samedi 29 janvier 2011

La mort du web

Dans la livraison de Wired de septembre 2010, un article d’Anderson au titre provocateur : « The web is dead ». Les arguments sont vraiment convaincants. Synthèse.

Préalable : prendre bien soin de distinguer Internet et le world wide web (www.). Ce dernier est une application de l’Internet. Il en existe d’autres comme Usenet. Anderson constate la croissance de l’Internet et le recul du web.

Tout part d’un constat : la proportion de bande passante occupée par les différents usages de l’internet. Le www a connu un sommet en 2000. Il est passé depuis de 53% à 23% en 2010. Les applications qui se sont le plus développées : le peer to peer et la vidéo qui occupent aujourd’hui 48% de la bande passante.


Premier meurtrier du web : le développement des applications et des univers propriétaires

Les applications à succès comme Skype, Xbox Live, iTunes, iChat, Netflix, ou Facebook, sont des réseaux fermés propriétaires. Il est souvent difficile d’en sortir une fois qu’on les a adoptés. Et se pose la question de la gestion des données personnelles.

Le développement des smartphones changent aussi la donne. Les prévisions révèlent que dans les 5 ans les accès sur le net par terminaux mobiles dépasseront les accès par ordinateurs. Or sur ces outils l’accès à l’Internet passe principalement par des applications développées par les compagnies qui optimisent la navigation. Ainsi pour consulter un journal on clique généralement sur l’App plutôt que de passer par le navigateur. Ces applications invitent l’utilisateur dans un univers clos, totalement contrôlé par les entreprises.

Pour Anderson on passe du pull web (wide-open) au push des applications (semiclosed), ce qui constitue un retour au modèle de la fin des annés 90 illustré par AOL. Il considère que l’idéal libertaire de l’Internet appartient au passé et que les compagnies reprennent le contrôle. Cela répond aussi à une attente des consommateurs un peu perdus dans l’immensité du web, en recherche d’efficacité, et qui sont moins dans une phase de découverte, et sont prêts à payer pour cela. Il l’illustre en se demandant : pourquoi les gens sont-ils prêts à payer sur iTunes alors que c’est facilement accessible gratuitement ailleurs


Second meurtrier du web : le passage du free au freemium

Le CPM (price of ads per thousand impressions) est en baisse. Les modèles d’affaires basés sur la publicité seraient donc en danger. Anderson prédit que le modèle du free (financé par la publicité est en danger). Le freemium va se développer. Dans ce modèle il existe un accès gratuit à des fonctionnalités limitées. Pour accéder à l’ensemble des possibilités, il faut payer un abonnement. C’est ce à quoi répond la multiplication des applications et des mondes fermés.



Critique de l'article

J'ai choisi de ne pas reproduire le graphique de l'article. La variable % d'occupation de la bande passante ne me paraît pas la meilleure. Une vidéo pèse plus qu'une page web. En réalité l'utilisation de l'internet continue de croître comme le montre le site boingboing à partir des mêmes données. Le web n'est pas mort. Il continue à se développer. Le message clé, au delà du titre provocateur, est le constat du développement des applications et de ce que cela change dans la relation entre clients - internet - entreprises.


Impacts stratégiques

Il est temps pour beaucoup d’entreprises de changer la vision qu’elles ont de l’internet. Ce n’est plus l’environnement ouvert, assimilé à une jungle, soumis à l'incertitude de la navigation d'un internaute volage. A travers les applications les entreprises ont l’opportunité de développer des univers fermés et contrôlés dans lesquels elles peuvent développer la relation qu’elles veulent avec leurs clients. Leur site internet n'attend plus le passage du client, elles vont vers le client dans une relation qui est bien plus efficace qu'à travers une newsletter. C'est une option que toute entreprise devrait analyser.

Complément : critique de l'article par Francis Pisani.

samedi 15 janvier 2011

2.0

Dans le cadre de mes recherches de doctorat, j’ai fait un petit tour de la littérature scientifique pour tenter de donner une définition du virage 2.0. Partage.

Tout est aujourd’hui 2.0 : l’Internet, les entreprises, Marseille-Bordeaux. Le terme a été cité pour la première fois en octobre 2004 par O’Reilly. Il décrit une évolution technologique qui a quatre caractéristiques majeures :
- La contribution des utilisateurs (user generated content),
- Le fonctionnement par communautés,
- L’informatique dans les nuages (cloud computing),
- L’open source) et le creative commons.

