vendredi 19 décembre 2008

The contribution revolution : Quand le client travaille à son propre bonheur

Dans le livre fameux de Stan Davis et Christopher Meyer, « Blur », paru en 1999, une idée m’avait particulièrement frappé : le fait que dans une économie en réseau frontières des entreprises deviennent floues. Ainsi il deviendrait de plus en plus difficile de savoir où commence et où s’arrête la chaîne de valeur de l’entreprise.
Je suis frappé de constater combien, au cours de cette dernière décennie, cette vision s’est révélée vraie. Stratégies réseau, open innovation, impartition, etc. Pour exprimer la réalité de ces réseaux de chaînes de valeur étroitement imbriquées, Karlsson et Sköld (2007) vont jusqu’à proposer le terme d’extraprise manufacturière.

Dans le numéro d’octobre de la Harvard Business Review, un article aborde la question sous un angle intéressant et inhabituel : comment s’appuyer sur des contributions volontaires pour développer son entreprise. Son titre : « The contribution revolution – Letting volunteers build your business ». Dit autrement : comment faire de l’argent en faisant travailler les autres pour rien. Avouez que c’est tentant. Donc explications.

Cette stratégie repose sur quelques principes qu’il me paraît utile de rappeler pour mettre en contexte cette réflexion.

La part immatérielle dans l’offre augmente :
- dans sa conception : les produits font de plus en plus appel à des compétences pointues en design, ingénierie, connaissances juridiques et règlementaires, etc. ; la personnalisation des solutions nécessite par essence une augmentation de la part d’information « injectée » dans le produit.

- dans son contenu : la gestion de l’information prend de plus en plus de place dans les fonctionnalités d’un produit (voir par exemple l’électronique embarquées dans les voitures d’aujourd’hui).

- dans la relation entre l’entreprise et ses clients : les entreprises ont depuis longtemps dépassé une relation ponctuelle achat-vente pour développer la durabilité des relations en proposant des services complémentaires qui facilitent la vie de leurs clients (service après vente, puis en mettant en place des politiques de gestion de la relation client.

- dans sa dimension symbolique : les marques se développent et donnent aux produits une valeur globale qui dépasse leur valeur d’usage (un sac à main Louis Vuitton est plus qu’un sac à main).

La connaissance est évolutive et répartie
Dans un contexte de spécialisation de la connaissance et d’évolution rapide, il est très difficile d’identifier quelle est l’information pertinente et où elle se trouve. Il est moins efficace d’essayer de centraliser l’information et la connaissance que de laisser émerger l’information et la connaissance pertinentes (ex. Wikipedia) ou de trouver des moyens d’accéder rapidement à celui qui la détient (ex. Yahoo answers).

L’économie en réseau transforme la logique de valeur
Dans une logique industrielle, la rareté crée la valeur. Ce principe se trouve remis en question dans une économie du réseau où ce qui crée la valeur, c’est au contraire, la diffusion. Ainsi un téléphone n’a aucune valeur, il commence à avoir de la valeur quand il est connecté à un réseau. Et plus il y a de monde connecté au réseau, plus il est utile et a de la valeur, mais une valeur qui repose sur de l’immatériel (voir le point précédent).

Chaque individu a un grand besoin de s’exprimer et de participer
Les individus sont plus éduqués, mieux informés. Depuis toujours chacun se valorise dans son milieu parce qu’il en sait plus que les autres, et chacun recherche le feed-back des membres de sa communauté. En outre, de plus en plus, chacun cherche à exprimer sa créativité et ses multiples talents. Les nouvelles technologies élargissent ce cercle de partage et de possibilités créatives.

On est convaincu par des pairs

Foin des vendeurs et des experts de toutes sortes, celui ou celle qui a le plus de chances de nous convaincre c’est un pair. L’entrepreneur par l’entrepreneur (les chambres de commerce le savent bien), la mère de famille par la mère de famille (Tupperware l’a compris), etc. En s’adressant à des communautés d’individus partageant le même centre d’intérêt on peut obtenir un effet de levier qui rend plus efficace le travail de conviction fait auprès de chacun.

Forts de ces prolégomènes, revenons à l’article qui présente une taxonomie, vraiment originale, des différentes formes que peuvent prendre les contributions volontaires des clients, des partenaires ou des employés sur lesquelles une entreprise peut s’appuyer pour se développer. Je l’adapte légèrement.



La contribution des utilisateurs peut être active

Dans la gestion de la connaissance
- Les opinions et conseils : de nombreuses entreprises donnent à leurs clients, grâce à des sites internet dédiés, l’occasion de donner opinions et conseils qui permettent de guider les autres dans leur consommation et d’augmenter la valeur de l’information autour de l’offre. Ainsi Hyatt a développé Yatt’it un service en ligne de concierge, dans lequel chacun peut déposer ses conseils et bonnes adresses.
Ex. : inthemotherhood.com (produits d’hygiène corporelle de Unilever), leroutard.com (guides de voyage), amazon.ca (vente en ligne de produits culturels), etc.

- L’expertise : wikipedia est l’exemple ultime de cette tendance où la connaissance émerge de la communauté de manière non contrainte. Ainsi Best Buy a mis en place un site sur son intranet : BlueShirt Nation, qui permet aux employés d’échanger et de partager leurs expériences sur des problèmes professionnels ou de gestion de carrière. Les outils collaboratifs ouvrent de nouvelles possibilités dans les démarches de gestion de la connaissance (Knowledge management)
Ex. Wordreference.com (dictionnaire communautaire), la communauté d’utilisateurs de AT&T, etc.

