mardi 20 décembre 2011

Promesses et désillusions

Chronique 6 pour l'émission de Dominique Poirier "L'après midi porte conseil" sur les ondes de Radio Canada.

Ma série de chronique a regardé l’évolution du travail avec beaucoup d’optimisme. Je voudrais pour conclure cette série avoir un regard plus critique. J’ai énoncé plusieurs promesses, qui entraînent quelques désillusions dans la réalité socio-économique actuelle. Il pourrait sembler que j’ai survendu trois sujets :
- L’économie de la connaissance
- Les emplois de qualité
- L’épanouissement personnel au travail.
Pourtant ma conclusion sera une réaffirmation d’une vision optimiste.


1. L’économie de la connaissance ne protège pas des délocalisations

Nous avons basculé dans une économie de la connaissance, une économie post-industrielle dans laquelle l’activité économique repose essentiellement sur la circulation et le traitement de l’information et de la connaissance : le passage de la chaîne de montage à l’ordinateur ou de l’industrie au service en quelque sorte.
La vision traditionnelle est que dans la répartition mondiale du travail, les pays occidentaux ont une longueur d’avance en matière en la matière : de meilleures universités, plus de brevets, d’innovation, de produits haut de gamme, etc. Et pour éviter les délocalisations d’emplois vers des pays à moindres coûts du travail, il faudrait créer des emplois à forte valeur-ajoutée et à haut niveau de diplôme.

La promesse : un travail à forte valeur-ajoutée, à haut niveau de diplômes est un incontournable dans l’économie du futur. Ce n’est pas faux. Mais l’équation est incomplète.
Robert Reich, universitaire, secrétaire du travail de Clinton entre 92 et 97, introduit une variable supplémentaire : la technologie. Prenons l’exemple d’un hôpital. Si l’on suit la logique de l’économie de la connaissance, les métiers les moins à risques seraient ceux à plus forte valeur-ajoutée, donc les chirurgiens. Or avec le développement de la télémédecine, ce sont justement ceux qui sont délocalisables, alors que l’on aura toujours besoin des infirmières et des préposés auprès des patients. Dans le domaine du droit, plusieurs entreprises en Inde proposent de rédiger les contrats pour des entreprises américaines. La commande est envoyée le soir, les indiens travaillent pendant la nuit (avec le décalage horaire) et quand les Américains rentrent au bureau le contrat est prêt. En revanche on a toujours besoin de la femme de ménage qui nettoie les bureaux pendant la nuit.
Donc première désillusion, ce n’est pas le cas dans tous les métiers, mais avoir un métier à haute valeur-ajoutée ne garantit pas la pérennité. Le progrès technologique redistribue les cartes.


2. On promettait les emplois de qualité et on a les emplois atypiques

Un des mythes de l’économie de la connaissance est qu’elle génère des emplois de qualité. Ce n’est pas faux. Mais par pour tout le monde. En fait on voit à travers de multiples indicateurs un écart se creuser entre une population d’inclus, techno, diplômés, ouverts sur le monde, et une population au service de ces emplois.
Autre caractéristique, une part croissante des emplois créés sont atypiques : temps partiel, travailleurs autonomes. Au Québec, ils représentaient 16,7% en 1976 contre 37% en 2009 selon l’Institut de la statistique du Québec. Evidemment cela peut être un choix, mais pour beaucoup le temps partiel est subi, le choix du travail autonome est lié à l’incapacité à trouver un travail salarié. Cette situation touche particulièrement les femmes. Cette évolution est un des facteurs qui explique les tensions sur la classe moyenne. Une statistique, en 2006 40% des travailleurs montréalais gagnaient moins de 20 000 $ par an.

Tout en bas de l’ordre social, pour reprendre l’expression marxiste, il y a le sous-prolériat, le lumpenproletariat. Nous les connaissons tous, ils font le ménage, servent dans les cafétérias en bas des tours à bureaux, livrent des colis, etc. C’est parmi eux que l’on trouve des travailleurs pauvres qui ont plusieurs emplois, à temps partiel pour essayer de joindre les deux bouts. Aux Etats-Unis en 2010, selon le Census Bureau, 21 millions de personnes vivent dans des familles de travailleurs pauvres. Selon la théorie marxiste le sous-prolétariat n’a ni conscience de classe, ni conscience politique. Dit avec des mots d’aujourd’hui cela veut dire qu’ils n’ont pas de revendications collectives, pas de syndicats et qu’ils ne votent pas. On ne les entend pas. Ils ont manqué le train du travail moderne.


3. On promet l’épanouissement personnel et on a le stress et la dépression

Autre promesse que j’ai largement diffusée au cours des cinq premières chroniques. Le travail sera de plus en plus un espace d’épanouissement personnel. Or que constate-t-on ?
Le mal-être au travail se développe si l’on prend comme indicateurs le stress au travail.
L’OCDE vient juste de publier un rapport intitulé : « Mal être au travail ? Mythes et réalités sur la santé mentale au travail ». Elle estime que le coût est de l’ordre de 3% à 4% du produit intérieur brut dans l’Union Européenne. L’OCDE estime qu’une pension d’invalidité sur trois dans certains pays, un sur deux est motivée par des problèmes mentaux, un chiffre en augmentation. Au Canada, le stress et les problèmes de santé mentale représentent 40 % des demandes d’invalidité au long terme. Chez les travailleurs temporaires et chez les salariés les moins qualifiés l’impact est encore plus important.

Le mal-être au travail n’est pas nouveau. Cependant les sociologues du travail constatent une évolution forte. Dans l’économie industrielle, dans les usines où l’organisation du travail était conçue pour que l’esprit puisse s’échapper pendant que les bras s’activaient dans des tâches répétitives et monotones et où l’individu n’avait pas de pouvoir de décision, les maladies mentales étaient liées à un clivage entre corps et esprit : abrutissement, la peur de l’autorité, etc.
Dans le monde du travail actuel, c’est nous l’avons abordé à plusieurs reprises dans ces chroniques, l’individu dans son intégralité (sa tête, ses bras, son cœur) qui est mobilisé. On a besoin de lui au complet pour qu’il puisse réussir sa tâche. L’ouvrier de demain sur sa chaîne de production sera polyvalent, membre d’équipe autonomes, innovacteur. Il l’est déjà dans les entreprises les plus performantes. Dès lors il n’a pas d’espace pour protéger son individualité. Il est totalement impliqué dans son travail. Toute critique, toute non performance, toute remise en question, le touche au plus profond de lui. Pour ceux qui ne peuvent résister, qui ont peur de ne pas être à la hauteur, le burn-out et la dépression sont au bout. Et cela peut aller jusqu'au suicide.
L’épanouissement personnel est-il une fausse promesse du futur du travail ?


4. Alors que faire ?

Un fossé qui se creuse entre les inclus et les autres (et des travailleurs pauvres qui partent à la dérive), entre les bons emplois et les emplois aliénants, et un travail qui pour beaucoup n’est pas épanouissant, mais stressant, angoissant, voire destructeur. Alors que faire ? La vision positive du travail que j’ai essayé de présenter pendant cinq chroniques, basée sur des études sérieuses et des expériences d’entreprises à succès, est-elle une imposture ? Au contraire.
Pour s’inscrire dans la division internationale du travail et créer des emplois à forte valeur-ajoutée, non délocalisables et épanouissant, il est nécessaire de miser sur la formation initiale et tout au long de la vie. Apprendre, se développer fera de plus en plus partie de la carrière. Ainsi au Danemark, le concept de flexsécurité qui inspire plusieurs pays européens, est basé sur une facilité à licencier pour les entreprises, un dialogue développé entre entreprises et syndicats forts, une prise en charge des salariés par l’Etat dans des conditions avantageuses pour ne pas qu’il y ait une rupture de salaire et des incitations à se former pour reprendre un emploi. Cette logique accompagne les mutations économiques, ce que l’on appelle la destruction créatrice qui est le moteur de l’économie de marché. (Au Danemark la durée moyenne dans une même entreprise est de 7 ans). Les modes d’apprentissage doivent aussi évoluer en s’appuyant, en particulier, sur de nouveaux outils.
Pour créer de la valeur ajoutée, générer de la productivité, et justifier l’écart de salaires avec les pays à faible coût de main d’œuvre, il faut miser sur l’innovation, pour exporter des produits, des savoir-faire, des services, ou des brevets qu’on ne trouve pas ailleurs. Cela suppose de mobiliser l’énergie de chacun, de faire de chaque employé un innovacteur qui propose de nouvelles idées, essaye de nouvelles choses. C’est une évolution assez fondamentale du mode de gestion dans les organisations.
Pour que cela soit possible, il faut que les individus soient bien dans leurs têtes. Le bonheur au travail sera un levier de performance dans le futur. Les entreprises seront de plus en plus responsables de créer un environnement qui permet aux individus de s’épanouir, ce qui suppose de mettre à leur disposition des outils de développement personnel (coach de vie, mentorat, etc.). Par exemple British Telecom a fait de l’état mental et du bien-être des employés un critère dans l’appréciation des gestionnaires.


Nous sommes en train de vivre cette mutation. Les choses sont plus avancées dans certaines organisations. Mais des tendances lourdes se dégagent. Il n’y a pas, à mon avis, d’autre voie de réussite économique que d’imaginer des organisations du travail qui en font un lieu d’épanouissement personnel, avec la complexité que cela suppose, puisque chacun est différent.

Il restera une catégorie d’exclus, ceux qui ne peuvent embarquer. La prise en charge de cette population est une question politique : c’est une question de vivre ensemble. Mais cela ne remet pas en question ma vision optimiste de l’avenir du travail.

lundi 19 décembre 2011

Travailler c’est apprendre (et inversement)

Cinquième chronique dans l'émission de Dominique Poirier, "l'après midi porte conseil" (Radio Canada).

Nous avons beaucoup évoqué durant les chroniques précédentes les défi de changement auquel fait face tout individu au travail. On a plus de choses à apprendre, plus rapidement, et de manière continue. Au cœur de l’enjeu d’adaptation se trouve la compétence. Hors sur ce front aussi les choses changent.

Le contenu des apprentissages évolue :
• des connaissances explicites aux connaissances tacites,
• du savoir-faire au savoir-être, et l’on voit apparaître un terme qui est intéressant, le savoir devenir,

Les façons d’apprendre évoluent :
Dans un monde en changement accéléré on ne peut plus apprendre de la même façon. Dans le modèle ancien où la connaissance s’accumulait et où les outils changeaient au rythme de la vie humaine, on pouvait apprendre, en caricaturant un peu, « une bonne fois pour toute ». Dans cette logique on allait à l’école, à l’université, on avait un diplôme, sésame précieux pour entrer dans le monde du travail et s’y faire une place. On passait le reste de sa vie à se perfectionner. Ce modèle évolue. On parle aujourd’hui d’apprentissage tout au long de la vie : retourner à l’école, prendre le temps de se former tout au long de son travail.


