mardi 15 décembre 2009

Le jeu vidéo ne sera plus ce qu’il était (partie 2 : ça va « fighter » dur !)

Nous verrons dans cette seconde partie comment des facteurs de rupture modifient les règles du jeu, comment des espaces concurrentiels nouveaux émergent et de nouveaux concurrents se développent. Finalement nous nous demanderons quels enseignements sont généralisables.


Les ruptures technologiques

Plusieurs facteurs technologiques modifient radicalement l’échiquier concurrentiel.
Le premier est évidemment le développement de l’Internet. Quand j’étais jeune, chacun jouait sur sa console. On invitait ses copains le mercredi après-midi. Avec l’âge nous avons constaté une évolution. Au début chacun jouait sa partie, puis il a été possible de se succéder pour comparer ses résultats, puis de lutter au coude-à-coude dans la même partie. Cette progression vers l’interaction nous émerveillait. Aujourd’hui les jeux exploitent massivement les possibilités des réseaux : les jeux sont devenus multijoueurs, en ligne. Ainsi les croûtons de mon espèce peuvent vivre l’amère expérience de se faire piler par un sud-coréen de 17 ans. Triste métaphore de notre époque ?

Les nouvelles technologies offrent des possibilités nouvelles pour les jeux. La réalité virtuelle, la réalité augmentée, et la détection du mouvement (j’en oublie certainement) constituent des ruptures qui ouvrent des espaces nouveaux d’innovation. Dit autrement, dans trois ans, les jeux vidéos ne ressembleront plus du tout aux jeux actuels.

Par exemple Ubisoft a annoncé le lancement d’un jeu de fitness appelé « Your Shape » qui exploite les possibilités offertes par la technologie de détection de mouvements brevetée d'Ubisoft. Il n’y a plus de manettes. Le jeu reproduit les mouvements naturels du joueur (un pas plus loin que la Wii). Cela fait dire à Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft : « Le développement de cette nouvelle caméra pour la Nintendo Wii combiné avec notre technologie de détection de mouvements constitue une avancée technologique majeure dans l'industrie des jeux vidéo et dans celle des sports de fitness ». On peut d’ailleurs imaginer que Ubisoft va devenir un concurrent direct des centres de fitness.

Une conséquence directe de ces ruptures est la hausse du coût de développement des jeux. D’où le besoin de faire tourner à plein l’équation du modèle d’affaire (voir partie 1) et en particulier de jouer l’effet multiplicateur de profits.


L’effet nuage

On retrouve à l’œuvre dans ce secteur le phénomène décrit par Nicholas Carr dans « The big switch » (commentaire à venir un de ces jours) : l’augmentation de la puissance des ordinateurs ainsi que l’élargissement de la bande passante ont des effets structurels.
En particulier « l’effet nuage », le fait que les logiciels n’ont plus besoin d’être installés sur l’ordinateur, mais que l’utilisateur peut avoir accès à distance au logiciel (les exemples les plus courants sont les suites google). Certains jeux nécessitent d’installer un logiciel sur son ordinateur, (par exemple World of Warcraft, le modèle du genre), d’autres pas. Ainsi Gameforge, un éditeur allemand faisant partie des leaders du secteur enregistre 85 millions de joueurs pour 15 jeux. Une transition est en train de s’opérer de la console vers l’Internet. Dans cette logique le terminal (ordinateur ou console) devient un point d’accès vers un monde de jeu virtuel. Selon PwC, les produits en ligne représentaient 9,4 milliards de dollars sur les 55 milliards de jeux vidéo en 2009

Le modèle de revenus classique d’un producteur de jeu était la vente à l’unité du jeu. Mais « l’effet nuage » bouleverse la donne. Puisque le jeu n’est plus installé sur les ordinateurs, comment générer des profits ?

- La facturation de l’interface. Il est possible de facturer l’installation du logiciel de base qui permet d’accéder à l’univers dans le nuage. Cependant on comprend que cela constitue un frein à l’entrée et que le jeu doit avoir une très bonne renommée pour pouvoir imposer cela. Les nouveaux entrants auront au contraire intérêt à proposer l’interface gratuitement pour recruter (sauf à proposer une expérience d’une telle valeur-ajoutée que cette facturation puisse se justifier).

- L’abonnement. Autre source de revenus : l’abonnement (comme le fait world of warcraft) justifiée par les travaux constants d’amélioration du jeu : tant sur le plan technique que sur les nouveautés scénaristiques. L’effet de fidélisation est immédiat. En effet un jour qui progresse dans le jeu améliore les pouvoirs de son avatar. Il est dès lors très difficile pour lui de quitter le jeu pour recommencer à zéro ailleurs (disons que le switching cost est élevé).

- La facturation à l’usage. Il est aussi possible de facturer les utilisateurs en fonction de l’usage qu’ils font du jeu. Par exemple en vendant des extensions (nouveaux univers, nouvelles quêtes) ou, plus surprenant, des éléments qui permettent d’améliorer les avatars (équipement, compétences, etc.). Ainsi selon ThinkEquity, 10% des joueurs sociaux dépensent de l’argent réel pour acheter des biens virtuels. Cela rapporte actuellement 28 millions de dollars par mois aux exploitants des jeux. Cela pourrait atteindre 1,2 milliard d’ici 2012 (j’imagine que c’est par an, mais la source ne mentionne pas). Une des limites de ce modèle est le coût élevé de la gestion des paiements pour des petites sommes qui réduit la rentabilité.

- Le financement par la publicité. Modèle classique, présent de plusieurs façons : par la facturation de la publicité sur les sites d’accès ou, plus subtilement, par l’introduction de produits dans le jeu, comme cela se fait dans les films.


De nouveaux modèles

Face aux jeux toujours plus beaux et plus coûteux, on voit se mettre en place un processus d’innovation décrit par Clayton Christensen dans "The Innovator's Dilemma" et "The Innovator's Solution". L’idée est que dans un marché qui se sophistique, l’innovation finit par dépasser les besoins des clients, ainsi se libère un espace de marché sur les critères simplicité – prix réduit. Cette dynamique est à l’œuvre dans le secteur du jeu vidéo.

Quel est le segment de l’offre qui se développe le plus actuellement ? Les jeux de moins bonne qualité en ligne, les jeux sociaux (ex. sur Facebook) ou pour les téléphones portables, moins chers, moins coûteux et adaptés à une évolution des besoins des consommateurs vers plus de nomadisme et de brièveté (dans la durée du jeu). Par exemple Zynga, le leader du secteur des jeux sociaux comptait 22 millions d’utilisateurs en janvier 2009, contre 170 millions aujourd’hui.
Ces jeux bouleversent le modèle traditionnel du secteur en changeant radicalement les prémisses :
- les coûts de développement sont peu élevés (quelques centaines de milliers de dollars).
- le développement est rapide (ce qui permet de proposer une offre en constante évolution).
Dit autrement on s’approche du modèle Zara : rotation rapide de l’offre, faible coût de conception et de fabrication.

Ces nouveaux modèles ne cannibaliseront pas le secteur des jeux vidéo au complet. Ils constituent cependant un petit chien agressif qui mord les mollets. Les géants, ceux dont la marque et la qualité sont établies, seront préservés. Ils auront les moyens d’investir pour continuer à améliorer l’expérience du joueur et à justifier leurs prix. En revanche, les studios intermédiaires sont menacés : pour se démarquer, ils doivent soit améliorer leur qualité, soit adopter le nouveau modèle d’affaires (ce qui est très difficile à faire), avec des propriétés intellectuelles peu valorisables. La suite normale : tentatives désespérées de basculer vers le modèle d’affaires émergent, faillites, rachats. A observer dans les mois qui viennent.


Généralisons pour conclure


Il est possible que votre entreprise ne crée par de jeux vidéos (il paraît qu’il continue à y avoir une vie en dehors). Alors que retenir de cette réflexion ? Certains phénomènes que nous avons croisés constituent des tendances lourdes. Ils concernent tout le monde.

1. Le phénomène de convergence est à l’œuvre dans tous les secteurs. D’où viendra votre prochain concurrent, celui qui réinventera votre métier en faisant des liens inattendus ? Surveillez le secteur des télécoms, ils ont la maîtrise du canal d’information qui prend de plus en plus de place. Ils sont en position de force. Exemples : Orange entre dans la TV (voir les contrats sur la diffusion sportive), et le second opérateur de téléphonie japonais a obtenu une licence bancaire.

2. Toute entreprise devrait se poser la question de l’impact sur mon métier de l’équation suivante : élargissement de la bande passante + accroissement de la capacité de calcul des ordinateurs. Dans les interactions avec les clients les effets sont majeurs. Les possibilités d’enrichissement de la relation à distance multiples.

3. Savez-vous répondre au besoin grandissant de mobilité et de simplicité. Vos produits, votre façon de servir vos clients sont-ils adaptés ?

3. En améliorant sans cesse vos produits pour rester à la pointe du progrès, quel est l’espace concurrentiel que vous libérez ? Avec la crise l’espace simplicité – bas prix (yaourt nature, eau du robinet plutôt qu’eau en bouteille) peut-être très profitable. Surveillez le. Peut-être avez-vous intérêt à ne pas le délaisser.

lundi 30 novembre 2009

Le jeu vidéo ne sera plus ce qu’il était - partie 1 : tempête sur un modèle d’affaires ?

Depuis plusieurs jours je croise des informations qui se croisent dans mes réflexions. L’histoire commence avec des informations générales sur le secteur des jeux vidéo. Surprise : en 2009, en contradiction avec des prévisions plutôt optimistes (le jeu refuge au rapport qualité – prix avantageux en cas de crise), le chiffre d’affaires du secteur a baissé de 12% sur les neuf premiers mois de l’année.

Je suis surpris du chiffre. Je fouille. Et là un monde s’ouvre devant mes yeux. Un peu comme si mon personnage avait trouvé un passage secret dans un mur, s’ouvrant sur un univers gigantesque. Je suis au milieu d’une falaise, un paysage complexe s’étale devant mes yeux. Un univers qui me paraît illustrer quelques unes des tendances à l’œuvre dans tous les secteurs.

Le modèle d’affaires historique du jeu vidéo a été très payant jusqu’à présent. Pour résumer, il s’apparente à celui du cinéma. Il se résume avec l’équation suivante :

Cash = PI * blockbuster * multiplicateur de profits


PI = Propriété Intellectuelle


Au cœur du modèle il y a l’existence d’une propriété intellectuelle : des personnages, un univers, des scénarios. La valeur créée repose sur l’exploitation de cette propriété intellectuelle : pour le client qui aime les personnages et leur univers, s’identifie, a du plaisir à jouer avec eux, et pour le détenteur de la propriété intellectuelle on le comprendra.

