a créé un lieu éphémère intimiste pour profiter de la Saint-Valentin et lancer son nouveau test de grossesse. Durée : 2 jours. Oral-B, spécialiste des brosses à dents électriques, ouvre pour la troisième année consécutive dans le quartier chic de paris : au 131 rue du Faubourg-Saint-Honoré, pour l'utilisation son bar éphémère axé sur la beauté. Karine Pinon, responsable des relations extérieures des produits santé et bien-être de Procter & Gamble, explique très bien l’utilité de cette opération dans le marketing de la marque : « Pour lever les freins à l'utilisation d'une brosse à dents électrique, il faut la faire essayer, donner des conseils et en dédramatiser l'usage en instaurant une atmosphère de bien-être. La personne fréquentant l'Oral-bar est un consommateur gagné qui parlera positivement de ce qu'il a vécu » (source : un article du journal Les Echos).
Les clientèles visées sont parfois étonnantes. Ainsi Meow Mix, une marque américaine d’aliments pour animaux, avait ouvert à la rentrée un bar pour chats en plein Manhattan. Ils pouvaient là goûter les nouvelles saveurs de les croquettes Hairball. Un concours identifiant le meilleur miauleur était aussi organisé.

- Un moyen de préparer l’ouverture d’un magasin
Un magasin éphémère peut aussi permettre de préparer le terrain avant une ouverture définitive. Deux exemples. L’enseigne japonaise de vêtements Uniqlo a présenté ses produits phares dans un petit local du Marais, avant l'installation de son premier magasin parisien. La Maison du Whisky a créé un espace thématique (calvados et cidre après les whiskies japonais) au carrefour de l'Odéon en attendant l'ouverture d'une boutique permanente de spiritueux.

- Une occasion de célébrer un événement

Pour fêter ses 50 ans Ferrero avait ouvert une espace éphémère retraçant son histoire et commercialisant en avant-première une édition limitée de produits estampillés « 50 ans », et proposant des animations ludiques, comme un atelier de recettes basées sur les produits du groupe.
Pendant l’été 2008, Nike a célébré les jeux Olympiques de Pékin dans des espaces éphémères ouverts dans sept villes. Le succès reposait sur la combinaison d’un lieu d’exception (à Paris, une péniche sur la Seine), d’une présentation très sélective de produits avec des bornes interactives et une série d’événements (visites d’athlètes et de personnalités).

- Organiser l’éphémère, un nouveau métier pour les agences de marketing
L’organisation de l’éphémère est compliquée : au niveau juridique, logistique, publicité, aménagement et décoration. Des agences se spécialisent dans ce créneau à la mode. Deux exemples en France.
L’agence My Pop Up Store « monte pour [une] marque une opération de magasin éphémère sur mesure et clé en main ». Pour ce faire, elle s’est dotée d’une agence immobilière.
Plusieurs agences se sont spécialisées dans l’organisation de ces opérations éphémères. Le modèle de l’agence Waf est intéressant. Elle a créé un espace nommé l’atelier dans une ancienne imprimerie située face au Centre Pompidou. Tous les mois, les produits présentés changent. Waf accompagne les marques dans la création de ces espaces éphémères. Facture annoncée par le magasine Capital : entre 35000 à 50000 euros, selon les options retenues par le client.

2. La distribution automatique

Les machines distributrices se multiplient. Boissons, sandwiches, revues, sextoys, de plus en plus de produits adoptent ce format en réponse à la mobilité des consommateurs et à leurs horaires de consommation atypiques. Pensons par exemple aux distributeurs automatiques de maillots et de bonnets de bain dans les piscines.
En France Petit Casino 24 est l’enseigne de référence dans le domaine. Ses 47 épiceries automatiques proposent 200 références dans des emplacements à fort trafic. Elles réalisent en moyenne 100 000 euros par an en vendant pour 30% des sodas, 30% des sandwiches et 20% des produits laitiers (chiffres de 2007).

Ce format peut-il être utile pour d’autres produits ? Pourquoi pas. Si vous vendez des produits qui peuvent être de première nécessité et qu’il existe un espace où votre clientèle est concentrée (idéalement avec des horaires atypiques) comme une piscine, une entreprise, ou une salle de spectacle.

3. L’intégration des canaux : la proximité multicanal sans couture

A mon avis, au-delà des concepts comme les magasins éphémères ou la distribution automatique qui ont des usages spécifiques, le principal axe d’innovation de fond est l’intégration des canaux de distribution pour créer une proximité multicanal sans couture.

L’enjeu est de permettre aux clients d’accéder au niveau de service souhaité au moment où ils le veulent et par le canal qui est le plus pratique.
Des innovations technologiques sont utiles : vidéoconférence, click-and-call, etc. Mais au-delà créer une approche multicanal intégrée est un enjeu majeur en ce qui concerne le système d’information, les modes d’organisation (beaucoup plus transversaux) et les réflexes culturels (par exemple imposer l’idée que le client n’appartient à personne et qu’on peut partager un client) conditionnés par des pratiques organisationnelles (comme la fixation des objectifs individuels de vente par exemple).

