lundi 3 août 2009

Sortir de la crise selon la Harvard Business Review

Le numéro de juillet – août de la Harvard Business Review est très intéressant à plus d’un titre.

Depuis quelques mois plusieurs articles de cette revue portaient sur la gestion en temps de crise, avec des contributions vraiment utiles, en particulier en ce qui concerne les stratégies marketing. J’avais prévu quelques synthèses pour ce blogue, j’ai commencé à les écrire. Mais il semble que la crise, au minimum la Harvard Business Review, vont plus vite que moi, car :

La crise est finie
La HBR nous l’annonce dans son « special issue » de l’été 2009 et attire notre attention sur les nouvelles règles du jeu dans cette après-crise. Je cite : “As we begin to emerge from a worldwide economic collapse, it will critical that business leaders understand what the new norms are” (p. 43). L’optimisme et la capacité de cette nation à rebondir sont étonnants.
Cependant constatons que les lecteurs sont moins optimistes. Selon un sondage auprès de 1213 lecteurs appartenant au HBR Advisory Council, 19% considèrent que les Etats-Unis sortiront de la crise en 2011 ou plus tard, 24% fin 2010, 26% au milieu de 2010, 21% au début de 2010 et 10% fin 2009.

Les choses changent
Plusieurs articles explorent les nouvelles règles du jeu de cet après-crise.
Un premier article de Beinhocker et Davis fait le point sur 10 tendances.

En hausse :

- Le besoin de créer la confiance : dans un contexte de crise, le besoin de confiance est un facteur clé de succès. Cependant il s’agit de développer d’intégrer l’ensemble des parties prenantes dans cette démarche. Et les auteurs de constater que les Etats-Unis et l’Angleterre sont en retard dans cette dynamique.
L’article de Pfeffer, « Shareholders first ? Not so fast… », souligne que les dirigeants redécouvrent le besoin d’intégrer les besoins l’ensemble des parties prenantes (clients, employés, fournisseurs) plutôt que de chercher à privilégier la confiance des seuls actionnaires. Il pose la question : « Why should past labor (capital) receive so much preference over current labor (employees) ? ». Remarquons que Pfeffer ne fait pas mention de la société dans son ensemble dans sa liste des parties prenantes.

- Un rôle croissant pour les gouvernements en matière de soutien des entreprises en difficulté, de régulation, etc. Cependant la hausse des déficits combinée à un vieillissement de la population laisse envisager des lendemains difficiles.
Reich dans son article « Goverment in your business », souligne que cette forme de régulation prendra des formes nouvelles : moins contraignante (« moins command and control »), mais plutôt orientée vers une promotion des comportements désirés et la mise en place d’incitations qui orientent le marché (dont la bourse du carbone est un exemple).

- Le changement de l’équilibre mondial en matière de consommation : moins de consommation aux Etats-Unis, un basculement vers l’Asie (Chine, Inde et autres pays émergents). Conclusion : une croissance de la consommation mondiale qui va ralentir, une croissance des marchés émergents, un vieillissement des consommateurs (même en Chine) et un défi : comment répondre aux attentes en hausse de clients qui ont moins de budget.

- Restructuration des industries et nouveaux modèles d'affaires : avec la crise les opportunités de restructuration d’un secteur d’activité sont nombreuses. Certains secteurs voient une consolidation (voir par exemple le secteur pharmaceutique, ou l’automobile). D’autres secteurs s’appuient au contraire sur un développement en réseau (voir par exemple l’électronique). Pour les auteurs peu de secteurs resteront inchangés, et la crise apparaît comme un accélérateur de transformation des modèles d’affaires. Tout chef d’entreprise devrait se poser ces questions, pour éviter d’être déclassé lors de la reprise.

- La remise en question de la stabilité des prix. La phase de stabilité des prix est finie. Nous entrons dans une ère d’instabilité des prix : coût des matières premières, tendances macro-économiques à la déflation ou à l’inflation. L’impact pour une entreprise est de chercher à maintenir de la flexibilité dans la structure de ses prix, de rester prudent en ce qui concerne des engagements à long terme sur les prix et de lier autant que possible le prix de vente au coût des intrants. Cela donne une importance stratégique à la fonction achats et à son intervention dans la fixation des prix.

Stable :

- La hausse des matières premières : certes la crise a inversé la tendance haussière des matières premières. Mais ce n’est qu’un répit. Avec le retour de la croissance, retour de la hausse.

- La science managériale : les modèles mathématiques ont montré leurs limites pendant la crise. Est-ce la fin d’une vision du management comme une science dure ? Pas pantoute. La solution est de sophistiquer les modèles, en particulier en approfondissant les dimensions plus qualitatives pour explorer ce qui se passe « inside the black boxes » et prendre en compte de manière plus réaliste de l’impact des comportements humains.
L’article de Ariely, « The end of rational economics », insiste en particulier sur ce point, en soulignant en soulignant que le présupposé selon lequel les clients, les employés et les managers ont des comportements logiques et prévisibles est faux. Et d’explorer les faces sombres du comportement. Sur ce sujet deux livres sont passionnants : « Le cygne noir » de Taleb (Les Belles lettres) et « Sociologie des erreurs persistantes » de Morel (Seuil).

- L’éveil asiatique : Certes l’Asie vit une période de trouble économique important. Cependant la crise a ralenti la croissance économique, mais ne l’a pas éteinte. Les investissements ciblés en Asie resteront pertinents mais nécessiteront plus d’efforts, en choisissant les bons partenaires, en soignant les relations avec les gouvernements, et en adaptant l’offre. Face à des marchés urbains de plus en plus saturés, les marchés des villes moyennes, voire des marchés ruraux ont le plus de potentiel. Il ne faut pas oublier que les géants asiatiques Haier, Chery ou Tata peuvent profiter du souci de pouvoir d’achat des consommateurs occidents pour tirer profit de leur expérience sur des marchés à faible pouvoir d’achat et gagner des parts de marché.

- Les efforts en innovation : contrairement aux investissements en innovation commerciale, les investissements en innovation fondamentale ne se sont pas réduits, et ne devraient pas se réduire. Au contraire, plusieurs études montrent que les entreprises qui ont investi en R&D à contre-cycle durant les récessions ont surperformé lors des reprises (voir par exemple les investissements d’Apple en 2001-2003 en pleine explosion de la bulle Internet). Cependant la rareté des ressources impose une gestion fine du portfolio de projets afin de se recentrer sur les plus prometteurs.

En recul :

- La mondialisation économique : de nombreux pays ont cédé aux sirènes protectionnistes. Entre octobre 2008 et février 2009, les chercheurs ont recensé la mise en œuvre de 47 mesures protectionnistes contre 12 mesures de libéralisation. Conclusion : attention aux stratégies naïves de globalisation de la chaîne de valeur.


Ces articles amènent aussi à un questionnement plus profond, une sorte de gêne. Une sorte d'impression de lendemain de gueule de bois où l'on se dit : on me l'avait bien dit, et je vais changer. Alors que l'on sait très bien que l'on en prendra une autre. J'explorerai cet aspect très bientôt.

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