- L’expression créative : En permettant à leurs clients de participer à la conception de leurs campagnes de communication, les marques libèrent une créativité parfois frénétique qui créé une effervescence à moindre coût dans les médias sociaux. Ainsi Bouygues Telecom a lancé un concours de création d’une vidéo pour créer un buzz sur internet autour du lancement de sa Bbox. Bouygues a été tellement surpris par la qualité des vidéos qu’ils ont finalement décidé de récompenser les deuxième et troisième prix (5000 Euros chacun), ce qui n’était pas prévu au départ.
Ex. : Suave demande à ses clientes de proposer des scénarios pour alimenter sa série d’émissions diffusées sur Internet ; Doritos a assuré à la vidéo sélectionnée une diffusion lors du Superbowl 2007.

Dans l’élaboration de l’offre
- La mise à disposition des biens : Les intermédiaires comme EBay ou d’autres plus spécialisés exoneo.fr (philatélie) ou cavalissimo.com (cheval) s’appuie sur le stock mis en ligne par leurs clients vendeurs.
- La création de l’offre : Certaines marques mettent à contribution leurs clients dans la création de leurs produits. C’est une pratique très courante dans le domaine du logiciel. Par exemple à travers le logiciel libre (par exemple Mozilla), mais aussi Microsoft qui fait de chaque utilisateur un testeur. Dans un autre ordre d’idée duproprio.com, un site immobilier, demande aux clients de déposer leurs idées d’amélioration du service sur le site. Ces idées sont évaluées par les internautes qui peuvent aussi laisser une explication détaillée de leur point de vue.
Ex. : avomarks.fr, threadless.com

La contribution peut aussi être passive.

Dans l’exploitation des données recueillies auprès des clients
- En exploitant les données sur les comportements de consommation. En naviguant sur internet, en consommant, les clients donnent accès à une série d’informations qui permet d’ajuster l’offre et l’approche commerciale. Par exemple d’identifier des opportunités de vente croisée (le fameux : les internautes ayant acheté … ont également acheté …).
- En exploitant les données issues de l’utilisation des produits. Ainsi Honda agrège les informations envoyées par les GPS embarqués dans les voitures de ses clients pour dresser une cartographie de la circulation.

L’exploitation de ressources inutilisées par les clients

- Le système téléphonique gratuit de Skype repose sur l’utilisation des capacités de calcul inutilisées sur les ordinateurs de la douzaine de millions d’utilisateurs qui sont connectés à tout instant. Ainsi Skype n’a pas à investir dans ses propres capacités.

Certains modèles d’affaire comme les logiciels libres ou EBay, exploitent très cette stratégie qui permet d’accéder à des ressources que l’entreprise ne peut pas développer en interne. Un des plus beaux exemples de ce type d’entreprises que j’ai croisées, est Dassault Système qui a développé autour de lui un écosystème pour assurer son développement. Un jour, il faudra bien que je vous en parle.

lundi 15 décembre 2008

Ego searching et bouche-à-oreille

Par l’intermédiaire de Vinvin interrogé par Thomas Clément (je cite mes sources, habitude d’universitaire), je suis tombé sur cette vidéo de l’excellent Gary Vaynerchuk. Personnage étonnant, entrepreneur à succès dans la distribution du vin avec Wine Library. Il se présente aussi comme un « social media sommelier ».
Gary délivre régulièrement ses réflexions sur le monde des affaires dans de courts messages vidéos. La vidéo ci-dessous est mon premier contact avec lui. Et ça décoiffe. Quelle énergie !



Je résume. Gary passe beaucoup de temps à chercher son nom dans les moteurs de recherche, ce que l’on nomme de l’ego searching. Mais ce n’est pas pour une satisfaction egotique (encore que si l’on écoutait Sigmund…). Gary fait de la vigie marketing.
Pour lui, ce que les gens disent de vous est décisif sans la réussite d’une entreprise. Et la meilleure place pour le découvrir c’est dans les blogues. Les coups de cœur, les expériences de service client cauchemardesques, les critiques de produits, les détournements de produits et d’image de marque, tout est là, à portée de clics. Une étude de marché en direct. Pour Gary, cette attention à l’écho que l’on a auprès des clients est un facteur de réussite déterminant.
Concluons avec lui : « You know how you win? You care ».

Non Gary t’es pas tout seul !
Cela m’a fait pensé à un article de Frederick Reichheld paru dans la Harvard Business Review en décembre 2003 intitulé « The one number you need, to grow ». Je l’ai utilisé à plusieurs reprises comme consultant avec des clients (parce que comme universitaire, ce n’est pas très sérieux de citer la HBR).
Sa recherche constitue une quête de l’enquête de satisfaction clients la plus pertinente. Il a donc testé une série de questions et vérifié celles qui permettaient le mieux de prédire la croissance d’une entreprise.
Résultat. La question qui permet le mieux de prédire le succès d’une entreprise (et de loin) dans tous les secteurs d’activité, est la suivante :

Dans quelle mesure recommanderiez l’entreprise X à vos amis ou vos collègues ?

Techniquement, l’auteur suggère une échelle de réponse de 1 (pas du tout) à 10 (tout à fait). Les personnes dont la réponse se situe entre 1 et 6 sont considérées comme des détracteurs. Celles dont le score est supérieur à 7 sont les promoteurs.
L’indicateur « promoteurs absolus » est obtenu en soustrayant le % des détracteurs à celui des promoteurs.
Le score obtenu en moyenne par 400 entreprises dans 28 industries est de 16%. Il y a donc... de la marge d’amélioration.

L’article montre les résultats pour trois secteurs : les compagnies aériennes, les fournisseurs d’accès Internet et les locations de voiture. Dans les trois cas, la courbe ressemble à ceci :

Tout entrepreneur (et tout consultant) le sait, ce qui fait le succès c’est le bouche-à-oreille. Dès lors une question intéressante pour enclencher une réflexion stratégique est la suivante :

Pourquoi mes clients recommanderaient-ils plus mes services ou mes produits que ceux de mes concurrents ?

samedi 13 décembre 2008

Décryptage de l’actualité stratégique, Pfizer a le souffle court (partie 2)

Qui sont ces entreprises de biotechnologies ?
Le modèle traditionnel est le suivant (je simplifie, forcément...) : un chercheur dans un laboratoire (souvent universitaire) identifie une molécule qui a du potentiel. Il dépose un brevet et crée son entreprise pour exploiter cette découverte. Il s’appuie sur du capital personnel, sur un réseau d’amis et quelques fonds d’amorçage et se lance dans la grande et incertaine aventure du développement d’un médicament. Au fur et à mesure de l’avancement dans les étapes cliniques, des capitaux sont levés pour financer la recherche, car le plus souvent l’entreprise n’a pas de revenus. L’entreprise entre parfois en bourse. Plusieurs scénarios sont possibles.

Plusieurs lignes de vie possibles pour les biotechs
- La plus fréquente : rien. La biotech tombe à cours de financement, les études cliniques sont des échecs, le créateur tombe amoureux ou tout cela à la fois.
- La biotech réussit à développer son médicament. Elle passe le plus souvent des accords avec des labos qui ont des compétences et des structures pour assumer la mise en marché. Souvent elle a aussi développé un portefeuille de produits pour diversifier le risque. C’est ainsi que se sont construits les success stories du secteur : Amgen et Genentech.
- La biotech est rachetée par un laboratoire pharmaceutique ou passe un accord de licence. En quelque sorte elle cède, d’une manière ou d’une autre, sa propriété intellectuelle ou l’usage de sa propriété intellectuelle à un labo qui va pouvoir poursuivre le développement du médicament, assumer les risques, et mettre en marché si la recherche aboutit.
Résumé : d’un côté des laboratoires pharmaceutiques à court de nouveaux produits, mais avec des moyens financiers importants. De l’autre des jeunes biotechs qui explorent dans toutes les voies une multitude de molécules. Résultat : les labos font leur marché, repèrent les biotechs aux molécules les plus prometteuses et les achètent ou signent des partenariats qui peuvent prendre diverses formes. En quelque sorte, c’est un moyen pour les labos d’externaliser la recherche.
Cette stratégie se nomme Open Innovation. Il faudra bien que j’en reparle un jour. Il s’y passe des choses fascinantes.
Revenons à l’article.

Pfizer a plusieurs stratégies pour procéder à une open innovation
- De l’acquisition & development : Identifier et acheter les biotechs prometteuses. Ce que monsieur Kindler appelle « être une société qui achète les molécules à coups d'offres publiques d'achats (OPA) ».
- Un accord de licence : la biotech reste propriétaire du brevet, mais cède son exploitation au labo qui paye en retour des redevances en fonction de l’utilisation qui est faite du brevet
- Un partenariat de développement : la biotech reste propriétaire du brevet mais est financée pour poursuivre ses développements et Pfizer a une priorité dans l’utilisation des médicaments produits (c’est aussi la stratégie de Roche avec Genentech). Dans ce cas la biotech touche des montants d’argent chaque fois qu’elle passe un jalon avec succès dans le développement du médicament.
- Le Pfizer incubator met à disposition des biotechs avec lesquelles Pfizer passe un accord, des ressources et des infrastructures pour les soutenir dans leur recherche.

La chaîne de valeur de l’industrie pharmaceutique peut être grossièrement résumée en trois phases
- La recherche : qui vise à découvrir de nouvelles molécules et à produire des brevets
- La phase de développement des médicaments à partir des nouvelles molécules, à travers les quatre phases cliniques
- La mise en marché des produits et le marketing.
Aujourd’hui pour résumer les biotechs sont fortes dans la recherche. Les grands laboratoires pharmaceutiques maîtrisent la gestion du développement des médicaments et surtout la mise en marché.


Une stratégie de spécialisation dans la chaîne de valeur
On pourrait donc imaginer une spécialisation dans la chaîne de valeur. Une stratégie extrême serait celle d’un laboratoire pharmaceutique qui fonctionnerait « à la Cisco » par A&D (Acquisition et Dévelopment). C'est-à-dire qui n’investirait pas dans la recherche, mais dans l’identification des jeunes biotechs à potentiel et dans le développement et la mise en marché des médicaments. Dans cette logique les capacités à maîtriser sont : une vigie fine des biotechs émergentes, une grande efficacité (et rapidité) dans les formes d’acquisition, une capacité à intégrer ces biotechs dans leur mode de fonctionnement, une capacité à gérer des projets de développement et des capacités en mise en marché et marketing.

Une stratégie d’intégration verticale
Pourtant ce n’est pas le choix de Pfizer. Les stratégies annoncées par monsieur Kindler visent à retourner au modèle d’affaires d’origine, celui d’une intégration verticale : de la recherche à la mise en marché.
- Une réduction des coûts, massive. Ce sont les visiteurs médicaux qui sont les plus touchés (cela s’explique aussi par l’évolution des stratégies de vente). Ainsi en France pour l’ensemble des labos, d’ici à 2010, ce sont 5 000 à 6 000 postes de visiteurs médicaux qui seront supprimés (20% des effectifs).
- Une réorganisation de la recherche car on ne fait pas de la biotech comme de la pharmacie chimique traditionnelle. L’article le décrit bien : « Les centres où travaillent des milliers de scientifiques vont évoluer : "Plus la recherche est massifiée, plus la créativité disparaît." Le groupe expérimente en Californie une "organisation plus fédérative de la recherche en biotechnologie, avec des unités plus petites, plus autonomes et collaboratives". »
- Une fusion avec un autre géant. Tous les experts prédisent qu’après une pause ces dernières années (durant laquelle le modèle de spécialisation de la chaîne de valeur s’est développé), le temps est revenu des mégafusions. Mais le risque est élevé et certains labos pansent encore les plaies ouvertes lors des fusions du début des années 2000.