Vis-à-vis de la PI, les studios de jeux peuvent poursuivre plusieurs stratégies.

a- Exploiter une propriété intellectuelle qui a été développée par d’autres (ex. les studios Marvel pour les superhéros, ou Lucasfilm pour la Guerre des Etoiles). L’intérêt est de réduire les investissements pour accéder à un univers où les barrières à l’entrée sont très élevées. Certains univers se sont ainsi développés pendant des années et font partie de la culture populaire. En exploitant sous licence une propriété intellectuelle, on réduit évidemment les coûts et on profite des efforts du propriétaire pour exploiter la PI.

b- Créer sa PI. C’est évidemment plus payant puisque, à l’inverse, on devient celui qui tire des bénéfices de toute exploitation du personnage. La stratégie de licences s’impose. On crée son personnage et on le vend pour des jouets, des vêtements, des livres, etc. Cependant les coûts pour réussir à imposer un nouveau personnage sont très élevés, et le risque d’échec très importants. Posséder une PI qui a une renommée est un levier majeur pour le développement d’une entreprise dans ce domaine, et le graal pour tous les petits studios.


Blockbuster

Les studios de jeux vivent avec une contrainte : dans un contexte où les capacités techniques sont de plus en plus performantes, le coût de développement d’un jeu est extrêmement élevé. Par exemple Deus Ex 3 (qui sortira en 2010) a nécessité l’équivalent de 100 personnes pendant 30 mois. Pour rentabiliser un tel investissement, plusieurs conditions doivent être réunies : vendre en masse et vendre vite (la technologie change vite, les sorties sont nombreuses) (les quelques semaines suivant le lancement sont d’ailleurs décisives comme le sont les premiers jours de la sortie d’un film ou d’un livre).

Seconde contrainte. Les jeux vidéos sont comme les films. Mis à part quelques incontournables, leur succès reste incertain. Beaucoup de jeux, peu d’élus. Les succès (les blockbusters) paient pour les jeux moins rentables. Un studio doit donc diversifier ses risques, en menant plusieurs projets de fronts (comme le font les studios de cinéma). Cela suppose aussi de construire des pools de financement pour partager les risques. Dans cette logique, chaque jeu est pensé comme un projet qui amène à construire un réseau de partenaires apportant des compétences nécessaires.


Multiplicateurs de profit


Compte tenu des coûts de développement et de la courte fenêtre d’opportunité pour rentabiliser le jeu, une stratégie adoptée est celle des multiplicateurs de profit [voir Slywotzky et Morrison, The profit zone]. Dit autrement, multiplier les utilisations de la PI pour générer plus de revenus et imposer l’image. On pense immédiatement aux produits dérivés : jouets, vêtements, objets, etc.

La convergence entre cinéma et jeux vidéo est en marche depuis longtemps. Depuis 30 ans, 500 PI du cinéma ont donné lieu à 3500 jeux. Puis, illustrant leur place croissante dans la culture populaire, des films ont été tirés des PI de jeux vidéo. Le premier date de 1993. Il s’agit de Super Mario. De nombreux autres suivirent : Lara Croft, Resident Evil, etc. Au milieu des années 2000, les deux médias convergèrent plus encore. Dans certains cas, pour maximiser l’impact marketing, jeux et films se mirent à sortir simultanément (ex. Azur et Asmar).
Etape supplémentaire aujourd’hui. Certains studios réalisent eux-mêmes des films à partir de leurs jeux. Ainsi Ubisoft a produit un court métrage (voir ci-dessous) pour annoncer la sortie de son jeu Assassin’s creed 2. Cette convergence entre les deux médias s’est traduite chez Ubisoft par le rachat de Hybride Technologies, spécialiste des effets spéciaux (300, Sin City). De la même façon, mais avec une stratégie d’externalisation, Microsoft a fait créer des courts métrages pour promouvoir son jeu Halo (10 millions d’exemplaires vendus pour le troisième volet). On le voit beaucoup d’argent en jeu.



Une autre façon de multiplier le profit est d’installer la PI dans le temps. Plusieurs techniques : créer des suites aux jeux, diversifier les univers en exploitant les mêmes personnages (voir Super Mario), ou vendre des épisodes qui permettent au joueur de poursuivre l’immersion dans un monde qui le séduit (le joueur télécharge des extensions payantes). Il est aussi possible d’élargir l’univers à travers une série de bandes dessinées (voir par exemple Prince of Persia) ou une revue.

L’enjeu est fondamental : rentabiliser rapidement des investissements considérables et valoriser la PI en l’installant dans l’espace culturel.


Et alors ?


Cash = PI * blockbuster * multiplicateur de profits.
En quoi ce modèle est-il confronté dans le contexte actuel ? Qu’est ce que cela nous apprend sur les tendances de fond à l’œuvre actuellement ?
Réponse dans une seconde partie très bientôt.

samedi 21 novembre 2009

La culture chinoise est-elle TI compatible ?

Les cultures existent. Elles enchantent les touristes en quête d’authentique, font s’arracher les cheveux aux gens de marketing, interpellent les professeurs qui se questionnent sur leurs méthodes pédagogiques. Ce sujet me passionne. Et je reste fasciné par les impacts des différences culturelles. Exemple avec l’article de Zhang, Sarker et Sarker, 2008 « Unpacking the effect of IT capability on the performance of export-focused SMEs: a report from China », Information Systems Journal, 18, 357-380.

Leur hypothèse est que le contexte particulier des PME chinoises fait qu’elles ne tirent pas les mêmes bénéfices que les PME occidentales de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ils centrent leur analyse sur l’impact de la culture. Dans ce but, ils ont testé 136 PME chinoises exportatrices des régions de Chengdu et Zhengzhou.

Leurs auteurs concluent que si les PME tirent bénéfice de l’utilisation des TIC, la culture chinoise constitue un frein à la création d’une infrastructure TI intégrée. Ils affirment :
« Building an integrated IT infrastructure requires an open system of communication and work, where all authorized users have access to the majority of the features of a system. Such an access works well in countries with an open culture. However, in China, information is often treated as an individual, rather than an organizational resource (p. 374-375)”.

Leur article permet d’approfondir les particularités de la culture chinoise qui sont un frein à l’utilisation des TIC dans un contexte professionnel. Quatre points majeurs sont identifiés.

1. Le confusianisme

Au cœur du confusianisme se trouve l’idée que la stabilité d’une société est basée sur l’inégalité des relations. Par conséquence le junior doit respect et obéissance au senior. Les entreprises chinoises fonctionneraient traditionnellement sur un modèle paternaliste : une prise de décision centralisée, dans laquelle le dirigeant prend des décisions basées essentiellement sur son intuition et son savoir personnel, plus que sur des critères objectifs et des méthodes quantitatives.

2. Le Guanxi

Une autre dimension de la culture chinoise est l’importance des réseaux personnels, le Guanxi, qui valorise la confiance, les services et la réciprocité. Cette relation interpersonnelle riche, fait qu’en milieu professionnel, les communications en face-à-face ou par des messages écrits sont favorisés, plutôt qu’une médiation par les TIC.

3. Une communication à haut contexte


La culture chinoise fonctionne par une communication à haut contexte. C'est-à-dire que pour interpréter les messages, le récepteur a besoin de nombreux éléments de contexte (voir les travaux de Hofstede). La pensée chinoise est suggestive. Nous avons tous en tête ces tirades étranges entre mystère et poésie que nous voyons dans les films. Cette façon de communiquier s’accommode mal de la codification explicite nécessaire dans l’utilisation des TIC. Tous ceux qui communiquent par courriel connaissent l’impérative nécessité d’être explicite pour réduire les risques de mauvaise interprétation.

4. Le langage pictographique

Finalement le langage pictographique rend la traduction difficile dans le langage alphabétique de l’informatique.


Conclusion : vers une uniformisation ?

Cet article constitue une preuve de plus de l’impact des cultures locales. Avec la mondialisation je me pose la question : y aura-t-il convergence ? si oui, à quel rythme ? le besoin d’appartenance ne va-t-il pas au contraire exacerber des expressions identitaires ?
Des signaux semblent aller dans les deux sens.

Pour conclure je me rappelle une anecdote qui montre que les choses peuvent être longues à changer. Le phénomène se passe dans la caisse régionale du Crédit-Agricole du Gard. Un dirigeant raconte. Le sud du département est historiquement protestant et le nord catholique. Sans surprise, dans le nord, les agences font plus de prêts (pour consommer), et au sud elles vendent plus de produits d’épargne. Comme quoi les particularismes culturels peuvent perdurer longtemps.

Et pour finir une injonction : lisez « La montagne de l’aube » de Gao Xingjian, prix Nobel de littérature en 2000. Livre magnifique. Livre de brume et d’âme.

mardi 17 novembre 2009

Que sont mes clients devenus

Dans mon activité de consultant, nous développons des outils qui permettent de sensibiliser aux problématiques stratégiques des personnes de tous les niveaux dans les organisations. Nous avons ainsi beaucoup créé de vidéos.

Un des thèmes incontournables pour qui réfléchit à la stratégie est l'évolution des attentes des clients. J'ai réalisé cette année une synthèse intégrant plusieurs études sur le sujet, je l'ai mixé avec ce que nous avons observé chez nos clients, et nous avons produit un montage sur le sujet.

Nous avons décidé de le mettre en ligne pour deux raisons :

1. Le montage est très bien reçu. Il suscite l'intérêt. Nos clients demandent à le revoir pour prendre le temps d'assimiler l'information. Plutôt que de le cacher, autant le rendre disponible.

2. Je suis curieux de voir quelle peut être la vie d'une vidéo de ce type sur Internet, ainsi que les retombées que cela engendre. En quelque sorte c'est une expérimentation pour Groupe Forest qui nous permettra d'appréhender une autre façon de faire à moindres coûts.

Donc je vous présente : "Que sont mes clients devenus"



Et pour ceux qui ont la comprenette un peu lente, le texte :

Notre monde est en profonde mutation. Le rapport au temps et à l’espace est bouleversé. La façon d’être soi et d’être ensemble se transforme.
La consommation tout à la fois, subit et est un moteur de ces évolutions. Pour réussir demain, la première étape est de comprendre comment les attentes des clients évoluent. La quête de la réalisation de soi, une attente de personnalisation, une exigence de simplicité et d’efficacité, un besoin de sécurisation, une recherche d’émotions positives, une exigence d’éthique, un besoin de lien social. Sept tendances qui vont transformer en profondeur vos métiers.

1. La quête de la réalisation de soi
Pour l’individu, consommer devient un levier pour s’accomplir, pour libérer son potentiel, en cohérence avec son projet de vie. En consommant chacun espère devenir plus lui-même.

2. Une attente de personnalisation
Parce qu’il se perçoit comme unique, le client s’attend à une offre personnalisée. Une offre ajustée à son univers de besoins. Et une relation avec la marque, adaptée à sa personnalité et à son humeur. C’est pourquoi, il est engagé de plus en plus dans un dialogue avec les marques et devient co-créateur de l’offre.

3. Une exigence de simplicité et d’efficacité
Au rythme où il vit, le consommateur n’a pas de temps ni d’énergie à perdre. Les choses doivent être simples, pratiques, rapides. Un retour à l’essentiel : moins de gadgets, des relations facilitées par les technologies, un langage clair, et une efficacité dans le traitement des opérations et des dossiers.

4. Un besoin de sécurisation
Dans un univers complexe, lourd de menaces, l’individu cherche à se rassurer. En consommant il achète aussi des certitudes : un produit fiable, pas de mauvaises surprises et un service qui ne le laissera pas tomber.

5. Une recherche d’émotions positives
Se sentir écouté, compris par un conseiller-vendeur. Etre séduit par l’esthétique d’un magasin, des odeurs, des couleurs. Etre surpris par des expériences inattendues. Rire, s’amuser, vivre plus. Consommer est aussi une recherche d’émotions positives et de petits plaisirs.

