lundi 1 novembre 2010

Mettre en oeuvre une stratégie (Partie 1)

Question d’une lectrice du blogue : Quels sont selon vous les facteurs d´inertie potentiels dans l´adoption d´une nouvelle stratégie dans une entreprise et quelles sont vos préconisations pour y faire face?

Il se trouve que cette question est au cœur de mon activité de consultant. Donc quelques éléments de réflexion sur le sujet.

La séquence classique de démobilisation autour de la stratégie

Retour sur la séquence de construction d’une stratégie. Généralement les choses se passent ainsi :

1. Une équipe de direction travaille pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour faire un état de la situation actuelle, se projeter dans le futur et proposer une stratégie. Elle se fait aider pour cela de consultants et mobilise les experts internes. Le reste de l’organisation est plus ou moins invité à participer au processus.

2. Une fois le document écrit, il s’agit de le diffuser dans l’organisation. Et puisque les choses sont enfin claires, et qu’il faut aller vite parce que le monde, les concurrents, etc., on estime qu’une bonne présentation ppt de 45 min. + 15 min. de questions devraient suffire. (J’exagère…. à peine).

3. Evidemment, au mieux la stratégie est oubliée aussi vite qu’entendue (si il n’y a pas la perception de changements majeurs), au pire les résistances individuelles et collectives s’installent (s’il y a la perception qu’il va falloir changer significativement des choses).

Alors comment faire ?

Première remarque : plus les collaborateurs sont partie prenante dans l’élaboration de la stratégie, plus les résistances seront réduites dans la phase de mise en œuvre. J’ai bien dit partie prenante, je n’ai pas affirmé que la stratégie était une construction démocratique. Tout est question de méthode. Mais ce n’est pas mon sujet.


Le management intermédiaire sur le fil du rasoir

Un acteur clé dans la mise en œuvre de la stratégie est le manager intermédiaire. En réalité c’est sur lui que reposent en grande partie les clés de la mobilisation. Il est en effet le liant entre deux corps sociaux : les équipes de premier niveau d’une part, celles qui vont mettre en œuvre la stratégie au quotidien, et les équipes dirigeantes qui élaborent les stratégies.
S’il adhère à la stratégie et qu’il se sent assez soutenu, il va pouvoir la porter auprès des équipes. Dans le cas contraire, si la stratégie n’est pas claire pour lui ou s’il ne se sent pas en position solide, il risque de prendre le parti de l’équipe contre les changements imposés par la stratégie. Dès lors obtenir l’adhésion de tous sera très compromis.

D’où premier levier : soigner le management intermédiaire dans le processus de diffusion de la stratégie. Nous conseillons toujours aux équipes dirigeantes de prendre le temps de discuter de la stratégie avec le management intermédiaire, dans un échange ouvert, mature, entre partenaires d’affaires. (Il y a des techniques, cela s’organise). Tant que ce corps n’a pas développé une conviction intime de la pertinence de la stratégie, il y a un risque réel à aller plus loin.


Le levier principal : amener chacun à trouver son sens

Le manque de sens est le principal frein à la mobilisation des équipes autour de la stratégie. Tous les dirigeants, tous les managers sont convaincus qu’il faut donner du sens. Alors ils parlent, ils expliquent, ils donnent leur sens. Souvent sans vérifier ce que les autres ont compris, ni ce qu’ils retiennent, ni ce que cela leur fait. Et bénissent l’équipe de communication qui leur a bâti cette présentation ppt qui permet décidément de tout dire en 45 min. Et puis, vu qu’il n’y a pas vraiment eu de questions à la fin, c’est bien que tout devait être clair.

Remarque, vous pouvez toujours donner le sens, mais vous ne savez pas ce que les gens vont faire avec. Je peux même garantir que chacun va comprendre ce qui l’arrange.

Plutôt que de donner du sens, amenez les gens à trouver leur sens et parlez-en avec eux.

Concrètement cela veut dire quoi ?
Amener les collaborateurs à refaire le cheminement intellectuel qui a conduit l’équipe de direction à choisir la stratégie. Donc il faut prendre le temps d’explorer avec les équipes les éléments suivants :
- Le contexte de changement : comment l’environnement, les concurrents bougent et quelles sont les pressions d’évolution qui s’exercent sur le métier et l’entreprise.
- Le partage du diagnostic sur la situation actuelle de l’entreprise et ses défis d’évolution. C’est un moment clé pour susciter l’adhésion à la stratégie. Tant que les individus ne partagent pas le diagnostic, ils n’adhéreront pas à ce qui apparaîtra comme une réponse à une mauvaise question.
- Comment la stratégie répond à ces évolutions.

Le mode de communication à utiliser est aussi fondamental. Quittez le monologue, allez vers le dialogue. La réflexion sur la stratégie doit constituer une discussion à tous les niveaux de l’entreprise, dans chacune des équipes (ce qui donne un rôle majeur au management intermédiaire). L’enjeu du dialogue n’est pas de remettre en question la stratégie mais d’amener chacun à se l’approprier en en discutant. Les questions qui doivent structurer cet échange :
- Quelle est la situation actuelle de l’entreprise ?
- Quels sont les défis d’évolution pour l’entreprise dans les années qui viennent ?
- Quels sont les éléments qui motivent, ceux qui inquiètent dans la stratégie ? Quelles sont les questions qui se posent ?
- En quoi l’équipe sera-t-elle impactée par la stratégie dans les années qui viennent ?
- Comment chacun sera-t-il impacté en ce qui concerne ses missions, ses compétences, etc. ?

Un incontournable : Valoriser le passé. Beaucoup de dirigeants (en particulier les nouveaux arrivés) n’aiment pas parler du passé dans ce monde des affaires où le regard se tourne vers l’horizon lumineux du futur de demain. C’est une erreur. On ne mobilise pas un corps social sans reconnaître ce qu’il a fait. Dans l’étape de diagnostic un moment important consiste ainsi à identifier les réussites et les choses dont on peut être fier au cours des derniers mois / années. Cela génère de l’ouverture à la remise en question.

Cet exercice de communication prend nécessairement du temps. Il est très souvent négligé pour cette raison. C’est une erreur majeure. C’est en réalité un investissement incontournable. Certes son impact ne sera pas uniforme. Tout le monde n’adhèrera pas de la même façon. C’est normal. C’est un facteur à intégrer dans la gestion de la mise en œuvre que nous verrons dans la partie suivante.

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