Path dependency ou réinvention culturelle
Je ne sais pas si le retour au modèle d’affaires d’origine est meilleur qu’une évolution vers un modèle de spécialisation dans la chaîne de valeur. On peut supposer que l’équipe stratégique de Pfizer a mis quelques moyens pour y réfléchir, encore que cela ne garantisse rien, pensons à Ilford, à l’industrie bancaire états-unienne, ou à l’industrie automobile, Ce qui est certain, c’est que l’enjeu d’évolution culturelle est majeur. L’inertie culturelle, la « path dependency », peuvent être des pièges mortels.
France Télécom à l’époque avait réussi son virage internet en créant une filiale distincte Wanadoo, une nouvelle pousse protégée de la culture de sa maison mère. Thomson n’avait jamais réussi à se lancer sur le marché de la micro-informatique malgré ses efforts massifs.



L’avenir nous dira si Pfizer réussira à reprendre son souffle.

vendredi 12 décembre 2008

Décryptage de l’actualité stratégique, Pfizer a le souffle court (partie 1)

Un article du Monde, entrevue avec Jeffrey Kindlern nouveau PDG de Pfizer, intitulé « Alors que son modèle s’essouffle, Pfizer se veut moins arrogant » a attiré mon attention. J’ai fait quelques recherches sur les modèles d’affaires en biotechnologie, je donne un cours sur la stratégie d’affaires dans le monde pharmaceutique. J’ai des excuses.
Passons rapidement sur le titre, performance pour attirer le lecteur. J’apprécie particulièrement le « Pfizer se veut moins arrogant », simple, compréhensible. On apprendra plus loin que « Pfizer a changé, nous avons beaucoup travaillé sur nous même ». Ah cet effort de développement personnel universellement partagé ! Foin de la crise financière, nous traversons en réalité une crise du développement personnel. Mais je m’égare. Je vous propose de découvrir que l’article en dit beaucoup plus.

Fiche biométrique : Pfizer. leader mondial. 37,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires. 87 000 personnes dont 11 000 chercheurs. 150 pays.

Contrairement à ce que laisse supposer le titre de l’article, le modèle de Pfizer n’est pas le seul à s’essouffler. En fait le secteur pharmaceutique dans son ensemble vit ce que certains appellent une crise, d’autres une mutation. Considérant que les dépenses de santé continuent à croître, que les populations vieillissent et qu’une classe moyenne émerge dans les pays en voie de développement, les opportunités de marché sont là. Pourtant de profondes évolutions sont nécessaires dans les modèles d’affaires des laboratoires pharmaceutiques. Crise ou mutation, c’est donc à vous de choisir.

Les pressions d’évolution sont multiples, mais vu de loin, deux grandes raisons m’apparaissent majeures : la pression des Etats pour maîtriser les coûts de santé et la crise de la recherche.

1. La pression des Etats payeurs

Dans les principaux marchés l’Etat joue un rôle majeur dans le paiement des médicaments (jusqu’à présent la situation était différente aux Etats-Unis, 45% du marché mondial, mais la politique d’Obama devrait faire évoluer les choses). Les patients et les assureurs complètent dans des proportions variables. Pour maîtriser les hausses des budgets de santé, les Etats mettent en œuvre plusieurs politiques qui agissent comme des contraintes pour les laboratoires. Les principales sont les suivantes. Les conditions de fixation des prix de vente sont de plus en plus contraignantes. Les labos doivent prouver que leurs médicaments apportent une plus-value thérapeutique importante pour être sur la liste des médicaments remboursés et justifier des prix élevés. En outre les états déremboursent des médicaments dont les effets ne sont pas suffisants. Enfin ils favorisent la substitution par les génériques dès que les brevets expirent.

2. La crise de la recherche
Autre pression, la crise de la recherche. Pour donner une idée de l’enjeu aux non spécialistes, sachez que :
- développer un médicament est très aléatoire, et ce jusqu’à la fin du processus des tests cliniques
- développer un médicament est très long : une dizaine d’années
- développer un médicament est de plus en plus exigeant : les contraintes réglementaires sont de plus en plus élevées pour éviter les problèmes du type Vioxx
- développer un médicament coûte très cher. Les estimations varient, disons pour simplifier autour de 1 milliard de dollars
- mettre en marché un médicament coûte aussi très cher. Le nombre d’acteurs à convaincre est très élevé.
Bref, incertitude, durée et coûts très élevés, risque maximum.
Sachant qu’un brevet dure vingt ans, un laboratoire dispose donc de dix ans pour rentabiliser les investissements en R&D. Gardons nous de sortir les mouchoirs tout de suite, ils y arrivent certes moins bien qu’avant, mais encore très bien.
Ainsi dans son modèle traditionnel le laboratoire pharmaceutique est une machine à faire de la recherche pour produire continuellement de nouvelles molécules, développer des médicaments, mener les tests cliniques et mettre en marché ces médicaments. Ainsi, les labos réussissaient à compenser les pertes de revenus liées aux pertes de brevets qui permettent aux génériques de produire et vendre à moindre coût.
Sauf que voilà. Aujourd’hui ce modèle s’essouffle. Les pipelines de nouveaux médicaments ne sont pas assez fournis pour compenser les pertes de brevets. Par exemple le brevet du Lipitor de Pfizer contre le cholestérol, le médicament le plus vendu au monde, tombe dans le domaine public d’ici deux ans. Il représente avec 12 milliards de dollars à peu près le quart des ventes. Or Pfizer ne dispose pas à court terme d’un médicament pour le remplacer.
D’autant que les médicaments blockbusters (à large utilisation) seront de moins en moins nombreux. Le progrès scientifique amène à une spécialisation des médicaments pour des utilisations de plus en plus pointues. Donc il faudra remplacer des gros vendeurs, par un plus grand nombre de plus petits vendeurs. En conséquence, la capacité de R&D deviendra essentielle.


Problème résumé dans le graphique ci-dessus (source : Ernst and Young) les labos traditionnels investissent de plus en plus pour des résultats de moins en moins satisfaisants. Dans le domaine pharmaceutique, comme dans beaucoup d’autres, une rupture technologique est en marche depuis une dizaine d’années : le développement de la biotechnologie. Et le graphique montre que les biotechs obtiennent plus de résultats (mise en marché de nouveaux médicaments) en investissant moins en R&D.