6. Une exigence d’éthique

Le citoyen est toujours plus sensible aux enjeux sociaux et environnementaux. Il attend des entreprises des comportements éthiques, responsables, voire engagés. Le consommateur sera fidèle à des entreprises qui partagent ses valeurs et qui s’engagent concrètement pour les faire vivre. Il valorisera des relations authentiques et transparentes.

7. Un besoin de lien social

Des communautés de clients s’organisent autour des produits, des valeurs, ou des styles de vie que les marques promeuvent. Echange d’information, rencontres, événements spéciaux, des liens se tissent. Pour chacun la consommation devient un moyen d’élargir ses réseaux, de développer ses appartenances, d’être en relation avec les autres.

Des consommateurs paradoxaux
Sept tendances et des consommateurs difficiles à comprendre tant ils sont changeants, tant ils peuvent être paradoxaux, et vouloir tout et son contraire en fonction de la situation ou de l’humeur. Un constat : Le consommateur est imprévisible, de plus en plus difficile à saisir, à séduire et fidéliser.

Des défis pour les entreprises
Comment répondre à la diversité des attentes individuelles des clients tout en standardisant les façons de faire pour plus d’efficacité ?
Faut-il répondre aux attentes parfois tyranniques des clients ou chercher à les surprendre et à les influencer ?
Sur quoi faut-il travailler en priorité : de nouveaux produits ? de nouveaux services ? le prix ? l’évolution des points de vente ? la plateforme Internet ? l’image de marque ?

Et si vous construisiez la réponse avec vos clients ?

lundi 2 novembre 2009

De la glocalization à la reverse innovation : la mutation stratégique de GE

Dire que la mondialisation bouleverse les cartes est un lieu commun. Dans le Harvard Business Review d’octobre 2009 un article étudie la réponse stratégique de GE qui constitue une véritable mutation. Dans le volapuk stratégique cela s’appelle : la reverse innovation.

Opportunités et menaces vues par GE

De nouveaux marchés se développent

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Depuis 2000, 600 millions de personnes ont basculé dans la classe moyenne. Selon la Banque Mondiale, cela devrait se continuer au rythme de 70 millions de personnes par an. Enfin… c’était avant la crise. GE y voit évidemment une opportunité pour son développement. Ainsi la part du chiffre d’affaires de GE réalisée hors des Etats-Unis est passée de 19% en 1980 à plus de 50% aujourd’hui.


Cependant au-delà de ce marché, il existe un marché de masse, encore très pauvre. Ainsi GE a constaté par exemple que 90% de la population chinoise (ce qui fait du monde) dépend de cliniques ou d’hôpitaux ruraux, mal financés. La question que GE s’est posée : peut-on s’attaquer à ces marchés délaissés par les concurrents ?

Autre constat : dans de nombreux pays s’est développée une main d’œuvre de qualité.

Une nouvelle concurrence s'affirme.


Ce développement a permis aussi le développement d’entreprises locales (voir par exemple le cas d’école du développement de l’Inde dans l’industrie du médicament générique) qui s’attaquent aujourd’hui aux marchés développés. Parmi ces Multinational Corporations (MNC) : Tata, Gazprom, China Mobile, Lenovo, Mittal, Cemex, ou Embraer. Ainsi les pays en émergence comptaient 70 entreprises dans le Fortune Global en 2007, contre 20 en 1997.


GE sent qu’elle aura des difficultés face à cette nouvelle concurrence. En effet ces entreprises ont réussi sur des marchés locaux où leurs clients ont peu de pouvoir d’achat, avec des offres à faible coût. Ainsi, les solutions à succès sur ces marchés sont celles réalisant 50% des résultats, pour 15% des coûts.


Elles ont ainsi développé des capacités qui pourraient leur permettre d’être pertinentes sur les marchés occidentaux touchés par les crises successives et en quête de simplicité. Par exemple GE a acheté pour 20 millions une compagnie aéronautique tchèque qui avait développé un moteur d’avion. En investissant 25 millions supplémentaires, GE prévoit de concurrencer Prat & Whitney avec un moteur à la moitié du coût.

De la glocalization à la reverse innovation


La stratégie classique face à la mondialisation est la glocalization : le développement de produits dans des centres de recherche dans les pays d’origine qui sont adaptés pour les marchés locaux. Cela permet de jouer d’effets d’échelle qui financent la R&D.


Cependant pour s’attaquerPour faire face, GE a mis en place une nouvelle stratégie : la reverse innovation. L’idée est d’installer les centres de recherche dans les pays en développement pour développer des technologies produisant des résultats moindres (disons 50%) pour un coût très réduit (disons 15%). Ces technologies permettent :

- de répondre aux besoins de la masse du marché sur les marchés émergeants (et pas seulement à ceux de la classe moyenne),

- de créer des offres adaptées aux nouvelles réalités des marchés développés (notamment une tension sur les prix) qui peuvent être réimportés.

Le cas de GE Healthcare


GE Healthcare est spécialisé dans l’équipement d’imagerie médicale. A la fin des années 80, le choix technologique se porte sur les ultrasons. Pendant longtemps, GE Healthcare a développé des produits coûteux, mais moins que la génération précédente. En 2002, la compagnie lance son premier outil compact (combinant un laptop avec un logiciel) pour 30 000$. Enfin en 2007 la nouvelle génération coûte 15 000$, soit 15% du coût d’une « grosse » machine.


Ce nouveau produit développé en Chine, sont des succès considérables dans les cliniques rurales où les médecins les utilisent pour des applications simples. D’autre part, ce produit a permis le développement de nouvelles applications « légères » sur les marchés occidentaux : lorsque la portabilité est importante, par exemple sur des lieux d’accidents.

Conclusion : la prochaine vague de délocalisation ?


GE est un benchmark : ce que fait GE est précisément analysé par toutes les entreprises de la planète. La preuve : son CEO, Immelt, écrit dans la Harvard Business Review. Il m’apparaît que la stratégie de reverse innovation est un signal faible d’une nouvelle menace sur les économies occidentales.


Nous avons déjà vécu une vague de délocalisation industrielle. La reverse innovation fait peser la menace de la délocalisation d’activités de R&D. Que va-t-il nous rester ? Le haut de gamme, la frontière technologique, l’innovation de rupture. Une pression supplémentaire pour innover.

lundi 19 octobre 2009

Stratégies de crise (partie 2)

Suite de l’exploration des stratégies de crise. Comme consultant je suis frappé par les réflexes de nombre de nos clients qui, face à la crise, ont pour réflexe le fameux : recentrage sur les fondamentaux.

Le recentrage sur les fondamentaux

Si je grossis (à peine) le trait, cela signifie :

- Ne rien changer de fondamental. En France, en particulier, les multiples rigidités (dont celles du droit du travail) ne permettent pas des adaptations rapides (par exemple en ce concerne la possibilité de transformer les organisations).

- Rogner l’os pour essayer de gagner quelques % de dépenses. Cela se traduit par un énième programme de réduction des coûts et de réingénierie des processus.

- Geler tout ce qui peut ressembler à du nouveau parce que dans un contexte d’incertitude, le nouveau c’est risqué et que dans le contexte on n’a pas les moyens du risque.

- Abandonner les perspectives long terme, parce que le long terme c’est incertain (copier / coller du point ci-dessus).

Pour beaucoup d’entreprises cette réaction est probablement pertinente (en stratégie il n’y a pas de règle générale). Cependant, certains impacts sont à craindre :

- Dans une entreprise bien gérée, les gains marginaux possibles sont faibles. Beaucoup d’efforts pour peu de résultats. Je suis parfois sceptique sur le fait que c’est là le meilleur retour sur efforts.

- Dans une ambiance de morosité, travailler sur la réduction des coûts et réduire les projets de développement, n’est pas ce qui est le plus mobilisateur, alors que justement c’est dans ces périodes d’incertitude que l’engagement de chacun est requis.

- Finalement, cette frilosité ne permet pas de renforcer l’avantage concurrentiel qui permettra de gagner des parts de marché lorsque viendra la reprise. Les crises bouleversent les conditions concurrentielles. Elles permettent à de nouveaux joueurs d’émerger, par exemple par qu’ils utilisent mieux les nouvelles possibilités offertes par Internet.

La meilleure défense, c’est l’attaque

Dans le numéro de Fortune du 31 août, une phrase de Immelt, le CEO de GE, résume une autre approche face à la crise : " The key is not to be so cowed by the crisis that you neglect to make long-term bets ".

Plusieurs exemples d’entreprises qui ont su faire face à la détérioration de leur situation sont cités dans l’article. Cinq principes peuvent être mis en évidence. Ils dessinent une posture stratégique qui concilie prudence et offensive.

1. Elaguer pour se recentrer sur le core business.

Dans un contexte de crise, il s’agit de concentrer les efforts sur ce que l’on fait de mieux. Ce recentrage passe par un élagage de l’offre. Une analyse SWOT par types de produits doit permettre d’identifier les produits et les services à abandonner.
Par exemple, lors d’une réunion, précisément appelée « big bang meeting », le CEO de Nalco (services dans le traitement de l’eau et l’énergie) a profité d’un de ses voyages en Asie pour réunir ses équipes dans une salle et leur a demandé de ne pas sortir avant d’avoir éliminé 25% de l’offre. Les discussions durèrent trois jours. A la sortie, toute une série de vieux produits s’est trouvée abandonnée.

2. Alléger la structure des coûts.


Dans le cas de Nalco, cette réduction de l’offre, a évidemment permis une réduction du nombre d’employés. Pourtant seulement 4% des 11000 employés étaient concernés (alors que le catalogue de produits était réduit de 25%). Plusieurs études (dont je recherche activement les références) montrent qu’une réduction forte du personnel soulage les comptes à court terme, mais handicape les entreprises à long terme.

3. Développer l’agressivité commerciale.

Paradoxalement, la crise est un moment pour gagner des clients. Ces derniers ont en effet des comportements plus rationnels. Ils sont donc plus sensibles aux arguments tentateurs. Redéployer les ressources pour une plus grande agressivité commerciale et un meilleur service au client est une stratégie poursuivie par plusieurs compagnies. Home Depot le fait avec ses "power hours"(voir la description dans la première partie de ce billet). Nalco a redéployé ses équipes sur les marchés en émergence, sans surprise la Chine, l’Inde et le Brésil.
Pour Avon, la crise a été une opportunité de développement de son réseau commercial (vente à domicile) à moindre coût. La croissance du chômage a créé un bassin de ressources compétentes et réseautées dans laquelle Avon a puisé pour augmenter de 10% le nombre de ses représentants. Comme ceux-ci sont payés à la commission, cette agressivité commerciale n’augmente pas les frais.

4. Innover
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De nombreux indices peuvent amener à anticiper que nous vivons une transition socio-économique majeure. Le monde de sortie de crise ne sera plus le même. Les attentes des clients auront changé ; les technologies auront évolué ; la préoccupation environnementale se sera développée ; les contraintes légales se seront durcies ; les concurrents venus des pays en développement se montreront très agressifs sur de nombreux marchés.
A peu près partout la dynamique concurrentielle va changer. De nouveaux acteurs spécialisés, nés avec la crise se développeront sur des niches. Ailleurs, des géants (Apple, Google, ou autre) se seront attaqués de manière inattendue à de nouveaux secteurs.
Pour survivre on n’a pas le choix d’innover, de se préparer à ce futur. Ainsi GE fait un effort massif en investissant dans la R&D pour stimuler l’innovation.

