samedi 27 mars 2010

Le mythe de la restructuration joyeuse

Dans la première livraison du magasine Premium, la traduction d’un article de Newsweek qui fait la synthèse de plusieurs études sur les impacts négatifs des stratégies de restructuration : « Le coup de balai qui tue » par Jeffrey Pfeffer. Des éléments qui vont dans le sens des réflexions de la note précédente.

Il est bien évidence que certaines entreprises n’ont pas le choix de restructurer, leur marché évolue à long terme (c’est le cas par exemple dans l’industrie de la presse). En revanche l’article nous donne des arguments supplémentaires pour nous méfier des stratégies de restructuration (avec réduction des postes) dans le cas d’entreprises qui s’ajustent à une baisse temporaire de la demande.

La cascade des coûts

Wayne Cascio, professeur à l’université du Colorado, recense dans son livre « Responsible restructuring » fait la liste des coûts directs et indirects des mises à pied :

- outre les frais directs (indemnités de départ ou de mise à la retraite anticipée),

- des frais indirects (hausse des primes d’assurance emploi, frais de replacement du personnel, plan social, coûts de poursuites légales, etc.),

- des coûts différés (coûts de réembauche),
En outre selon un sondage de l’American Management Association (AMA), à peu près un tiers des sociétés qui avaient procédé à des licenciements donnaient des contrats de sous-traitance à certains d’entre eux dans la mesure où ils possédaient des compétences dont l’entreprise avait besoin.

- des coûts de dépréciation d’actif (démotivation et peur du risque chez ceux qui restent, érosion de la mémoire d’entreprise, méfiance vis-à-vis de la direction). Ainsi le sondage de l’AMA, une baisse d’enthousiasme était constaté dans 88% des entreprises ayant procédé à des mises à pied. Le DRH de Southwest, la seule compagnie aérienne états-uniennes qui n’a pas licencié pendant la crise aérienne suivant les attentats du 11 sept. et qui est depuis devenu la compagnie la plus performante aux Etats-Unis résume bien la situation : « Si vos employés sont votre actif le plus précieux, pourquoi vous en débarrasser ? ».

Trois mythes

Cascio identifie aussi trois mythes (les arguments donnés dans l’article sont assez peu convaincants, les arguments du livre doivent être plus musclés) :
1. Les sociétés qui annoncent des mises à pied ont une valeur boursière supérieure à celle de leurs concurrents.
2. Les mises à pied améliorent la productivité d’une entreprise.
3. Les mises à pied accroissent la rentabilité.

Des impacts sociétaux

L’article s’intéresse aussi aux dimensions sociétales. Il signale un lien direct entre la perte d’emploi et l’augmentation des cas de dépression. L’article insiste sur une dimension généralement moins commentée : le sentiment d’injustice et de colère qui se transforme en violence. Il n’est qu’à constater les comportements qui se répandent dans les luttes sociales en France pour s’en convaincre : multiplication de la séquestration des dirigeants, menaces de faire exploser les usines, etc. L’article cite une recherche non identifiée démontrant qu’il y a un risque six fois plus grand pour les personnes licenciées (n’ayant jamais manifesté de comportement agressif) d’avoir des gestes violents comparativement à celles qui conservent leur emploi.

Une recherche néo-zélandaise démontre que les tentatives de suicide sont 2,5 fois plus nombreuses parmi les personnes sans emploi. Une étude de suivi durant huit ans des anciens employés de deux usines agro-alimentaires a montré que les cas d’automutilation ou d’hospitalisation liés à des problèmes mentaux étaient significativement plus élevés chez les inactifs que chez les personnes ayant retrouvé un emploi.

Une remarque cependant. Nous savons déjà que le chômage est destructeur. Il serait donc utile de comparer le devenir des personnes récemment licenciées avec la moyenne des chômeurs pour mesurer les effets spécifiques des mises à pied.

mercredi 24 mars 2010

Stratégies hybrides : les gagnantes de la crise

Quelle est la stratégie à suivre pour sortir renforcer de la crise? Intuitivement nous sentons tous que la rigueur, les coups de sabres et les restructurations ne sont pas les meilleures façons de préparer la reprise. Et pourtant il est bien difficile d’être audacieux par gros temps.

