jeudi 30 décembre 2010

Angoisse de Noël : se développer dans un monde fini

Petite angoisse philosophique de fin d’année, je partage avant d’oublier. La question de la dépendance à la croissance, de nos économies (sans croissance, pas de création de richesse), de notre équilibre social (« le partage des fruits de la croissance ») voire de notre bonheur individuel (croissance = travail + consommation = sens à la vie + stimulation narcissique) me titille depuis longtemps.

Depuis un an cette question est alimentée très concrètement par l’enjeu des terres rares. Les terres rares, sont dix-sept métaux aux noms de pensionnaires du Gaffiot : comme le scandium, l’yttrium, le lutécium, ou le gadolinium. Lesquels entrent, par la grâce de leurs propriétés électromagnétiques exceptionnelles, dans la fabrication de beaucoup de produits verts comme les batteries des voitures électriques, les LED, les cellules solaires à haut rendement, les cellules photovoltaïques, etc (en plus des écrans plats et autres produits électroniques). Dit autrement la croissance verte génère une pression sur l’extraction de terres rares.

Or il se trouve que la Chine produit 97% des terres rares utilisées sur la planète. L’extraction de ces métaux se fait dans des conditions environnementales et sociales désastreuses. Elle est très consommatrice d’énergie, d’autant que les métaux sont pour plusieurs peu concentrés.

La question des terres rares est selon moi du même ordre que celle du pétrole. Dit autrement la croissance verte déplace (en partie) le problème. Du point de vue de la théorie de la « modernisation écologique » (stimulons et incitons le marché pour orienter l’offre et la demande de telle sorte que les bons choix seront faits), on peut voir là une transition nécessaire vers un système de production définitivement durable (comme l’ivrogne prend un dernier verre pour la route). Du point de vue de l’écologie politique (une critique plus radicale qui considère que nos modes de développement sont par essence non durables), le problème dans le concept de croissance verte n’est pas le « vert », mais l’idée même de croissance.


L’épuisement des ressources

Les terres rares ne sont pas des ressources renouvelables, pas plus que l’aluminium, le charbon, le fer ou l’or. Se pose donc la question du volume des stocks (qui ne semble pas être un réel problème), de l’empreinte écologique de leur exploitation (qui aujourd’hui semble très grande), et du coût de ces matières premières.

Les ressources s’épuisent pour de vrai : le cryolithe à la fin des années 80 (ce métal entre dans la composition de l’aluminium, il est aujourd’hui produit artificiellement), le terbium (utilisé dans les lampes à basse consommation) en 2012, l’argent entre 2021 et 2037, l’uranium au maximum dans 90 ans. (source : planetoscope.com, voir la liste des projections d’épuisement des métaux).

Le ministère chinois du Commerce a récemment annoncé que les réserves de terres rares du pays avaient chuté de 37% entre 1996 et 2003. A la vitesse actuelle d’exploitation il ne devrait plus y avoir de métaux rares exploitables en Mongolie au maximum dans trente ans.

L’enjeu sera donc d’organiser une industrie du recyclage. Opportunité : Marché à prendre. Mais là encore se posent les questions du coût, de la faisabilité technique et du modèle économique. On voit bien aujourd’hui comme la chaîne de valeur du recyclage ne fonctionne pas bien (voir par exemple sur le sujet l’excellent reportage de L’actualité : La grande illusion du recyclage).


L’empreinte écologique de l’extraction

L’extraction de ces métaux est un grand classique : exploitation des travailleurs, pollution et mafia.
Les mineurs travaillent dans les conditions des mineurs chinois. Pas besoin d’insister. Keith Bradsher, journaliste du New York Times raconte le processus d’extraction de ces métaux, les traitements chimiques nécessaires pour séparer ces oxydes des autres métaux. Comment les solvants polluent terres, rivières et cultures. C’est aussi une activité très consommatrice d’énergie. Enfin une part significative des exportations se fait par contrebande.

Tout cela démontre que beaucoup d’externalités ne sont pas intégrées dans le prix des terres rares.
Aux Etats-Unis, une mine californienne, fermée depuis 1992, va rouvrir. On peut supposer que les conditions d’extraction seront meilleures. Pourra-t-elle être rentable ? Quelle sera son empreinte écologique ?


La dépendance géopolitique

Le pétrole est un enjeu géopolitique majeur. Les états occidentaux ont cherché à diversifier leurs sources d’approvisionnement pour limiter leur dépendance à certains pays producteurs.

Avec les terres rares nous faisons quelques pas en arrière. La Chine produit 95% à 97% (selon les sources) de la consommation mondiale. Elle s’en sert comme d’une véritable arme diplomatique. Ainsi en septembre 2010, la Chine a temporairement cessé ses exportations de terres rares vers le Japon suite à une querelle diplomatique concernant le capitaine d’un bateau de pêche chinois emprisonné au Japon.