Ce nouvel environnement technologique a vu de nouvelles entreprises émerger et s’imposer, dont l’emblématique Facebook. Les modèles d’affaires des entreprises 2.0 ont bousculé les entreprises 1.0. Wikipedia a triomphé de l’encyclopédie Britannica Online. Aujourd’hui toutes les entreprises se questionnent sur leur virage 2.0. Une vague d’innovation dans les modèles d’affaires est à prévoir.

La contribution des utilisateurs

Elargissement de la bande passante, développement de plateformes (YouTube, Flickr, Blogger, Typepad, etc.) accessibilité grandissante du matériel et des logiciels de production audio-vidéo, plusieurs raisons techniques expliquent la possibilité qui s’est développée pour les utilisateurs au milieu des années 2000 de créer et d’uploader du contenu et pas seulement de consulter le contenu disponible. Ainsi en décembre 2010, YouTube estimait que 35 heures de vidéo étaient envoyées chaque minute.

Une illustration du phénomène est le concept de folksonomie qui se substitue à la taxonomie. Par exemple sur Flickr, les internautes qui déposent des photos ne les classifient pas en fonction d’une taxonomie disponible (top-down), mais identifient les mots (les tags) qui pour eux décrivent le mieux leur photo, ainsi, à partir des usages des internautes, s’agrège une folksonomie (bottom – up).

La contribution des utilisateurs donne de la valeur aux plateformes qu’ils utilisent. Par exemple Google Earth s’enrichit des photos que les internautes déposent en les géolocalisant. Cela crée un effet de réseau classique qui renforce l’avantage concurrentiel des leaders qui recueillent le plus de contributions.

Rien ne résiste à la volonté d’expression et de contribution des internautes, ce que l’on pourrait nommer la culture « hackers ». Ils donnent leur avis sur les services reçus . Ils n’hésitent plus à manifester leur mécontentement au sujet de l’offre ou des comportements d’une compagnie. Ajouter « sucks.com » à la fin du nom d’une entreprise amène de façon presque certaine à un site où des clients se plaignent. Ils détournent sans vergogne les logos, les campagnes de publicité et les produits. Par exemple sur le blogue IkeaHackers.net, une communauté de joyeux bricoleurs explique comment elle transforme les meubles Ikea pour les embellir, les rendre plus pratiques ou les adapter à une tâche particulière.

Plutôt que de résister, certaines entreprises cherchent à exploiter ce désir de contribution de leurs clients. C’est une des dimensions du crowdsourcing. Certaines entreprises font voter leurs clients pour faire évoluer leurs offres. Par exemple à l’été 2009, Del Monte avait fait voté des femmes pour choisir l’acteur qui donnerait sa silhouette à leur crème glacée en bâtonnet. Résultat : Daniel Craig connu pour son rôle de James Bond.

Beaucoup créent des sites pour recueillir les avis des clients : Dell Ideastorm, Salesforce Community, Lab Transilien SNCF, etc. La construction de l’offre est ainsi de moins en moins push et de plus en plus pull, influencée par les attentes des clients. Dans certains cas, l’offre est elle-même constituée des contributions des clients. Le Post, par exemple, est un site d’information filiale du journal Le Monde. Une partie de son contenu est créé par des blogueurs invités et des contributeurs dont les informations sont vérifiées par la rédaction de journalistes. D’autres entreprises mettent leurs clients à contribution dans le marketing. Doritos par exemple va très loin en confiant tous les ans à ses clients le soin de trouver le nom et de concevoir la publicité pour un produit nouveau.

Le fonctionnement communautaire

L’Internet 2.0 est un support de développement pour une infinité de communautés regroupant des individus qui ont des intérêts communs. Des outils fédèrent ces communautés : Facebook, Twitter, LinkedIn, Vimeo, forums, etc. (Hunt, 2010). En quelque sorte, chacune d’entre elle peut être perçue comme une niche. En leurs seins, les échanges entre membres, de pair à pair (P2P), sont fréquents et souvent gratuits.

Cela a un impact majeur en ce qui concerne le marketing. Le marketing viral cherche à exploiter ces réseaux de bouche-à-oreille virtuel. L’approche est mieux ciblée donc moins coûteuse avec des effets de levier beaucoup plus rapides (par exemple pour lancer un nouveau produit). Le marketing devient de plus en plus un dialogue entre l’entreprise et les communautés qu’elle sert.