1. Ce qu’il faut apprendre

Avec un environnement qui évolue, les connaissances à maîtriser changent. Il y a d’ailleurs beaucoup de choses qui auront changé avant même qu’on les maîtrise. J’insisterai sur deux dimensions qui me paraissent décisives pour le futur.

L’information tacite
Dans les entreprises les intranets et les classeurs dégorgent de recueils de procédures. Pourtant fréquemment, les employés ont l’impression que l’information n’est pas accessible. Et en effet, 70% à 75% de l’information est tacite, non formalisable, inscrite dans le corps ou le cœur, plus que dans le papier (il n’y a pas de procédure écrite pour expliquer comment gérer ses émotions face à un client en colère). Or c’est justement cette information qui permet aux entreprises de se différencier de leurs concurrents : les procédures pour cuire un hamburger sont les mêmes mais les attitudes face aux clients différencient les restaurants de restauration rapide.

Transmettre cette information tacite est donc capital pour les organisations. Mais comment faire ? Le mode traditionnel de transmission : formalisation des connaissances puis transmission de celui qui sait à celui qui apprend est inopérant.

Le savoir devenir
Ce qu’il faut apprendre pour être performant dans un travail s’est enrichi. Au delà du savoir-faire, le savoir-être a pris de l’importance (il touche les attitudes et comportements) et on voit apparaître un champ nouveau : le savoir devenir. C’est à dire savoir se projeter dans le futur, imaginer ce que l’on veut être, identifier les remises en question de que l’on faire, les connaissances que l’on doit développer. Compte tenu de la vitesse des changements, « apprendre à apprendre » et « savoir devenir » sont deux compétences clés que chacun doit développer.

Pendant longtemps les services de ressources humaines des entreprises avaient pris la responsabilité de la formation des employés, ils définissaient les plans de formation, et un jour on était convoqué à un stage. Aujourd’hui de plus en plus d’entreprises renvoient aux individus une part plus ou moins grande de la responsabilité du développement de leurs compétences (le fameux savoir-devenir). Evidemment la contrepartie de cette responsabilisation des individus est de leur proposer un projet qui a du sens pour eux, pour qu’ils puissent donner une direction cohérente à leurs efforts.


2. Les façons d’apprendre : De l’école à l’apprentissage dans l’action

La façon dont nous apprenons change.

Apprendre dans l’action
Si je contraste les choses de manière caricaturale :
Replongeons nous dans notre monde d’avant l’informatique. A l’époque apprendre c’était transmettre une connaissance formelle. Dans l’univers mécanique dans lequel les engrenages cassent si on ne les tourne pas dans le bon sens. Pour ne pas briser les machines, on lisait les modes d’emploi avant d’essayer. De plus le savoir était moins accessible, pas d’internet, de wikipedia, la transmission du savoir se faisait dans une relation maître – élève, celui qui sait vers celui qui apprend.

Aujourd’hui comment fait-on pour apprendre à faire fonctionner un objet ? Prenons par exemple un appareil photo numérique. On commence par appuyer sur un bouton et l’on voit ce que ça donne. Dans une logique d’essai-erreur, en allant sur internet, dans des forums voir ce qu’en disent les autres utilisateurs, on finit par apprendre à s’en servir. Avec l’électronique le coût de l’essai est nul. Si votre ordinateur plante, il n’est pas brisé. Il suffit de le rebooter.

Cela illustre une évolution fondamentale dans les façons d’apprendre. On apprend de plus en plus (les jeunes tout particulièrement) dans l’action, dans une logique d’essai-erreur et non plus dans une transmission explicite sachant - apprenant. Cela redonne de l’importance au jeu comme mode d’apprentissage. Les serious games se multiplient. Bombardier par exemple a recours à un jeu sérieux pour intégrer les nouveaux arrivants. Tout le monde s’y met : L’Oréal pour recruter, ou, en France, la fédération de la Métallurgie (FGMM-CFDT) avec « Majobaventure, dans la jungle de l’entreprise »,

Mais comment apprendre dans des environnements où l’erreur n’est pas possible ? Le cas s’est posé dans les écoles d’infirmières du Québec. L’apprentissage théorique passait mal. Mais dans ce métier, l’apprentissage par essai-erreur pose problème. La solution : la simulation. Au Québec, plusieurs écoles d’infirmières utilisent le Sim Man, un mannequin bourré d’électronique qui permet d’expérimenter la plupart des gestes de l’infirmière.



Autre outil de simulation : le développement de mondes virtuels. Un rapport de l’OCDE daté de juin 2011, conclut à l’efficacité de cette méthode d’apprentissage. Par exemple, au Québec, le comité de main d’œuvre du commerce de détail a créé un monde virtuel, Zone Détail. Les superviseurs s’y créent un avatar et se trouvent confrontés à des situations réalistes de gestion d’un commerce de détail.



Première tendance : un apprentissage de plus en plus dans l’action. Seconde dimension : on apprend de plus en plus dans l’échange avec ses pairs.

Apprendre avec les pairs
La situation se déroule dans une compagnie aéronautique. Evidemment dans ce genre de métier, les retours d’expérience sont des incontournables. Ils sont accessibles dans une base de données. Constat : les jeunes ingénieurs ne les fréquentent pas assez et reproduisent les mêmes erreurs que dans les projets antérieurs. Donc les gestionnaires se réunissent (probablement entre boomers) et se posent la question : comment faire pour que les jeunes ingénieurs regardent plus la base de données de retours d’expérience. Et la solution vient : faisons jeune, mettons de la vidéo au lieu des textes. Les jeunes ça n’aime pas lire, mais de la vidéo, ça devrait les toucher. Mais non les jeunes ingénieurs n’y allaient pas plus.
En fait dans la jeune génération, on ne cherche pas l’information, mais celui qui a l’information. Ils auraient préféré pouvoir entrer en contact avec ceux ayant vécu la situation. Cela met en évidence le besoin d’apprendre en relation avec les autres.

Concrètement le mentorat, le tutorat, le coaching sont des façons de transmettre entre pairs. C’est dans la relation, hors d’un rapport hiérarchique, que la connaissance se transmet. Cela peut prendre des formes vraiment étonnantes.
Lorsque GE s'est lancé dans sa transformation E-business, Jack Welsh a imposé aux gestionnaires du groupe de suivre un programme de mentorat avec des salariés de moins de 30 ans afin de les initier à l'Internet et de se laisser inspirer par le regard de cette génération. Ils ont ainsi passé ensemble une heure par semaine pendant plusieurs mois. Autre exemple : Déplaçons nous en Californie dans une usine d’Intel. Un travail approfondi a été réalisé pour identifier qui sait quoi, connaissances explicites ou tacites. C’est entré dans une base de données. Lorsque quelqu’un a besoin de développer un savoir, le logiciel propose un coach. Un contrat est réalisé entre eux, avec un plan de travail, pour permettre la transmission des connaissances. C’est ainsi qu’une adjointe administrative a mentoré un nouveau gestionnaire sur le sujet des réseaux informels, l’organigramme fantôme, qu’elle connaissait très bien.

Autre possibilité : mettre en place dans les entreprises des outils inspirés des réseaux sociaux grâce auxquels les employés peuvent communiquer entre eux, poser des questions et trouver des réponses, des sortes de twits internes (comme chez Best Buy, ou IBM). Il est aussi pertinent de mettre en place des communautés de pratiques dans lesquelles des gens de même métiers ou partageant les mêmes problèmes sont mis en relation les uns avec les autres pour échanger de l’information, dans des rencontres virtuelles ou physiques. Cela se répand de plus en plus à l’interne dans les organisations (Hydro-Québec) ou entre organisations (ex. wiki de pratiques de veille dans le secteur de la santé et des services sociaux). Cette logique peut aller très loin. Atos est une entreprise oeuvrant dans les technologies de l’information. Elle compte 74 000 employés partout sur la planète. Elle a annoncé qu’elle se donnait 18 mois pour abandonner le fonctionnement par courriels à l’interne. Les courriels seront remplacés par des outils collaboratifs : un outil de chat et un wiki internes.


Conclusion

L’enjeu de compétence est incontournable. Tout le monde le sait et pourtant les organisations sont souvent hésitantes à faire les efforts nécessaires. Deux angoisses justifient cette frilosité : « on va les former et ils vont partir ailleurs », et « ça coûte cher et on doit livrer ». Je rappelle cette merveilleuse phrase de je ne sais pas qui : « si vous trouvez que la compétence coûte cher, essayez l’incompétence ». J’ajoute que la capacité des individus à vivre les changements et à innover est fortement liée à la perception qu’ils ont de leurs compétences.

Je suis convaincu que :
- Le développement des compétences prendra une place de plus en plus grande,
- Les modes d’apprentissages vont évoluer. Le « on the job learning » prendra de plus en plus d’importance par rapport aux formations classiques dans des stages. On ne pourra plus opposer productivité et formation.
- Chaque individu sera de plus en plus responsable du développement de ses compétences. Le savoir devenir sera une compétence à développer.
- De nouveaux outils se développeront : serious games, simulateurs, mondes virtuels. Ils permettront un apprentissage dans l’action, ludique, responsabilisant et s’intégrant dans l’organisation du travail.

mercredi 7 décembre 2011

La carrière buissonnière

Quatrième chronique dans l'émission "l'après-midi porte conseil" de Dominique Poirier (Radio Canada). Thème de cette semaine : La carrière buissonnière.

L’évolution du travail sur la carrière tient en quatre passages :

Les deux premiers traitent de l’évolution du rapport au travail dans la vie.
- Du workholic au lifeholic
- De la logique de faire carrière à la logique de l’épanouissement

Les deux autres s’intéressent à l’évolution des modes de gestion des carrières.
- De l’entreprise à vie à plusieurs vies en entreprises
- De la voie royale aux chemins de traverse


Une évolution de la place de la carrière dans la vie

Pour comprendre les évolutions de la nation de carrière, il faut s’intéresser à l’évolution de la place du travail dans la vie des gens.

Pendant longtemps, la plupart des gens travaillaient pour gagner sa vie. Pendant la période de croissance de l’après guerre, travailler avait un sens : par le travail on accédait à une meilleure vie. Les choses sont moins certaines aujourd’hui.

Le rapport moral au travail était aussi différent. S’oublier dans son travail, sacrifier une partie de sa vie à sa carrière était socialement valorisé.