Alors suspens….
Comment les laboratoires pharmaceutiques peuvent-ils faire face à leurs défis ? Réussiront-ils à survivre ?
Sont-ils condamnés face à la menace biotechnologique ?
Pfizer réussira-t-il à reprendre son souffle ?

Vous le saurez dans la seconde partie de cette analyse. D’ici là buvez de la camomille pour faire baisser l’angoisse.

lundi 8 décembre 2008

Michelin Fleet solution : le pneu au kilomètre


Régulièrement, je m’intéresserai à une entreprise dont la stratégie est surprenante, étonnante, détonante. Première visite guidée : Michelin Fleet Solution dont j’ai parlé dans un message précédent, le service qu’offre Michelin aux flottes des transporteurs routiers en Europe.
Quelques chiffres pour situer : leader en Europe, 20 pays, 260000 véhicules en gestion, 3200 points de services.
A l’origine le modèle d’affaires de Michelin sur ce marché était d’un grand classicisme : le fabriquant vend ses pneus à des grossistes, qui vendent à des distributeurs, qui vendent à des transporteurs routiers, qui entretiennent leurs pneus avec plus ou moins de compétences. Or il l’entretient d’un pneu a un impact majeur sur sa performance. Ainsi un pneu sous-gonflé de 10% augmente la consommation du véhicule de 1% et s’use plus rapidement. On comprend l’impact des pneumatiques sur le compte de résultats du transporteur.
Au début des années 90, Michelin commence à mener des expérimentations pour changer son approche. Explication à l’aide de mon nouvel ami le modèle à quatre bulles.

Besoins
Je ne connais pas les attentes des transporteurs routiers en matière de pneumatiques. Mais je peux supposer que le rapport qualité/prix joue un rôle important. Mais, au-delà quels étaient les besoins des transporteurs ? Répondre à cette question, c’est changer radicalement la perspective. Il est probablement que les besoins tournent autour de la réduction des coûts, de la simplification de la gestion des pneumatiques et de l’augmentation de la disponibilité des camions.

Capacités
Michelin est un expert dont les compétences couvrent l’ensemble du cycle de vie du pneumatique de la conception, au recyclage. Dans leur relation avec les transporteurs, une partie de ces capacités n’était pas exploitée.

Intérêts

La mission de Michelin est la suivante : « Contribuer de manière durable au progrès de la mobilité des biens et des personnes en rendant les déplacements toujours plus sûrs, plus faciles, plus agréables, plus économiques et plus respectueux de la nature et des Hommes ». Durabilité, simplicité, économie, sécurité, respect de la nature : ces mots décrivent l’utilité que les salariés de Michelin veulent avoir.

A ce stade la question est la suivante : comment les capacités et les intérêts de Michelin permettent-ils de répondre aux besoins des clients ? Le processus d’idéation a pu ressembler à cela.
« En cohérence avec la vision et ce qu’on aime faire, Michelin doit mettre à disposition des transporteurs son expertise tout au long du cycle de vie du pneu
- Pas mal.
- Attends j’ai mieux : ce que veut notre client c’est un résultat, pas des pneus. On pourrait prendre en charge la gestion de ses pneus. Il s’occupe de rien et il est plus performant. »

Finalement, MFS formule son offre ainsi :
- Simplifiez votre gestion : Concentrez-vous sur votre cœur de métier et vos priorités pour entreprendre l’esprit plus libre et être compétitif.
- Accélérez votre performance économique et écologique : Garantie d’entretien et optimisation du poste pneumatique, réduction de vos coûts fixes (personnel, administration), optimisation du poste carburant
- Optimisez la disponibilité de votre flotte : planification optimisée des interventions, réduction de la fréquence des immobilisations, service de dépannage performant dans 20 pays européens.
En somme le transporteur externalise la gestion de son poste pneumatique auprès d’un spécialiste qui prend en charge la gestion des pneus tout au long de leur cycle de vie (entretien, rechapage, recyclage, etc.)

Economie :
Reste à définir le modèle économique. Il y a plusieurs possibilités :
- Le modèle classique : le client achète un pneu et paye des services à l’usage.
- Un modèle de service : le client achète un pneu et paye un abonnement d’entretien.
Mais ces deux modèles ne sont pas compatibles avec l’idée d’une prise en charge par Michelin du poste pneumatique, et du transfert de responsabilité qui va avec. Le modèle qui est choisi est audacieux, innovant, mais logique : le pneu reste la propriété de Michelin et le client est facturé au kilomètre.
Cela permet de mettre en avant une autre promesse commerciale : « la variabilisation des coûts en fonction de vos revenus ». Les pneus n’ont un coût que si les camions roulent.
Cela coûte moins cher au transporteur et génère plus de revenus (du fait d’une plus grande disponibilité des camions), cela génère plus de revenus chez Michelin. Qui perd me direz-vous ? Les pétrolières, certa

MFS est un cas remarquable de réinvention triomphante d’un modèle d’affaires dans un secteur traditionnel. Il s’inscrit dans la tendance d’augmentation de la valeur-ajoutée offerte au client. Cela signifie dépasser la relation achat-vente pour devenir un apporteur de valeur-ajoutée dans la chaîne de valeur du client.
Ce cas montre aussi qu’au point de départ, une compréhension fine des besoins du client peut amener à des innovations majeures.
On mesure aussi les changements profonds qu’il a fallu apporter pour que cela réussisse : compétences, outils de gestion et de facturation, éducation des clients, etc. Pour moi, un facteur clé de cette réussite rapide, est le fait que Michelin est resté au cœur de ses capacités stratégiques et de sa légitimité perçue par les clients.

