Seconde chronique dans l'émission de Dominique Poirier, "L'après-midi porte conseil".
Nous le vivons tous, avec la micro-informatique, l’internet et le mobile, une transformation profonde est en marche. La question qui se pose est d'ailleurs : mais comment fonctionnait-on avant ?
J'inclus un court vidéo que nous avons créé chez Groupe Forest pour lancer les discussions sur le sujet.
Cette transformation technologique a pour moi trois dimensions.
1. La dimension cognitive
Comme Nietsche l’a constaté : « Les outils que nous utilisons pour écrire ont une part dans la façon dont nous formons nos pensées ». Le débat entre scientifiques sur la réalité et la profondeur de cette transformation fait rage. Mais plusieurs recherches en neuroscience montrent que pour une part la façon dont nos cerveaux sont câblés change. Et c’est particulièrement vrai chez les plus jeunes.
Par exemple selon un article de Science paru l’an dernier, qui fait la synthèse d’une cinquantaine d’études, nous développons nos capacités de visualisation spatiale.
Autre exemple, Gary Small, coauteur du livre « surviving the technological alteration of the moderne mind », a scanné le cerveau de 12 utilisateurs expérimentés de l’internet et 12 néophytes pendant qu’ils utilisaient Google. Il a constaté que chez premiers la zone dorsolaterale préfontale du cortex était intensément activée, contrairement aux seconds chez qui rien ne se passait. Hors cette zone est celle de la mémoire court terme et de la prise de décision.
Quelles sont ces capacités qui se sont développées ? Une prise de décision plus rapide, une capacité de résolution des problèmes plus grande, une capacité plus grande à identifier l’information pertinente parmi une masse d’informations, une pensée plus transversale. Mais la capacité de concentration, par exemple, est moins grande.
Cela nous amène à remettre en question certaines idées reçues. Par exemple les jeux vidéos rendent imbécile. Hors selon une enquête parue dans une revue scientifique (Archives of Surgery), réalisée sur 33 chirurgiens. Ceux chirurgiens qui jouent à des jeux vidéo plus de trois heures par semaine font 37% d'erreurs en moins aux tests d'aptitude et sont 27% plus rapides. On m’a dit la même chose en ce qui concerne les grutiers.
2. La dimension sociale
La façon dont les individus socialisent a beaucoup changé. Les individus s’inscrivent dans des réseaux multiples, se regroupent par centres d’intérêts plutôt que par proximité géographique.
Aujourd’hui on ne peut réussir qu’en équipe. Pensons aux prix Nobel, ils ne sont plus remis aujourd’hui à des individus, mais à des équipes de chercheurs. Les choses sont trop complexes. C’est la complémentarité des compétences qui est plus efficace. C’est pourquoi des thèmes comme la gestion de la diversité prennent de l’importance. Aujourd’hui l’équipe de travail dépasse l’équipe à laquelle on appartient, ses ramifications vont souvent au delà des frontières de l’entreprise. Par exemple en informatique, le recours aux communautés de programmeurs est fréquent.
Pour les individus ces évolutions ne sont pas neutres. Passer d’un travail individuel à un travail d’équipe suppose de mobiliser des compétences transversales d’ouverture, de communication, d’interinfluence que l’on n’a pas beaucoup dévéloppées dans la segmentation des tâches..
3. La dimension organisationnelle
La logique de fonctionnement a aussi changé : de moins Quand on grandit dans un monde mécanique où les choses sont rares et elles cassent si on n’a pas suivi le mode d’emploi. Il y a une séquence à suivre. Repensez au moment où avec votre stylo et votre papier nous écriviez nos travaux d’école. Nous n’avions pas intérêt à vous tromper, parce que c’était une sacrée perte de temps. Donc nous avions tout intérêt à structurer notre plan avant de commencer à écrire. Au contraire pour les plus jeunes dans un monde numérique, il suffit de rebooter l’ordinateur, de reprendre le jeu vidéo à la dernière sauvegarde, ou en utilisant un traitement de texte de savoir vaguement vers où ils veulent aller et de composer leur texte en copier/coller, en ajoutant des choses ici et en en enlevant là. Dit autrement les technologies avec lesquelles nous avons grandis nous imposaient une perspective linéaire alors que le numérique nous amène à travailler dans un mode d’essai-erreur. Nécessairement dans le premier cas, la recherche de la perfection est normale. Dans le second cas, l’imperfection est normale, puisqu’on travaille dans une logique de test. Cela fait dire à un des patrons d’une entreprise Internet à succès. « Si vous êtes fier de votre produit au moment où vous le mettez sur le marché, c’est que vous l’avez mis trop tard »
La structure des entreprises est dictée par des besoins de coordination. Quand on n’a pas de téléphone, que tout fonctionne par écrit, la coordination passe par une hiérarchie forte, sur le modèle de l’armée. La coordination transversale est difficile, alors on organise les choses d’en haut. Avec l’internet, les courriels, les outils collaboratifs, les gens peuvent se coordonner entre eux. Ils peuvent échanger de l’information directement. Un recâblage organisationnel est possible : nous allons vers des modes d’organisation plus transversaux et moins verticaux. On pourrait faire le même constat en science politique. Cela change la nature du travail.
Internet sera de plus en plus intégré dans le travail des individus. Et cela nous amène à aller à l’encontre de quelques idées préconçues. Par exemple : Une étude de l'université de Melbourne, démontre que divaguer sur Internet n'a pas d'impact négatif sur sa productivité. Au contraire, ceux qui surfent pour s'amuser au travail sont environ 9 % plus productifs que les autres. "De courtes pauses, permettent à l'esprit de se reposer, donc de favoriser la concentration lors d'une journée de travail, et au final, d'accroître la productivité". Cependant cette récréation numérique ne doit pas dépasser 20 % du temps de travail, selon l'étude. Vous me direz que probablement que l’effet serait le même si les gens avaient fait des pauses café. Mais cela, l’étude ne le dit pas.
Conclusion
Deux aspects me paraissent clés :
Il faut que chacun développe son "intuition technologique"
De plus en plus les technologies seront intégrées dans nos outils de travail. Réalisons que les outils que nous utiliserons dans cinq ans n’ont pas encore été inventés. Il ne s’agit donc pas simplement de savoir utiliser les nouveaux outils technologiques, il s’agit d’apprendre à apprendre l’usage des technologies.
Un des défis du travail, c’est de développer une « intuition technologique ». C’est vrai pour un dirigeant dont la stratégie sera affectée. Intégrer le fonctionnement des réseaux sociaux dans le marketing, c’est une transformation radicale de logique. C’est une autre tournure d’esprit. C’est vrai pour un employé qui verra les fondamentaux de son travail remis en cause. Pour un employé de banque, apprendre à gérer le muticanal ce n’est pas qu’une question technique.
Il faut développer nos capacités interpersonnelles.
La faculté à travailler dans des univers paradoxaux : dans lesquels le changement est la règle, où les choses sont toujours en mouvement. La faculté à travailler en équipe qui repose sur l’ouverture, les habiletés de communication et d’interinfluence. bref l’intelligence émotionnelle.
Finalement c’est exigeant, mais c’est quand même une bonne nouvelle. Utilisons les technologies pour ce qu’elles sont : des extensions de notre cerveau qui libèrent de l’espace pour être créatifs, en équipe.
mardi 22 novembre 2011
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