5. Reconfigurer la chaîne de valeur pour accéder aux ressources nécessaires.


Dans un contexte de crise, les budgets sont serrés, les activités sont recentrées sur le cœur de métier et les ressources sont rares. Pour développer la conquête, on gagne à ne pas rester seul. La crise est l’occasion de développer de nouveaux partenariats. Ainsi le programme de R&D de GE s’appuie sur des partenariats avec des organismes ainsi que des entreprises publiques ou privées (comme Cisco par exemple).
Une autre façon d’accéder à des ressources est de saisir les opportunités de rachats qui se présenteront. Cela suppose de se donner des marges de manœuvre (principes 1 et 2) et de chercher à se refinancer avant les autres pour pouvoir fondre sur les proies et ainsi accéder à des capacités qui permettront de renforcer l’avantage concurrentiel. C’est ce que firent Nalco ou Waste Management par exemple.

Et vous ? Quelle est votre stratégie ?

Bien évidemment toute stratégie est contextuelle. Appliquez les cinq principes et il y a de grandes chances que vous échouiez. Cependant ceux-ci constituent des angles d’analyse pertinents.
Si votre stratégie se résume à faire comme avant, en vous recentrant sur vos fondamentaux, et en réduisant les coûts (et les investissements à long terme sur des choses aussi incertaines que la R&D ou diverses expérimentations), attention. Vous avez peut-être raison. Mais prenez le temps du doute et laissez-vous inspirer par ces quelques exemples, ils pourraient vous ouvrir des horizons nouveaux.

lundi 5 octobre 2009

Stratégies de crise (partie 1)

Le numéro de Fortune daté du 31 août 2009 était soigneusement entreposé dans une pile sur mon bureau. J’ai profité d’un moment de libre pour m’y plonger. Deux articles décrivent les réponses de grandes entreprises américaines à la crise.

Le message clé : ne subissez pas la crise, repensez votre stratégie, adoptez-vous, il y a des opportunités à saisir ! Exemples.

Home Depot fait face à deux menaces majeures : la crise économique et l’effondrement de l’immobilier, ainsi que la croissance rapide d’un concurrent majeur Lowe. Une remise à plat du modèle d’affaires et de la stratégie d’imposait.

Pour structurer la réflexion, la direction s’est appuyée sur le modèle du Hedgehog concept de Collins. Celui-ci invite à se poser trois questions :


Un leadership produit ciblé

Question 1 : Dans quoi êtes-vous les meilleurs ?

Home Depot répond : la référence produit (product authority).
L’assortiment présent chez Home Depot doit être le plus large en ville. Cependant l’entreprise ne cherche pas à être leader sur toutes les catégories de produits. Elle ne cherche à augmenter son taux de pénétration sur les produits à faibles marges.
Plus finement, Home Depot a réalisé une segmentation de son offre en fonction des représentations du client, en distinguant des produits destination et des produits impulsion. Les premiers sont ceux pour lesquels les clients vont chez Home Depot (par exemple les matériaux d’isolation). Dans cette catégorie, il est essentiel que Home Depot soit la référence, le premier qui vient à l’esprit. Cela nécessite en particulier d’avoir le meilleur prix en ville. En revanche pour les seconds (par exemple des piles), Home Depot ne cherche pas à être la référence, ils peuvent être achetés n’importe où. La pression sur le prix est moindre. C’est l’occasion pour l’entreprise d’augmenter ses marges.


Le défi de l’expérience client

Question 2 : Qu’est ce qui nous passionne ?

Home Depot répond : le client.
L’avantage produit ne suffit pas. Home Depot met au cœur de sa stratégie l’expérience vécue par le client. Cela se traduit très concrètement dans les modes de fonctionnement. Deux exemples. Home Depot recrute des seniors qui peuvent partager leur expérience du bricolage en donnant des conseils très fiables aux clients. L’entreprise a aussi mis en place ce qu’ils appellent des « power hours », périodes de haute fréquentation durant lesquelles tout le monde doit stopper ses activités de back-office pour être en magasin et servir le client.


De la croissance à la productivité et l’efficience

Question 3 : Quel est votre moteur économique ?

Cet élément est peut-être le plus complexe à appréhender dans le modèle de Collins. La question est de savoir quel est l’indicateur utilisé pour mesurer la performance économique.
Home Depot répond : La productivité et l’efficience.
Auparavant Home Depot visait une croissance des ventes par mètre carré. Il s’agit donc d’un changement radical puisque l’objectif n’est plus d’augmenter le chiffre d’affaires par mètre carré (ce qui peut se faire au détriment de la rentabilité), mais d’augmenter la rentabilité à travers la productivité et l’efficience. Concrètement cela se traduit par l’abandon de plusieurs projets de nouveaux magasins, une réduction du personnel de soutien (et 10% de l’encadrement), ainsi qu’une chasse aux coûts (en changeant la marque de café servie aux comptoirs réservés aux professionnels, l’économie fut de 500 000 dollars).
Pour s’assurer que les décisions des directeurs de magasin allaient s’aligner dans la bonne direction, le mode de calcul de leurs bonus a été adapté. L’équilibre entre les objectifs de vente et de profit a été ajusté pour donner plus d’importance au profit.


L’entrevue avec Carol Tome, responsable des finances et des projets de croissance, est d’un – très – rare intérêt, d’une transparence étonnante. J’en conseille la lecture à qui s’intéresse à la stratégie.
Enfin, chers étudiants, l’article montre que les modèles que nous voyons en cours, ici le hedgehog concept, sont vraiment utilisés par les dirigeants.

vendredi 25 septembre 2009

La voiture électrique, est-ce vraiment sérieux (partie 2)

Du greenwashing aux modèles radicalement nouveaux.

Préparation de l’après pétrole, réponse au défi écologique, quelques réflexions stratégiques sur les réactions des constructeurs.

Le greenwashing

Comment faire croire que l’on est vert en gagnant du temps ? Pour plusieurs analystes du secteur, telle est la stratégie de plusieurs fabricants (comme VW ou Mercedes). Ces derniers proposent quelques petits modèles de voitures électriques. Ce sont des modèles existants qui sont adaptés. Coût de développement réduit, cycle de mise en marché rapide. Espoir de vente réduit. Mais l’important n’est pas là.
L’enjeu est de se conformer aux normes de la commission européenne, lesquelles sont basées sur la moyenne des émissions de la gamme. Deux voitures à zéro émission font chuter la moyenne et libère de la place pour des voitures à grosses cylindrées qui sont au cœur de la rentabilité de ces marques. On comprend donc l’intérêt stratégique de ce greenwashing supposé.

L’existence d’une frontière technologique

Face au défi de réduction des émissions de carbone, la voiture électrique apparaît comme une solution évidente. Mais voilà, il existe une limite, une frontière technologique : les batteries. Coût élevé, autonomie limitée, temps de recharge long, leurs défauts sont majeurs. Tant que de nouvelles batteries ne seront pas développées, le spectre d’usage de ces voitures sera réduit : essentiellement urbain pour de petites distances. Remarquons que sur ce segment les marques françaises qui investissent dans l’électrique sont très fortes, même si ce n’est pas le plus rentable.
Une question pourrait se poser : est-ce le bon moment pour investir, tant que la frontière n’est pas brisée ? Cela permet d’apprendre, de se bâtir une image. Mais cela consomme des ressources. Serait-il plus pertinent d’attendre et profiter du travail des autres ?
De ce point de vue Renault a un avantage concurrentiel. Son partenaire stratégique, Nissan, est un spécialiste des batteries.
On peut aussi avoir une vision en rupture sur ce problème de batteries. Par exemple le Japon travaille sur des autoroutes à induction sur lesquelles les voitures se rechargeraient tout en roulant (en « aspirant » l’électricité circulant dans la route).

De l’influence de la path dependency

Connaissez-vous la Tesla ? Cette voiture de sport 100% électrique, a une autonomie deux fois supérieures à la moyenne de l’industrie (il faut dire que la voiture coûte une fortune). Elle rencontre depuis son lancement, il y a quelques mois, un succès important. Et pourtant les personnes à l’origine du projet sont des informaticiens de la Silicon Valley. Ils travaillaient sur des batteries et se sont dit qu’il y avait quelques opportunités à saisir avec cette compétence dans le contexte actuel.
Comment se fait-il que la Tesla n’a pas été créée par Porsche ou Ferrari ? Toujours cette maudite dépendance à la trajectoire. Essayez de lancer un programme de voiture silencieuse chez l’un de ces deux fabricants où l’on se pâme devant la beauté d’un bruit de moteur. Essayez de motiver des ingénieurs passionnés par les moteurs à explosion. Essayez d’obtenir des arbitrages qui vont détourner de budgets considérables (qui seraient exploités avec un niveau de risque moins élevé dans le cœur de métier de l’entreprise).

Pour découvrir la Tesla :


D’autres acteurs vont-ils prendre de la place sur les petites voitures : Bolloré ? Heulliez, Michelin et Orange (étrange attelage qui explique une solution technologique révolutionnaire : des moteurs électriques dans les roues. Ces trois là ne pouvaient pas faire une voiture classique) ?

Le problème pour les fabricants traditionnels n’est pas tant de créer des voitures électriques, que de faire évoluer leur modèle d’affaires ? Il est parfois plus facile de créer à partir de rien.

Le choix de l’innovation radicale ou de la prudence

Du fait de l’existence d’une barrière technologique, trois attitudes sont possibles : attendre le dépassement de la frontière, investir dans l’électrique malgré tout ou choisir une solution intermédiaire, en l’occurrence : l’hybride.
Ce fut le choix il y a quelques années de Honda et Toyota. Choix très payant et qui le restera tant que la frontière technologique n’aura pas été franchie.

Des évolutions de modèle d’affaires


La mise en marché d’une innovation radicale s’accompagne souvent d’une transformation du modèle d’affaires (distribution, mode de facturation, etc.).
Ainsi pour faire face au coût de la batterie (j’ai relevé le prix de 15 000 euros pour un ensemble), Renault propose la vente de la voiture et la location de la batterie (à un tarif mensuel moindre comparé au coût équivalent de carburant).
Autre exemple. Une famille urbaine ne prendra pas le risque de partir en vacances avec sa voiture électrique. On sent que dans ces conditions le vendeur de voiture électrique devra intégrer un service de location de véhicules pour des usages particuliers.

L’apparition de nouveaux services


Autour d’une innovation radicale se développent aussi de nouveaux services. Par exemple, toujours sur le problème des batteries, better place propose de créer des distributeurs de batteries, comme il existe des stations services. Un robot se charge de changer la batterie en moins d’une minute (voir la vidéo ci-dessous à partir de la 3ème minute).