Teaser :

Niveau 1 : relation achat-vente,
Niveau 2 : apporteur de valeur-ajoutée,
Niveau 3 : …. suspens.
Je reviendrai sur ce sujet. Des suggestions ?

vendredi 5 décembre 2008

Dans la série « les outils stratégiques faits à la maison », aujourd'hui, capacités stratégiques et croissance des jeunes entreprises technologiques

Autour d’une bière ce soir, discussion avec Philip Boumansour, un jeune entrepreneur de talent de Québec autour des conditions de réussite de son entreprise de services web. Ces échanges houblonnés recoupent une expérience personnelle récente et des observations faites dans le cadre de mes recherches de doctorat. Triangulation de vendredi soir justifie partage.

Je m’intéresse dans cette analyse à des entreprises particulières : les jeunes pousses sur des marchés du savoir (haute-technologie, web, graphistes, consultants, etc.). Je me concentre sur les capacités de production (j'exclus la vente, la gestion financière, et autres).
L’exercice revient à positionner trois types de capacités stratégiques dans les premières phases du cycle de vie de l’entreprise. Dans ce but, et ne reculant devant aucun bricolage, je propose une matrice dont les deux axes sont les suivants :
- Intérêt qui prime dans la décision : la satisfaction du client ou l’entreprise (sa marge, sa productivité, sa performance opérationnelle, la fin de semaine en amoureux du patron, etc.)
- Facteur de motivation des acteurs : l’efficacité du projet (l’atteinte efficiente des objectifs, si je vous jure il y en a que cela motive) ou le développement du contenu (le décollage conceptuel, l’éclate technologique, l’orgie créative)

1ère étape : L’innovation produit

Dans un premier temps, la jeune pousse se concentre sur le développement de son produit. Le succès repose sur la créativité, la compétence et l’astuce de quelques créatifs et techniciens. Le plus souvent le fondateur est l’un d’eux. Il est d’ailleurs impliqué dans tout : le démarchage, le développement technologique et la gestion. Cette fine équipe, qui ne compte pas ses heures, est animée par la volonté de créer, d’inventer quelque chose de nouveau. C’est leur passion et leur compétence qui créent la différence et intéressent les premiers clients. Ces derniers aident à faire évoluer le produit et à en financer le développement. Leur satisfaction est un facteur clé dans la réalisation de ces premiers projets.



L’hypothèse est que dans cette phase la capacité stratégique clé repose sur les créatifs techniciens qui élaborent le produit sur lequel va reposer la différenciation sur le marché.

2ème étape : La prise de parts de marché
Imaginons que le produit soit différent. Le démarchage est fructueux. Les commandes rentrent. La structure artisanale de la première étape ne suffit pas. Une spécialisation s’effectue. Les tâches dans le processus de production sont segmentées. Cela permet d’améliorer la productivité et la qualité. Puisque le client n’a plus l’artisan d’origine comme interlocuteur unique, un poste est créé, celui de gestionnaire de projet, qui fait l’interface entre le client et les différents spécialistes.
L’objectif stratégique dans cette phase est de prendre des parts de marché rapidement pour installer un standard et obtenir un ROI rapide dans un secteur où les technologies sont vite désuètes. La satisfaction du client prime. C’est ce qui anime les gestionnaires de projet lesquels sont aussi des « tripeux » de contenu ou de technologie. C’est d’ailleurs pour cela qu’on les a choisis, afin qu’ils comprennent le produit et puissent échanger avec les créatifs-techniciens. D’un point de vue humain, c’est aussi leur seule chance de s’intégrer à l’équipe.
A ce stade, les entreprises sont souvent prêtes à sacrifier de la profitabilité au développement des parts de marché. Elles n’ont d’ailleurs pas de comptabilité par projet.



L’hypothèse est que dans cette phase la capacité stratégique clé repose toujours sur les créatifs et techniciens. Car c’est la qualité du produit qui permet de s’imposer sur les marchés.

3ème étape : La croissance
Tout va bien. Le produit fait la différence. La croissance est là. Plusieurs personnes ont été embauchées pour mener plusieurs projets en parallèle.
Pourtant à partir d’un certain seuil, des alertes se mettent à clignoter : les clients commencent à se plaindre des délais, voire de la qualité. Tout le monde est dans le jus. On improvise, on patche, on se débrouille, on travaille tard. Trop de projets, tous différents. La capitalisation des connaissances n’est pas optimale : on recommence les mêmes erreurs. Un projet prend du retard et c’est le bordel dans la production. Ca râle. Ca s’engueule. Ca se demande comment les autres font pour gérer. Un client veut un projet à court terme : « Bonne nouvelle, on va pouvoir monter le budget. » « Bon sang de vendeurs. Ils ne vérifient jamais rien. ! » Est-on capable de livrer dans les temps ? Et puis quels impacts sur les autres projets ?
Et là, mesdames et messieurs, devant vos yeux incrédules, une crise de croissance.
L’entreprise passe d’une étape de spécialisation à une étape de gestion de portefeuille de projets. Une nouvelle capacité stratégique s’impose: la coordination d’un portefeuille de projets axée sur l’efficience du projet et la préservation des intérêts de l’entreprise, notamment la marge de chacun des projets. Cette capacité ne peut pas être assumée par les gestionnaires de projet. Ceux-ci doivent se concentrer dans leurs projets respectifs sur la gestion de la relation contenu avec les clients et sur la gestion avec les créatifs et techniciens.



L’hypothèse est que la maîtrise de la coordination du portefeuille projets est la capacité clé pour réussir. Car c’est la capacité à assurer la profitabilité et la qualité des produits qui créent les conditions de la croissance.

Coordonnateur et gestionnaires de projets incarnent une dualité nécessaire à la croissance des entreprises technologiques : la passion du contenu, la rigueur de la gestion. Pour se laisser envoûter par les sirènes de la passion, beaucoup des jeunes entreprises qui commencent à réussir se brisent sur les écueils de la croissance. Jeunes entrepreneurs web, vous vous y retrouvez ?

jeudi 4 décembre 2008

Low price et low cost dans un bateau. Advint la crise. Que pensez-vous qu’il arriva ?