Enfin, le rapport de chacun au travail a changé. Pendant les années de l’économie industrielle de l’après-guerre (jusque dans les années 70), le travail avait une dimension collective (nouvelles protections collectives, développement du syndicalisme, socialisation par l’appartenance à l’entreprise). Dans les années 80, la société de consommation a développé l’individualisme, état dans lequel le regard extérieur est déterminant dans le sens que l’on donne à sa vie. En réaction, aujourd’hui, l’individuation (le fait de devenir de plus en plus soi-même) prend de la place. L’épanouissement est une ambition légitime, en particulier dans les jeunes générations.

Ainsi on ne travaille plus uniquement pour gagner sa vie, mais pour s’épanouir. On était workholic, on devient lifeholic. Entre carrière et épanouissement personnel, de plus en plus les gens arbitrent en faveur de leur épanouissement. Indice marquant : il est de plus en plus difficile de convaincre les employés de devenir gestionnaires.

Connaissez vous les mompreneurs ? Elles illustrent parfaitement cette tendance.
Ce sont de jeunes mères qui décident de quitter leur emploi pour partir en affaires. Elles veulent redevenir maîtresses de leurs destins, de leurs horaires et mieux concilier leur vie professionnelle avec leur vie familiale. Souvent, mais pas toujours, elles gagnent moins que dans leur ancien poste, leurs perspectives de carrière sont moins évidentes, mais elles font le choix de l’épanouissement personnel. Selon Valérie Froger qui a écrit un livre sur le sujet, elles seraient plus de cinq millions aux États-Unis et huit cent mille au Canada. Il faut savoir qu’au Canada, trois PME sur cinq sont créées par des femmes, dont 80 % sont des mères.


Les nouveaux itinérants, sans entreprises fixes

Pendant longtemps on pouvait passer sa vie professionnelle dans la même entreprise, et parfois dans le même métier. Cette réalité est aujourd’hui transformée. Aucune entreprise ne peut plus garantir un emploi à vie : parce que les aléas économiques et parce que personne ne sait ce que seront les métiers dans 10 ans. Les outils que nous utiliserons n’ont pour une bonne part pas encore été inventés. Nous savons tous que nous exercerons plusieurs métiers dans notre vie.

Ce que les entreprises peuvent promettre c’est de créer un contexte qui permet le développement de l’individu, qui assure son employabilité (le fait qu’il ou elle continue à avoir de la valeur sur le marché professionnel). Cela change radicalement la vision de la carrière. La fidélité, le dévouement à une organisation en échange de la sécurité de l’emploi c’est fini. Le contrat de carrière c’est un engagement de l’individu en échange d’opportunités d’épanouissement. Dans certaines entreprises, Danone pendant longtemps par exemple, les gestionnaires avaient pour objectif de former et d’exporter des talents (ils étaient évalués sur ce critère dans leurs objectifs annuels). Certaines entreprises se voient comme des écoles : elles attirent les meilleurs, les forment, utilisent leur énergie et leur engagement et puis un jour beaucoup partent (ex. P&G, GE, Danone, L’Oréal, etc.).
Nous passons d’une entreprise à vie à plusieurs en entreprises : la même si elle nous permet de nous renouveler, ou plusieurs.


La carrière buissonnière

Alors comment gérer les carrières dans ce contexte ? L’impact pour les gens de ressources humaines est majeur. Pendant longtemps les gens subissaient les choix des entreprises. Ils étaient mutés, on leur proposait des promotions qu’ils ne pouvaient pas refuser, etc. Aujourd’hui ils se révoltent. Voyez comme il est difficile dans certaines entreprises de trouver des employés qui veulent passer gestionnaires : beaucoup de troubles pour pas grand chose. Dans le futur parce que les entreprises auront de plus en plus besoin de talents pour réussir, cette dépendance va continuer à se réduire, les employés vont reprendre du pouvoir.

Permettre aux individus de se comprendre, les aider à défricher leurs chemins de vie et de carrière.
- Certaines entreprises mettent en place des entretiens de carrière différents de l’entretien d’évaluation de la performance afin de permettre aux gestionnaires de comprendre les projets de vie de leurs employés et de les aider dans ce cheminement.
- Le mentorat, interne à l’organisation, ou externe est aussi un moyen de réfléchir aux tortueux chemins de l’épanouissement personnel dans le travail. Chez Bombardier par exemple il existe un programme de mentorat. Il est volontaire et permet de travailler sur ce que l’on appelle dans le jargon RH les savoir-être.
- Zappos a aussi engagé un « coach de vie » à temps plein qui aide les employés à se fixer des objectifs et des stratégies de développement personnel et à mieux gérer l’équilibre vie privée – vie professionnelle.
- On voit aussi les organisations qui se soucient d’accompagner les employés à des moments clés de leur vie. Aujourd’hui cela commence à se faire par des formations à la retraite. Dans le futur cela touchera à mon avis d’autres aspects clés : devenir parent, etc.

Permettre aux employés d’essayer des choses différentes
Par exemple chez Zappos : Le processus de gestion de carrière est à la fois très structuré et très souple. Il intègre les aspirations des individus. Un processus est très significatif. Les personnes qui changent de départements ont une période d’essai de six mois durant laquelle ils peuvent décider de retourner dans leur poste d’origine s’ils ne s’y plaisent pas.
La participation à des groupes transversaux qui travaillent sur des sujets spécifiques est un moyen dans les grandes entreprises d’amener les individus à se rencontrer, et à voir ce qui se passe ailleurs.

Multiplier les chemins de traverse
La linéarité des carrières est morte. Pour s’épanouir les individus auront des parcours de plus en plus chaotiques, alternant des phases de travail intense, de retour aux études, des moments d’implication dans la vie familiale, voire d’expérimentation pro-perso. Certains signes montrent que c’est déjà commencé.
- A l’université Laval où j’étudie on assiste par exemple à une explosion des formations de perfectionnement professionnel. Desjardins a par exemple un programme qui permet à certains de ses employés de poursuivre leurs études : certificats, MBA, etc.
- La priorité à l’implication familiale s’impose peu à peu dans la gestion des employés. Les congés parentaux se développent. Autre exemple, la banque TD donne jusqu’à huit semaines de congé sans solde aux employés qui doivent prendre soin d’un membre de leur famille gravement malade.
- Les années sabbatiques sont aujourd’hui plus fréquentes. Certaines entreprises accompagnent même leurs employés qui souhaitent profiter de ce moment pour créer une entreprise.
- Les employés de TD peuvent utiliser des congés payés pour faire du bénévolat dans la collectivité pendant les heures de travail normales. Plus fort chez Patagonia les employés ont la possibilité de passer jusqu’à deux mois par année dans un organisme écologique à but non lucratif de leur choix, et ce, tout en gardant leur salaire courant et leurs avantages sociaux


Conclusion : Pour des entreprises, gérer ces cheminements très individualisés est une difficulté importante.

Mais elles n’ont pas le choix si elles veulent susciter l’engagement de leurs employés. Les individus ne se sacrifieront plus pour leur carrière. Ils arbitreront de plus en plus en faveur de l’épanouissement qui passe par un éclatement des carrières.
Elles ont aussi beaucoup à y gagner : des gens plus engagés, plus motivés, riches de nouveaux regards, de nouvelles idées, de nouveaux réseaux. Cela fait aussi évoluer le rôle du gestionnaire. Dans son rôle de jardinier que nous évoquions lors de la dernière chronique, il a pour mission d’aider l’employé à y voir clair dans ses questionnements sur sa carrière et de l’accompagner dans le débroussaillage des chemins de traverse de la carrière buissonnière.

jeudi 1 décembre 2011

L'imaginaction au travail

Troisième chronique dans l'émission de Dominique Poirier "L'après midi porte conseil".

Cette chronique avait pour thème l’évolution des rôles de l’employé et du gestionnaire (en français du Québec) ou du collaborateur et du manager (en français de France). Pour résumer je dirais que l’on passe d’une organisation du travail dans laquelle le gestionnaire avait pour mission de planifier, organiser, diriger, contrôler, à une organisation du travail où chacun est acteur de l’organisation du travail au sein de son équipe pour atteindre les objectifs fixés. C’est selon moi une évolution fondamentale : chacun passe d’un rôle de rouage à un rôle de moteur. On parle d’entreprise 2.0. Concrètement cela veut dire quoi ? Trois pistes :


1. De la hiérarchie à la wirearchie (l’expression est de Jon Husband).

La hiérarchie traditionnelle est profondément remise en cause. Les chefs savent de moins en moins, cela va trop vite. Les individus sont de plus en plus responsabilisés. Aussi la légitimité du hiérarchique repose-t-elle de moins en moins sur son expertise technique, celle qui faisait qu’on le choisissait, sur le mode : « Tu es le meilleur, tu seras contremaître et tu leurs diras quoi faire ».

La vieille organisation du travail se structurait autour de modes d’interaction statutaires. A une époque pas si lointaine (et certains réflexes ont la vie dure), on ne pouvait travailler avec quelqu’un d’autre sans demander l’autorisation à son hiérarchique. Interagir avec un membre de l’équipe d’à côté nécessitait un aller-retour par voie hiérarchique. Dans les organisations les plus performantes aujourd’hui, le mode d’organisation est basé sur le réseau et l’interconnexion des individus. Il repose sur la capacité des équipes à s’organiser en étant supportées, accompagnées, coachées, recadrées par des gestionnaires pour atteindre des objectifs partagés.

On retrouve là un mode d’organisation des communautés propre à l’internet. Contrairement aux idées reçues, une communauté sur Internet n’est pas anarchique. Dans toute communauté des formes de hiérarchies s’installent. Ce qui les caractérise sur Internet, c’est qu’elles émergent de l’interaction des membres de la communauté. Les membres les plus utiles, les plus compétents, les plus impliqués sont reconnus et prennent naturellement le leadership. Ils deviennent des personnes de référence qui influencent fortement l’évolution de la communauté. Sur Internet la légitimité se construit. Dans une hiérarchie traditionnelle, la légitimité est donnée par les statuts. Les jeunes en particulier, sont très sensibles à ces modes de fonctionnement. Pour eux, la légitimité de la hiérarchie repose davantage sur l’utilité perçue par l’individu et la communauté que sur le pouvoir lié au statut.

Dans ce contexte, le rôle des gestionnaires évolue. Une question difficile à laquelle un gestionnaire doit répondre est la suivante : « Suis-je utile à mon équipe et à chacun de ses membres ? Quelle est ma valeur-ajoutée ? Est-ce qu’ils me choisiraient comme leader ? ». Dans les entreprises avec lesquelles nous travaillons, nous voyons émerger quatre rôles pour les gestionnaires :
- guide (celui qui donne du sens, qui amène à se sentir utile),
- capitaine de bateau (celui qui est responsable de l’équipe, qui arbitre, mais qui fait partie de l’équipage et qui est aussi dans l’action),
- jardinier (en charge de la croissance et du développement des individus et de la dynamique collective)
- et entrepreneur (celui qui développe son activité, amène son équipe à innover). Dans ce contexte l’attitude des gestionnaires évolue : ils sont de moins en moins ceux qui dictent, et de plus en plus ceux qui animent ; de moins en moins ceux qui savent, et de plus en plus ceux qui questionnent.