La lutte autour de la voiture électrique est fascinante. Tout n’est pas qu’une question de technologie. Les questions d'évolution des paradigmes et des modèles d'affaires sont majeures. On croise ainsi quelques uns des sujets majeurs en stratégie : impact des frontières technologiques, dépendance à la trajectoire, hésitations face à l’innovation radicale, évolutions sociologiques, nécessité d’une innovation systémique (dans les modèles d’affaires et dans les services connexes).

jeudi 24 septembre 2009

La voiture électrique, est-ce vraiment sérieux (partie 1)

Suite au salon automobile de Francfort, événement majeur du secteur en Europe, lu, vu beaucoup de choses sur la réponse de l’industrie automobile face au défi de la réduction du changement climatique.

Cela a titillé mon regard stratégique. Je partage.

Tempête parfaite à l’horizon !

L’industrie automobile est déjà au cœur de la tourmente. Et ce n’est pas fini. Des signaux multiples sont allumés, une tempête parfaite se dessine à l’horizon. Quelques menaces clés, dans les règles de l’art : PESTEL.

Politique :
- En Europe, l’intervention des Etats a soutenu artificiellement le marché par des aides. Lorsque l’effet du dopant va s’atténuer, l’impact peut être majeur si les entreprises n’ont pas réussi à s’adapter entre temps. Vous prenez les paris ?
- Les gouvernements encouragent des solutions alternatives: transports en communs, covoiturage, etc. On voit par exemple apparaître des voies réservées au covoiturage sur les autoroutes de la belle ville de Québec.
- En matière de politique industrielle, l’enjeu est majeur. Il faut bâtir aujourd’hui l’avantage concurrentiel de demain dans un secteur clé pour beaucoup d’économies. Les états s’emploient exemple : l’état français a annoncé l’achat de 40000 véhicules électriques.

Economique :
- A court terme la crise économique a évidemment un impact, mais des compensations existent. Cependant cette crise a un impact majeur sur les nouveaux marchés (ainsi sur les 5 premiers mois de 2009, les importations de véhicules en Chine ont baissé de 30,8%).
- Plus préoccupant à long terme : la dégradation de la situation des classes moyennes dans les pays occidentaux. Elles constituent pourtant la masse des clients des constructeurs généralistes. Ils sont de plus en plus sensibles à l’argument du prix : des voitures plus petites, fonctionnelles, avec moins d’options. Le succès de la Logan est un parfait exemple.
- Evidemment une classe moyenne se développe ailleurs sur la planète. Ce qui ouvre de nouveaux marchés. Mais, à long terme, cela risque de profiter en grande partie à des fabricants locaux qui ont une offre et un marketing adapté à ces marchés particuliers (voir Tata en Inde par exemple).

Sociologique :
- Le rapport à l’automobile évolue. Un rapport fonctionnel se développe. Moins de frime : des modèles plus pratiques, moins équipés, moins coûteux à l’usage.
- Ce rapport fonctionnel se traduit dans le frémissement de modes alternatifs : covoiturage (signal faible : la GMF propose une réduction de 10% sur les contrats d’assurance auto à ceux qui achètent un abonnement de transport en commun), auto-partage, etc.
- La sensibilité aux enjeux écologiques augmente. La chute du marché des SUV en témoigne.

Technologique :
- En matière de technologies, le secteur entre dans un tournant : quoi pour succéder au moteur à explosion ? L’hybride ? l’électrique ? à long terme la pile à hydrogène ? Les coûts de développement des programmes sont très élevés et l’on voit bien que les constructeurs font des choix : l’hybride (Toyota, Honda, Ford, etc.), ou l’électrique (Renault, Peugeot-Citroën, etc.).
Ecologique :
- La pression écologique est majeure. Je ne reviens pas dessus (ex. sur ce site de la très sérieuse Ademe, vous pouvez tout savoir sur le niveau d’émission de votre véhicule).
- Les biocarburants sont morts avant de se développer. Mais il n’est pas certain qu’ils ont dit leur dernier mot. Des modèles existent qui ne phagocytent pas les cultures destinées à la consommation humaine. Se développeront-ils ? Cependant il est certain que cette solution n’est pas pertinente à gros volume.

Légal :
- Face au défi écologique, la pression s’accroît : normes de pollution et autres se renforcent. Par exemple les constructeurs européens ont pris l’accord avec la commission européenne de proposer une flotte de véhicules rejetant en moyenne (le mot est important) moins de 130 g de carbone par km d’ici 2015

Au cœur de cette tempête parfaite, il y a je pense un double défi : préparer l’après pétrole et faire face au défi écologique. Cela donne lieu à quelques jolis entrechats stratégiques : du greenwashing aux modèles d’affaires innovants.

mardi 1 septembre 2009

La femme est l'avenir du marketing

Voyage de fin de semaine dans Charlevoix, nous entrons dans une chocolaterie aux Eboulements (qui a un magasin à Baie Saint Paul). Les chocolats sont délicieux. Mais là n’est pas le point. Des chocolats moirés, aux reflets d’or, d’argent ou de bronze, une parure délicate, fruit d’un procédé de fabrication secret. Sur les tablettes des pièces en chocolat : carrosses, chevaux, escarpins, qui semblent des jouets de petite fille. Et la fille qui m’accompagne de me faire remarquer que c’est un univers très féminin. Et de fait, des couples qui se succèdent au comptoir, c’est la fille qui prend les choses en main. Réflexion : pensez-y une minute, qui est-ce qui achète du chocolat chez un chocolatier ? Essentiellement des femmes.

Aéroport de Québec, discussion avec une connaissance. Il me dit qu’un de ses amis a ouvert un steakhouse à Québec, La Bête, qui vise un public féminin. Concrètement, un « décor chic et coquin inspiré des salons libertins aux banquettes capitonnées » (Le Soleil du 28 août) et des détails destinés à faire vivre une expérience plaisante aux femmes. Exemple : un crochet aux tables pour suspendre les sacs.

Paris, restaurant dans le XVIIème arrondissement, repas d’affaires et de plaisir avec des partenaires. Décision à prendre sur le dessert. Les trois gars se précipitent sur la tarte tatin, le fondant au chocolat. La consultante de dire au propriétaire-serveur : « vous devriez faire des cafés desserts. Quelque chose de léger, mais qui finit bien le repas. »

Trois anecdotes. Trois signaux faibles ? Cela fait-il une tendance ? Les femmes constituent-elles un marché spécifique, un marché d’avenir.

The female economy

Et là, synchronicité, un article de la Harvard Business Review de septembre intitué « The female economy » donne la tendance : « Women now drive the world economy ».
Le revenu global des femmes va passer de 13 trillions de dollars en 2009 à 18 trillions en 2014. Par comparaison le PNB de la Chine va passer de 4,4 trillions à 6,6 trillions.
Les femmes contrôlent les dépenses. Ce sont les principaux décideurs, les premiers prescripteurs comme le montre le tableau ci-dessous (lequel semble confirmer des stéréotypes que l'on peut avoir sur la place des femmes dans les différentes cultures).

Trois anecdotes ne font pas une tendance, mais attirent l’attention sur un sujet

Pourtant, l’étude menée par les auteurs, conclut que peu d’entreprises font encore des efforts spécifiques pour ce marché en particulier sur deux critères :
- Des produits spécifiquement dessinés pour elles
- Des solutions qui font gagner du temps (précieux dans la gestion de leur emploi du temps complexe combinant vie privée et professionnelle)

La tendance est pourtant au développement d’offres spécifiquement adaptées aux femmes. Deux exemples :
- Curves est un club réservé aux femmes, qui propose une séance d’entraînement musculaire et cardiovasculaire en un circuit de seulement 30 min.
- Diamond est une compagnie d’assurance anglaise dédiée aux femmes. Avec l’assurance auto vient une assurance sac à main et la marque entretient sa communauté de clientes dans un style très revue féminine.

Il semble bien que les aînés et les femmes sont les cibles qui montent.

Connaissez-vous l’influence des femmes dans le processus d’achat de vos produits ?
Comment adaptez-vous votre offre, votre marketing et votre service à cette clientèle spécifique ?
Avez-vous posé ces questions aux femmes dans votre équipe ?

samedi 15 août 2009

Crocs et Fitflops : le miroir piégé aux alouettes

Alors voilà, Crocs est au bord de la faillite. L’an dernier l’entreprise a perdu 185 millions de dollars et licencié un tiers de ses effectifs (contre un bénéfice de 200 millions en 2006). Au deuxième trimestre 2009, les ventes ont chuté de 11% et le troisième trimestre s’annonce encore moins bon.

Un beau plantage stratégique. Je ne connais pas précisément cette entreprise. Mais en y réfléchissant un peu, il y a quelque chose de prévisible dans ce naufrage. Et pourtant toutes les décisions stratégiques peuvent paraître rationnelles.

1.Une innovation technologique : un procédé de moulage qui permet de fabriquer des chaussures en plastique moulé antibactérien.
2.La vente à des investisseurs américains qui ont les ressources financières et les compétences pour exploiter le filon en élargissant le marché du médical au grand public.
3.Une stratégie marketing brillante qui réussit à créer la mode. Et des petits clous à enfoncer dans les chaussures qui doivent générer une marge indécente.
4.Un triomphe, les Crocs se vendent comme des petits pains. L’entreprise se dit alors qu’elle tient un filon et décide, c’est logique, de diversifier son offre de chaussures : des modèles variés, plus esthétiques, pour séduire une nouvelle clientèle et multiplier les ventes chez ses clients fidèles (car les Crocs sont solides et on n’en change pas fréquemment). En sept ans 100 millions de paires sont vendues.
5.En 2006 l’entreprise est introduite en bourse. Normal : les résultats sont là et l’entreprise doit avoir besoin d’argent frais pour assurer son développement.
6.En 2008 les premières difficultés. La réaction classique : pas de réflexion de fond sur l’offre et le positionnement mais des licenciements et une délocalisation en Chine pour baisser les coûts.
7.2009 : ça sent le sapin.

Fonction et mode : les avantages distinctifs des Crocs.

Les crocs ont deux avantages produit certains : le premier est fonctionnel, le second est lié à la mode. Les Crocs sont antibactériennes et lavables à la machine. Ces caractéristiques sont distinctives. On peut les acheter pour des raisons fonctionnelles. Cet avantage est durable. On peut avoir toujours besoin de ce type de chaussures.
La seconde distinction est liée à un design ignoble mais marquant est lié à la mode. Pour des raisons qui tiennent en partie à la compétence de l’équipe de marketing et pour beaucoup au coup de chance, la mode s’en est emparée. Mais cet avantage est peu durable. Il dure ce que durent les modes, l’espace de quelques années, le temps de faire le tour de la planète.
En fait, le succès monstre de Crocs depuis quelques années repose à mon avis sur un coup de chance, un effet de mode, qu’elle ne maîtrise pas vraiment.

Certaines marques comme Mephisto ou Geox ont bâti leur succès en capitalisant patiemment sur un avantage concurrentiel de type fonctionnel, en créant des lignes qui peu à peu se mettaient à suivre la mode, mais ne sont jamais la mode.

Au contraire Crocs a cédé au miroir aux alouettes du succès de mode.

Le miroir piégé aux alouettes.
Quelques hypothèses sur la réflexion stratégique de Crocs (que je n’ai jamais eu en main, donc je suis peut-être complètement hors sujet).