Comment réagir à la crise quand les clients sont de plus en plus sensibles au prix ?
La lecture de cet article m’a amené à penser à la question. Partage de ces réflexions. Le défi évidemment est de faire face à court terme sans mettre en danger le long terme. Car les crises finissent toujours par finir, comme les amours, les tablettes de chocolat et les gouvernements minoritaires. Donc revue des stratégies possibles.

La fausse bonne idée

- Downshifter le produit sans modifier le prix : en changeant la qualité des ingrédients ou le volume (par exemple passer un yaourt d’un volume de 125 ml. à 100 ml. ou mettre des graisses végétales dans le chocolat). A priori, mauvaise idée, quand il s’en rend compte, le client a l’impression qu’on le prend pour un c.

Baisser le prix : les stratégies low-price

- Baisser le prix du produit dans des opérations spéciales (2 pour 1, coupons rabais, etc.) ou durablement, tout en réduisant les coûts pour préserver les marges. Si cela peut permettre de stimuler les ventes à court terme, cette stratégie présente deux risques. A court terme, pour que la baisse de prix soit efficace, elle doit être significative. Dès lors comment réduire les coûts suffisamment pour préserver les marges sans entamer durablement les capacités de l’entreprise ? En outre le risque de dévalorisation de la marque est réel. A long terme, une fois la crise finie, augmenter les prix sera difficile : comment le justifier ?
Un exemple. Air Liberté, suite à des difficultés, la compagnie s’est repositionnée sur les bas prix, sans réussir à se transformer assez pour adopter un modèle low-cost. Low price et non low-cost, cela a duré quelques mois.

- Les price fighters : Certaines entreprises sont mieux armées. Elles ont développé et positionné des marques à bas prix qui complètent leur gamme de produits : par exemple Luvs pour Pampers, Aiwa pour Sony ou Logan pour Renault. Leur positionnement prix et la gestion spécifique de leur image de marque ne dévalorisent pas la marque premium. En situation de crise, elles sont mises en avant. Lorsque la crise finit, les investissements marketing se reportent sur la marque premium. Le risque majeur est la cannibalisation de la marque principale. Le phénomène a été observée dans le groupe VW : la Skoda Octavia a grignoté les ventes de la VW Passat. Les différences entre les deux véhicules développés sur une plateforme commune étaient réduites et ne justifiaient pas la différence de prix. Même chose pour la Logan de Renault, d’autant qu’à l’arrière des voitures est inscrit « Logan par Renault ». Paradoxalement, en situation de crise, où le client devient plus sensible au prix, le risque augmente.

Ces stratégies sont défensives. Un risque majeur est celui de la préservation de la marge. Le plus souvent elles s’accompagnent d’une réduction des coûts. Mais les possibilités de réduire les coûts dans des organisations qui travaillent sur ce sujet depuis des années sont réduites. Dans ces stratégies, les produits et les processus ne sont pas toujours très différents de ceux de la marque premium. Présentées souvent comme des stratégies low-cost, ce sont plutôt des stratégies low-price. En réalités les stratégies low-cost supposent une reconfiguration globale du modèle d’affaires.

Une stratégie offensive : le low cost

L'expression le dit, la stratégie low cost est basée sur une reconfiguration de la structure des coûts. C’est ce qui permet de baisser les prix. L’idée n’est pas d’optimiser un modèle d’affaires existant en chassant le gras, mais de développer un modèle d’affaires différent. Cela amène à remettre en cause les façons de faire. Par exemple éliminer les intermédiaires dans la vente en s’appuyant sur l’Internet (voir ryanair ou amaguiz.com).

Une stratégie émergente : la facturation à l’usage

Plutôt que de réduire le prix, une stratégie qui m’apparaît de plus en plus pertinente est de facturer à l’usage. Cela donne au client un pouvoir sur le prix qu’il paye. Lorsqu’il achète service, le client alors ajuster sa consommation à son budget d’une manière dynamique. Concrètement cela donne par exemple un assureur automobile low-cost, amaguiz.com, qui facture au km, ou RDS qui vend l’accès aux matchs des Canadiens 2,99$ le match sur Internet.

En appliquant ce principe à des investissements importants, par exemple l’achat d’une voiture, on peut imaginer un modèle d’affaires intéressant. Imaginons que les gens n’achètent plus de voitures (et constatons que ce n’est pas un gros effort d’imagination puisque c’est ce qu’ils font), mais que les constructeurs facturent à l’usage : tant du kilomètre.
Absurde ? En milieu urbain, des compagnies de location de voiture à l’heure ou au kilomètre se multiplient : voir par exemple communauto à Québec ou Montréal ou autolib à Lyon ou Paris.
Absurde ? Aujourd’hui Michelin Fleet Solution en Europe ne vend plus de pneus aux transporteurs mais facture en fonction des kilomètres parcourus (je vous explique ça en détail bientôt).

En résumé

Les stratégies low-price peuvent être des réponses pertinentes pour survivre à court terme et sont risquées à long terme.
Les crises sont des moments où l’on peut oser remettre en cause les fondamentaux, considérant que de toute façon l’environnement va s’en charger. Dans ce contexte, le modèle low cost ou la facturation à l’usage sont des pistes intéressantes.

mercredi 3 décembre 2008

A venir....

Deux choses en cours sur lesquelles je reviendrai ici amendné.

- Une critique (constructive, toujours constructive) du livre d'Isabelle Mahy, acheté avec l'espoir de belles découvertes : "Les coulisses de l'innovation - Création et gestion au Cirque du Soleil", aux Presses de l'Université Laval, 2008.

- Une réflexion sur le concept d'économie des liens, qui m'intrigue, me titille, m'électrise les lombaires, depuis la lecture de cette analyse sur l'excellent novövision.