Dans leur article « roaring out of recession » paru dans la Harvard Business Review du mois de mars, Gulati, Nohria et Wohlgezogen livrent les résultats d’une étude qui nous donnent enfin des arguments pour réfléchir à cette question. Leur étude porte sur un sujet rare. Ils ont analysé le lien entre la stratégie poursuivie en temps de crise et la performance de l’entreprise à la sortie de la crise.

Bref détour méthodologique

La recherche porte sur les stratégies et performances de 4700 entreprises cotées en bourse, pendant les trois dernières crises : 1980 – 1982, 1990 – 1991 et 2000 – 2002 (parce que pour les chercheurs la crise s’arrête en 2002. Prévenez autour de vous, tout le monde n’a pas l’air au courant). Les niveaux de performance sont calculés sur la moyenne des trois années précédent la crise et des trois années suivant la crise.

9% de gagnants

Seules 17% des entreprises étudiées ont fait faillite pendant une des crises. Cependant les survivants eurent les plus grandes difficultés à s’en remettre. Ainsi 40% n’avaient pas retrouvé trois ans après la fin de la crise leurs chiffres de croissance des ventes et des profits d’avant crise. Seules 9% des entreprises avaient prospéré après la crise, obtenant des résultats meilleurs qu’avant crise et surclassant de 10% les résultats de leurs concurrents.
Qui sont ces survivants ? Quelle est leur stratégie ? C’est ce qu’étudie l’article.

Quatre types de stratégies en temps de crise


L’analyse met en évidence trois types de stratégies possibles en temps de crise.
- Les préventifs (prevention-focused) adoptent une posture de défense. Ils cherchent à éviter les pertes et à diminuer les risques. Ils réduisent les coûts, rationalisent leurs portefeuilles d’activités, préservent le cash-flow, réduisent leurs investissements
- Les conquérants (promotion-focused) au contraire partent à l’offensive. Ils se lancent dans de vastes opérations de changement pour prendre des positions, conquérir des clients qui seraient négligés par des concurrents, pousser la R&D, investir dans le long terme, acquérir des entreprises, etc.
- Les pragmatiques combinent des mouvements à la fois défensifs et offensifs.

Pour gagner ni préventif, ni conquérant


Il ressort de l’étude (voir graphique ci-dessus) que les stratégies préventives et conquérantes ne sont pas celles qui génèrent les meilleures performances.

La stratégie préventive a plusieurs effets négatifs :
- En faisant plus avec moins, l’entreprise finit par dégrader la qualité ce qui crée de l’insatisfaction client.
- La centralisation de la décision nécessaire dans une démarche de rationalisation enlève de la flexibilité. Le département des finances prend le pouvoir. L’entreprise se concentre sur son fonctionnement interne. Une « culture de ville assiégée » se développe qui laisse peu de place à l’audace et à l’innovation.
- Enfin la motivation des équipes est en berne, l’inquiétude se répand.
- Les capacités stratégiques sont altérées. Elles manquent lorsque la croissance revient.

Sony est un bel exemple. L’entreprise a appliqué cette stratégie durant la crise des années 2000 : coupure de 11% des postes, réduction de 23% des dépenses, de 12% de la R&D. Certes sa profitabilité a augmenté à court terme (8% en 1999 à 12% en 2002). Mais la croissance de ses ventes s’est effondrée de 11% en moyenne dans les trois années précédant la récession à 1% après. Pendant ce temps des acteurs ont affirmé leurs positions sur les marchés clés de Sony : Amazon (livre électronique), Microsoft et Nintendo (consoles de jeu), Samsung (postes TV). Sony n’a jamais pu retrouver son allant et l’entreprise est de nouveau en difficulté.

