samedi 13 décembre 2008

Décryptage de l’actualité stratégique, Pfizer a le souffle court (partie 2)

Qui sont ces entreprises de biotechnologies ?
Le modèle traditionnel est le suivant (je simplifie, forcément...) : un chercheur dans un laboratoire (souvent universitaire) identifie une molécule qui a du potentiel. Il dépose un brevet et crée son entreprise pour exploiter cette découverte. Il s’appuie sur du capital personnel, sur un réseau d’amis et quelques fonds d’amorçage et se lance dans la grande et incertaine aventure du développement d’un médicament. Au fur et à mesure de l’avancement dans les étapes cliniques, des capitaux sont levés pour financer la recherche, car le plus souvent l’entreprise n’a pas de revenus. L’entreprise entre parfois en bourse. Plusieurs scénarios sont possibles.

Plusieurs lignes de vie possibles pour les biotechs
- La plus fréquente : rien. La biotech tombe à cours de financement, les études cliniques sont des échecs, le créateur tombe amoureux ou tout cela à la fois.
- La biotech réussit à développer son médicament. Elle passe le plus souvent des accords avec des labos qui ont des compétences et des structures pour assumer la mise en marché. Souvent elle a aussi développé un portefeuille de produits pour diversifier le risque. C’est ainsi que se sont construits les success stories du secteur : Amgen et Genentech.
- La biotech est rachetée par un laboratoire pharmaceutique ou passe un accord de licence. En quelque sorte elle cède, d’une manière ou d’une autre, sa propriété intellectuelle ou l’usage de sa propriété intellectuelle à un labo qui va pouvoir poursuivre le développement du médicament, assumer les risques, et mettre en marché si la recherche aboutit.
Résumé : d’un côté des laboratoires pharmaceutiques à court de nouveaux produits, mais avec des moyens financiers importants. De l’autre des jeunes biotechs qui explorent dans toutes les voies une multitude de molécules. Résultat : les labos font leur marché, repèrent les biotechs aux molécules les plus prometteuses et les achètent ou signent des partenariats qui peuvent prendre diverses formes. En quelque sorte, c’est un moyen pour les labos d’externaliser la recherche.
Cette stratégie se nomme Open Innovation. Il faudra bien que j’en reparle un jour. Il s’y passe des choses fascinantes.
Revenons à l’article.

Pfizer a plusieurs stratégies pour procéder à une open innovation
- De l’acquisition & development : Identifier et acheter les biotechs prometteuses. Ce que monsieur Kindler appelle « être une société qui achète les molécules à coups d'offres publiques d'achats (OPA) ».
- Un accord de licence : la biotech reste propriétaire du brevet, mais cède son exploitation au labo qui paye en retour des redevances en fonction de l’utilisation qui est faite du brevet
- Un partenariat de développement : la biotech reste propriétaire du brevet mais est financée pour poursuivre ses développements et Pfizer a une priorité dans l’utilisation des médicaments produits (c’est aussi la stratégie de Roche avec Genentech). Dans ce cas la biotech touche des montants d’argent chaque fois qu’elle passe un jalon avec succès dans le développement du médicament.
- Le Pfizer incubator met à disposition des biotechs avec lesquelles Pfizer passe un accord, des ressources et des infrastructures pour les soutenir dans leur recherche.

La chaîne de valeur de l’industrie pharmaceutique peut être grossièrement résumée en trois phases
- La recherche : qui vise à découvrir de nouvelles molécules et à produire des brevets
- La phase de développement des médicaments à partir des nouvelles molécules, à travers les quatre phases cliniques
- La mise en marché des produits et le marketing.
Aujourd’hui pour résumer les biotechs sont fortes dans la recherche. Les grands laboratoires pharmaceutiques maîtrisent la gestion du développement des médicaments et surtout la mise en marché.


Une stratégie de spécialisation dans la chaîne de valeur
On pourrait donc imaginer une spécialisation dans la chaîne de valeur. Une stratégie extrême serait celle d’un laboratoire pharmaceutique qui fonctionnerait « à la Cisco » par A&D (Acquisition et Dévelopment). C'est-à-dire qui n’investirait pas dans la recherche, mais dans l’identification des jeunes biotechs à potentiel et dans le développement et la mise en marché des médicaments. Dans cette logique les capacités à maîtriser sont : une vigie fine des biotechs émergentes, une grande efficacité (et rapidité) dans les formes d’acquisition, une capacité à intégrer ces biotechs dans leur mode de fonctionnement, une capacité à gérer des projets de développement et des capacités en mise en marché et marketing.

Une stratégie d’intégration verticale
Pourtant ce n’est pas le choix de Pfizer. Les stratégies annoncées par monsieur Kindler visent à retourner au modèle d’affaires d’origine, celui d’une intégration verticale : de la recherche à la mise en marché.
- Une réduction des coûts, massive. Ce sont les visiteurs médicaux qui sont les plus touchés (cela s’explique aussi par l’évolution des stratégies de vente). Ainsi en France pour l’ensemble des labos, d’ici à 2010, ce sont 5 000 à 6 000 postes de visiteurs médicaux qui seront supprimés (20% des effectifs).
- Une réorganisation de la recherche car on ne fait pas de la biotech comme de la pharmacie chimique traditionnelle. L’article le décrit bien : « Les centres où travaillent des milliers de scientifiques vont évoluer : "Plus la recherche est massifiée, plus la créativité disparaît." Le groupe expérimente en Californie une "organisation plus fédérative de la recherche en biotechnologie, avec des unités plus petites, plus autonomes et collaboratives". »
- Une fusion avec un autre géant. Tous les experts prédisent qu’après une pause ces dernières années (durant laquelle le modèle de spécialisation de la chaîne de valeur s’est développé), le temps est revenu des mégafusions. Mais le risque est élevé et certains labos pansent encore les plaies ouvertes lors des fusions du début des années 2000.

Path dependency ou réinvention culturelle
Je ne sais pas si le retour au modèle d’affaires d’origine est meilleur qu’une évolution vers un modèle de spécialisation dans la chaîne de valeur. On peut supposer que l’équipe stratégique de Pfizer a mis quelques moyens pour y réfléchir, encore que cela ne garantisse rien, pensons à Ilford, à l’industrie bancaire états-unienne, ou à l’industrie automobile, Ce qui est certain, c’est que l’enjeu d’évolution culturelle est majeur. L’inertie culturelle, la « path dependency », peuvent être des pièges mortels.
France Télécom à l’époque avait réussi son virage internet en créant une filiale distincte Wanadoo, une nouvelle pousse protégée de la culture de sa maison mère. Thomson n’avait jamais réussi à se lancer sur le marché de la micro-informatique malgré ses efforts massifs.



L’avenir nous dira si Pfizer réussira à reprendre son souffle.

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