Dans la série « les outils d’analyse stratégiques faits à la maison », aujourd’hui, définir un positionnement



Pour amener une équipe de direction à définir un positionnement, compte tenu de la tournure que prenaient les discussions, j’ai bricolé un outil qui a donné de bons résultats (peut-être était-ce dû au talent des gestionnaires, plus qu’au modèle, mais enfin…). Donc je fais tourner.

Le modèle est une adaptation très libre du « hedgehog concept » de Collins, une façon de définir un positionnement, dit autrement, ce pour quoi vous êtes le meilleur. Pour ceux que cela amuse, vous pourrez jouer au jeu des sept erreurs. Un indice : j’ai intégré une analyse des besoins des clients et adopté une perspective d’analyse des capacités stratégiques.

Quatre domaines de questionnement permettent de définir votre positionnement. Il m’apparaît qu’il y a un ordre de questionnement. Je propose de partir des besoins des clients, puis de raffiner les possibilités, en finissant par le juge de paix : la faisabilité économique.

1er domaine : l’analyse des besoins des clients
Distinction majeure : la différence entre les attentes et les besoins des clients. Dit vite, une attente est ce qu’exprime un client, le plus souvent cela répond à une partie d’un besoin. Mais pas toujours, un client peut avoir une attente qui va à l’encontre de son besoin. Par exemple emprunter alors qu’il est au bord du surendettement. Dans ce dernier cas, le besoin du client est une consolidation de sa situation financière qui lui permet d’avancer dans son projet de vie. Pour définir un positionnement distinctif et durable, il est plus pertinent de répondre à un besoin qu’à une attente. D’où les questions :
- Qui sont vos clients ?
- Quels sont les besoins de vos clients ?
- Quelle est l’offre (produits et services) qui répondrait à ces besoins ?


2ème domaine : l’analyse des capacités stratégiques
L’analyse des capacités stratégiques est un courant qui s’est développé dans les années 90. Il pose la question suivante : qu’est ce que l’organisation sait faire que les autres ne savent pas faire et qui est difficilement imitable ou transférable ? Cela se traduit dans des compétences, mais aussi dans la maîtrise de certains processus (ex. capacité à utiliser des outils d’usinage 5 axes). Le développement d’un avantage concurrentiel repose sur l’exploitation de ces capacités. D’où les questions :
- Quelles sont les capacités que vous avez et que les autres n’ont pas ?
- Quelles sont les capacités à développer pour réussir à offrir les produits et services qui répondraient aux besoins de nos clients ?
- Quelles sont les capacités auxquelles vous pourriez avoir accès, en les développant à l’interne ou à travers votre réseau ?


3ème domaine : l’intérêt des personnes
Ca paraît un peu bête, mais c’est très vrai : un avantage concurrentiel durable repose sur le talent et l’engagement des individus qui constituent l’organisation. Une des questions qu’il faut se poser en stratégie est la suivante : a-t-on l’équipe qu’il faut pour ce projet ? Les gens s’investissent dans des projets qui les passionnent (c’est encore plus vrai pour les jeunes générations). D’où les questions :
- Qu’est ce qui passionne les personnes qui constituent votre entreprise ?
- Dans quel type de projet ont-il le goût de s’investir ?
- Les offres qui répondraient aux besoins de vos clients, motiveraient-elles vos équipes ?
- Existe-t-il des moyens d’accéder à des ressources qui seraient intéressées par vos nouveaux projets ? (en créant une filiale, en fonctionnant par partenariat, etc.)


4ème domaine : le modèle économique
Le juge de paix de toute stratégie est la réussite économique. Il m’apparaît pertinent de finir par ce questionnement pour ne pas tuer les possibilités innovantes. Penser le modèle économique comme un moteur qui permet de livrer l’offre qui répond aux besoins des clients peut amener à des innovations importantes sur les modes de facturation. En la matière les possibles n’ont pas de limite : la facturation à l’unité ? l’abonnement ? le gratuit financé par la pub ? la facturation de services ? etc.
- Les options qui ont été identifiées sont-elles viables économiquement ?
- Quels sont les modes de facturation qui permettraient de rendre la livraison de l’offre profitable ?
- Le prix acceptable pour les clients nous assurerait-il une profitabilité satisfaisante ?


Toujours le même conseil d’utilisation. L’objectif n’est pas de remplir les cases. Un modèle est un outil, il propose une façon de regarder la réalité et de structurer une réflexion.

Cet outil a été testé une fois et a donné de bons résultats. Je vais le raffiner et l’utiliser à nouveau. Réactions ? Commentaires ? Enthousiasmes ? Indignations ?

lundi 1 décembre 2008

Pourquoi ce blog ?

Consultant, doctorant en administration des affaires, et chargé de cours à l’Université Laval de Québec, trois bonnes raisons d’amasser continuellement des curiosités sur la stratégie…

… et quelques frustrations :
- de ne pas avoir le temps de les partager avec les étudiants.
- de ne pouvoir écrire sur ce sujet qu’à la plume scientifique, ce qui suppose des arguments robustes supportant les tests de validité les plus exigeants. Et la stratégie-pastis alors ?
- de ne pouvoir échanger mes enthousiasmes et mes angoisses sur ce sujet, sans passer pour un dément ou un Bartleby, en résumé, un looser. Je ne croise pas dans tous les dîners des gens intéressés par le management stratégique.

Cabinet des curiosités stratégiques, ce blog sera tout à la fois :
- un lieu de partage de choses lues, vues et surtout pétillantes,
- un forum d’échange avec les lecteurs qui y trouveront matière à alimenter leurs réflexions,
- un espace de réflexions non abouties, de pistes abandonnées et d’intuitions qu’il vaudra mieux laisser en cet état,

Plus précisément je compte y déposer :
- des outils de réflexion stratégique qui peuvent toujours servir,
- des résumés d’articles scientifiques surprenants, stimulants, détonnants,
- des analyses de stratégies mises en œuvre par des entreprises qui se sont creusé la tête plus que les autres et ont fait preuve d’une imagination ou d’une astuce qui « secouent la pulpe du fond »