jeudi 1 décembre 2011

L'imaginaction au travail

Troisième chronique dans l'émission de Dominique Poirier "L'après midi porte conseil".

Cette chronique avait pour thème l’évolution des rôles de l’employé et du gestionnaire (en français du Québec) ou du collaborateur et du manager (en français de France). Pour résumer je dirais que l’on passe d’une organisation du travail dans laquelle le gestionnaire avait pour mission de planifier, organiser, diriger, contrôler, à une organisation du travail où chacun est acteur de l’organisation du travail au sein de son équipe pour atteindre les objectifs fixés. C’est selon moi une évolution fondamentale : chacun passe d’un rôle de rouage à un rôle de moteur. On parle d’entreprise 2.0. Concrètement cela veut dire quoi ? Trois pistes :


1. De la hiérarchie à la wirearchie (l’expression est de Jon Husband).

La hiérarchie traditionnelle est profondément remise en cause. Les chefs savent de moins en moins, cela va trop vite. Les individus sont de plus en plus responsabilisés. Aussi la légitimité du hiérarchique repose-t-elle de moins en moins sur son expertise technique, celle qui faisait qu’on le choisissait, sur le mode : « Tu es le meilleur, tu seras contremaître et tu leurs diras quoi faire ».

La vieille organisation du travail se structurait autour de modes d’interaction statutaires. A une époque pas si lointaine (et certains réflexes ont la vie dure), on ne pouvait travailler avec quelqu’un d’autre sans demander l’autorisation à son hiérarchique. Interagir avec un membre de l’équipe d’à côté nécessitait un aller-retour par voie hiérarchique. Dans les organisations les plus performantes aujourd’hui, le mode d’organisation est basé sur le réseau et l’interconnexion des individus. Il repose sur la capacité des équipes à s’organiser en étant supportées, accompagnées, coachées, recadrées par des gestionnaires pour atteindre des objectifs partagés.

On retrouve là un mode d’organisation des communautés propre à l’internet. Contrairement aux idées reçues, une communauté sur Internet n’est pas anarchique. Dans toute communauté des formes de hiérarchies s’installent. Ce qui les caractérise sur Internet, c’est qu’elles émergent de l’interaction des membres de la communauté. Les membres les plus utiles, les plus compétents, les plus impliqués sont reconnus et prennent naturellement le leadership. Ils deviennent des personnes de référence qui influencent fortement l’évolution de la communauté. Sur Internet la légitimité se construit. Dans une hiérarchie traditionnelle, la légitimité est donnée par les statuts. Les jeunes en particulier, sont très sensibles à ces modes de fonctionnement. Pour eux, la légitimité de la hiérarchie repose davantage sur l’utilité perçue par l’individu et la communauté que sur le pouvoir lié au statut.

Dans ce contexte, le rôle des gestionnaires évolue. Une question difficile à laquelle un gestionnaire doit répondre est la suivante : « Suis-je utile à mon équipe et à chacun de ses membres ? Quelle est ma valeur-ajoutée ? Est-ce qu’ils me choisiraient comme leader ? ». Dans les entreprises avec lesquelles nous travaillons, nous voyons émerger quatre rôles pour les gestionnaires :
- guide (celui qui donne du sens, qui amène à se sentir utile),
- capitaine de bateau (celui qui est responsable de l’équipe, qui arbitre, mais qui fait partie de l’équipage et qui est aussi dans l’action),
- jardinier (en charge de la croissance et du développement des individus et de la dynamique collective)
- et entrepreneur (celui qui développe son activité, amène son équipe à innover). Dans ce contexte l’attitude des gestionnaires évolue : ils sont de moins en moins ceux qui dictent, et de plus en plus ceux qui animent ; de moins en moins ceux qui savent, et de plus en plus ceux qui questionnent.


2. De l’exécution à l’imaginaction.

L’organisation traditionnelle du travail faisait des individus des exécutants. Cela ne tient plus, les organisations ont besoin de réactivité, d’adaptation locale face aux clients, d’innovation.

Il faut donner la possibilité aux individus de s’emparer des règles de fonctionnement pour les faire évoluer. Mon exercice préféré en la matière : Chez Banknorth Group, un "Stupid Rules contest” est organisé tous les ans. Lors de cette compétition les employés sont invités à identifier les règles ou fonctionnements de l'entreprise les plus stupides. Par la suite, si le point identifié est abandonné ou modifié, l'employé reçoit une valorisation financière.

Il faut aussi être capable de recueillir et de traiter le foisonnement d’idées qui restent généralement inexploitées dans l’organisation. De nombreuses entreprises ont mis en place des plateformes sur lesquelles les employés peuvent déposer leurs idées, réagir aux idées des autres et voter pour les meilleures. C’est pour l’organisation un excellent moyen de collecter et de faire émerger les meilleures idées. Citons par exemple ExcentriQ chez Desjardins ou au CHUQ.


3. Du savoir centralisé à l’intelligence collective.

Les organisations ont encore une tendance à sanctifier la connaissance explicite qui vient d’en haut. Exemples classiques : On écrit des processus bien formalisés qu’on réunit sur un intranet pour faire moderne. Tout le monde se plaint que ce n’est pas à jour, qu’il y a toujours des exceptions, etc. Autre exemple on ne capte par la connaissance informelle, qui résulte de l’action quotidienne des employés dans l’organisation et hors de l’organisation : les attentes des clients, le nouveau gadget technologique, ce que fait un concurrent. Comme si l’entreprise décidait de jouer du violon avec des moufles. Les gestes pour produire les notes seront justes, mais il manquera un peu de précision et de nuance. Naturellement les entreprises cherchent de plus en plus à capter cette intelligence collective. Les nouveaux outils de collaboration le permettent. Exemples.

En s’inspirant de wikipedia, plusieurs entreprises créent des wikis internes. Les connaissances se construisent et s’actualisent à partir des savoir des individus. Par exemple : GCPedia dans les ministères fédéraux du Canada (en novembre 2011 27,264 utilisateurs inscrits, 15,388 articles, 10,555,063 pages vues) ou chez MMA.

En créant des réseaux internes (type Facebook ou LinkedIn pour faire image) sur lesquels les individus créent leurs profils pour se regrouper en communautés autour de sujets qui les intéressent : problématiques métiers ou réflexions plus prospectives, voire des sujets de simple socialisation.


Conclusion : Etre un individu en T, un innovacteur et une étincelle d’intelligence collective

Quel que soit son métier, quel que soit son niveau hiérarchique, le rôle que chacun va jouer dans son travail évolue et va de plus en plus évoluer dans la mesure où les organisations ont besoin de valeur-ajoutée et que la valeur-ajoutée est dans la tête et le cœur des employés.

Cette évolue se joue sur trois plans :
- un travail en transversal, en équipe, dans une relation différente avec sa hiérarchie. Ce qui suppose d’être sûr de soi, de son expertise, et ouvert aux autres et à leurs façons différentes de voir les choses. : Etre un travailler en T selon l’expression de Peter Drucker : une expertise (la barre verticale) et une capacité à travailler en transversal (la barre horizontale)
- une exigence d’innovaction : ce qui suppose de mobiliser des capacités de remise en question et d’imagination.
- l’intégration aux réseaux d’intelligence collective : ce qui suppose de partager ses connaissances dans une attitude d’ouverture.

Cette évolution n’est pas neutre. Elle nécessite de remettre en cause de certains réflexes, certaines représentations traditionnelles du travail dans une relation de confiance. Bref de voir le travail différemment.

Aucun commentaire: