Dans cette troisième partie
d'une série de quatre billets, publiés en collaboration avec
MA14, nous explorerons une autre dimension majeure dans l’évolution actuelle des médias et de la presse en particulier : les relations avec les clients.
La question du « journalisme citoyen » est posée depuis des années. Le Printemps arabe lui a donné une nouvelle actualité. Notre réflexion n’abordera pas la question sous l’angle de la légitimité journalistique de cette évolution.
Nous explorerons de manière objective les différents modèles existants dans les relations entre les médias leurs clients. Nous distinguerons trois situations possibles:
- Le one to many
- Le customer to business
- Le community to business
Le
one-to-many décrit la posture traditionnelle des médias
. Du contenu est produit et diffusé largement sans permettre aux clients d’y réagir autrement que par le fameux courrier des lecteurs. La chaîne de TV, le journal papier, fonctionnait sur ce mode. Le support importe peu, certains sites internet restent dans cette logique. Cyberpresse par exemple ne permet pas aux lecteurs de réagir en ligne et n’utilise aucun des outils qui permettent d’interagir avec ces derniers.
Le principe du
C2B est d’impliquer le client dans la production de contenu. Cette logique s’est imposée avec les outils de l’internet 2.0. Avec les blogs, YouTube, Twitter, Facebook, etc.,
Les internautes se sont habitués à ce qu’on leur demande leur avis, voire à produire leur propre contenu. Cette tendance a évidemment un impact majeur sur les médias.
L’implication du consommateur peut être plus ou moins importante :
Type 1. Réagir au contenu proposé.
- Procédé courant : ouvrir des articles aux commentaires des lecteurs…. ce qui présente certaines limites. On peut ainsi constater la tendance naturelle à l’insulte dès que les discussions d’échauffent. Notamment en traitant l’autre de fasciste ou nazi. Selon la règle énoncée par Godwin en 1990 au sujet du réseau Usenet : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s'approche de 1. »
- Certains sites comme Le Monde, Libération, proposent ainsi un classement des articles les plus vus ou les plus commentés. Quant au New York Times, il base son classement sur les « most e-mailed » et « most viewed ». C’est une façon de s’appuyer sur la communauté des lecteurs pour faire émerger les sujets les plus pertinents pour la communauté de lecteurs.
Type 2 : En orientant la production du contenu
- Le Figaro par exemple propose sur son site une « Info à la demande ». Il s’agit d’un sondage qui propose aux internautes de sélectionner le thème qu’ils souhaitent avoir approfondir par le journal. « La rédaction du Figaro travaillera sur le sujet le plus sollicité et publiera le résultat de ses recherches vendredi pour les abonnés Mon Figaro. »
- Plusieurs médias proposent aussi à leurs lecteurs d’envoyer en amont les questions qu’ils souhaitent qu’un journaliste pose aux personnalités interviewées. La encore ce vieux procédé est remis au goût du jour par l’Internet et les SMS.
- Enfin avec la téléréalité et le principe du vote, les spectateurs se sont habitués à influer sur le déroulement des émissions.
Type 3 : En participant à la production du contenu (du crowdsourcing)
L’implication du lecteur dans la production du contenu peut être plus ou moins importante. Le phénomène n’est pas né avec Internet. Nous nous souvenons tous des radios demandant aux automobilistes de leur indiquer les accidents et les dangers sur la route. Mais la démocratisation des outils de production du contenu, et le direct rendu possible par les téléphones mobiles, ont multiplié le recours aux lecteurs dans la production du contenu. Les formes sont multiples :
- Par exemple le site du journal gratuit 20 min. propose aux lecteurs, en partenariat avec Kodak, de devenir des « Reporters Mobiles » en envoyant photos ou vidéos. Les meilleures sont publiées sur le site du journal (autour de 150 000 vues).
- Plusieurs journaux (Le Monde, Libération, 20 minutes, Cyberpresse, Les Affaires) proposent des plateformes d’accueil de blogues de lecteurs dont les productions lorsqu’elles sont pertinentes sont intégrées sur les pages d’accueil du site parmi les articles, juste signalés par un pictogramme. Ces contributeurs réguliers sont des journalistes qui approfondissent les thèmes qui les intéressent, ou des lecteurs qui partagent leur expertise sur un thème particulier. Sur ces sites, une rubrique dédiée dans les colonnes de droite des sites permet aussi d’accéder à l’ensemble des productions des blogues hébergés par le journal. Le site du Monde consacre une rubrique particulière à ces contributions externes intitulée « L’actualité vue par les abonnés : Vos meilleures contributions sélectionnées par la rédaction du Monde.fr ». 20minutes.fr propose une page « Une des lecteurs » qui regroupe les différentes formes de contribution de crowdsourcing sous quatre catégories : Reporter mobile, Débats, Les blogs, et Vous interviewez.
Même si c’est la situation la plus courante,
le crowdsourcing n’est pas uniquement créé sur Internet pour Internet. Le contenu créé sur le public peut alimenter d’autres supports.
- Certaines revues utilisent Internet pour recueillir du contenu qui sera publié dans la version papier de la revue. L’Equipe magasine par exemple lance des débats sur son site Internet Lequipe.fr dont les résultats ne seront accessibles uniquement sur papier.
