Autre impression en lisant le numéro de juillet-août de la Harvard Business Review : nous vivons un temps d’éternel retour. C’est incroyable tout ce que les patrons redécouvrent depuis quelques mois. Plusieurs hypothèses s’offrent à nous :
1.les choses étaient bien cachées
2.ils regardaient ailleurs,
3.ils nous jouent la veuve éplorée qui attend la fin de l’enterrement pour rejoindre son amant.
Personnellement je mise sur la troisième. Et je m’explique.
Le grand patron redécouvre la fin de l’économie rationnelle
Figurez-vous que nous arrivons à la fin de l’économie rationnelle. (Ariely, « The end of rational economics », HBR, 78-84). Rappelons, pour ceux qui dormaient dans le fond, qu’Herbert Simon a reçu en 1978 le prix Nobel pour ses travaux sur la rationalité limitée des acteurs. Citons l’ouvrage de Taleb : « le cygne noir », qui analyse les limites de la capacité des modèles à prévoir le futur. Bref, la pensée magique des décideurs a quelque chose de vraiment inquiétant. Pour moi, elle révèle les limites de leur pouvoir à agir, et l’hypertrophie de leurs égos et de leurs fantasmes de toute-puissance. D’un point de vue organisationel : déléguez, responsabilisez à tous les niveaux de l’organisation, créez des zones d’expérimentation. Prenez conscience de vos limites, de vos besoins personnels, et les choses pourraient aller mieux (c’est ce que conseille l’article de Heifetz, Grashow et Linsky, « Leadership in a (permanent) crisis », HBR, 62-69).
Le grand patron redécouvre le rôle régulateur de l’Etat (comme ça l’arrange)
J’aimerais croire que l’ère Reagan-Thatcher est derrière nous. Mais je garde une petite gêne quand je vois comment l’article de Reich, « Government in your business », HBR, 94-99, voit le rôle de l’Etat. Selon lui, la période de régulation qui vient sera très différente de la précédente. Finie le command and control. L’Etat devra persuader (coax) et non restreindre (curb). La dynamique propre du marché amènera les entreprises à aller vers des comportements vertueux. A l’œuvre cela donne par exemple les bonus de Goldman-Sachs ou de la BNP, le remboursement des prêts par les banques américaines qui souhaitent se débarrasser de la tutelle de l’Etat. Rappelons que lors du G20, il était demandé aux établissements financiers de mettre en place des modes de rémunération qui n’incitaient pas à la prise de risque. Voilà qui pourrait amener un esprit chagrin, (et rétrograde) à douter de la capacité de conviction des Etats. Et l’esprit chagrin de penser que tant qu’il n’y aura pas d’instance de régulation pour taper sur la table et coller des baffes, la récréation risque de continuer.
Le grand patron redécouvre ses parties prenantes
« CEOs are rediscovering stakeholder capitalism, respecting the needs not just of investors but also of customers, employees and suppliers” (Pfeffer, “Shareholders first? Not so fast…”, HBR, 90-91). Ils redécouvrent quoi ? Alors là je ne sais plus quoi dire. Cette affirmation donne une étendue de la crise du capitalisme réel. J’ai quand même l’impression que l’on se fout un peu du monde.
Acte de contrition, éveil et amnésie
Evidemment tout cela est à nuancer. La HBR fait son marketing, cherche des titres accrocheurs. Et les institutions financières sont très vertueuses. Cependant la HBR est quand même un bon indicateur de l'air du temps. Je prends donc la tendance qui se dégage de ce numéro au sérieux.
Et j’ai quand même l’impression que cet éveil du monde des affaires à ces principes (l'équilibre des parties prenantes, l'incertitude, l'irrationalité des décisions, etc.) est un préalable à une crise d’amnésie. Il suffit d’ailleurs de regarder ce qui se passe pour constater qu’elle est déjà à l’œuvre. Selon plusieurs analystes la prochaine est déjà là : l’économie verte. Selon plusieurs acteurs du monde de la finance tout recommence comme avant, une main sur le cœur, l’autre dans le pot de confiture. Il suffit de constater le retour de bonus record.
Alors quoi ? La révolution ? Non la politique !
mardi 11 août 2009
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