lundi 19 octobre 2009

Stratégies de crise (partie 2)

Suite de l’exploration des stratégies de crise. Comme consultant je suis frappé par les réflexes de nombre de nos clients qui, face à la crise, ont pour réflexe le fameux : recentrage sur les fondamentaux.

Le recentrage sur les fondamentaux

Si je grossis (à peine) le trait, cela signifie :

- Ne rien changer de fondamental. En France, en particulier, les multiples rigidités (dont celles du droit du travail) ne permettent pas des adaptations rapides (par exemple en ce concerne la possibilité de transformer les organisations).

- Rogner l’os pour essayer de gagner quelques % de dépenses. Cela se traduit par un énième programme de réduction des coûts et de réingénierie des processus.

- Geler tout ce qui peut ressembler à du nouveau parce que dans un contexte d’incertitude, le nouveau c’est risqué et que dans le contexte on n’a pas les moyens du risque.

- Abandonner les perspectives long terme, parce que le long terme c’est incertain (copier / coller du point ci-dessus).

Pour beaucoup d’entreprises cette réaction est probablement pertinente (en stratégie il n’y a pas de règle générale). Cependant, certains impacts sont à craindre :

- Dans une entreprise bien gérée, les gains marginaux possibles sont faibles. Beaucoup d’efforts pour peu de résultats. Je suis parfois sceptique sur le fait que c’est là le meilleur retour sur efforts.

- Dans une ambiance de morosité, travailler sur la réduction des coûts et réduire les projets de développement, n’est pas ce qui est le plus mobilisateur, alors que justement c’est dans ces périodes d’incertitude que l’engagement de chacun est requis.

- Finalement, cette frilosité ne permet pas de renforcer l’avantage concurrentiel qui permettra de gagner des parts de marché lorsque viendra la reprise. Les crises bouleversent les conditions concurrentielles. Elles permettent à de nouveaux joueurs d’émerger, par exemple par qu’ils utilisent mieux les nouvelles possibilités offertes par Internet.

La meilleure défense, c’est l’attaque

Dans le numéro de Fortune du 31 août, une phrase de Immelt, le CEO de GE, résume une autre approche face à la crise : " The key is not to be so cowed by the crisis that you neglect to make long-term bets ".

Plusieurs exemples d’entreprises qui ont su faire face à la détérioration de leur situation sont cités dans l’article. Cinq principes peuvent être mis en évidence. Ils dessinent une posture stratégique qui concilie prudence et offensive.

1. Elaguer pour se recentrer sur le core business.

Dans un contexte de crise, il s’agit de concentrer les efforts sur ce que l’on fait de mieux. Ce recentrage passe par un élagage de l’offre. Une analyse SWOT par types de produits doit permettre d’identifier les produits et les services à abandonner.
Par exemple, lors d’une réunion, précisément appelée « big bang meeting », le CEO de Nalco (services dans le traitement de l’eau et l’énergie) a profité d’un de ses voyages en Asie pour réunir ses équipes dans une salle et leur a demandé de ne pas sortir avant d’avoir éliminé 25% de l’offre. Les discussions durèrent trois jours. A la sortie, toute une série de vieux produits s’est trouvée abandonnée.

2. Alléger la structure des coûts.


Dans le cas de Nalco, cette réduction de l’offre, a évidemment permis une réduction du nombre d’employés. Pourtant seulement 4% des 11000 employés étaient concernés (alors que le catalogue de produits était réduit de 25%). Plusieurs études (dont je recherche activement les références) montrent qu’une réduction forte du personnel soulage les comptes à court terme, mais handicape les entreprises à long terme.

3. Développer l’agressivité commerciale.

Paradoxalement, la crise est un moment pour gagner des clients. Ces derniers ont en effet des comportements plus rationnels. Ils sont donc plus sensibles aux arguments tentateurs. Redéployer les ressources pour une plus grande agressivité commerciale et un meilleur service au client est une stratégie poursuivie par plusieurs compagnies. Home Depot le fait avec ses "power hours"(voir la description dans la première partie de ce billet). Nalco a redéployé ses équipes sur les marchés en émergence, sans surprise la Chine, l’Inde et le Brésil.
Pour Avon, la crise a été une opportunité de développement de son réseau commercial (vente à domicile) à moindre coût. La croissance du chômage a créé un bassin de ressources compétentes et réseautées dans laquelle Avon a puisé pour augmenter de 10% le nombre de ses représentants. Comme ceux-ci sont payés à la commission, cette agressivité commerciale n’augmente pas les frais.

4. Innover
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De nombreux indices peuvent amener à anticiper que nous vivons une transition socio-économique majeure. Le monde de sortie de crise ne sera plus le même. Les attentes des clients auront changé ; les technologies auront évolué ; la préoccupation environnementale se sera développée ; les contraintes légales se seront durcies ; les concurrents venus des pays en développement se montreront très agressifs sur de nombreux marchés.
A peu près partout la dynamique concurrentielle va changer. De nouveaux acteurs spécialisés, nés avec la crise se développeront sur des niches. Ailleurs, des géants (Apple, Google, ou autre) se seront attaqués de manière inattendue à de nouveaux secteurs.
Pour survivre on n’a pas le choix d’innover, de se préparer à ce futur. Ainsi GE fait un effort massif en investissant dans la R&D pour stimuler l’innovation.

5. Reconfigurer la chaîne de valeur pour accéder aux ressources nécessaires.


Dans un contexte de crise, les budgets sont serrés, les activités sont recentrées sur le cœur de métier et les ressources sont rares. Pour développer la conquête, on gagne à ne pas rester seul. La crise est l’occasion de développer de nouveaux partenariats. Ainsi le programme de R&D de GE s’appuie sur des partenariats avec des organismes ainsi que des entreprises publiques ou privées (comme Cisco par exemple).
Une autre façon d’accéder à des ressources est de saisir les opportunités de rachats qui se présenteront. Cela suppose de se donner des marges de manœuvre (principes 1 et 2) et de chercher à se refinancer avant les autres pour pouvoir fondre sur les proies et ainsi accéder à des capacités qui permettront de renforcer l’avantage concurrentiel. C’est ce que firent Nalco ou Waste Management par exemple.

Et vous ? Quelle est votre stratégie ?

Bien évidemment toute stratégie est contextuelle. Appliquez les cinq principes et il y a de grandes chances que vous échouiez. Cependant ceux-ci constituent des angles d’analyse pertinents.
Si votre stratégie se résume à faire comme avant, en vous recentrant sur vos fondamentaux, et en réduisant les coûts (et les investissements à long terme sur des choses aussi incertaines que la R&D ou diverses expérimentations), attention. Vous avez peut-être raison. Mais prenez le temps du doute et laissez-vous inspirer par ces quelques exemples, ils pourraient vous ouvrir des horizons nouveaux.

lundi 5 octobre 2009

Stratégies de crise (partie 1)

Le numéro de Fortune daté du 31 août 2009 était soigneusement entreposé dans une pile sur mon bureau. J’ai profité d’un moment de libre pour m’y plonger. Deux articles décrivent les réponses de grandes entreprises américaines à la crise.

Le message clé : ne subissez pas la crise, repensez votre stratégie, adoptez-vous, il y a des opportunités à saisir ! Exemples.

Home Depot fait face à deux menaces majeures : la crise économique et l’effondrement de l’immobilier, ainsi que la croissance rapide d’un concurrent majeur Lowe. Une remise à plat du modèle d’affaires et de la stratégie d’imposait.

Pour structurer la réflexion, la direction s’est appuyée sur le modèle du Hedgehog concept de Collins. Celui-ci invite à se poser trois questions :


Un leadership produit ciblé

Question 1 : Dans quoi êtes-vous les meilleurs ?

Home Depot répond : la référence produit (product authority).
L’assortiment présent chez Home Depot doit être le plus large en ville. Cependant l’entreprise ne cherche pas à être leader sur toutes les catégories de produits. Elle ne cherche à augmenter son taux de pénétration sur les produits à faibles marges.
Plus finement, Home Depot a réalisé une segmentation de son offre en fonction des représentations du client, en distinguant des produits destination et des produits impulsion. Les premiers sont ceux pour lesquels les clients vont chez Home Depot (par exemple les matériaux d’isolation). Dans cette catégorie, il est essentiel que Home Depot soit la référence, le premier qui vient à l’esprit. Cela nécessite en particulier d’avoir le meilleur prix en ville. En revanche pour les seconds (par exemple des piles), Home Depot ne cherche pas à être la référence, ils peuvent être achetés n’importe où. La pression sur le prix est moindre. C’est l’occasion pour l’entreprise d’augmenter ses marges.


Le défi de l’expérience client

Question 2 : Qu’est ce qui nous passionne ?

Home Depot répond : le client.
L’avantage produit ne suffit pas. Home Depot met au cœur de sa stratégie l’expérience vécue par le client. Cela se traduit très concrètement dans les modes de fonctionnement. Deux exemples. Home Depot recrute des seniors qui peuvent partager leur expérience du bricolage en donnant des conseils très fiables aux clients. L’entreprise a aussi mis en place ce qu’ils appellent des « power hours », périodes de haute fréquentation durant lesquelles tout le monde doit stopper ses activités de back-office pour être en magasin et servir le client.


De la croissance à la productivité et l’efficience

Question 3 : Quel est votre moteur économique ?

Cet élément est peut-être le plus complexe à appréhender dans le modèle de Collins. La question est de savoir quel est l’indicateur utilisé pour mesurer la performance économique.
Home Depot répond : La productivité et l’efficience.
Auparavant Home Depot visait une croissance des ventes par mètre carré. Il s’agit donc d’un changement radical puisque l’objectif n’est plus d’augmenter le chiffre d’affaires par mètre carré (ce qui peut se faire au détriment de la rentabilité), mais d’augmenter la rentabilité à travers la productivité et l’efficience. Concrètement cela se traduit par l’abandon de plusieurs projets de nouveaux magasins, une réduction du personnel de soutien (et 10% de l’encadrement), ainsi qu’une chasse aux coûts (en changeant la marque de café servie aux comptoirs réservés aux professionnels, l’économie fut de 500 000 dollars).
Pour s’assurer que les décisions des directeurs de magasin allaient s’aligner dans la bonne direction, le mode de calcul de leurs bonus a été adapté. L’équilibre entre les objectifs de vente et de profit a été ajusté pour donner plus d’importance au profit.


L’entrevue avec Carol Tome, responsable des finances et des projets de croissance, est d’un – très – rare intérêt, d’une transparence étonnante. J’en conseille la lecture à qui s’intéresse à la stratégie.
Enfin, chers étudiants, l’article montre que les modèles que nous voyons en cours, ici le hedgehog concept, sont vraiment utilisés par les dirigeants.