- Certaines émissions TV sont entièrement bâties à partir du contenu produit par le public. On pense immédiatement à l’inusable et internationale « Videogag » ou de manière plus subtile à feu l’émission de Canal + : « Les films faits à la maison » qui diffusait le meilleur des vidéastes.
- Une des expériences les plus extrêmes en la matière a été la défunte revue Vendredi créée en France en 2008 par Jacques Rosselin, fondateur de « Courrier International » et qui sélectionner et publier toutes les semaines sur papier les meilleurs articles de blogues.
Un troisième type de rapport est de
faire du média un lieu de rencontre d’une communauté d’individus regroupés autour d’un même intérêt, lequel peut être pointu (le sport par exemple) ou très général (l’actualité). Dans ce cas, une partie de l’intérêt pour l’individu va au-delà du contenu proposé par le média, et réside dans l’interaction avec les autres membres de la communauté. Nous avons identifié trois exemples sophistiqués qui illustrent bien le concept :
- RDS.ca a ainsi développé une communauté nommée « Le grand club ». Chaque membre crée sa page, multiplie les liens avec des « coéquipiers » qui peuvent s’abonner à son fil de publications. Des groupes thématiques sont aussi créés.
- L’Equipe a créé « Empire of Sports », la plus grande communauté de sportifs virtuels au monde. A la fois centre d’information (avec on module d’information en temps réel Infolive), jeu (un jeu PC gratuit avec des compétitions organisées dans 6 sports) et espace de rencontre (1 centre d’entraînement, des évènements en phase avec l’actualité sportive, la présence des avatars de plusieurs sportifs de renommée internationale, etc.). Nous n’avons pas pu trouver de statistiques sur le nombre de membres.
- En lien avec son histoire et ses valeurs, Libération a beaucoup travaillé cet aspect en proposant à sa communauté de Libénautes des fonctionnalités de type réseau social. Chacun crée son profil, le renseigne. Il est possible d’accéder à l’ensemble des commentaires que le ou la Libénaute a posté, de lui envoyer un courriel, d’envoyer son profil à un ami ou de l’ajouter à ses favoris pour suivre toutes ses interventions en réaction à un article ou dans les forums.
Conclusion : des interactions à inventer.
Il n’y a évidemment pas de bonne façon d’interagir avec ses lecteurs. Sur ce sujet, les
trois critères demeurent :
- Les comportements des clients / lecteurs : quelle valeur a pour eux les échanges avec la communauté ? La communauté d’utilisateurs du média a-t-elle des affinités communes : parce que les individus partagent le positionnement politique du journal, sont des passionnés d’un sujet précis (la chasse, les voitures d’occasion, le hockey), ou pour tout autre raison ?
- L’évolution technologique : les nouveaux outils multiplient les plateformes d’échange, de plus en plus mobiles et en direct, et avec elles les possibilités de faire vivre des communautés. Dans le futur quel pourrait-être par exemple, l’impact de la géolocalisation ou de la réalité virtuelle ?
- Le positionnement : en fonction de sa mission, de son histoire et de ses valeurs, les formes d’interaction entre le media et sa communauté vont varier. Par exemple, Libération a beaucoup travaillé sur le sujet, parce que la dimension de partage communautaire est au cœur de son histoire et de la raison d’être de sa création. Ainsi dans les années 70 les clavistes étaient chargées de taper à la machine les articles manuscrits des journalistes. Elles avaient pris l’habitude de commenter ces articles au cœur du texte, déposant leurs avis entre crochets typographiques et signant NDLC (Note de la claviste).
L’exemple du Post.fr.
Le
Post .fr a été lancé en 2007 par Le Monde. Son positionnement est communautaire comme l’indique sans ambiguïté sa phrase de présentation : « Sur Le Post, suivez toute l'actualité et le meilleur du Web, partagez vos news et vivez l'info en groupe ! ».
Concept : le site est une plateforme qui permet à une communauté de gens intéressés par l’actualité de déposer leurs articles et d’y réagir (ce qui ne va pas sans poser de questionnement sur la qualité de l’information déposée).
Le Post propose plusieurs types d’information :
- Des articles rédigés par les journalistes de la rédaction du site.
- Des articles déposés par des internautes et qui sont sélectionnés par la rédaction du site (ils portent alors la mention : « choisi par la rédaction du Post ».
- Des articles déposés et non validés par la rédaction. Ce sont des articles d’information qui explorent des éléments d’actualité peu couverts (souvent locaux), de curation à partir de sources multiples faisant la part belle à la vidéo, ou d’opinion.
- Des pages personnelles sont crées par les internautes. Elles regroupent l’ensemble de leurs publications, des réactions à leurs Post, ainsi que leurs réactions sur des Post des autres.
- Certains internautes ont un statut spécial. Ce sont des « blogueurs invités ». Ceux- ci ont une renommée sur la toile et sont conviés à commenter régulièrement l’actualité.
En décembre 2010 le site avait une audience de 2 821 000 visiteurs uniques selon
Mediametrie-Nielsen-Netratings, ce qui en fait le leader du marché des « pure players » français devant Rue89, Slate ou Mediapart. Pourtant la question de sa survie a été posée au début de 2011. Les résultats économiques ne semblant pas totalement satisfaisants.
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