Il ne faut pas non plus être trop agressif.

La culture d’optimisme qui se développe et qui a un effet d’adhésion et d’entraînement des équipes a deux défauts.
- L’entreprise est moins attentive aux signaux de son environnement.
- Elle est aussi moins sensible aux difficultés internes. Et elles font les ajustements de coûts trop tardivement.

HP en a fait l’expérience. Au cœur de la récession de 2000, alors que ses profits étaient en chute libre, HP s’est lancé dans une stratégie de conquête : rachat de Compaq pour 25 milliards de dollars, augmentation des dépenses de R&D de 9%, investissement de 200 millions dans une campagne de publicité autour de la marque. Cependant à la fin de la crise, l’entreprise a eu beaucoup de mal à retrouver les niveaux de profitabilité de ses concurrents

La beauté de l’hybride

Comme souvent le succès est dans l’équilibre des stratégies. Les entreprises pragmatiques atteignent des meilleures performances (voir graphique ci-dessus). L’étude approfondit les composantes des stratégies hybrides qui combinent :
- Trois mouvements défensifs : coupures de postes, efficience opérationnelle ou un mixte des deux.
- Trois stratégies offensives : développement de nouveaux marchés, investissements dans de nouveaux actifs, ou un mixte des deux.
Le graphique ci-dessous présente l’impact des différentes combinaisons hybrides sur la performance (croissance des ventes et EBITDA).

Une combinaison est catastrophique (en rouge) ; d’autres sont moyennes ; une seule est excellente, celle qu’adoptent les 9% de gagnants dont les performances surclassent les autres entreprises.
Elle associe :
- une maîtrise des coûts par la recherche de l’efficience opérationnelle plus que par des coupures de postes
- au développement de nouvelles opportunités d’affaires. Ces entreprises investissent plus que leurs concurrents en R&D et en marketing et acquièrent de nouveaux actifs pour soutenir cette stratégie (usines, machinerie). Elles profitent ainsi des prix réduits.

Autrement dit les gagnants combinent une préservation voire une amélioration des capacités stratégiques à un réexamen de l’ensemble de leur modèle d’affaires : la configuration de la chaîne de valeur, l’organisation et la structure internes. L’objectif n’est pas tant de réduire les coûts à court terme (ce qui nécessiterait de les réaugmenter dès la reprise lorsqu’il faut réembaucher le personnel) que de mettre en place un modèle d’affaires durablement efficient. Ainsi l’entreprise est mieux placée que ses concurrents lorsque arrive la reprise.

Par exemple, en 2000, Target a créé un effet de levier qui lui a permis de partir en conquête de manière efficiente en s’appuyant sur son réseau. L’entreprise a mis en place un partenariat avec Amazon et créé avec 12 autres distributeurs une place de marché B2B.

L’approche hybride a enfin un impact positif sur le moral des équipes qui s’inquiètent moins pour leurs postes.

Peut-on croire ce genre de résultats ? Et qu’en retenir ?


Ce type d’étude nous renseigne sur les résultats des stratégies poursuivies par un agrégat d’entreprises. Elles analysent des écarts de performance, des probabilités de succès. L’analyse au cas par cas introduirait du brouillage.
- Il est probable que l’on peut trouver des entreprises préventives dont les résultats sont meilleurs que ceux de certains gagnants.
- Il est probable que l’on pourrait trouver des entreprises qui ont fait le choix de l’hybride gagnant et qui ont fait faillite.
Ces études ne garantissent pas le succès d’une stratégie. En ce sens la réflexion stratégique est contextuelle. Une entreprise doit faire sa propre analyse et prendre ses décisions en fonction de sa situation qui est unique. Alors que retenir de ces études ?

Les résultats d’une telle étude servent à allumer des lumières. Ils disent : attention, ce que vous croyez n’est peut-être pas vrai. Face à une crise, il est généralement plus pertinent :
- D’avoir une approche équilibrée, de ne céder ni à la peur castratrice, ni à l’optimisme conquérant.
- De ne pas détruire les capacités sur lesquelles repose l’avantage concurrentiel, par des coupures de postes, des cessions, ou autre. Au contraire, de les développer pour préparer la reprise.
- De chercher une amélioration durable de l’efficience du modèle d’affaires plutôt que de couper les coûts à court terme (puisque mécaniquement les coûts réaugmenteront quand il faudra réembaucher avec le retour de la croissance).
- De faire attention à l’évolution de l’environnement concurrentiel. En temps de crise, de nouveaux concurrents émergent. Dans une période où la sensibilité au prix des clients est exacerbée, une offre alternative et moins chère devient plus séduisante. Les avez-vous repérés ?

Quant à la solution, elle appartient à chaque entreprise.

lundi 8 mars 2010

Créer le Wow! : les leviers de l'expérience client

Précédemment j'ai mis en ligne une vidéo produite par ma boîte de consultants qui s'intéressait aux sept tendances des évolutions des attentes des clients. La vidéo ci-dessous permet d'aller plus loin. Elle introduit le concept d'expérience client et l'équation de l'expérience client.

Le concept d'expérience client a été introduit en particulier par Pine et Gilmore dans leur livre "The experience economy: work is theater and every business is a stage". L'idée centrale est que pour satisfaire et fidéliser les clients, il est nécessaire de renforcer la valeur-ajoutée de l'offre. Au delà des produits, des services qui ajoutent de la valeur au produit, il y a l'expérience vécue par le client. C'est pourquoi un café chez Starbucks ou au Café de Flore est facturé bien plus cher qu'ailleurs.

Pine et Gilmore définissent par ailleurs une étape supplémentaire : la transformation (le fait que le client se transforme comme individu dans la consommation). En ce qui nous concerne, nous avons intégré la dimension de transformation dans la définition que nous utilisons de l'expérience client.

Pour concrétiser le concept nous avons développé une équation qui regroupe les variables sur lesquelles agir pour développer l'expérience vécue par les clients et susciter le Wow!

Expérience client = Simplicité + Personnalisation + Conseil + Temps de vie + Apprentissage + Sensation + Emotion + Appartenance sociale

La vidéo ci-dessous présente cette équation.



Et ci-dessous le texte de la narration :

Les défis de l'expérience client

Les clients changent et sont de plus en plus exigeants. La concurrence est de plus en plus forte. Les nouveaux produits sont très rapidement copiés et vite désuets. Les outils technologiques modifient la relation avec les clients.

Alors :
- Comment se démarquer et ne pas faire du prix le seul argument de la concurrence ? - Comment devenir le premier choix des clients ?
- Comment fidéliser les clients ?
- Comment devenir une entreprise référence que les clients se recommandent entre eux ?

La qualité, le prix et la nouveauté des produits et services proposés sont naturellement au cœur de l’expérience vécue par le client. Une tendance lourde se dégage : proposer des produits et des services complémentaires et ainsi répondre à un univers de besoins. Les entreprises cherchent à simplifier la vie de leurs clients en devenant un partenaire privilégié qui les accompagne dans plusieurs aspects de leur vie.

Mais cela ne suffit pas…

Le consommateur cherche d’abord une réponse spécifique à ses besoins. Mais au-delà, il se construit, cherche à vivre des émotions positives, à se sentir en confiance et en sécurité. Il veut apprendre, se divertir, explorer des sensations nouvelles, et passer un bon moment. Ainsi pour enrichir l’expérience que vivent leurs clients, les marques jouent sur plusieurs leviers

Simplicité et efficacité

Les clients rêvent de simplicité et d’efficacité dans ses relations avec les marques. Ils sont de plus en plus irrités par les offres alambiquées, les catalogues incompréhensibles, les montagnes de formalités, les systèmes téléphoniques ou les sites internet labyrinthiques, les délais de traitement des dossiers, et autres désagréments.

Personnalisation

Les clients ne supportent plus d’être considérés comme des numéros. Ils souhaitent des solutions pensées pour eux qui répondent à leurs besoins spécifiques.
Que ce soit en matière d’options disponibles, de modes de facturation ou de livraison, les possibilités de personnalisation sont illimitées.

Conseil

Pour pouvoir faire des choix éclairés face à des offres foisonnantes et de plus en plus complexes, le client a besoin d’une information précise et de conseils pertinents. Les sources sont multiples : échanges avec les vendeurs, internet, magasines. Ce qui lui importe c’est de prendre des décisions, en tout connaissance de cause et en toute confiance.

Temps de vie

Dans un contexte où le temps est rare, le client ne veut pas avoir le sentiment qu’interagir avec un fournisseur lui vole un temps précieux. Cela impose par exemple d’élargir les horaires d’accessibilité, ou de faire des points de vente des lieux de vie qui s’intègrent dans le rythme de vie du client.

Apprentissage

A travers des ateliers, des cours, des podcasts, ou bien d’autres méthodes, les marques permettent à leurs clients de développer leurs connaissances en lien avec l’offre. Ainsi le client est plus compétent dans l’utilisation des produits ou des services. Et comme individu il devient plus mature dans l’expression de ses besoins et plus capable d’assumer son style de vie.

Sensations

Nous vivons dans un environnement où tout est de plus en plus esthétique, et agréable à l’œil et au toucher et plus confortable. En flattant les cinq sens, les marques tentent de faire vivre un moment riche de sensations aux consommateurs.
Les marques s’efforcent de développer un univers dans lequel les clients vivent des émotions positives. Elles cherchent à aller au-delà d’une relation rationnelle pour créer une « magie ». Cela passe en premier lieu par la relation d’empathie entre le vendeur et le client. Ce dernier a besoin de se sentir écouté et compris…. Il faut que le courant passe.

Appartenance sociale


La consommation crée des espaces d’expression identitaire. Les clients adhèrent à des marques dont ils partagent les valeurs et qui promeuvent un style de vie auquel ils adhèrent. Les marques deviennent des signes de ralliement autour desquelles se développent des communautés d’individus en situation de partage.

Conclusion


Les entreprises qui connaissent une croissance forte sont celles dont le bouche-à-oreille est le meilleur, celles que les clients se conseillent entre eux.
Au-delà d’un produit ou d’un service, ce que nous recommandons, c’est la richesse d’une expérience vécue, une réponse personnalisée, efficace et simple, une relation stimulante, enrichissante et agréable, et la confiance née du sentiment d’avoir été compris. En somme le sentiment d’exister comme individu au-delà de sa condition de client.

mercredi 3 mars 2010

Les Apple Stores : épiceries fines et cash machines (partie 2)

Apple mise sur l’expérience vécue par le client pour faire de ses Apple Store un concept à part, un concept à succès. Pour cela il faut créer un contexte organisationnel favorable. Certains points clés surnagent de mes lectures sur le sujet.


Axe 3 : Créer le contexte organisationnel


Assurer la disponibilité des vendeurs
Le service personnalisé est au cœur du concept. Se posent dès lors des questions de disponibilité et de compétence du personnel, ainsi que de processus de fonctionnement.

Pour assurer une grande disponibilité du personnel afin de réduire l’attente et de permettre aux vendeurs de prendre leur temps avec les clients, le taux de salariés au mètre carré est deux à trois supérieur à ce qui se pratique chez ses concurrents. Pour ceux que cela intéresse, le blogue Macgénération détaille la réorganisation récente de la force de vente pour assurer une meilleure disponibilité.

Maintenir un haut niveau de compétence

Apple investit aussi énormément sur la formation du personnel. Tous doivent être des passionnés de la marque. Les genius à l’orientation plus technique sont formés au siège de l’entreprise en Californie. ifoAppleStore.com (site non officiel), s’est procuré ce qui semble être la grille d’évaluation des compétences attendues au poste de Family Room Specialist. Pour ceux que cela intéresse c’est ici. Cela donne une bonne idée du style d’employés souhaités et l’on se rend compte que les savoir-être sont plus importants que les savoir techniques.

S’appuyer sur le mode de rémunération pour indiquer les priorités

La nature des objectifs fixés a un impact direct sur la dynamique face au client. Comme le dit Hervé Serieyx : « On a l’organisation de son système de rémunération ». Ainsi Apple a choisi de ne pas donner de primes directement sur les ventes réalisées, mais sur les résultats obtenus sur plusieurs critères dont la satisfaction client.

Assurer un pilotage en direct
Compte tenu des investissements réalisés et des frais fixes des magasins, un pilotage très fin est nécessaire. En effet, une réduction des coûts (sur le nombre de vendeurs par exemple) pourrait rapidement mettre à mal le positionnement des Apple Stores. Pour suivre l’évolution de la situation en direct, un système de caméras permet de détecter les mouvements des clients. Les gestionnaires des boutiques reçoivent ainsi en temps réel des données comme le pourcentage de passants qui entrent en magasin, le parcours réalisé par les clients et le taux d’achat. Je n’ai pas trouvé l’information mais j’imagine que le gestionnaire dispose des marges de manœuvre pour prendre des décisions localement au regard de ces informations. (Grand paradoxe managérial qui rend fou : je vous demande un reporting serré de vos activités, je vous inonde de statistiques, mais je ne vous donne pas le pouvoir ou le soutien pour agir localement).

Gérer les relations avec le réseau de distributeurs

Autre effet à gérer : la relation avec les distributeurs qui se voient canibalisés. Selon la revue Management, certains auraient constaté des baisses de 40% à 50% depuis l’ouverture de ces magasins. Cet impact est un grand classique pour toute entreprise qui met en place un réseau direct de distribution. Je suis curieux de voir l’évolution de la relation entre Apple et ses distributeurs. La marque a imposé ses produits comme des références que les clients demandent, il devient dès lors difficile pour un distributeur, même frustré, de s’en priver.

Un exemple à suivre ?

Le modèle Apple est-il imitable ? Sony ouvrira en mars prochain un concept similaire à Nagoya. Disney s’en inspire directement pour son prochain concept de Disneystores. Mais quid lorsqu’on n’a pas la force de la marque ou les moyens de ces géants ?
Plusieurs magasins (ne serait-ce qu’à côté de chez moi sur la rue St Jean à Québec, je pense à l’épicerie Moisan ou au chocomusée Erico) ou petites chaînes (voir par exemple Du Bruit dans la Cuisine) ont misé sur l’expérience client pour se différencier. C’est un positionnement exigeant dans la durée, mais qui peut se révéler payant.

Pensez-y : Comment pouvez-vous améliorer l’expérience que vous faites vivre à vos clients sur les critères suivants :
- Simplicité
- Personnalisation
- Conseil
- Temps de vie
- Apprentissage
- Sensation
- Emotion
- Appartenance sociale
Vos clients sont-ils prêts à payer pour ?
Avez-vous un personnel compétent pour le faire ?
Vos processus de fonctionnement sont-ils compatibles ?
Cela est-il compatible avec votre image ?
Que font vos concurrents dans ce domaine ?

mardi 2 mars 2010

Les Apple Stores : épiceries fines et cash machines (partie 1)

Dans le toujours intéressant magazine “Management” (une mine d’exemples et de cas d’entreprises), un article bien documenté sur les Apple Stores. Le titre est un bon résumé de la situation : « Comment Apple transforme ses magasins en cash machines ».

Premier constat : les 284 magasins installés dans 10 pays ont un rôle clé dans la stratégie d’Apple puisqu’ils en représentent près de 20% du chiffre d’affaires.

Second constat : les résultats sont impressionnants. Dans ce métier le moteur économique classique pour reprendre l’expression de Collins dans son concept du hérisson est le chiffre d’affaires au mètre carré. Les Apple Stores attendraient 30 000 euros au mètre carré, soit deux à trois fois plus que ses concurrents spécialisés en électronique, pour une marge opérationnelle de 20%.

La stratégie de Apple est claire : tout axer sur l’expérience vécue par le client. Pour la clarté de la description, je vais distinguer trois axes dans cette stratégie.


Axe 1 : répondre à un univers de besoins

Ce que veut Apple c’est répondre à un univers large de besoins numériques des individus d’aujourd’hui. Ordinateur, téléphone, terminaux personnels de divertissement (iPod, iPad), magasin de vente en ligne de produits culturels (iTunes, iBooks, ApStore), la gamme crée un univers cohérent et interdépendant qui permet de fidéliser le client.

Cette stratégie n’est pas unique. Sony la poursuit depuis des années, mais s’est fait distancer. Deux concurrents sont plus craints par Apple : Microsoft et Google. La lutte s’annonce intense dans les années qui viennent.


Axe 2 : « Tendre une embuscade aux consommateurs »

L’expression est de Steve Jobs et la stratégie est tr`s claire : renforcer sur tous les points l’expérience vécue par les clients. Pour explorer ces différentes facettes, je m’appuierai sur l’équation de l’expérience client que nous avons développée chez Groupe Forest.

Expérience client = Simplicité + Personnalisation + Conseil + Temps de vie + Apprentissage + Sensation + Emotion + Appartenance sociale


Simplicité :
Le magasin ne s’adresse pas aux spécialistes ni de la marque (plus de la moitié des acheteurs de Mac dans les Apple stores sont de nouveaux clients), ni de l’informatique ou de l’électronique. La volonté de simplifier a donc guidé les choix. Pour les accessoires, seules deux ou trois références sont proposées. Et au terme du processus d’analyse des besoins, les vendeurs ont pour consigne de ne conseiller qu’un modèle.

Le service après-vente, gros problème dans l’électronique, est particulièrement soigné. Au Genius Bar des experts formés au siège social d’Apple à Cupertino, Californie, résolvent des problèmes techniques gratuitement ou expliquera les choix possibles et les frais pour des réparations plus lourdes.

Personnalisation :
L’attention portée à chaque client est personnalisée. Celui-ci ne doit pas se sentir écrasé par la marque, mais au contraire sentir que Apple est à son service. Ainsi il est possible de réserver en ligne une séance de démonstration individuelle avec un vendeur. Ceux-ci ont d’ailleurs l’obligation de consacrer tout le temps nécessaire pour accompagner chacun des clients et répondre à leurs questions.

Conseil :
Dans cet univers complexe, le besoin de conseil est déterminant. Moment que tout utilisateur moyen redoute : le discours précis, documenté, souvent convaincu mais incompréhensible du vendeur-expert technique qui nous laisse invariablement perplexe face à la grandeur de notre ignorance. Dans les Apple Store, l’approche est radicalement différente. Le vendeur cherche à comprendre les besoins en partant de l’usage qui sera fait de l’appareil, puis il procède à une démonstration sur un des appareils. Il conclut par une seule suggestion. Pour entretenir cette relation de proximité autour des besoins numériques du client, le vendeur lui laisse sa carte de vite personnelle, encourageant des contacts ultérieurs.

Temps de vie :
La consommation n’est pas un moment en dehors de la vie. Cela pose en particulier la question de l’accessibilité du magasin. En installant ses magasins dans les lieux prestigieux où les gens se promènent, Apple a cherché à créer le sentiment d’une marque au cœur de la vie (on y va en se promenant dans un quartier agréable) et non d’une marque en rupture de la vie (sur un parking sinistre en zone périphérique). Le Apple Store de New York pousse le concept à son extrême : 5ème avenue, ouverture 24 heures sur 24.

Apprentissage :
Le doute sur sa capacité à utiliser un outil technologique est un frein fréquent à l’achat. Au-delà du conseil approfondi lors de la vente, le programme One to One permet aux clients de continuer à se former. Cet abonnement proposé lors de l’achat donne accès à trois formats : le face-à-face en séance individuelle avec un formateur Apple, en petit groupe, les ateliers de 3 heures permettent d'apprendre un sujet précis (par exemple : montage de film ou mixage), enfin le portail de One to One permet d'accéder à des centaines de tutoriels, de gérer les rendez-vous à la boutique Apple Store et de découvrir des créations réalisées par d'autres membres.
La façon dont est présenté sur le site apple.com l’expert d’Apple qui encadre les séances, témoigne du fait que Apple se voit comme allant bien au-delà d’une simple relation technique avec ses clients : « un expert en tout ce qui concerne Apple vous offrira assistance, soutien et inspiration créative ».
Cette relation d’apprentissage est un facteur de fidélisation. Le slogan de One-To-One l’affirme : « Apple Store. Venez pour magasiner. Revenez-y pour apprendre ».

Sensation :
L’ambiance du lieu a un impact important sur la propension à acheter. Apple a investi massivement dans le design de ses magasins. Dans tous, le design, la disposition et l’éclairage sont particulièrement soignés. Les plus grands, les vaisseaux amiraux, sont de véritables monuments, des destinations touristiques, présentées comme des « cathédrales de verre ». Et il faut avouer que l’entrée du Apple Store new-yorkais a quelque chose qu’un magasin Darty ou Future Shop n’a pas ; quelque chose, je ne sais quoi.



Emotion :
Créer chez le client une émotion positive est un facteur clé de vente. Au cœur de l’émotion ressentie par le client se trouve la relation qu’il a avec le vendeur et en particulier l’empathie ressentie.

Dans leur article paru dans l’International Journal of Bank Marketing (25, 2, 102-116), « Prediction of attitude and behavioural intentions in retail banking », Baumann, Burton, Elliott et Kehr (2006), concrétisent le concept d’empathie à travers trois questions :
› L’employé de ma banque me porte une attention personnelle
› Ma banque comprend mes besoins spécifiques
› Ma banque à mes meilleurs intérêts à coeur
On a vu que le rôle du personnel de ces magasins tel qu’il est défini par Apple répond aux deux premières questions. Quant au troisième critère, il pose une question clé sur la motivation des vendeurs : pourquoi travaillent-ils ? Très concrètement cela se traduit pour des vendeurs par l’indicateur qui est pris en compte dans le calcul de la part variable du salaire. Le cas classique est d’aligner cette dernière sur le niveau des ventes. Dès lors l’objectif devient de faire du chiffre. Au contraire pour s’assurer que son personnel ne cherche pas la vente à tout prix, Apple ne verse pas de commission directe. La part variable est liée à plusieurs critères. La revue Management cite « aussi bien le nombre d’extensions de garantie AppleCare vendues que le l’accueil réservé aux clients, évalué par leurs managers ».

Appartenance sociale :
Apple entretient depuis toujours son image d’avant-garde. Les Apple Store la renforcent. Au-delà Apple cherche à développer la communauté autour de sa marque. Ainsi les abonnés au programme One-To-One peuvent avoir accès aux créations des autres. Une façon de recevoir du feed-back et de s’inspirer.

Le travail de Apple sur le renforcement de l’expérience client est systématique et profond. Cela nécessite évidemment un investissement financier important. Mais au delà il faut créer un contexte organisationnel favorable : processus de fonctionnement, culture, compétences, etc. Nous verrons cela dans une seconde partie.


Pour ceux que le concept d’expérience client intéresse, je suggère trois dossiers thématiques que j’ai écrits :
- Et si les services financiers avaient leur iPod ? Développer l’expérience client dans les services financiers.
- Développer l’expérience client. Pour relever le défi client dans les services professionnels.
- Développer l’expérience client. Pour relever le défi client dans la distribution.