Un article du Monde, entrevue avec Jeffrey Kindlern nouveau PDG de Pfizer, intitulé « Alors que son modèle s’essouffle, Pfizer se veut moins arrogant » a attiré mon attention. J’ai fait quelques recherches sur les modèles d’affaires en biotechnologie, je donne un cours sur la stratégie d’affaires dans le monde pharmaceutique. J’ai des excuses.
Passons rapidement sur le titre, performance pour attirer le lecteur. J’apprécie particulièrement le « Pfizer se veut moins arrogant », simple, compréhensible. On apprendra plus loin que « Pfizer a changé, nous avons beaucoup travaillé sur nous même ». Ah cet effort de développement personnel universellement partagé ! Foin de la crise financière, nous traversons en réalité une crise du développement personnel. Mais je m’égare. Je vous propose de découvrir que l’article en dit beaucoup plus.
Fiche biométrique : Pfizer. leader mondial. 37,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires. 87 000 personnes dont 11 000 chercheurs. 150 pays.
Contrairement à ce que laisse supposer le titre de l’article, le modèle de Pfizer n’est pas le seul à s’essouffler. En fait le secteur pharmaceutique dans son ensemble vit ce que certains appellent une crise, d’autres une mutation. Considérant que les dépenses de santé continuent à croître, que les populations vieillissent et qu’une classe moyenne émerge dans les pays en voie de développement, les opportunités de marché sont là. Pourtant de profondes évolutions sont nécessaires dans les modèles d’affaires des laboratoires pharmaceutiques. Crise ou mutation, c’est donc à vous de choisir.
Les pressions d’évolution sont multiples, mais vu de loin, deux grandes raisons m’apparaissent majeures : la pression des Etats pour maîtriser les coûts de santé et la crise de la recherche.
1. La pression des Etats payeurs
Dans les principaux marchés l’Etat joue un rôle majeur dans le paiement des médicaments (jusqu’à présent la situation était différente aux Etats-Unis, 45% du marché mondial, mais la politique d’Obama devrait faire évoluer les choses). Les patients et les assureurs complètent dans des proportions variables. Pour maîtriser les hausses des budgets de santé, les Etats mettent en œuvre plusieurs politiques qui agissent comme des contraintes pour les laboratoires. Les principales sont les suivantes. Les conditions de fixation des prix de vente sont de plus en plus contraignantes. Les labos doivent prouver que leurs médicaments apportent une plus-value thérapeutique importante pour être sur la liste des médicaments remboursés et justifier des prix élevés. En outre les états déremboursent des médicaments dont les effets ne sont pas suffisants. Enfin ils favorisent la substitution par les génériques dès que les brevets expirent.
2. La crise de la recherche
Autre pression, la crise de la recherche. Pour donner une idée de l’enjeu aux non spécialistes, sachez que :
- développer un médicament est très aléatoire, et ce jusqu’à la fin du processus des tests cliniques
- développer un médicament est très long : une dizaine d’années
- développer un médicament est de plus en plus exigeant : les contraintes réglementaires sont de plus en plus élevées pour éviter les problèmes du type Vioxx
- développer un médicament coûte très cher. Les estimations varient, disons pour simplifier autour de 1 milliard de dollars
- mettre en marché un médicament coûte aussi très cher. Le nombre d’acteurs à convaincre est très élevé.
Bref, incertitude, durée et coûts très élevés, risque maximum.
Sachant qu’un brevet dure vingt ans, un laboratoire dispose donc de dix ans pour rentabiliser les investissements en R&D. Gardons nous de sortir les mouchoirs tout de suite, ils y arrivent certes moins bien qu’avant, mais encore très bien.
Ainsi dans son modèle traditionnel le laboratoire pharmaceutique est une machine à faire de la recherche pour produire continuellement de nouvelles molécules, développer des médicaments, mener les tests cliniques et mettre en marché ces médicaments. Ainsi, les labos réussissaient à compenser les pertes de revenus liées aux pertes de brevets qui permettent aux génériques de produire et vendre à moindre coût.
Sauf que voilà. Aujourd’hui ce modèle s’essouffle. Les pipelines de nouveaux médicaments ne sont pas assez fournis pour compenser les pertes de brevets. Par exemple le brevet du Lipitor de Pfizer contre le cholestérol, le médicament le plus vendu au monde, tombe dans le domaine public d’ici deux ans. Il représente avec 12 milliards de dollars à peu près le quart des ventes. Or Pfizer ne dispose pas à court terme d’un médicament pour le remplacer.
D’autant que les médicaments blockbusters (à large utilisation) seront de moins en moins nombreux. Le progrès scientifique amène à une spécialisation des médicaments pour des utilisations de plus en plus pointues. Donc il faudra remplacer des gros vendeurs, par un plus grand nombre de plus petits vendeurs. En conséquence, la capacité de R&D deviendra essentielle.
Problème résumé dans le graphique ci-dessus (source : Ernst and Young) les labos traditionnels investissent de plus en plus pour des résultats de moins en moins satisfaisants. Dans le domaine pharmaceutique, comme dans beaucoup d’autres, une rupture technologique est en marche depuis une dizaine d’années : le développement de la biotechnologie. Et le graphique montre que les biotechs obtiennent plus de résultats (mise en marché de nouveaux médicaments) en investissant moins en R&D.
Alors suspens….
Comment les laboratoires pharmaceutiques peuvent-ils faire face à leurs défis ? Réussiront-ils à survivre ?
Sont-ils condamnés face à la menace biotechnologique ?
Pfizer réussira-t-il à reprendre son souffle ?
Vous le saurez dans la seconde partie de cette analyse. D’ici là buvez de la camomille pour faire baisser l’angoisse.
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