lundi 27 juillet 2009

En attendant le dreamliner - Le risque de l'innovation ouverte

Un article dans Le Figaro a attiré mon attention. Le titre est vendeur : Boeing change de modèle industriel pour sauver le B 787. Et à y regarder de près, le sujet est très intéressant.

Résumé des épisodes précédents.


Boeing travaille sur un avion révolutionnaire, le 787. L’utilisation massive de matériaux composites en carbone qui permet en particulier d’alléger l’appareil et d’économiser 20% de carburant.

Face à ce défi technologique majeur, Boeing a décidé de mettre en œuvre une stratégie à la mode, le recentrage sur ce que les stratèges analysent comme le cœur de métier : le design, l’assemblage final et la commercialisation et le recours à une stratégie d’externalisation de près de 80% de l’ensemble des opérations. Les 47 partenaires ont aussi un rôle majeur dans le processus d’innovation technologique. On parle alors d’innovation ouverte (« open innovation »). Cette stratégie permet théoriquement (et de nombreux exemples l’attestent) de stimuler l’innovation, d’accélérer le processus de conception et de réduire les risques en les partageant.

Seulement voilà, les retards se succèdent. L’avion a plus de deux ans de retard. Des commandes sont annulées par des clients impatients.

Réaction de Boeing : l’intégration verticale.
Début juillet, l’entreprise a acquis pour 580 millions de dollars une usine de Vought Aircraft Industries chargée de fabriquer des sections du fuselage avec des matériaux composites. Boeing cherche manifestement à reprendre le contrôle d’un maillon stratégique de sa chaîne de fabrication (rappelons que l’utilisation des matériaux composites est une rupture technologique majeure).

Les défis de la gestion de l'innovation ouverte.

Ces déboires de Boeing mettent en évidence des défis majeurs dans la gestion de l’externalisation dans des contextes de très haute intensité technologique.
- Le besoin d’un alignement sur un projet commun. Cela devient particulièrement difficile dans des projets qui durent plusieurs années pour des entreprises qui n’ont pas nécessairement les mêmes priorités stratégiques.
- La difficulté de choisir des partenaires qui ont les bonnes capacités stratégiques. Malgré tous les audits possibles, cela ne se découvre qu’à l’usage. D’où l’importance d’y aller progressivement, en commençant par des projets de moindre envergure, histoire de s’apprivoiser. Ainsi le directeur général de Vought, Elmer Doty, a admis que les "exigences financières" liées au programme Dreamliner dépassaient les capacités de sa société » (source : Le Figaro).
- La difficulté de coordonner le travail d’un réseau fait d’entreprises qui n’ont pas les mêmes cultures, les mêmes processus, les mêmes SI, etc. Les coûts de coordination et d’échange finissent par être plus élevés que les bénéfices réalisés.

Le modèle de l'industrie automobile.

Ce mode d’externalisation fonctionne depuis longtemps dans le domaine de l’automobile. 60% de la valeur-ajoutée et du développement d’un véhicule est confiée à des sous-traitants. Plusieurs facteurs facilitent de fonctionnement en réseau :
- Un long historique : contrairement au secteur aéronautique, ce fonctionnement est ancien. Des façons de fonctionner ont pu s’élaborer au cours du temps. Les sous-traitants ont eu le temps de développer leurs capacités. Les entreprises sont plus proches, plus alignées. A tel point que certains sites regroupent sur un même site les usines des différents sous-traitants (voir par exemple l’usine de Smart à Hambach).
- La durée des projets : le cycle de développement d’une voiture est de 3 ans, contre une quinzaine d’années pour un avion.

Pourtant le modèle d’innovation ouverte dans l’automobile souffre aussi de critiques de fond.
Dans un article publié en mai 2009, Wired explore la crise du secteur de l’automobile et montre l’évolution nécessaire du modèle d’externalisation : d’une relation donneur d’ordre à sous-traitants (dans laquelle le design est géré par la marque automobile puis dicté à des sous-traitants) vers une relation partenariale dans laquelle les innovations développées chez chacun des sous-traitants spécialistes sont proposées à la marque automobile.

A venir.