Et la Chine joue de son avantage. Elle a annoncé que ses exportations en 2011 seraient réduites de 11,4% pour des questions environnementales (habile utilisation des arguments occidentaux) et pour garantir l’approvisionnement des industries chinoises très actives en matière de produits verts (on voit la volonté de construire une industrie forte pour conquérir la planète, voir le concept de diamant de Porter). Enfin la Chine veut avoir un plus grand contrôle sur les prix mondiaux du fait de sa position dominante.


Conclusion : Une croissance assise sur des externalités ?

Le modèle économique occidental vacille très profondément. La question des terres rares est une illustration, il y en a beaucoup d’autres. Nous avons besoin de croissance. Or elle est faible, à peu près partout dans les vieux pays développés. D’autre part une partie de cette croissance n’intègre pas les externalités négatives, en particulier lorsqu’on s’intéresse aux caractéristiques de sa durabilité.

Les terres rares sont un excellent exemple : La croissance verte nécessite des matières premières qui pour être disponibles à un coût raisonnable, doivent être produits en Chine dans des conditions écologiques et sociales non durables.

Autre exemple : une étude de Factor X – Climate Consulting Group change la perspective sur le niveau d’émission des gaz à effet de serre (GES). Il s’intéresse non pas à ce qui est émis sur le territoire, mais aux GES nécessaires pour générer le PIB. Dit autrement, on soustrait des émissions faites sur le territoire national celles nécessaires aux exportations et on ajoute celles engendrées par la fabrication des importations.

Sachant que les importations représentent 28% du PIB français, que l’essentiel de ces importations en valeur est constitué de biens d’équipements et de consommation et que les pays fabricant ces importations ont une empreinte carbone bien moins favorable que la France, on constate que lorsqu’on ajoute l’impact des importations et qu’on soustrait celui des exportations, la France, bonne élève en valeur brute, revient dans la moyenne.

Dit autrement, la France délocalise une partie la production de GES. Ainsi la France fait assumer par d’autres une partie des externalités de sa faible croissance.


Résolution pour 2011 :

L’approche de la modernisation écologique qui est aujourd’hui dominante dans nos sociétés considère que le marché n’a pas d’idéologie et qu’il évolue naturellement dans un équilibre dynamique entre l’offre et la demande alimenté par l'évolution technologique (l'émergence de technologies vertes en l'occurrence). Les incitatifs de modification de l’offre (à travers par exemple la mise en place de normes ou de taxes carbone) et de la demande (grâce à la sensibilisation des consommateurs) doivent conduire une évolution en douceur, créatrice de croissance économique durable.

Pourtant pus ça va et plus j’ai des doutes sur la possibilité de tenir une logique de croissance dans un univers aux ressources finies. Les terres rares sont un nouvel exemple du fait que nous n’avons pas les technologies pour le faire. Tant du point de vue écologique, que social, et géopolitique (autour de la bataille de l’eau par exemple) il y a aura un coût à cette transition. Les optimistes diront qu’il sera globalement supportable. J’y crois de moins en moins. Alors quoi d’autre ?

M’intéresser au concept de décroissance raisonnable. Réfléchir dans une perspective plus radicale d’écologie politique amenant à une remise en question radicale de nos modes de fonctionnement. En envisager la pertinence, les conditions de mise en œuvre et le coût de transition. Et puis….

Aller festoyer pour le réveillon de Noël.

mercredi 22 décembre 2010

Aïny, modèle d'affaires relationnel

Depuis que je m'intéresse au sujet, je vois tout à travers le prisme de l'économie de la relation (voir partie 1 et partie 2). Application concrète ci-dessous.

Isabelle Lopez, qui n’est jamais à court d'explorations, m’a fait découvrir Aïny, jeune entreprise dans le domaine des produits naturels qui crée et commercialise des cosmétiques : crèmes hydratantes et démaquillantes. Le modèle d’affaires de l’entreprise est particulièrement intéressant et illustre le passage d’une économie de l’information à une économie de la relation.



Le brevet ou le marketing, les leviers de la bataille concurrentielle traditionnelle

Le modèle idéal, classique dans ce domaine pour des entreprises d’envergure, repose sur la possession d’une propriété intellectuelle, un brevet. Cela donne de la valeur à la compagnie qui cherche sur cette base à se financer auprès d’investisseurs. Caudalie par exemple a breveté entre autres les polyphénols des pépins de raisin, Galénic a quatre brevets autour de l’huile d’argan.

D’autres n’ont pas de brevet et se battent sur l’innovation produit et marketing en exploitant un même ingrédient naturel. En ce moment, par exemple, l’huile d’argan fait un tabac et de multiples compagnies se battent sur ce créneau où on comprend que la différenciation doit être difficile.


Une propriété intellectuelle protégée par la qualité de la relation et non par un brevet, le modèle Aïny

Aïny est l’illustration d’un modèle différent. Il est basé sur l’exploitation d’un réseau dense de relations. L’histoire est la suivante, telle que racontée sur le site de l’entreprise : Son fondateur, Daniel Joutard, (consultant en stratégie, diplômé de l’ESSEC, une des meilleures écoles de commerce françaises) a travaillé avec les peuples autochtones dans le cadre de projets de développement pendant 8 ans. En Equateur, il rencontra une apprentie-chamane qui lui fit découvrir le pouvoir des plantes traditionnelles. En 2006, il crée Aïny qui vise : « à ré-enchanter le monde en valorisant la diversité des cultures, des végétaux et des sciences ».