- Toute réflexion stratégique doit se structurer à partir de ce qui constitue l’avantage concurrentiel. Dans le cas de Crocs il est de deux natures : un avantage fonctionnel durable et un avantage lié à la mode. Il paraît évident que celui sur lequel repose le succès durable est le premier. Essayer de rester à la mode quand on est Crocs est perdu d’avance.

- En diversifiant son offre, Crocs commet deux erreurs importantes : une erreur produit et une erreur de chaîne de valeur.
L’erreur produit : Ses autres produits ne démontrent pas tous le même avantage fonctionnel. D’autre part, ils ne peuvent pas être à la mode. Ce qui était à la mode c’était le sabot Crocs, pas la marque Crocs. Diversifier une marque si jeune, avec des produits si laids et si chers est une décision étrange.
L’erreur dans la chaîne de valeur : La diversification consomme beaucoup de ressources. Elle complexifie la chaîne de valeur : du design à la distribution. Les magasins doivent être plus grands, les stocks plus importants, etc. Elle a un coût. Et je serais curieux de connaître la part de ces produits dans les ventes totales.

- Ces erreurs sont le fruit d’une myopie stratégique. Un premier biais est cognitif : Il est difficile d’admettre que l’on a réussi par chance, que l’on ne maîtrise pas tout sur un marché. La contrepartie est angoissante : ce n’est pas parce que vous prenez les bonnes décisions que le marché va réagir favorablement. Un autre biais est organisationnel : tout le monde dans l’organisation a intérêt à expliquer qu’ils ont maîtrisé le succès, que leurs décisions en sont à l’origine. En 2006 quand l’entrée en bourse est un triomphe, essayez d’être celui qui annonce que ce n’est peut-être pas la bonne stratégie.

Alors qu’aurait pu faire Crocs ?
Personnellement, je reste convaincu que pour réussir durablement il faut bien cerner son avantage concurrentiel et s’y tenir.
Crocs aurait eu intérêt à rester focussé sur l’exploitation de son avantage fonctionnel et à utiliser le succès de mode comme une aubaine. Dit autrement : limiter la diversification, utiliser le cash généré par le succès de mode pour investir dans le sabot (et quelques déclinaisons) pour l’installer durablement (en se disant que la mode va passer et qu’il ne faut pas s’emballer et se prendre pour un autre). Converse par exemple a basé son succès sur un modèle de base qui a un succès régulier et revient à la mode périodiquement.

Tout en conservant son positionnement grand public, je pense que Crocs aurait intérêt à concentrer ses efforts sur certains marchés spécifiques où l’avantage fonctionnel pourrait être exploité pleinement : tous les domaines collectifs où l’hygiène est importante (la santé, l’éducation, les maisons de retraite, etc.). Cela peut supposer des efforts de mise en marché différents : force de vente dédiée, signature d’accord de fourniture pour des établissements, efforts sur les prix, etc. C’est certes moins sexy, moins glamour, les photos sont moins belles dans le CV du PDG, mais à mon avis, c’est beaucoup plus durable.

Les Fitflops, les prochaines victimes ?
D’ailleurs depuis deux ans, les Fitflops font un triomphe (2 millions de paires vendues en 2008). Avec leurs semelles en trois parties qui créent des micro-déséquilibres, elles obligent les muscles à travailler. Elles ont donc un avantage fonctionnel.
Cèderont-elles au piège du succès de mode ou sauront-elles gérer avec clairvoyance leur avantage fonctionnel pour s’installer dans la durée ?

Réponse dans deux ans.

mardi 11 août 2009

Contrition, éveil et amnésie

Autre impression en lisant le numéro de juillet-août de la Harvard Business Review : nous vivons un temps d’éternel retour. C’est incroyable tout ce que les patrons redécouvrent depuis quelques mois. Plusieurs hypothèses s’offrent à nous :
1.les choses étaient bien cachées
2.ils regardaient ailleurs,
3.ils nous jouent la veuve éplorée qui attend la fin de l’enterrement pour rejoindre son amant.
Personnellement je mise sur la troisième. Et je m’explique.

Le grand patron redécouvre la fin de l’économie rationnelle
Figurez-vous que nous arrivons à la fin de l’économie rationnelle. (Ariely, « The end of rational economics », HBR, 78-84). Rappelons, pour ceux qui dormaient dans le fond, qu’Herbert Simon a reçu en 1978 le prix Nobel pour ses travaux sur la rationalité limitée des acteurs. Citons l’ouvrage de Taleb : « le cygne noir », qui analyse les limites de la capacité des modèles à prévoir le futur. Bref, la pensée magique des décideurs a quelque chose de vraiment inquiétant. Pour moi, elle révèle les limites de leur pouvoir à agir, et l’hypertrophie de leurs égos et de leurs fantasmes de toute-puissance. D’un point de vue organisationel : déléguez, responsabilisez à tous les niveaux de l’organisation, créez des zones d’expérimentation. Prenez conscience de vos limites, de vos besoins personnels, et les choses pourraient aller mieux (c’est ce que conseille l’article de Heifetz, Grashow et Linsky, « Leadership in a (permanent) crisis », HBR, 62-69).

Le grand patron redécouvre le rôle régulateur de l’Etat (comme ça l’arrange)
J’aimerais croire que l’ère Reagan-Thatcher est derrière nous. Mais je garde une petite gêne quand je vois comment l’article de Reich, « Government in your business », HBR, 94-99, voit le rôle de l’Etat. Selon lui, la période de régulation qui vient sera très différente de la précédente. Finie le command and control. L’Etat devra persuader (coax) et non restreindre (curb). La dynamique propre du marché amènera les entreprises à aller vers des comportements vertueux. A l’œuvre cela donne par exemple les bonus de Goldman-Sachs ou de la BNP, le remboursement des prêts par les banques américaines qui souhaitent se débarrasser de la tutelle de l’Etat. Rappelons que lors du G20, il était demandé aux établissements financiers de mettre en place des modes de rémunération qui n’incitaient pas à la prise de risque. Voilà qui pourrait amener un esprit chagrin, (et rétrograde) à douter de la capacité de conviction des Etats. Et l’esprit chagrin de penser que tant qu’il n’y aura pas d’instance de régulation pour taper sur la table et coller des baffes, la récréation risque de continuer.

Le grand patron redécouvre ses parties prenantes
« CEOs are rediscovering stakeholder capitalism, respecting the needs not just of investors but also of customers, employees and suppliers” (Pfeffer, “Shareholders first? Not so fast…”, HBR, 90-91). Ils redécouvrent quoi ? Alors là je ne sais plus quoi dire. Cette affirmation donne une étendue de la crise du capitalisme réel. J’ai quand même l’impression que l’on se fout un peu du monde.

Acte de contrition, éveil et amnésie
Evidemment tout cela est à nuancer. La HBR fait son marketing, cherche des titres accrocheurs. Et les institutions financières sont très vertueuses. Cependant la HBR est quand même un bon indicateur de l'air du temps. Je prends donc la tendance qui se dégage de ce numéro au sérieux.
Et j’ai quand même l’impression que cet éveil du monde des affaires à ces principes (l'équilibre des parties prenantes, l'incertitude, l'irrationalité des décisions, etc.) est un préalable à une crise d’amnésie. Il suffit d’ailleurs de regarder ce qui se passe pour constater qu’elle est déjà à l’œuvre. Selon plusieurs analystes la prochaine est déjà là : l’économie verte. Selon plusieurs acteurs du monde de la finance tout recommence comme avant, une main sur le cœur, l’autre dans le pot de confiture. Il suffit de constater le retour de bonus record.

Alors quoi ? La révolution ? Non la politique !

lundi 3 août 2009

Sortir de la crise selon la Harvard Business Review

Le numéro de juillet – août de la Harvard Business Review est très intéressant à plus d’un titre.

Depuis quelques mois plusieurs articles de cette revue portaient sur la gestion en temps de crise, avec des contributions vraiment utiles, en particulier en ce qui concerne les stratégies marketing. J’avais prévu quelques synthèses pour ce blogue, j’ai commencé à les écrire. Mais il semble que la crise, au minimum la Harvard Business Review, vont plus vite que moi, car :

La crise est finie
La HBR nous l’annonce dans son « special issue » de l’été 2009 et attire notre attention sur les nouvelles règles du jeu dans cette après-crise. Je cite : “As we begin to emerge from a worldwide economic collapse, it will critical that business leaders understand what the new norms are” (p. 43). L’optimisme et la capacité de cette nation à rebondir sont étonnants.
Cependant constatons que les lecteurs sont moins optimistes. Selon un sondage auprès de 1213 lecteurs appartenant au HBR Advisory Council, 19% considèrent que les Etats-Unis sortiront de la crise en 2011 ou plus tard, 24% fin 2010, 26% au milieu de 2010, 21% au début de 2010 et 10% fin 2009.

Les choses changent
Plusieurs articles explorent les nouvelles règles du jeu de cet après-crise.
Un premier article de Beinhocker et Davis fait le point sur 10 tendances.

En hausse :

- Le besoin de créer la confiance : dans un contexte de crise, le besoin de confiance est un facteur clé de succès. Cependant il s’agit de développer d’intégrer l’ensemble des parties prenantes dans cette démarche. Et les auteurs de constater que les Etats-Unis et l’Angleterre sont en retard dans cette dynamique.
L’article de Pfeffer, « Shareholders first ? Not so fast… », souligne que les dirigeants redécouvrent le besoin d’intégrer les besoins l’ensemble des parties prenantes (clients, employés, fournisseurs) plutôt que de chercher à privilégier la confiance des seuls actionnaires. Il pose la question : « Why should past labor (capital) receive so much preference over current labor (employees) ? ». Remarquons que Pfeffer ne fait pas mention de la société dans son ensemble dans sa liste des parties prenantes.

- Un rôle croissant pour les gouvernements en matière de soutien des entreprises en difficulté, de régulation, etc. Cependant la hausse des déficits combinée à un vieillissement de la population laisse envisager des lendemains difficiles.
Reich dans son article « Goverment in your business », souligne que cette forme de régulation prendra des formes nouvelles : moins contraignante (« moins command and control »), mais plutôt orientée vers une promotion des comportements désirés et la mise en place d’incitations qui orientent le marché (dont la bourse du carbone est un exemple).

- Le changement de l’équilibre mondial en matière de consommation : moins de consommation aux Etats-Unis, un basculement vers l’Asie (Chine, Inde et autres pays émergents). Conclusion : une croissance de la consommation mondiale qui va ralentir, une croissance des marchés émergents, un vieillissement des consommateurs (même en Chine) et un défi : comment répondre aux attentes en hausse de clients qui ont moins de budget.

- Restructuration des industries et nouveaux modèles d'affaires : avec la crise les opportunités de restructuration d’un secteur d’activité sont nombreuses. Certains secteurs voient une consolidation (voir par exemple le secteur pharmaceutique, ou l’automobile). D’autres secteurs s’appuient au contraire sur un développement en réseau (voir par exemple l’électronique). Pour les auteurs peu de secteurs resteront inchangés, et la crise apparaît comme un accélérateur de transformation des modèles d’affaires. Tout chef d’entreprise devrait se poser ces questions, pour éviter d’être déclassé lors de la reprise.