Depuis 15 ans, les stratégies réseaux se sont imposées comme des leviers de croissance. Cependant l’aventure récente de Boeing nous rappelle que cela n’est pas sans risque.
A venir : quelques outils pour prendre des décisions stratégiques en matière de gestion de son réseau.

vendredi 10 juillet 2009

Ecouter le client – Devancer le client

Réactions (tardives) au commentaire sur le message au sujet du saucisson aux champignons. A la question que je posais : mais comment pense-t-on à ajouter des champignons aux saucissons, quelqu’un de visiblement concerné par le sujet (un producteur de champignons) répond : « Le type qui récolte les champis a proposé cette idée au gars qui fabrique le saucisson ». Je comprends que le producteur de champignon est allé proposé l’idée au fabriquant de saucisson. Et il conclut : « La vie est simple, non ? ».

Un doctorant en management n’a pas la réponse à cette dernière question. En revanche, cette réponse lui inspire une réflexion stratégique. Donc il la partage.


Deux types d’innovation

La question est de savoir d’où proviennent les idées d’innovation. Et la réponse est contrastée. Il faut commencer par distinguer deux types d’innovation :
- l’innovation incrémentale : on améliore ce qui existe déjà. Exemples : un nouveau goût de yoghourt, une nouvelle version de logiciel, le modèle 2009 d’une voiture, etc.).
- l’innovation de rupture : grâce à laquelle on transgresse les règles du jeu d’un secteur, on invente de nouvelles formes. Exemples (à mettre en face des exemples ci-dessus) : Essensis (le premier yoghourt de dermo-nutrition qui fut un bide), l’appstore d’Apple, la voiture électrique.


Ne pas rester collé au client

De nombreuses études, et plusieurs de mes observations en entreprise, arrivent à la même conclusion. Si vous voulez améliorer les choses, écoutez vos clients, si vous voulez créer des ruptures, écoutez vos partenaires, vos fournisseurs, et vos intuitions. Pourquoi ?

Les clients répondent le plus souvent en fonction de ce qu’ils connaissent. Ils vont chercher à améliorer l’expérience qu’ils vivent avec vos produits puisque ce sont eux qu’ils ont en main. Vous pouvez toujours trouver quelques visionnaires qui vont vous dire qu’en fait le produit qu’ils veulent ce n’est pas celui pour lequel ils payent aujourd’hui, mais ces « outlyers » risquent fort d’être noyés dans la masse des données des études marketing.

Comme dirait Martin Forest, président de Groupe Forest : « à trop rester collés à vos clients, vous risquez de mourir avec eux ». L’innovation de rupture risque fort d’arriver d’ailleurs.


Utiliser son réseau de partenaires pour trouver de nouvelles idées
En revanche les partenaires et fournisseurs arrivent avec des idées qui peuvent être radicalement nouvelles. Parce qu’ils ne fonctionnent pas avec les mêmes contraintes que vous et qu’ils essaient des choses différentes. Parce que, dans leur désir de trouver des nouveaux débouchés à leurs produits, ils vous arrivent avec des idées auxquelles vous n’auriez jamais pensé tout seul (normal, ils viennent d’un autre secteur, ils n’imaginent même pas vos contraintes). C’est ce qui s’est passé avec le producteur de champignons qui vient voir le producteur de saucisson et lui dit : « Dis donc, t’as jamais pensé à mettre des champis dans ton sauciflar ? - Ben non. ».


La preuve par la littérature

Dans un de leurs articles, publié dans Technovation en 2004 et sobrement intitulée « Sources of information as determinants of novelty of innovation in manufacturing firms: evidence from the 1999 statistics Canada innovation survey », Nabil Amara et Réjean Landry de la Faculté d’Administration de l’Université Laval, mettent en particulier en évidence les liens avec les centres de recherche publics, universitaires ou privés.
L’échantillon porte sur l’ensemble des entreprises manufacturières canadiennes de plus de 20 employés et de plus de 250 000 dollars de chiffre d’affaires annuel.
Je cite : « The fact that the results of the present study suggest that the use of market sources of information decreases the likelihood of innovations that can be considered as world premieres does not mean that market sources do not influence the likelihood of innovation. (…) These results simply suggest that innovations embodying more radical changes in products or processes require more research-based information than incremental changes that can be implemented with market sources of information.”


Quelques questions à se poser

- Ecoutez-vous trop vos clients ?
- Passez-vous du temps à regarder ce qui se fait de très innovant dans votre réseau de partenaires ? et à imaginer comment vous pourriez utiliser ces innovations ?