2. De l’exécution à l’imaginaction.

L’organisation traditionnelle du travail faisait des individus des exécutants. Cela ne tient plus, les organisations ont besoin de réactivité, d’adaptation locale face aux clients, d’innovation.

Il faut donner la possibilité aux individus de s’emparer des règles de fonctionnement pour les faire évoluer. Mon exercice préféré en la matière : Chez Banknorth Group, un "Stupid Rules contest” est organisé tous les ans. Lors de cette compétition les employés sont invités à identifier les règles ou fonctionnements de l'entreprise les plus stupides. Par la suite, si le point identifié est abandonné ou modifié, l'employé reçoit une valorisation financière.

Il faut aussi être capable de recueillir et de traiter le foisonnement d’idées qui restent généralement inexploitées dans l’organisation. De nombreuses entreprises ont mis en place des plateformes sur lesquelles les employés peuvent déposer leurs idées, réagir aux idées des autres et voter pour les meilleures. C’est pour l’organisation un excellent moyen de collecter et de faire émerger les meilleures idées. Citons par exemple ExcentriQ chez Desjardins ou au CHUQ.


3. Du savoir centralisé à l’intelligence collective.

Les organisations ont encore une tendance à sanctifier la connaissance explicite qui vient d’en haut. Exemples classiques : On écrit des processus bien formalisés qu’on réunit sur un intranet pour faire moderne. Tout le monde se plaint que ce n’est pas à jour, qu’il y a toujours des exceptions, etc. Autre exemple on ne capte par la connaissance informelle, qui résulte de l’action quotidienne des employés dans l’organisation et hors de l’organisation : les attentes des clients, le nouveau gadget technologique, ce que fait un concurrent. Comme si l’entreprise décidait de jouer du violon avec des moufles. Les gestes pour produire les notes seront justes, mais il manquera un peu de précision et de nuance. Naturellement les entreprises cherchent de plus en plus à capter cette intelligence collective. Les nouveaux outils de collaboration le permettent. Exemples.

En s’inspirant de wikipedia, plusieurs entreprises créent des wikis internes. Les connaissances se construisent et s’actualisent à partir des savoir des individus. Par exemple : GCPedia dans les ministères fédéraux du Canada (en novembre 2011 27,264 utilisateurs inscrits, 15,388 articles, 10,555,063 pages vues) ou chez MMA.

En créant des réseaux internes (type Facebook ou LinkedIn pour faire image) sur lesquels les individus créent leurs profils pour se regrouper en communautés autour de sujets qui les intéressent : problématiques métiers ou réflexions plus prospectives, voire des sujets de simple socialisation.


Conclusion : Etre un individu en T, un innovacteur et une étincelle d’intelligence collective

Quel que soit son métier, quel que soit son niveau hiérarchique, le rôle que chacun va jouer dans son travail évolue et va de plus en plus évoluer dans la mesure où les organisations ont besoin de valeur-ajoutée et que la valeur-ajoutée est dans la tête et le cœur des employés.

Cette évolue se joue sur trois plans :
- un travail en transversal, en équipe, dans une relation différente avec sa hiérarchie. Ce qui suppose d’être sûr de soi, de son expertise, et ouvert aux autres et à leurs façons différentes de voir les choses. : Etre un travailler en T selon l’expression de Peter Drucker : une expertise (la barre verticale) et une capacité à travailler en transversal (la barre horizontale)
- une exigence d’innovaction : ce qui suppose de mobiliser des capacités de remise en question et d’imagination.
- l’intégration aux réseaux d’intelligence collective : ce qui suppose de partager ses connaissances dans une attitude d’ouverture.

Cette évolution n’est pas neutre. Elle nécessite de remettre en cause de certains réflexes, certaines représentations traditionnelles du travail dans une relation de confiance. Bref de voir le travail différemment.

mardi 22 novembre 2011

Le recâblage technologique

Seconde chronique dans l'émission de Dominique Poirier, "L'après-midi porte conseil".

Nous le vivons tous, avec la micro-informatique, l’internet et le mobile, une transformation profonde est en marche. La question qui se pose est d'ailleurs : mais comment fonctionnait-on avant ?

J'inclus un court vidéo que nous avons créé chez Groupe Forest pour lancer les discussions sur le sujet.



Cette transformation technologique a pour moi trois dimensions.

1. La dimension cognitive

Comme Nietsche l’a constaté : « Les outils que nous utilisons pour écrire ont une part dans la façon dont nous formons nos pensées ». Le débat entre scientifiques sur la réalité et la profondeur de cette transformation fait rage. Mais plusieurs recherches en neuroscience montrent que pour une part la façon dont nos cerveaux sont câblés change. Et c’est particulièrement vrai chez les plus jeunes.
Par exemple selon un article de Science paru l’an dernier, qui fait la synthèse d’une cinquantaine d’études, nous développons nos capacités de visualisation spatiale.
Autre exemple, Gary Small, coauteur du livre « surviving the technological alteration of the moderne mind », a scanné le cerveau de 12 utilisateurs expérimentés de l’internet et 12 néophytes pendant qu’ils utilisaient Google. Il a constaté que chez premiers la zone dorsolaterale préfontale du cortex était intensément activée, contrairement aux seconds chez qui rien ne se passait. Hors cette zone est celle de la mémoire court terme et de la prise de décision.

Quelles sont ces capacités qui se sont développées ? Une prise de décision plus rapide, une capacité de résolution des problèmes plus grande, une capacité plus grande à identifier l’information pertinente parmi une masse d’informations, une pensée plus transversale. Mais la capacité de concentration, par exemple, est moins grande.
Cela nous amène à remettre en question certaines idées reçues. Par exemple les jeux vidéos rendent imbécile. Hors selon une enquête parue dans une revue scientifique (Archives of Surgery), réalisée sur 33 chirurgiens. Ceux chirurgiens qui jouent à des jeux vidéo plus de trois heures par semaine font 37% d'erreurs en moins aux tests d'aptitude et sont 27% plus rapides. On m’a dit la même chose en ce qui concerne les grutiers.

2. La dimension sociale

La façon dont les individus socialisent a beaucoup changé. Les individus s’inscrivent dans des réseaux multiples, se regroupent par centres d’intérêts plutôt que par proximité géographique.
Aujourd’hui on ne peut réussir qu’en équipe. Pensons aux prix Nobel, ils ne sont plus remis aujourd’hui à des individus, mais à des équipes de chercheurs. Les choses sont trop complexes. C’est la complémentarité des compétences qui est plus efficace. C’est pourquoi des thèmes comme la gestion de la diversité prennent de l’importance. Aujourd’hui l’équipe de travail dépasse l’équipe à laquelle on appartient, ses ramifications vont souvent au delà des frontières de l’entreprise. Par exemple en informatique, le recours aux communautés de programmeurs est fréquent.

Pour les individus ces évolutions ne sont pas neutres. Passer d’un travail individuel à un travail d’équipe suppose de mobiliser des compétences transversales d’ouverture, de communication, d’interinfluence que l’on n’a pas beaucoup dévéloppées dans la segmentation des tâches..

3. La dimension organisationnelle

La logique de fonctionnement a aussi changé : de moins Quand on grandit dans un monde mécanique où les choses sont rares et elles cassent si on n’a pas suivi le mode d’emploi. Il y a une séquence à suivre. Repensez au moment où avec votre stylo et votre papier nous écriviez nos travaux d’école. Nous n’avions pas intérêt à vous tromper, parce que c’était une sacrée perte de temps. Donc nous avions tout intérêt à structurer notre plan avant de commencer à écrire. Au contraire pour les plus jeunes dans un monde numérique, il suffit de rebooter l’ordinateur, de reprendre le jeu vidéo à la dernière sauvegarde, ou en utilisant un traitement de texte de savoir vaguement vers où ils veulent aller et de composer leur texte en copier/coller, en ajoutant des choses ici et en en enlevant là. Dit autrement les technologies avec lesquelles nous avons grandis nous imposaient une perspective linéaire alors que le numérique nous amène à travailler dans un mode d’essai-erreur. Nécessairement dans le premier cas, la recherche de la perfection est normale. Dans le second cas, l’imperfection est normale, puisqu’on travaille dans une logique de test. Cela fait dire à un des patrons d’une entreprise Internet à succès. « Si vous êtes fier de votre produit au moment où vous le mettez sur le marché, c’est que vous l’avez mis trop tard »

La structure des entreprises est dictée par des besoins de coordination. Quand on n’a pas de téléphone, que tout fonctionne par écrit, la coordination passe par une hiérarchie forte, sur le modèle de l’armée. La coordination transversale est difficile, alors on organise les choses d’en haut. Avec l’internet, les courriels, les outils collaboratifs, les gens peuvent se coordonner entre eux. Ils peuvent échanger de l’information directement. Un recâblage organisationnel est possible : nous allons vers des modes d’organisation plus transversaux et moins verticaux. On pourrait faire le même constat en science politique. Cela change la nature du travail.

Internet sera de plus en plus intégré dans le travail des individus. Et cela nous amène à aller à l’encontre de quelques idées préconçues. Par exemple : Une étude de l'université de Melbourne, démontre que divaguer sur Internet n'a pas d'impact négatif sur sa productivité. Au contraire, ceux qui surfent pour s'amuser au travail sont environ 9 % plus productifs que les autres. "De courtes pauses, permettent à l'esprit de se reposer, donc de favoriser la concentration lors d'une journée de travail, et au final, d'accroître la productivité". Cependant cette récréation numérique ne doit pas dépasser 20 % du temps de travail, selon l'étude. Vous me direz que probablement que l’effet serait le même si les gens avaient fait des pauses café. Mais cela, l’étude ne le dit pas.


Conclusion

Deux aspects me paraissent clés :

Il faut que chacun développe son "intuition technologique"
De plus en plus les technologies seront intégrées dans nos outils de travail. Réalisons que les outils que nous utiliserons dans cinq ans n’ont pas encore été inventés. Il ne s’agit donc pas simplement de savoir utiliser les nouveaux outils technologiques, il s’agit d’apprendre à apprendre l’usage des technologies.
Un des défis du travail, c’est de développer une « intuition technologique ». C’est vrai pour un dirigeant dont la stratégie sera affectée. Intégrer le fonctionnement des réseaux sociaux dans le marketing, c’est une transformation radicale de logique. C’est une autre tournure d’esprit. C’est vrai pour un employé qui verra les fondamentaux de son travail remis en cause. Pour un employé de banque, apprendre à gérer le muticanal ce n’est pas qu’une question technique.