- La remise en question de la stabilité des prix. La phase de stabilité des prix est finie. Nous entrons dans une ère d’instabilité des prix : coût des matières premières, tendances macro-économiques à la déflation ou à l’inflation. L’impact pour une entreprise est de chercher à maintenir de la flexibilité dans la structure de ses prix, de rester prudent en ce qui concerne des engagements à long terme sur les prix et de lier autant que possible le prix de vente au coût des intrants. Cela donne une importance stratégique à la fonction achats et à son intervention dans la fixation des prix.

Stable :

- La hausse des matières premières : certes la crise a inversé la tendance haussière des matières premières. Mais ce n’est qu’un répit. Avec le retour de la croissance, retour de la hausse.

- La science managériale : les modèles mathématiques ont montré leurs limites pendant la crise. Est-ce la fin d’une vision du management comme une science dure ? Pas pantoute. La solution est de sophistiquer les modèles, en particulier en approfondissant les dimensions plus qualitatives pour explorer ce qui se passe « inside the black boxes » et prendre en compte de manière plus réaliste de l’impact des comportements humains.
L’article de Ariely, « The end of rational economics », insiste en particulier sur ce point, en soulignant en soulignant que le présupposé selon lequel les clients, les employés et les managers ont des comportements logiques et prévisibles est faux. Et d’explorer les faces sombres du comportement. Sur ce sujet deux livres sont passionnants : « Le cygne noir » de Taleb (Les Belles lettres) et « Sociologie des erreurs persistantes » de Morel (Seuil).

- L’éveil asiatique : Certes l’Asie vit une période de trouble économique important. Cependant la crise a ralenti la croissance économique, mais ne l’a pas éteinte. Les investissements ciblés en Asie resteront pertinents mais nécessiteront plus d’efforts, en choisissant les bons partenaires, en soignant les relations avec les gouvernements, et en adaptant l’offre. Face à des marchés urbains de plus en plus saturés, les marchés des villes moyennes, voire des marchés ruraux ont le plus de potentiel. Il ne faut pas oublier que les géants asiatiques Haier, Chery ou Tata peuvent profiter du souci de pouvoir d’achat des consommateurs occidents pour tirer profit de leur expérience sur des marchés à faible pouvoir d’achat et gagner des parts de marché.

- Les efforts en innovation : contrairement aux investissements en innovation commerciale, les investissements en innovation fondamentale ne se sont pas réduits, et ne devraient pas se réduire. Au contraire, plusieurs études montrent que les entreprises qui ont investi en R&D à contre-cycle durant les récessions ont surperformé lors des reprises (voir par exemple les investissements d’Apple en 2001-2003 en pleine explosion de la bulle Internet). Cependant la rareté des ressources impose une gestion fine du portfolio de projets afin de se recentrer sur les plus prometteurs.

En recul :

- La mondialisation économique : de nombreux pays ont cédé aux sirènes protectionnistes. Entre octobre 2008 et février 2009, les chercheurs ont recensé la mise en œuvre de 47 mesures protectionnistes contre 12 mesures de libéralisation. Conclusion : attention aux stratégies naïves de globalisation de la chaîne de valeur.


Ces articles amènent aussi à un questionnement plus profond, une sorte de gêne. Une sorte d'impression de lendemain de gueule de bois où l'on se dit : on me l'avait bien dit, et je vais changer. Alors que l'on sait très bien que l'on en prendra une autre. J'explorerai cet aspect très bientôt.

lundi 27 juillet 2009

En attendant le dreamliner - Le risque de l'innovation ouverte

Un article dans Le Figaro a attiré mon attention. Le titre est vendeur : Boeing change de modèle industriel pour sauver le B 787. Et à y regarder de près, le sujet est très intéressant.

Résumé des épisodes précédents.


Boeing travaille sur un avion révolutionnaire, le 787. L’utilisation massive de matériaux composites en carbone qui permet en particulier d’alléger l’appareil et d’économiser 20% de carburant.

Face à ce défi technologique majeur, Boeing a décidé de mettre en œuvre une stratégie à la mode, le recentrage sur ce que les stratèges analysent comme le cœur de métier : le design, l’assemblage final et la commercialisation et le recours à une stratégie d’externalisation de près de 80% de l’ensemble des opérations. Les 47 partenaires ont aussi un rôle majeur dans le processus d’innovation technologique. On parle alors d’innovation ouverte (« open innovation »). Cette stratégie permet théoriquement (et de nombreux exemples l’attestent) de stimuler l’innovation, d’accélérer le processus de conception et de réduire les risques en les partageant.

Seulement voilà, les retards se succèdent. L’avion a plus de deux ans de retard. Des commandes sont annulées par des clients impatients.

Réaction de Boeing : l’intégration verticale.
Début juillet, l’entreprise a acquis pour 580 millions de dollars une usine de Vought Aircraft Industries chargée de fabriquer des sections du fuselage avec des matériaux composites. Boeing cherche manifestement à reprendre le contrôle d’un maillon stratégique de sa chaîne de fabrication (rappelons que l’utilisation des matériaux composites est une rupture technologique majeure).

Les défis de la gestion de l'innovation ouverte.

Ces déboires de Boeing mettent en évidence des défis majeurs dans la gestion de l’externalisation dans des contextes de très haute intensité technologique.
- Le besoin d’un alignement sur un projet commun. Cela devient particulièrement difficile dans des projets qui durent plusieurs années pour des entreprises qui n’ont pas nécessairement les mêmes priorités stratégiques.
- La difficulté de choisir des partenaires qui ont les bonnes capacités stratégiques. Malgré tous les audits possibles, cela ne se découvre qu’à l’usage. D’où l’importance d’y aller progressivement, en commençant par des projets de moindre envergure, histoire de s’apprivoiser. Ainsi le directeur général de Vought, Elmer Doty, a admis que les "exigences financières" liées au programme Dreamliner dépassaient les capacités de sa société » (source : Le Figaro).
- La difficulté de coordonner le travail d’un réseau fait d’entreprises qui n’ont pas les mêmes cultures, les mêmes processus, les mêmes SI, etc. Les coûts de coordination et d’échange finissent par être plus élevés que les bénéfices réalisés.

Le modèle de l'industrie automobile.

Ce mode d’externalisation fonctionne depuis longtemps dans le domaine de l’automobile. 60% de la valeur-ajoutée et du développement d’un véhicule est confiée à des sous-traitants. Plusieurs facteurs facilitent de fonctionnement en réseau :
- Un long historique : contrairement au secteur aéronautique, ce fonctionnement est ancien. Des façons de fonctionner ont pu s’élaborer au cours du temps. Les sous-traitants ont eu le temps de développer leurs capacités. Les entreprises sont plus proches, plus alignées. A tel point que certains sites regroupent sur un même site les usines des différents sous-traitants (voir par exemple l’usine de Smart à Hambach).
- La durée des projets : le cycle de développement d’une voiture est de 3 ans, contre une quinzaine d’années pour un avion.

Pourtant le modèle d’innovation ouverte dans l’automobile souffre aussi de critiques de fond.
Dans un article publié en mai 2009, Wired explore la crise du secteur de l’automobile et montre l’évolution nécessaire du modèle d’externalisation : d’une relation donneur d’ordre à sous-traitants (dans laquelle le design est géré par la marque automobile puis dicté à des sous-traitants) vers une relation partenariale dans laquelle les innovations développées chez chacun des sous-traitants spécialistes sont proposées à la marque automobile.

A venir.

Depuis 15 ans, les stratégies réseaux se sont imposées comme des leviers de croissance. Cependant l’aventure récente de Boeing nous rappelle que cela n’est pas sans risque.
A venir : quelques outils pour prendre des décisions stratégiques en matière de gestion de son réseau.

vendredi 10 juillet 2009

Ecouter le client – Devancer le client

Réactions (tardives) au commentaire sur le message au sujet du saucisson aux champignons. A la question que je posais : mais comment pense-t-on à ajouter des champignons aux saucissons, quelqu’un de visiblement concerné par le sujet (un producteur de champignons) répond : « Le type qui récolte les champis a proposé cette idée au gars qui fabrique le saucisson ». Je comprends que le producteur de champignon est allé proposé l’idée au fabriquant de saucisson. Et il conclut : « La vie est simple, non ? ».

Un doctorant en management n’a pas la réponse à cette dernière question. En revanche, cette réponse lui inspire une réflexion stratégique. Donc il la partage.


Deux types d’innovation

La question est de savoir d’où proviennent les idées d’innovation. Et la réponse est contrastée. Il faut commencer par distinguer deux types d’innovation :
- l’innovation incrémentale : on améliore ce qui existe déjà. Exemples : un nouveau goût de yoghourt, une nouvelle version de logiciel, le modèle 2009 d’une voiture, etc.).
- l’innovation de rupture : grâce à laquelle on transgresse les règles du jeu d’un secteur, on invente de nouvelles formes. Exemples (à mettre en face des exemples ci-dessus) : Essensis (le premier yoghourt de dermo-nutrition qui fut un bide), l’appstore d’Apple, la voiture électrique.


Ne pas rester collé au client

De nombreuses études, et plusieurs de mes observations en entreprise, arrivent à la même conclusion. Si vous voulez améliorer les choses, écoutez vos clients, si vous voulez créer des ruptures, écoutez vos partenaires, vos fournisseurs, et vos intuitions. Pourquoi ?

Les clients répondent le plus souvent en fonction de ce qu’ils connaissent. Ils vont chercher à améliorer l’expérience qu’ils vivent avec vos produits puisque ce sont eux qu’ils ont en main. Vous pouvez toujours trouver quelques visionnaires qui vont vous dire qu’en fait le produit qu’ils veulent ce n’est pas celui pour lequel ils payent aujourd’hui, mais ces « outlyers » risquent fort d’être noyés dans la masse des données des études marketing.

Comme dirait Martin Forest, président de Groupe Forest : « à trop rester collés à vos clients, vous risquez de mourir avec eux ». L’innovation de rupture risque fort d’arriver d’ailleurs.


Utiliser son réseau de partenaires pour trouver de nouvelles idées
En revanche les partenaires et fournisseurs arrivent avec des idées qui peuvent être radicalement nouvelles. Parce qu’ils ne fonctionnent pas avec les mêmes contraintes que vous et qu’ils essaient des choses différentes. Parce que, dans leur désir de trouver des nouveaux débouchés à leurs produits, ils vous arrivent avec des idées auxquelles vous n’auriez jamais pensé tout seul (normal, ils viennent d’un autre secteur, ils n’imaginent même pas vos contraintes). C’est ce qui s’est passé avec le producteur de champignons qui vient voir le producteur de saucisson et lui dit : « Dis donc, t’as jamais pensé à mettre des champis dans ton sauciflar ? - Ben non. ».


La preuve par la littérature

Dans un de leurs articles, publié dans Technovation en 2004 et sobrement intitulée « Sources of information as determinants of novelty of innovation in manufacturing firms: evidence from the 1999 statistics Canada innovation survey », Nabil Amara et Réjean Landry de la Faculté d’Administration de l’Université Laval, mettent en particulier en évidence les liens avec les centres de recherche publics, universitaires ou privés.
L’échantillon porte sur l’ensemble des entreprises manufacturières canadiennes de plus de 20 employés et de plus de 250 000 dollars de chiffre d’affaires annuel.
Je cite : « The fact that the results of the present study suggest that the use of market sources of information decreases the likelihood of innovations that can be considered as world premieres does not mean that market sources do not influence the likelihood of innovation. (…) These results simply suggest that innovations embodying more radical changes in products or processes require more research-based information than incremental changes that can be implemented with market sources of information.”