Plusieurs entreprises essaient aussi d’exploiter la dynamique P2P. Certains modèles purs ont émergé : les prêts communautaires qui se passent de banques (Prosper, Zopa, et autres). Autre exemple myprivatecompany.com, propose aux internautes d’investir un petit montant sur les chanteurs qui s’inscrivent sur le site, pour devenir l’un de leurs producteurs. Il arrive que le modèle fonctionne. Ainsi le chanteur Grégoire a été le premier succès de myprivatecompany.com. Il a vendu plus d’un million d’exemplaires de son album. D’autres entreprises cherchent à intégrer cette logique dans leurs modèles d’affaires. Par exemple Burton a fait un gros effort pour regrouper une communauté de surfeurs autour de sa marque.

L’informatique dans les nuages

L’informatique dans les nuages permet d’envoyer sur des serveurs distants ce qui normalement est présent sur son ordinateur : logiciels, données, etc. Une application de ce type est déjà entrée dans l’usage quotidien. Il s’agit de la gestion des courriels : avec gmail, hotmail et autres, ils ne sont pas stockés sur nos ordinateurs, mais restent dans les serveurs des fournisseurs. Dans ce contexte les compagnies ne vendent plus des logiciels mais du service (software as a service, SaaS).

Pour les fournisseurs, le changement de modèle d’affaires est radical. En particulier, en devenant des firmes de services, la capacité à gérer des opérations devient une capacité clé . Du point de vue du client, cette philosophie a un impact majeur sur l’architecture du système d’information du modèle d’affaires.

L’open source et le creative commons

L’internet 2.0 est celui de la circulation des idées et de la force de la communauté. Il est étonnant de constater combien de temps et d’énergie les individus sont capables d’investir dans des projets gratuits (wikipedia, yahoo answers, spacehack , etc.) juste par passion. Dans ce contexte, La notion de propriété intellectuelle telle qu’elle est vue de manière classique est remise en question. L’open source et le creative commons apparaissent comme des moyens de donner un cadre légal à ce phénomène.

Les plateformes de partage en ligne (Flickr, Youtube, etc.) sont nées de cette logique. Certains secteurs sont profondément ébranlés par cette évolution. Pensons au secteur de la musique ou de la télévision. Plusieurs entreprises se sont appuyées sur l’open source et le creative commons pour faire évoluer leur modèle d’affaires. L’open source est au cœur de la stratégie du AppStore puisque les applications sont développées par des milliers de compagnies, moyen pour Apple d’assurer une grande diversité d’applications disponibles (ce qu’elle ne pourrait réaliser en interne) sans en assumer les risques.

Dans le même ordre d’idées, Lego propose à ses utilisateurs de mettre en ligne les plans de leurs créations pour inspirer les autres, habiles façon de créer de la valeur pour les clients sans avoir besoin d’investir. Les journaux en ligne intègrent de plus en plus de blogueurs qui fonctionnent dans une logique de creative commons. Exemple plus anecdotique Free Beer est une bière open source. N’importe quelle brasserie peut s’emparer de la recette pour l’améliorer à condition de mettre à disposition de la communauté sa propre recette et de respecter la charte graphique.


Note :
Spacehack est un projet inspiré par la NASA qui permet à des individus de contribuer au progrès scientifique, en participant par exemple à l’analyse de données (par exemple la classification des cratères de la lune à partir des photos), ou en étant partie prenante dans une démarche d’ingénierie open source.

dimanche 9 janvier 2011

Résolution 2011 : Intégrer la nouvelle génération

Iris Gagnon-Paradis m'a questionnée pour La Presse, sous l'angle des résolutions que devrait prendre un entrepreneur en 2011 avec la question : pourquoi faire de la place à la génération Y ? Le résultat est ici.
J'ai pris le temps de structurer les échanges, dont juste un petit bout a été retenu. J'identifie donc quatre bonnes raisons :
- Parce qu'il faut anticiper les départs à la retraite des boomers.
- Parce qu'on a besoin d'innover.
- Parce qu'on a besoin de devenir 2.0.
- Parce qu'on a besoin des jeunes pour le futur.
Pour chaque point, je propose une première bonne résolution pour 2011.


Parce qu'il faut anticiper les départs à la retraite des boomers.