Il faut développer nos capacités interpersonnelles.
La faculté à travailler dans des univers paradoxaux : dans lesquels le changement est la règle, où les choses sont toujours en mouvement. La faculté à travailler en équipe qui repose sur l’ouverture, les habiletés de communication et d’interinfluence. bref l’intelligence émotionnelle.

Finalement c’est exigeant, mais c’est quand même une bonne nouvelle. Utilisons les technologies pour ce qu’elles sont : des extensions de notre cerveau qui libèrent de l’espace pour être créatifs, en équipe.

mardi 15 novembre 2011

Le futur du travail passe-t-il par le bonheur ?

Chronique aujourd'hui dans l'émission : "L'après midi porte conseil" de Dominique Poirier sur le thème "le futur du travail passe-t-il par le bonheur ?".
C'est audible ici.

J'avais écrit un texte pour structurer mes idées sur le sujet. C'est ci-dessous.

Pourquoi le bonheur ?

Le bonheur est à la mode en couverture des revues. Jusqu'à l’OCDE qui mesure l’Indice de bonheur qui complète la dimension économique mesurée par le PIB.

Dans la recherche en management le lien entre bonheur et performance est globalement soutenu, même si les résultats ne sont pas toujours éclatants (voir par exemple Hosie et Sevastos, 2009 ; Hosie et al. , 2006 et Fisher, 2003). Il faut dire que la performance et plus encore le bonheur sont deux dimensions difficiles à mesurer.

Pourquoi vouloir le bonheur des employés ? Au delà des questions de valeurs humaniste, mais aussi pour une question de valeur : Parce que cela génère de la performance pour l’entreprise.

Il faut réaliser la transformation du travail que nous sommes en train de vivre. Pour dire vite, un mode de travail hérité du monde industriel taylorien est en train de s’effondrer.
- Parce que la nature des tâches a changé : les ordinateurs, les robots remplacent les humains pour les tâches les plus répétitives. Les employés sont de plus en plus tournés vers des tâches « humaines » : imaginer, concevoir, répondre aux clients, etc.
- Face à la complexité et la vitesse des changements actuels on demande aux individus de la capacité de remise en question, de l'adaptation, de la résistance au stress et de l'intuition. Autant de capacités que l'on ne peut mobiliser que si l'on est complètement présent et si l'on se sent serein.
- Parce que les clients sont de plus en plus exigeants face des offres de produits et services de plus en plus compliquées, parce qu’ils attendent de l’attention, de la compréhension, un service personnalisé. Or, pour l’employé en posture de service, cela ne peut pas se faire sans attention à l’autre, sans empathie. Or des employés qui ne sont pas satisfaits ne peuvent pas satisfaire des clients.
- Autre dimension, les équipes de travail sont de moins en moins homogènes. Aujourd’hui les gens viennent de partout. Ils parlent plus ou moins bien Français, ont des traditions différentes, on s’accommode raisonnablement. On a besoin de les comprendre. Là encore cela suppose de mobiliser ses émotions.

Dans la vieille organisation du travail on laissait littéralement son cerveau et ses émotions au vestiaire en même temps que l’on enfilait son bleu de travail. Aujourd’hui on a besoin de l’intelligence et des émotions des employés. Et on en aura de plus en plus besoin parce que les choses seront de plus en plus compliquées.

Est-ce que cela veut dire que les gens n’étaient pas heureux au travail ? Pas nécessairement. En revanche une distinction était faite entre la vie et le travail. Ce dont témoignent des expressions comme : « travailler pour gagner sa vie ».

Quand l’usine mobilisait uniquement les bras des employés, l’organisation du travail visait à automatiser les gestes. L’esprit pouvait s’échapper. Il devait s’échapper pour ne pas devenir fou. Pour se remettre en tête ce à quoi cela pouvait ressembler, je vous suggère de visionner cette vidéo, tournée devant les usines Wonder en France au moment de la reprise du travail à la fin de la grève de 68.


Aujourd’hui pour être performante une entreprise a besoin des mains, du cerveau et des émotions des employés. Elle a besoin d’individus épanouis capables de mobiliser leur capacité d’imagination, d’écoute, d’empathie, et de travail en équipe. En conséquence elle ne peut plus ignorer la question du bonheur. Cela va beaucoup plus loin que la question du plaisir au travail. Le plaisir est une sensation instantanée. Le bonheur est une construction de soi dans la durée.

Dans un monde qui fonctionne avec les règles du capitalisme, c’est probablement une bonne nouvelle : il faut rendre les gens heureux, non pas pour être gentil, mais parce que c’est plus payant.


Un exemple extrême : Zappos

Fondée en 1999, Zappos est un leader de la distribution en ligne aux Etats-Unis spécialisé depuis sa création dans la distribution de chaussures (plus de 1000 marques) qui représente encore autour de 80% de son chiffre d’affaires. Depuis quelques années l’entreprise s’est diversifiée dans la distribution de vêtements, d’accessoires, de matériel de plein air ou d’électronique.
- 1,2 milliards de chiffre d’affaires.
- 1500 employés
- Zappos est aussi classée parmi les « best cies to work for » depuis trois ans : 23ème en 2009, 15ème en 2010 et 6ème en 2011.

Le succès de Zappos repose selon eux sur deux dimensions :
- il faut donner du bonheur aux clients, grâce à une offre pertinente mais surtout à la qualité de la relation de service que Zappos entretient avec eux, basée sur la transparence, l’authenticité et une réelle empathie.
- or, « on ne donne pas ce qu’on n’a pas ». Pour que les parties prenantes (employés, partenaires) impliqués dans la création et la livraison du service se soucient du bonheur des clients, il est nécessaire que Zappos s’intéresse à leur propre bonheur et crée les conditions de leur épanouissement.

Zappos considère que ses employés sont son principal actif. L’entreprise est convaincue que la satisfaction des clients passe par la satisfaction des employés. Son CEO, Tony Hsieh, résume cette philosophie ainsi : « Zappos is not for investors. It’s for employees ». Le livre qu’il a écrit est sans ambiguïté : « Delivering Happiness ».

Zappos s’organise pour rendre les gens heureux en répondant aux aspirations les plus élevées des individus : responsabilisation, exploitation de sa créativité, ambiance de travail agréable, reconnaissance sociale, etc.

Comment générer du bonheur au travail ? Zappos n’a rien laissé au hasard. Quelques exemples de processus clés.

1. Permettre aux gens d’être eux-mêmes.
- Cela passe par de l’autonomie, du pouvoir de décision, la possibilité d’être soi-même : 700 personnes à peu près gèrent les contacts avec les clients à travers appels téléphoniques, courriels et chats. Or il n’existe pas de script pour guider la conversation entre un représentant et un client. Zappos veut générer des contacts humains. Or pour être empathique un employé doit pouvoir être lui-même et non simplement suivre une procédure. D’autre part il n’y a pas de durée limite pour traiter un appel. Le record est de cinq heures. Le seul souci doit être de tout faire pour satisfaire le client, et, au delà, le rendre heureux.
- Toutes les tenues vestimentaires sont admises. Et chacun est libre de décorer son espace de bureau avec les objets personnels les plus farfelus. Il se dégage ainsi des bureaux une impression de désordre qui frappe les visiteurs (voir les photos sur Internet).

2. Permettre aux individus de se développer, de s’épanouir en poursuivant leurs objectifs de vie.
- Le processus de gestion de carrière est à la fois très structuré et très souple. Il intègre les aspirations des individus. Un processus est très significatif. Les personnes qui changent de départements ont une période d’essai de six mois durant laquelle ils peuvent décider de retourner dans leur poste d’origine ou y être renvoyés s’ils ne font pas l’affaire.
- Des personnes sont dédiées à l’accompagnement des personnes : les ambassadeurs de la culture à qui l’on peut parler de ses problèmes professionnels ou personnels.
- Zappos a aussi engagé un « coach de vie » à temps plein qui aide les employés à se fixer des objectifs et des stratégies de développement personnel et à mieux gérer l’équilibre vie privée – vie professionnelle. La photo représente le siège situé dans le bureau de celui-ci et sur lequel les employés doivent s’asseoir. Avec l’esprit de dérision propre à l’entreprise, il symbolise le fait que tout employé est roi chez Zappos.

3. Permettre aux individus de socialiser.
- L’importance de la socialisation. Les équipes ont une identité.
Les gestionnaires doivent consacrer 10% à 20% de leur temps à socialisez ou à renforcer l’esprit d’équipe. Zappos veut que les employés aient une vie sociale commune en dehors de l’entreprise.

Evidemment si tout le monde cherche à être heureux à sa façon, et cela peut vite tourner au bazar. Le ciment collectif, c’est la culture. Deux pratiques témoignent de la volonté forcenée de n’embaucher que des gens culturellement compatibles :
- Le département des RH dispose d’un droit de veto s’il pressent une difficulté à s’intégrer à la culture, et ce, quel que soit le niveau de compétence technique.
- Dans le processus de formation, au cours des quatre premières semaines, les futurs Zapponiens se voient offrir à deux reprises une offre de 3000$ s’ils souhaitent quitter l’entreprise. Seuls 2% à 3% des personnes choisissent cette option.

En résumé voit dans le bonheur de ses employés un levier de performance, et s’organise pour cela. Mais ce n’est pas pour tout le monde. Il existe un bonheur à la Zappos, un moule. Le bonheur à la Zappos n’est pas fait pour tout le monde. Et l’entreprise choisit soigneusement les gens qui lui ressemblent.

Zappos est un exemple extrême d’une entreprise qui fait du bonheur un levier de performance. Mais de plus en plus, les entreprises se penchent sur le sujet : aménagement des horaires, évolution flexible des carrières, possibilité de s’investir dans du bénévolat en dehors de l’entreprise sur son temps de travail, etc. Les exemples sont multiples. Mais il me semble que la démarche n’est pas sans risque.


Les limites

A la fin du XIXième siècle on peut retrouver quelque chose qui de premier abord ressemble à cette tendance de la recherche du bonheur au travail : les grandes industries veillaient au bonheur de leurs ouvriers : construisaient des maisons, des écoles, prenaient en charge l’éducation, etc. Dans une logique de type féodal : je donne de la protection en échange de la fidélité et du travail.