Quelques questions à se poser

- Ecoutez-vous trop vos clients ?
- Passez-vous du temps à regarder ce qui se fait de très innovant dans votre réseau de partenaires ? et à imaginer comment vous pourriez utiliser ces innovations ?

samedi 27 juin 2009

Un médecin chinois au chevet de l’assurance

Réflexion de la semaine issue d’une intervention chez un client assureur qui pense à son avenir. La question de fond était celle de l’évolution du métier d’assureur, qui, si l’on en croit les pronostics d’Attali (dans son livre « Une brève histoire de l’avenir ») est le secteur de demain.

Bribes de contexte

Le secteur est marqué par une concurrence exacerbée. Les banquiers sont devenus assureurs et gagnent un point de part de marché par an. Des nouveaux joueurs Internet sont apparus et grignotent des parts de marché.

Sur les produits simples et quasi-standards (en particulier les assurances automobiles) les clients sont extrêmement sensibles au prix, et la commercialisation par Internet se développe (même si la France reste largement à la traîne d’un pays comme le Royame-Uni par exemple). En revanche pour les produits plus sophistiqués (assurances personnalisées, assurance vie, etc.) les clients souhaitent toujours parler à quelqu’un.

Bref, dans ce contexte la question devient, comment enrichir la relation entre la compagnie d’assurance et ses clients ?

Médecin chinois vs. médecin occidental

Une métaphore m’est venue : le médecin chinois et le médecin occidental. Elle peut être utile dans plusieurs métiers de service. Donc je fais tourner.

L’assurance actuelle est très centrée sur la résolution efficace de sinistres. Comme un médecin occidental est payé pour guérir, une fois qu’un problème arrive.

Au contraire, dans la tradition chinoise, le médecin était payé pour maintenir les gens en bonne santé. Quand ils tombaient malades, ils n’étaient par rémunérés pour les guérir. Et si les assurances devenaient des médecins chinois traditionnels ?

Dit autrement, si leur fonction était d’abord d’éviter que les sinistres se produisent ? Cela donne de l’importance aux activités de prévention.

On en est loin. Un participant à la réflexion racontait que si vous appelez votre assureur pendant qu’un dégât d’eau se produit il va répondre : « Nous n’y pouvons rien, appelez nous quand ce sera fini ».

Un changement en marche

Pourtant les signaux faibles existent :

- La prévention cosmétique : le remboursement des produits répulsifs à moustiques par exemple.
- Les sites de prévention : AXA Santé, zerotracas.com, sont des sites de conseils qui visent une prévention dans des domaines spécifiques (la santé, l’automobile). Avec journeezerotracas.com, MMA va même plus loin en proposant un site où les assurés déposent des conseils et astuces pour mieux vivre.
- FM Global, un assureur états-unien spécialisé dans les grosses primes d’assurance professionnelle, est à ma connaissance, une des entreprises qui va le plus loin dans ce domaine. Ils se voient comme des partenaires dans la prévention des risques, plus que des régleurs de sinistres. Ainsi, sur leur site, on peut constater l’importance du travail de formation technique de leurs clients sur la prévention des risques : par des séminaires en ligne ou des tournées à travers tous les Etats-Unis.

C'est la tête docteur

Cela veut dire qu’un assureur n’aura plus à régler des sinistres ? Certes non. Mais je suis persuadé que leur utilité va fortement évoluer dans les prochaines années. Et je reste toujours surpris par la résistance que l’on rencontre chez des professionnels quand on essaie d’élargir la vision de leur métier. Passer d’un métier d’assureur technique (concevoir des produits et gérer des sinistres) à une vision d’utilité pour les clients (répondre à leur besoin de sécurité dans la vie), ce n’est pas gagné. Et ce n’est pas une question de système d’information ou de marketing.

C’est dans la tête, docteur, c’est dans la tête. Monsieur le médecin traditionnel chinois, que pouvez-vous faire ?

samedi 13 juin 2009

Saucisson aux champignons sauvages, véhicules électriques et porcelaine de Limoges

Hier soir penché sur mon avocat (le fruit, pas la profession libérale), je faisais dans ma tête une synthèse de discussions et événements récents. La cohérence de l’ensemble repose sur le concept de path dependency. Je fais tourner.

J’achète régulièrement de la saucisse sèche biologique fabriquée à Charlevoix. L’autre jour je tombe sur un saucisson aux champignons sauvages. Que fais-je ? J’achète. Je goûte. Je m’enthousiasme. Les champignons se marient admirablement, rehaussent le goût, ajoutent en profondeur. Un délice.

Et je me dis : « il fallait vraiment que je vienne ici pour trouver du saucisson aux champignons ». Pour être honnête, je continuais en pensant : « il faut vraiment être libre dans sa tête pour mélanger du saucisson avec des champignons » (ou alors avoir trébuché). Les deux hypothèses méritent d’être approfondies.

La sérenpidité : oops ! j’ai pas fait exprès et j’ai fait fortune

La seconde hypothèse d’abord : avoir trébuché. Cela souligne l’impact de la sérendipité dans l’innovation. Le hasard, les erreurs sont des sources majeures de ruptures. L’invention du micro-onde : en 1945 Spencer travaille sur la mise au point de radars. Il travaille sur une nouvelle machine. Dès lors les versions varient : selon certain il constate qu’une barre de chocolat a fondu dans sa poche, selon d’autres il réalise que son sandwich posé tout à côté a cuit. Le principe au cœur des imprimantes à jet d’encre (la production de gouttelettes par la chaleur et non par la pression) et exploité par Canon pour la première fois par Canon dans sa BJ-80 a été découvert suite à un faux mouvement d’un ingénieur.
On peut imaginer qu’une erreur est à l’origine de cette innovation majeure qu’est le saucisson aux champignons. Mais je n’y crois pas beaucoup. Je miserais plutôt sur la seconde analyse.

Les prisons des paradigmes et de la path dependency

Depuis des années quelque chose me frappe en amérique du Nord : la capacité de réinvention à partir des traditions d’ailleurs. Que ce soit en matière de saucisson, de fromage, de sushis ou autre, la créativité est étonnante et donne lieu à des adaptations ou des mélanges étonnants. Deux façons d’expliquer cette liberté :

La première est l’absence de la pesanteur de l’histoire.
Quand on se lance dans le saucisson ou le fromage (ce qui est le cas au Québec depuis quelques années), on n’a pas de limites dans la représentation de ce qu’est un saucisson. On peut donc essayer des choses sans idées préconçues, comme de mélanger du saucisson avec tout et à peu près n’importe quoi pour sélectionner ce qui est le meilleur. Dans des mentalités où pèse la tradition, cela serait considéré comme de l’hérésie.
L’histoire, la tradition structurent des paradigmes, c'est-à-dire des schémas mentaux d’interprétation de la réalité. On ne peut pas fonctionner sans paradigme, aillons au moins la clairvoyance de connaître les nôtres, développons notre capacité de remise en question, notre capacité d’empathie qui peut nous permettre de nous glisser dans la peu de l’autre, ainsi que notre curiosité pour rester en éveil.
Exemple extrême partagé par un de mes clients dans un repas d’affaires. L’histoire concerne l’industrie de la porcelaine de Limoges. La qualité de la porcelaine dépend de celle du kaolin qui entre dans sa composition. L’industrie de la porcelaine de Limoges s’est développée en exploitant le kaolin du Limousin, le meilleur au monde. Au cours des dernières décennies cette industrie s’est trouvée en difficulté. En particulier, l’industrie chinoise de la porcelaine, utilisant du kaolin chinois, a précipité son déclin. Hors voilà qu’il y a quelques années Geneviève Lethu a décidé de relocaliser la fabrication de ses porcelaines en France pour bénéficier du savoir-faire traditionnel de Limoges. Mais pour réduire les coûts, face à la raréfaction du kaolin local, l’entreprise a décidé d’importer du kaolin chinois (qui donne une porcelaine moins transparente). L’entreprise a eu les plus grandes difficultés à trouver des sous-traitants qui refusaient de dégrader leur savoir-faire, protégé par le label « Porcelaine Limoges ». Et pendant ce temps là le déclin continuait. Chez nombre d’entrepreneurs, le paradigme de la tradition a eu raison du pragmatisme économique.

La seconde explication est la dépendance qui se crée vis-à-vis d’une structure et qui conditionne les innovations possibles, ce que l’on appelle la path dependency.
Au cours du temps l’entreprise développe des capacités et un capital. La tentation est d’exploiter ce capital plutôt que de développer en dehors du capital. Cela génère plus de rentabilité, jusqu’au moment où le capital est trop décalé par rapport aux besoins de l’environnement. Exemples de facteurs qui génèrent cette dépendance :
- Les investissements en marketing construisent une image. Innover peut amener à casser ces efforts. Par exemple si depuis 10 ans vous vous êtes positionné comme un fabricant de saucisson de haute tradition, introduire un saucisson innovant peut s’avérer difficile et ne s’appuie pas nécessairement sur le capital d’image.
- Dans un contexte d’optimisation du processus pour un certain type de production, l’introduction de produits très innovants peut générer des pertes de productivité.
- Les efforts de recrutement et de formation sont optimisés pour un métier.
- Les réseaux de distribution sont structurés pour certains types de produits et pas d’autres.
Prenons par exemple la dépendance aux normes Appelation d’Origine Contrôlée (AOC) utilisées en France pour nombre de productions régionales (vin, fromages, beurre, sel, etc.). D’un côté, ces normes ont un impact marketing très positif puisqu’elles garantissent que les produits sont fabriqués en suivant un cahier des charges très précis. Par exemple le fromage Comté est fabriqué avec le lait de certaines vaches, nourries d’une certaine façon. D’un autre côté, ces normes induisent une path dependency qui limite l’innovation. Dans une AOC, il ne doit pas être facile de fabriquer du saucisson aux champignons et il est impossible de produire du Comté aux abricots.

L’effet de la path dependency a un impact majeur dans l’évolution de plusieurs secteurs, par exemple :
- L’incapacité des grands laboratoires pharmaceutiques à apprivoiser la biotechnologie.
- L’incapacité des constructeurs automobiles à développer des voitures électriques. Il est frappant de constater que la première voiture de sport électrique, Tesla, a été développée par des informaticiens de la Silicon Valley.

De manière plus générale, la path dependency est un prisme qui me paraît très pertinent pour analyser notre difficulté à remettre en question nos modèles de développement économique et social, face aux défis actuels : l’instabilité géopolitique, le développement des inégalités, la pauvreté dans les pays du Sud, et la crise écologique.

Comme individu, comme organisation, posez-vous les questions suivantes :
Quelles sont les croyances, les valeurs, qui sont à la base de mes interprétations des événements ? existe-t-il des façons différentes d’aborder les choses ? suis-je capable de les utiliser ?

Et face à un problème, obligez-vous à regarder les choses avec un regard qui n’est pas le votre. C’est exigeant, mais souvent salutaire.