80% des connaissances qui font qu'une organisation fonctionne et développe un avantage concurrentiel ne sont pas formalisables, on parle de connaissances tacites. Les processus et procédures, la connaissance explicite, sont décrits quelque part, en revanche le "tour de main", les "secrets de cuisine", les relations personnelles avec des partenaires ou des clients, se trouvent entre les deux oreilles, dans le coeur et au bout des doigts des employés. Les boomers détiennent en bonne partie ces connaissances issues de l'expérience. Pour assurer la pérennité des organisations, un transfert est nécessaire. Cela s'organise et s'anticipe.

Une bonne résolution pour commencer :
Anticipez. Identifiez les postes à forte intensité de connaissance tacite dont le détenteur partira à la retraite dans l'année. Définissez avec la personne un contrat de transfert. N'oubliez pas que la meilleure façon de transmettre de la connaissance tacite, c'est dans l'action. Transmettre c'est collaborer.
Systématisez. Dans chacune de vos équipes demandez à chacun d'identifier les connaissances qui ne sont écrites nulle part, que les autres ont et qui lui seraient utiles, ainsi que les connaissances qu'il détient, et qui seraient utiles à d'autres s'il quittait l'entreprise le lendemain. Cela permet de définir des demandeurs, des offreurs et des types de connaissances. Demandez aux équipes de définir quelles connaissances transmettre et comment les transmettre. N'oubliez pas que les jeunes apprennent dans l'action et les boomers dans une relation maître-élève.


Parce qu'on a besoin d'innover

Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, l'innovation est un incontournable. Une innovation à tous les niveaux, dans l'offre mais aussi dans les modes de gestion, les processus de fonctionnement, l'utilisation d'internet, etc. Les jeunes et les personnes d'expérience ont des contributions très complémentaires dans l'innovation. Généralement les jeunes arrivent avec de nouvelles idées, et les boomers ont une vision d'ensemble et une expérience qui leur permettent de bonifier les idées. Les jeunes sont des dynamiteurs, les boomers des raffineurs.

Une bonne résolution pour commencer :
Structurez. Pour tirer le meilleur du potentiel d'innovation dans votre organisation, structurez le processus de collecte, de sélection des idées, puis d'expérimentation et de généralisation des bonnes idées. Les choses ne se feront pas toutes seules. N'oubliez pas que le fait de pouvoir donner ses idées est un levier de motivation majeur pour les jeunes.


Parce qu'on a besoin de devenir 2.0
Wiki, Facebook, blogues, outils collaboratifs, et autres, ces outils sont des leviers de performance interne (en matière d'agilité, de productivité, d'efficacité dans la gestion des informations) et externe (dans l'enrichissement de l'expérience client ou la fluidité des relations avec les partenaires), qui restent très largement sous-exploités. Or les jeunes sont des indigènes de ces univers qui influencent naturellement les façons dont ils travaillent, développement leurs relations sociales, commercent ou apprennent. Sachez tirer profit de cette expérience.

Une bonne résolution pour commencer :
Explorez et expérimentez. Ciblez un sujet : la télétravail, le feed-back client, la circulation de l'information à l'interne, etc. , et demandez à un groupe de jeunes de réinventer la façon dont l'organisation fonctionne en se basant sur les nouveaux outils. Procédez à des expérimentations ciblées. Commencez par des petits pas dans l'organisation 2.0, vous verrez qu'avec la confiance vous finirez par trottiner.


Parce qu'on a besoin des jeunes pour le futur

Un succès durable repose sur l'engagement des employés. Or pour partie, les leviers de motivation des jeunes sont très différents de ceux des boomers. Et ils se désengagent beaucoup plus vite si le contexte de travail ne fait pas leur affaire. Pour caricaturer disons qu'ils voient le travail comme un outil dans leur épanouissement personnel. Ils fonctionnent en réseau, sont allergiques à la hiérarchie statutaire, ont une exigence de sens (le pourquoi derrière les choses), ont besoin d'autonomie et de responsabilité, et souhaitent être écoutés et pouvoir proposer leurs idées.

Une bonne résolution pour commencer :
Ecoutez. Rien de plus contreproductif qu'un comité de boomers qui se réunit pour imaginer ce dont les jeunes ont besoin. Allez leur demander, écoutez leurs besoins, leurs feed-backs et leurs idées sur l'environnement et l'organisation du travail. Intéressez vous à chacun d'eux, à son projet de vie, à la vision qu'il a de son avenir. Echangez avec elle ou lui sur comment son emploi actuel peut l'aider à progresser. Amenez les à percevoir que l'organisation et leur job sont un outil de leur épanouissement personnel.