Aujourd’hui les choses sont radicalement différentes. Je l’illustre à travers un paradoxe. D’une part les individus sont et seront de plus en plus autonomes : responsables de leur propre développement (de leurs compétences, de leur carrière, etc.), sans engagement de durée de la part de l’entreprise. D’autre part si l’on veut aligner tous ces employés frétillants en quête de leur bonheur personnel, un processus d’alignement autour du projet de l’entreprise, de sa culture et de ses valeurs est nécessaire.

En somme, d’une part, l’individu est livré à lui-même, sans structuration institutionnelle (comme l’était le lieu de travail), livré dans le vaste monde à sa seule capacité à devenir lui-même. C’est une liberté enivrante mais aussi angoissante.
D’autre part les entreprises produisent des normes comportementales que je qualifierais en exagérant le trait de totalitaires, au sens propre, c’est à dire qu’elles s’immiscent dans la sphère intime de la pensée. Elles dictent des valeurs et des comportements sur lesquels les gens sont évalués. C’est très différent d’une chaîne de montage où les individus sont évalués sur le travail de leurs mains et non sur leurs pensées.

Entre autonomie radicale (l’injonction à devenir soi-même en faisant du travail un espace de développement personnel) et totalitarisme (l’injonction à s’inscrire dans les normes définies par l’institution), il est facile de se perdre. Le risque est celui de l’injonction paradoxale : « sois toi-même mais respecte les normes ». Cela contribue à faire de certains milieux de travail des endroits délétères qui peuvent conduire au suicide. Il faut être fait fort pour saisir l’opportunité d’être soi-même au travail pour être heureux.


Conclusion

Mais n’exagérons pas les risques. Voir le lieu de travail comme un espace de bonheur. Voir le travail comme un levier d’épanouissement et d’épanouissement personnel, c’est quand même une bonne nouvelle et c’est une tendance lourde parce que les entreprises auront de plus en plus besoin d’individus épanouis et équilibrés.

lundi 31 octobre 2011

Et le bonheur dans tout ça, une exploration du cas Zappos (partie 3)

Dans une première partie, j'ai fait ça comme il faut : j'ai présenté Zappos, rappelé que c'était un benchmark en matière de relation client et j'ai annoncé les huit règles sur lesquelles reposent, après quelques recherches, son succès. Dans la partie précédente nous avons approfondi les deux premières règles, qui concernent plus particulièrement la façon dont Zappos gère la relation avec ses clients.
Dans cette dernière partie nous explorerons les coulisses de l'exploit et nous verrons comment Zappos s'organise pour réussir à créer cette expérience client exceptionnelle. Nous verrons que rien n'est laissé au hasard, mais que tout est laissé au talent et à l'engagement de ses employés.



Règle 3 : Amenez chacun à trouver du sens à son travail, à percevoir son utilité et partagez le projet et la culture de l’entreprise pour générer un alignement

Les clients sont de plus en plus exigeants vis-à-vis des services : ils s’attendent à ce qu’on réponde à leurs questions face à des offres de plus en plus complexes, à recevoir des réponses personnalisées, rapides, efficaces, et en outre à ce qu’on prenne en charge leurs émotions.

Dans ce contexte des réponses techniques sont ne sont pas suffisantes. La standardisation des comportements à travers des normes, standards, scriptes et scénarios n’est pas suffisante. Les clients veulent parler à des individus en pleine possession de leurs capacités et non à des « robots désengagés ». La réponse « je n’y peux rien, c’est la politique de la compagnie » n’est plus acceptable.

Pour créer cette conviction intérieure qui permet à l’employé de service d’intégrer les standards et procédures pour délivrer un service de qualité il faut agir sur trois dimensions, en amenant chacun à :
- comprendre la dynamique des marchés et les besoins et attentes des clients.
- percevoir son utilité pour le client.
- s’approprier le projet de l’entreprise (sa mission, sa vision, ses ambitions).

Zappos est une entreprise très ouverte sur l’extérieur qui cherche à faire rentrer au maximum le client dans ses murs, Par exemple les employés sont encouragés à échanger avec les clients. Ainsi plus de 500 employés ont des comptes pros sur Twitter sur lesquels ils abordent plusieurs sujets dont la vie de Zappos. Les clients peuvent aussi faire des visites du centre de relation client, des entrepôts ou du siège social durant lesquelles des périodes d’échanges avec les différentes équipes sont planifiées.

Pour amener chacun à vivre la raison d’être de Zappos : le service aux clients, tout nouvel embauché doit suivre la formation de quatre semaines destinée aux membres de l’équipe du centre de contact client.

La communication interne vise à entretenir des discussions qui aident chacun à trouver du sens. Les dirigeants ont des blogs dans lesquels ils commentent l’actualité avec un maximum de transparence, une newsletter interne « Ask anything » leur permet aussi de répondre aux questions posées par les employés. Des ambassadeurs de la culture sont aussi présents dans les équipes. Ils jouent le rôle de grands frères ou de grandes sœurs que chacun peut consulter s’il se pose des questions sur le sens de son travail.

En fait Zappos cherche à développer l’idée que sa mission n’est pas de vendre des chaussures ou des vêtements, mais de contribuer au bien-être de l’humanité en contribuant à rendre les gens heureux.



Règle 4 : Embauchez des personnes compatibles avec la culture de service de votre entreprise.

Pour Zappos, sa culture est son principal actif, la source de son avantage concurrentiel. Mais travailler chez Zappos est exigeant, la culture est forte et partagée, renforcée en permanence par des processus de socialisation. Ce n’est pas fait pour tout le monde. Le processus de recrutement occupe donc une place stratégique dans le modèle de réussite de Zappos.

Après un tour de 45 min. dans les locaux, qui permet aux salariés d’accueillir les candidats de manière très libre, les candidats vont rencontrer une dizaine de personnes pour deux types d’entrevues :
- Les entrevues de compatibilité culturelle. Elles sont menées par le département des ressources humaines.
- Les entrevues de compétence technique. Elles sont menées par les responsables des départements qui embauchent et quelques membres de leurs équipes.

Deux pratiques témoignent de la volonté forcenée de n’embaucher que des gens culturellement compatibles :
- Le département des RH dispose d’un droit de veto s’il pressent une difficulté à s’intégrer à la culture, et ce, quel que soit le niveau de compétence technique.
- Dans le processus de formation, au cours des quatre premières semaines, les futurs Zapponiens se voient offrir à deux reprises une offre de 3000$ s’ils souhaitent quitter l’entreprise. Seuls 2% à 3% des personnes choisissent cette option.



Règle 5 : Formez.

Face à des clients dont les besoins d’information et de conseil sont toujours plus développés et à des offres de plus en plus complexes, la compétence est un enjeu de plus en plus crucial.

Lors de l’embauche, la démarche de Zappos est très structurée et très longue :
- Une première étape de quatre semaines à travers laquelle passent tous les nouveaux embauchés présente l’entreprise, sa culture, et ses valeurs et prépare les personnes à intervenir dans l’équipe de gestion de la relation client.
- A la fin de cette première étape se tient une cérémonie de graduation puis une parade à travers les bureaux dans l’enthousiasme général.
- Puis les trois premières semaines de présence dans un nouveau poste constituent une période d’incubation durant laquelle des mentors accompagnent la montée en compétence des nouveaux arrivants.



Règle 6 : Accompagnez les individus dans leur épanouissement personnel

Le principal actif de Zappos c’est ses employés. En effet l’entreprise est convaincue que la satisfaction des clients passe par la satisfaction des employés. Son CEO, Tony Hsieh, résume cette philosophie ainsi : « Zappos is not for investors. It’s for employees ».

Les modes généraux de fonctionnement permettent de répondre aux aspirations les plus élevées des individus : responsabilisation, exploitation de sa créativité, ambiance de travail agréable, reconnaissance sociale, etc. Mais de manière très spécifique, Zappos a mis en place plusieurs processus spécifiques pour aider ses employés à s’épanouir :
- Toutes les tenues vestimentaires sont admises. Et chacun est libre de décorer son espace de bureau avec les objets personnels les plus farfelus. Il se dégage ainsi des bureaux une impression de désordre qui frappe les visiteurs (voir photos ci-dessous).
- Le processus de gestion de carrière est à la fois très structuré et très souple. Il intègre les aspirations des individus. Un processus est très significatif. Les personnes qui changent de départements ont une période d’essai de six mois durant laquelle ils peuvent décider de retourner dans leur poste d’origine ou y être renvoyés s’ils ne font pas l’affaire.
- Des personnes sont dédiées à l’accompagnement des personnes : les ambassadeurs de la culture à qui l’on peut parler de ses problèmes professionnels ou personnels.
- Zappos a aussi engagé un « coach de vie » à temps plein qui aide les employés à se fixer des objectifs et des stratégies de développement personnel et à mieux gérer l’équilibre vie privée – vie professionnelle. La photo représente le siège situé dans le bureau de celui-ci et sur lequel les employés doivent s’asseoir. Avec l’esprit de dérision propre à l’entreprise, il symbolise le fait que tout employé est roi chez Zappos.



Règle 7 : Misez sur la dynamique d’équipe.

Zappos est une famille, une tribu qui réunit des individus engagés dans la même cause. Cet aspect est important dans le succès de Zappos pour trois raisons :
- Face au client, cette solidarité est nécessaire. Elle permet de réagir plus vite et d’aller plus loin.
- A travers l’interinfluence des individus, cela assure un alignement des comportements. Or cette cohérence est une contrepartie indispensable à la dynamique d’empowerment.
- Enfin elle favorise l’épanouissement des individus qui rejoignent Zappos. Ceux-ci se sentent intégrés dans une communauté soudée. Une question clé lors de l’entretien d’embauche est la suivante : « Vous arrive-t-il de socialiser avec des personnes du travail en dehors du bureau ? ». Dans la culture Zappos réponse positive indispensable.

De nombreux processus ont été mis en place pour favoriser la socialisation au sein de l’entreprise, et des équipes. Parmi les plus symboliques :
- Lorsque les employés de Zappos allument leurs ordinateurs. Avant d’entrer le mot de passe, ils doivent essayer de croiser un nom et une photo de collègue qui apparaît de manière aléatoire. Le système enregistre les scores de tout le monde.
- Lorsque des clients appellent le centre de contact clientèle de Zappos, ils ont l’option d’écouter pendant leur courte attente une chanson interprétée par les Zappettes, un groupe de trois employés.
- Sur Youtube, Zappos dispose d’un canal sur lequel les employés diffusent toutes sortes de vidéo en lien avec la vie de l’entreprise : entrevues avec des dirigeants ou des employés, présentation d’équipes, reportages sur les valeurs, etc.

Parmi les plus structurantes :
- Les managers doivent consacrer 10% à 20% de leur temps à socialisez ou à renforcer l’esprit d’équipe.





Règle 8 : Utilisez des outils de mesure de la performance cohérents avec vos objectifs.