Réussir la proximité multicanal sans couture nécessite donc une transformation organisationnelle complexe et coûteuse. C’est pourtant un incontournable. En effet de nouveaux acteurs profitent des espaces nouveaux créés par les technologies pour se faufiler et grapiller des parts de marchés aux acteurs installés.

samedi 15 mai 2010

C’est pas tout, il faut vendre ! (Partie 3 : Penser intégration de la chaîne de valeur)

Il en va dans le commerce comme dans les grandes campagnes militaires : un incontournable pour le succès se trouve dans la pertinence et la robustesse des voies d’approvisionnement. Coupez-vous de vos bases et vous êtes morts.

En ce qui concerne le modèle d’affaires d’une entreprise, il s’agit de l’intégration du réseau de distribution dans la chaîne de valeur :
- Quels sont les coûts de distribution ?
- Quelle est la réactivité de l’entreprise en matière de distribution ?
- A quel coût assurer la personnalisation souhaitée par le client ?
- Quel est l’impact de l’ouverture d’un nouveau point de vente ? A-t-il un effet de seuil ?

Grandeurs et misère des stratégies de distribution


La question peut amener à des choix drastiques. Par exemple, Canadian Tire a abandonné la distribution par Internet parce que cela entraînait trop de complexité et de surcoût dans la gestion de sa logistique, alors que son avantage concurrentiel était au contraire la proximité à travers un réseau dense de magasins.

Fin 2009 Mc Donald’s a fermé tous ses restaurants en Islande. En effet, les volumes étant trop petits pour justifier une fabrication locale, tout, des légumes aux emballages, était importé d’Allemagne. Or avec la crise financière qui a fait chuter la couronne islandaise, les coûts ont doublé, détruisant la rentabilité des restaurants.

Au contraire Wal-Mart a bâti son succès sur ses compétences en matière de gestion logistique. L’entreprise a ainsi mis sur orbite son propre réseau de satellites, le plus grand réseaux de communication privé, pour faciliter l’échange d’information en direct.

1. Penser coût d’approvisionnement

Quand on pense implantation d’un nouveau canal de distribution, il faut évaluer les coûts logistiques induits. Des chaînes comme Starbuck ou Mc Donald’s l’ont parfaitement compris : ouvrir un magasin isolé complexifie la chaîne et augmente les coûts, ce qui se répercute sur le prix de vente ou sur les marges. La stratégie de croissance adoptée consiste à ouvrir une grappe de points de vente proches les uns des autres, ce qui permet de gérer des volumes (et accessoirement de rendre visible la marque sur le terrain).

Cette question constitue une barrière d’accès sur les nouveaux marchés dans beaucoup de métiers de distribution où les marges sont faibles : prenons par exemple la grande distribution ou l’automobile généraliste (hors marques de luxe). Si Wal-Mart souhaite s’installer en Europe ou Fiat aux Etats-Unis ils ne peuvent pas ouvrir quelques magasins pour tester. Il faut accéder à un réseau déjà constitué : d’où le rachat de Wertkauf en Allemagne par Wal-Mart (beau plantage !) et le partenariat avec Chrysler pour Fiat (beau potentiel de plantage !).

2. Penser réactivité et personnalisation

Au-delà du coût une question est la réactivité dans la réponse à la demande des clients : un produit en catalogue qui n’est plus présent, une taille qui manque, une accessoirisation particulière, combien de temps pour réagir et à quel coût ?
En matière de réactivité, l’intégration des systèmes d’information dans la chaîne de valeur permet de plus en plus une gestion en direct des stocks dans les points de vente. De plus en plus le lien peut se faire directement entre le producteur et le distributeur. Le premier suit l’évolution des stocks et lance un réapprovisionnement à partir d’un niveau critique.

La question de la personnalisation est un sujet très intéressant. En fonction du type de personnalisation souhaité, il est possible de réduire les coûts et d’augmenter la réactivité est faisant faire la personnalisation chez le distributeur lui-même.

3. Prendre en compte les effets de seuil


Ouvrir un point de vente ou un nouveau canal d’accès peut entraîner des effets de seuil aux impacts financiers potentiels importants positifs ou négatifs :

Positifs, les effets d’échelle
: Parce qu’on ouvre quelques nouveaux magasins, le volume devient suffisamment important pour justifier la création d’une ligne d’approvisionnement plus performante : par exemple par la construction d’un nouveau centre de distribution plus proche.
Par exemple, le rachat de Laura Secord permet à Nutriart d’amortir l’investissement dans sa nouvelle usine ultramoderne de production de chocalat.

Négatifs, les effets de débordement : Au contraire parce qu’on ouvre quelques nouveaux magasins, la hausse de la demande va nécessiter la mise en place d’une infrastructure logistique importante qui va absorber les gains réalisés.


Conclusion

- Le choix de développer son réseau de distribution ne peut pas être séparé des problématiques de logistique et de production et du triptyque coûts / délais / qualité.
- La stratégie de distribution doit prendre en compte le niveau de réponse aux attentes de réactivité et de personnalisation des clients, qui est au cœur de la promesse qui est faite aux clients.
- Pour penser son réseau de distribution et son expansion il est nécessaire d’anticiper les effets de seuil positifs (effets d’échelle) et négatifs (effet de débordement des capacités des infrastructures).



Dans le dernier billet, il ne nous restera plus qu’à nous convaincre que :
4. De l’innovation est possible, même dans les modes de distribution