Magré le désordre apparent Zappos est une entreprise très « disciplinée » qui suit avec beaucoup de rigueur ses indicateurs. Au delà des classiques que l’on retrouve dans toute entreprise de distribution, Zappos a adopté des instruments de mesure qui sont en cohérence avec les éléments clés de son modèle d’affaires :
- Lors des entretiens annuels d’appréciation, 50% de l’évaluation est basée sur le respect des dix valeurs de l’entreprise. Des grilles d’analyse très précises ont été développées pour s’assurer d’un maximum d’objectivité dans la discussion.
- Pour mesurer la satisfaction client, l’entreprise utilise le Net Promoter Score. Une unique question est posée aux clients : « Dans quelle mesure recommanderiez-vous notre entreprise, ses produits ou ses services, à un ami ou à un collègue ? ». L’indice est réalisé par la soustraction du taux de réponses négatives au taux de réponses positives. Pour une entreprise dont le marketing est essentiellement basé sur le bouche à oreille, cette approche est évidemment cohérente. Il faut souligner que plusieurs études montrent que cette approche est le meilleur prédicteur du taux de croissance des ventes d’une entreprise.



Conclusion
Zappos est un exemple d'organisation du travail performante qui va à l'encontre d'une représentation traditionnelle très "command and control" encore très présente. Pour en avoir parlé à plusieurs de mes clients je sais qu'elle est très confrontante. Elle oblige un lâcher prise des gestionnaires. Or pour beaucoup le risque paraît trop élevé.

Réactions possibles :
- "Si on les laisse faire, ils vont faire n'importe quoi", (et pourquoi le feraient-ils ? Parce qu'ils ne partagent pas votre projet ? Parce que vous les avez mal choisis ? Mal formés ? )
- "Si on ne standardise pas, chacun va faire les choses à sa façon" (comme si ce n'était pas déjà le cas ! Et puis faire confiance ne veut pas dire abandonner tout standard ou toute procédure)
- Et puis une pensée cachée : "En fait j'aime bien prendre les décisions techniques. J'aime ce métier. Et je suis plus compétent qu'eux" (est-ce que c'est ça que l'on attend de son chef ?)

Or, comme Best Buy, Zappos nous dit : "ayez confiance dans vos équipes, après tout si vous ne pouvez pas leur faire confiance, c'est que vous avez mal exercé votre rôle de manager".

mercredi 26 octobre 2011

Et le bonheur dans tout ça, une exploration du cas Zappos (partie 2)

Dans une première partie, j'ai fait ça comme il faut : j'ai présenté Zappos, rappelé que c'était un benchmark en matière de relation client et j'ai annoncé les huit règles sur lesquelles reposent, après quelques recherches, son succès.
Dans cette seconde partie, nous allons approfondir les deux premières règles, qui concernent plus particulièrement la façon dont Zappos gère la relation avec ses clients.


Règle 1 : Ne pas surpromettre. Ne garantissez que ce que vous pouvez réaliser à 100%.

Si elle peut permettre d’attirer des clients à court terme, la surpromesse est une menace pour générer une satisfaction client à long terme. Ainsi en 2005 Zappos s’était mis à promettre une livraison le long suivant la commande. Cependant, incapable de tenir sa promesse à 100%, l’entreprise a vu la satisfaction client se dégrader très rapidement. Zappos a donc renoncé à sa surpromesse. L’entreprise garantit une livraison dans les cinq jours suivant la commande. En réalité, 11% des clients sont livrés en un jour, 49% en deux jours, 18% en trois jours, 21% en quatre jours et seulement 1% en cinq jours. L’impact sur la satisfaction est double :
- Zappos s’assure de ne promettre que des choses qu’elle peut réaliser à 100% (le bouche à oreille de quelques clients insatisfaits, amplifié par le net, est rapidement désastreux pour une entreprise qui utilise la recommandation comme principal outil marketing).
- Les 80% de clients qui reçoivent leurs colis dans un délai de trois jours sont surpris et satisfaits.


Règle 2 : Pour créer une relation de service riche, créez un contexte responsabilisant afin qu’une vraie rencontre ait lieu entre vos employés et vos clients.


Zappos veut que chaque contact entre un client et un représentant soit un moment fort qui crée du bonheur. Deux facteurs sont déterminants dans la relation de service. Tout d’abord le client veut sentir de l’empathie de la part de celui qui lui répond au nom de l’entreprise. Il veut qu’on s’intéresse à lieu, qu’il ne se résume pas à un numéro. Ensuite il veut que son besoin soit pris en charge et éprouver de la confiance dans le fait que ce qu’on lui a promis sera mis en œuvre.

Pour faire face à ces enjeux Zappos a mis en place des processus de fonctionnement qui peuvent paraître extrêmes mais qui sont très cohérents avec sa mission ainsi que son credo et qui lui permettent de se différencier.

Créer un contexte qui permet une réelle empathie :
700 personnes à peu près gèrent les contacts avec les clients à travers appels téléphoniques, courriels et chats. Or il n’existe pas de script pour guider la conversation entre un représentant et un client. Zappos veut générer des contacts humains. Or pour être empathique un employé doit pouvoir être lui-même et non simplement suivre une procédure. D’autre part il n’y a pas de durée limite pour traiter un appel. Le record est de cinq heures. Le seul souci doit être de tout faire pour satisfaire le client, et, au delà, le rendre heureux. Cela peut vouloir dire par exemple que lorsqu’un client appelle et que Zappos ne vend pas le produit, l’employé va aller voir sur des sites concurrents pour trouver les chaussures et informer le client.

- Le bénéfice de cette approche pour le client : se sentir écouté, exister comme individu et non comme un numéro de contrat.
- Le bénéfice de cette approche pour l’employé : pouvoir être lui-même sans avoir besoin de jouer un rôle mécanique et répétitif.

Créer un contexte qui permet une prise en charge efficace :
Le mode de management mis en place par Zappos est basé sur l’empowerment des représentants en contact avec les clients. Ils ont les marges de manœuvre pour proposer les réponses qui satisferont les clients. Un service de concierges est à leur disposition pour mettre en œuvre les actions plus compliquées (ex. gérer un retour de produit, envoyer des fleurs, etc.).

- Le bénéfice de cette approche pour le client : avoir une réponse immédiate, sentir que son interlocuteur a le pouvoir de répondre à son besoin. Ce qui a un effet de fidélisation à long terme.
- Le bénéfice de cette approche pour l’employé : avoir le sentiment de pouvoir exercer son métier, se sentir utile. Ce qui a un effet de motivation à long terme.


A venir :

Dans une troisième partie nous explorerons les coulisses de l'exploit et nous verrons comment Zappos s'organise pour réussir à créer cette expérience client exceptionnelle. Nous verrons que rien n'est laissé au hasard, mais que tout est laissé au talent et à l'engagement de ses employés.

dimanche 23 octobre 2011

Et le bonheur dans tout ça, une exploration du cas Zappos (partie 1)

Fondée en 1999, Zappos est un leader de la distribution en ligne aux Etats-Unis spécialisé depuis sa création dans la distribution de chaussures (plus de 1000 marques) qui représente encore autour de 80% de son chiffre d’affaires. Depuis quelques années l’entreprise s’est diversifiée dans la distribution de vêtements, d’accessoires, de matériel de plein air ou d’électronique.
- 1,2 milliards de chiffre d’affaires.
- Cinq sites : Zappos.com (site de vente de chaussures et quatre sites spécialisés : chaussures haut de gamme, street wear, running et outdoor).
- 1500 employés.

L’ambition de Zappos est de se distinguer par l’expérience qu’elle fait vivre à ses clients.
Ce que l’entreprise réussit parfaitement. Elle est en effet reconnue comme un benchmark en matière de culture client. Deux indicateurs témoignent de son niveau de performance, exceptionnel dans son secteur d’activité :
- 75% des ventes sont réalisées par d’anciens clients.
- 43% des nouveaux acheteurs sont attirés par la recommandation d’un ami.

Zappos est aussi classée parmi les « best cies to work for » depuis trois ans : 23ème en 2009, 15ème en 2010 et 6ème en 2011.

Le moteur du succès de Zappos est décrit dans le graphique ci-dessous. Depuis toujours la mission de l’entreprise est de « live and deliver Wow ! » (vivre et livrer du Wow !). Le credo de Zappos, porté par son CEO Tony Hsieh est que pour créer le Wow :
- il faut donner du bonheur aux clients, grâce à une offre pertinente mais surtout à la qualité de la relation de service que Zappos entretient avec eux, basée sur la transparence, l’authenticité et une réelle empathie.
- or, « on ne donne pas ce qu’on n’a pas ». Pour que les parties prenantes (employés, partenaires) impliqués dans la création et la livraison du service se soucient du bonheur des clients, il est nécessaire que Zappos s’intéresse à leur propre bonheur et crée les conditions de leur épanouissement.

Les processus d’affaires de Zappos poursuivent tous ce double objectif. Et ils sont parfois détonants.

Zappos est une entreprise très particulière. Elle est jeune. Sa taille est réduite. Et son aventure doit beaucoup à l’influence de son créateur et CEO. Sa culture est très personnelle.
Si sa philosophie et certains de ses processus sont très personnels, le succès de Zappos nous apprend plusieurs choses qui peuvent nourrir la réflexion dans de nombreux autres secteurs d’activité. J'ai identifié huit règles majeures.


Les deux premières règles concernent la façon dont Zappos gère la relation client.

Règle 1 : Ne pas surpromettre. Ne garantissez que ce que vous pouvez réaliser à 100%.

Règle 2 : Pour créer une relation de service riche, créez un contexte responsabilisant afin qu’une vraie rencontre ait lieu entre vos employés et vos clients.


Les six autres règles sont plus « internes », elles décrivent les « coulisses de l’exploit », elles décrivent comment il est possible de créer un contexte qui permet à un employé de service de répondre aux besoins des clients :
- Son métier a du sens, il vit une pression interne.
- Il est en capacité d’exercer son métier de manière satisfaisante : les processus de fonctionnement sont pertinents, les outils adaptés et il est compétent.
- Il est épanoui, il se sent respecté et sent que l’entreprise ne le traite pas comme un numéro. Il pourra alors reproduire ces comportements avec les clients.


Règle 3 : Amenez chacun à trouver du sens à son travail, à percevoir son utilité et partagez le projet et la culture de l’entreprise pour générer un alignement

Règle 4 : Embauchez des personnes compatibles avec la culture de service de votre entreprise.

Règle 5 : Formez.

Règle 6 : Accompagnez les individus dans leur épanouissement personnel

Règle 7 : Misez sur la dynamique d’équipe.

Règle 8 : Utilisez des outils de mesure de la performance cohérents avec vos objectifs.


Dans une seconde partie nous détaillerons les deux règles qui touchent la relation client, puis, dans une troisième partie nous étudierons les éléments qui créent à l'interne la mobilisation des employés.

jeudi 8 septembre 2011

Faut changer, ça presse - Réflexions sur l'avenir de la presse (Partie 4)

Dans cette troisième partie d'une série de quatre billets, publiés en collaboration avec MA14, nous explorerons une autre dimension majeure dans l’évolution actuelle des médias et de la presse en particulier : les relations avec les clients. La question du « journalisme citoyen » est posée depuis des années. Le Printemps arabe lui a donné une nouvelle actualité. Notre réflexion n’abordera pas la question sous l’angle de la légitimité journalistique de cette évolution. Nous explorerons de manière objective les différents modèles existants dans les relations entre les médias leurs clients. Nous distinguerons trois situations possibles:
  • Le one to many
  • Le customer to business
  • Le community to business
Le one-to-many décrit la posture traditionnelle des médias. Du contenu est produit et diffusé largement sans permettre aux clients d’y réagir autrement que par le fameux courrier des lecteurs. La chaîne de TV, le journal papier, fonctionnait sur ce mode. Le support importe peu, certains sites internet restent dans cette logique. Cyberpresse par exemple ne permet pas aux lecteurs de réagir en ligne et n’utilise aucun des outils qui permettent d’interagir avec ces derniers. Le principe du C2B est d’impliquer le client dans la production de contenu. Cette logique s’est imposée avec les outils de l’internet 2.0. Avec les blogs, YouTube, Twitter, Facebook, etc., Les internautes se sont habitués à ce qu’on leur demande leur avis, voire à produire leur propre contenu. Cette tendance a évidemment un impact majeur sur les médias. L’implication du consommateur peut être plus ou moins importante : Type 1. Réagir au contenu proposé.
  • Procédé courant : ouvrir des articles aux commentaires des lecteurs…. ce qui présente certaines limites. On peut ainsi constater la tendance naturelle à l’insulte dès que les discussions d’échauffent. Notamment en traitant l’autre de fasciste ou nazi. Selon la règle énoncée par Godwin en 1990 au sujet du réseau Usenet : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s'approche de 1. »
  • Certains sites comme Le Monde, Libération, proposent ainsi un classement des articles les plus vus ou les plus commentés. Quant au New York Times, il base son classement sur les « most e-mailed » et « most viewed ». C’est une façon de s’appuyer sur la communauté des lecteurs pour faire émerger les sujets les plus pertinents pour la communauté de lecteurs.
Type 2 : En orientant la production du contenu
  • Le Figaro par exemple propose sur son site une « Info à la demande ». Il s’agit d’un sondage qui propose aux internautes de sélectionner le thème qu’ils souhaitent avoir approfondir par le journal. « La rédaction du Figaro travaillera sur le sujet le plus sollicité et publiera le résultat de ses recherches vendredi pour les abonnés Mon Figaro. »
  • Plusieurs médias proposent aussi à leurs lecteurs d’envoyer en amont les questions qu’ils souhaitent qu’un journaliste pose aux personnalités interviewées. La encore ce vieux procédé est remis au goût du jour par l’Internet et les SMS.
  • Enfin avec la téléréalité et le principe du vote, les spectateurs se sont habitués à influer sur le déroulement des émissions.
Type 3 : En participant à la production du contenu (du crowdsourcing) L’implication du lecteur dans la production du contenu peut être plus ou moins importante. Le phénomène n’est pas né avec Internet. Nous nous souvenons tous des radios demandant aux automobilistes de leur indiquer les accidents et les dangers sur la route. Mais la démocratisation des outils de production du contenu, et le direct rendu possible par les téléphones mobiles, ont multiplié le recours aux lecteurs dans la production du contenu. Les formes sont multiples :
  • Par exemple le site du journal gratuit 20 min. propose aux lecteurs, en partenariat avec Kodak, de devenir des « Reporters Mobiles » en envoyant photos ou vidéos. Les meilleures sont publiées sur le site du journal (autour de 150 000 vues).
  • Plusieurs journaux (Le Monde, Libération, 20 minutes, Cyberpresse, Les Affaires) proposent des plateformes d’accueil de blogues de lecteurs dont les productions lorsqu’elles sont pertinentes sont intégrées sur les pages d’accueil du site parmi les articles, juste signalés par un pictogramme. Ces contributeurs réguliers sont des journalistes qui approfondissent les thèmes qui les intéressent, ou des lecteurs qui partagent leur expertise sur un thème particulier. Sur ces sites, une rubrique dédiée dans les colonnes de droite des sites permet aussi d’accéder à l’ensemble des productions des blogues hébergés par le journal. Le site du Monde consacre une rubrique particulière à ces contributions externes intitulée « L’actualité vue par les abonnés : Vos meilleures contributions sélectionnées par la rédaction du Monde.fr ». 20minutes.fr propose une page « Une des lecteurs » qui regroupe les différentes formes de contribution de crowdsourcing sous quatre catégories : Reporter mobile, Débats, Les blogs, et Vous interviewez.
Même si c’est la situation la plus courante, le crowdsourcing n’est pas uniquement créé sur Internet pour Internet. Le contenu créé sur le public peut alimenter d’autres supports.
  • Certaines revues utilisent Internet pour recueillir du contenu qui sera publié dans la version papier de la revue. L’Equipe magasine par exemple lance des débats sur son site Internet Lequipe.fr dont les résultats ne seront accessibles uniquement sur papier.
  • Certaines émissions TV sont entièrement bâties à partir du contenu produit par le public. On pense immédiatement à l’inusable et internationale « Videogag » ou de manière plus subtile à feu l’émission de Canal + : « Les films faits à la maison » qui diffusait le meilleur des vidéastes.
  • Une des expériences les plus extrêmes en la matière a été la défunte revue Vendredi créée en France en 2008 par Jacques Rosselin, fondateur de « Courrier International » et qui sélectionner et publier toutes les semaines sur papier les meilleurs articles de blogues.
Un troisième type de rapport est de faire du média un lieu de rencontre d’une communauté d’individus regroupés autour d’un même intérêt, lequel peut être pointu (le sport par exemple) ou très général (l’actualité). Dans ce cas, une partie de l’intérêt pour l’individu va au-delà du contenu proposé par le média, et réside dans l’interaction avec les autres membres de la communauté. Nous avons identifié trois exemples sophistiqués qui illustrent bien le concept :
  • RDS.ca a ainsi développé une communauté nommée « Le grand club ». Chaque membre crée sa page, multiplie les liens avec des « coéquipiers » qui peuvent s’abonner à son fil de publications. Des groupes thématiques sont aussi créés.
  • L’Equipe a créé « Empire of Sports », la plus grande communauté de sportifs virtuels au monde. A la fois centre d’information (avec on module d’information en temps réel Infolive), jeu (un jeu PC gratuit avec des compétitions organisées dans 6 sports) et espace de rencontre (1 centre d’entraînement, des évènements en phase avec l’actualité sportive, la présence des avatars de plusieurs sportifs de renommée internationale, etc.). Nous n’avons pas pu trouver de statistiques sur le nombre de membres.
  • En lien avec son histoire et ses valeurs, Libération a beaucoup travaillé cet aspect en proposant à sa communauté de Libénautes des fonctionnalités de type réseau social. Chacun crée son profil, le renseigne. Il est possible d’accéder à l’ensemble des commentaires que le ou la Libénaute a posté, de lui envoyer un courriel, d’envoyer son profil à un ami ou de l’ajouter à ses favoris pour suivre toutes ses interventions en réaction à un article ou dans les forums.
Conclusion : des interactions à inventer. Il n’y a évidemment pas de bonne façon d’interagir avec ses lecteurs. Sur ce sujet, les trois critères demeurent :
  • Les comportements des clients / lecteurs : quelle valeur a pour eux les échanges avec la communauté ? La communauté d’utilisateurs du média a-t-elle des affinités communes : parce que les individus partagent le positionnement politique du journal, sont des passionnés d’un sujet précis (la chasse, les voitures d’occasion, le hockey), ou pour tout autre raison ?
  • L’évolution technologique : les nouveaux outils multiplient les plateformes d’échange, de plus en plus mobiles et en direct, et avec elles les possibilités de faire vivre des communautés. Dans le futur quel pourrait-être par exemple, l’impact de la géolocalisation ou de la réalité virtuelle ?
  • Le positionnement : en fonction de sa mission, de son histoire et de ses valeurs, les formes d’interaction entre le media et sa communauté vont varier. Par exemple, Libération a beaucoup travaillé sur le sujet, parce que la dimension de partage communautaire est au cœur de son histoire et de la raison d’être de sa création. Ainsi dans les années 70 les clavistes étaient chargées de taper à la machine les articles manuscrits des journalistes. Elles avaient pris l’habitude de commenter ces articles au cœur du texte, déposant leurs avis entre crochets typographiques et signant NDLC (Note de la claviste).
L’exemple du Post.fr. Le Post .fr a été lancé en 2007 par Le Monde. Son positionnement est communautaire comme l’indique sans ambiguïté sa phrase de présentation : « Sur Le Post, suivez toute l'actualité et le meilleur du Web, partagez vos news et vivez l'info en groupe ! ». Concept : le site est une plateforme qui permet à une communauté de gens intéressés par l’actualité de déposer leurs articles et d’y réagir (ce qui ne va pas sans poser de questionnement sur la qualité de l’information déposée). Le Post propose plusieurs types d’information :
  • Des articles rédigés par les journalistes de la rédaction du site.
  • Des articles déposés par des internautes et qui sont sélectionnés par la rédaction du site (ils portent alors la mention : « choisi par la rédaction du Post ».
  • Des articles déposés et non validés par la rédaction. Ce sont des articles d’information qui explorent des éléments d’actualité peu couverts (souvent locaux), de curation à partir de sources multiples faisant la part belle à la vidéo, ou d’opinion.
  • Des pages personnelles sont crées par les internautes. Elles regroupent l’ensemble de leurs publications, des réactions à leurs Post, ainsi que leurs réactions sur des Post des autres.
  • Certains internautes ont un statut spécial. Ce sont des « blogueurs invités ». Ceux- ci ont une renommée sur la toile et sont conviés à commenter régulièrement l’actualité.
En décembre 2010 le site avait une audience de 2 821 000 visiteurs uniques selon Mediametrie-Nielsen-Netratings, ce qui en fait le leader du marché des « pure players » français devant Rue89, Slate ou Mediapart. Pourtant la question de sa survie a été posée au début de 2011. Les résultats économiques ne semblant pas totalement satisfaisants.