Aïny travaille avec des « chamanes et des guérisseurs des Andes et d’Amazonie qui ont une connaissance des plantes inégalée. (…) Ces guérisseurs aident Aïny à trouver la plante rare de laquelle naîtra un soin d’exception » (source : www.ainy.fr) L’entreprise ne dépose pas de brevets sur ces principes actifs. Déposer des brevets sur des éléments découlant des connaissances ancestrales de peuples autochtones est de la biopiraterie qui prive ces peuples des revenus liés à leur connaissance (voire pourrait les amener à payer des compagnies pour des produits issus de leurs savoirs ancestraux).

La philosophie d’affaires de Aïny est à l’opposé. L’entreprise a développé des relations étroites avec des communautés Achuars, Ashaninkas, Yaneshas et Quechuas qui lui donnent accès à leurs connaissances et sont aussi les fournisseurs de plantes qui sont transformées en France. Cela s’inscrit dans une logique de commerce équitable : en plus d’un juste prix de vente, 4% du chiffre d’affaires de la compagnie sont reversés aux communautés « comme droits d’utilisation de leurs savoirs traditionnels » et Aïny s’engage à ne pas divulguer les secrets ancestraux.

Dans une économie de l’information le brevet était la meilleure façon de protéger une propriété intellectuelle. Aïny illustre un modèle alternatif dans lequel la qualité de la relation, la confiance et la perspective de codéveloppement, permettent de partager (et de protéger) la propriété intellectuelle.

D’un point de vue opérationnel, la préservation de cette propriété intellectuelle impose une maîtrise totale de la chaîne d’approvisionnement.


Une stratégie marketing basée sur le développement d’une communauté

A bien y regarder, le marketing d’Aïny est basé sur le développement d’une communauté autour de la marque qui n’est pas seulement basée sur la qualité des produits mais aussi sur les valeurs et le style de vie que porte l’entreprise.

Aïny mise, entre autres, sur des ventes privées qui réunissent dans des salons de petits groupes de curieux (recrutés surtout par bouche à oreille) pour des présentations de plusieurs marques inscrites dans le même style de vie, par exemple : Daynà (soins capillaires inspirés des traditions ayurvédiques), Fibrétic (étoles et kimono en fibres naturelles tissées main), Ibsa (porcelaines et verreries personnalisées, objets de décoration) et Pearl&Petal (bijoux et parures de cheveux faits main.) Cela permet de développer une relation riche entre la marque et des personnes qui seront des ambassadeurs au sein de leurs propres réseaux.

Le blogue et la page Facebook d’Aïny (851 personnes inscrites) illustrent bien la richesse de la relation que l’entreprise veut développer avec ses clients. Je les comparerai avec les pages Facebook de Caudalie (6281 inscrits) ou Yves Rocher (73162 inscrits) qui ont, avec beaucoup de succès, des approches différentes, plus en lien avec les traditions de l’économie de l’information.

Je tente une pyramide (exploratoire) des niveaux de liens entre les marques et leurs clients (vous y reconnaîtrez l’inspiration de la pyramide de Maslow). Et j’y situe Aïny, Caudalie et Yves Rocher.


Les interactions de Caudalie et Yves Rocher sont de type « informationnel » : les caractéristiques des produits et liens vers les sites ou les articles qui font référence à leurs produits, et « opérationnel » (promotions et relai d’opérations marketing (votes, concours, etc.).

Au delà d’une relation basée sur les produits, Aïny s’attache, à décrire l’univers dans lequel elle s’inscrit : « Les Kallawaya, médecins traditionnels itinérants », « Découvrir la médecine traditionnelle andine », « Dans les coulisses de l'art sacré amazonien », promotion d’artistes, etc.

Au delà Aïny développe une relation « valorielle » avec ses clients. Des articles ne portent pas sur les produits directement, mais sur son engagement : « Revue de presse: Nagoya, la répartition des bénéfices de la biodiversité en question », « Aïny et son alternative à la biopiraterie mis à l'honneur dans El Comercio du 4 décembre », « La Radio Suisse Romande diffuse une émission sur la biopiraterie », « Nouvelle victoire du Pérou contre la biopiraterie ». Le travail sur cette dimension permet de situer la relation entre le consommateur et la marque à un niveau plus élevé. Il ne s’agit pas simplement d’acheter un bon produit, respectueux de l’environnement, mais de participer activement à une cause de portée mondiale.

Aïny va encore plus loin. Elle cherche à entretenir la vie de la communauté autour d’elle, en promouvant des espaces dans lesquels sa communauté va pouvoir se rencontrer et se renforcer : expositions, spectacles, etc.

- Pour cela Aïmy s’investit dans l’organisation d’événements, par exemple : « Après le photographe Daniel Silva dont Ainy a exposé les photos chez By Terry, dans la galerie Vero Dodat , Ainy poursuit ses recherches et ses partenariats avec d’autres créateurs péruviens. ».

- Aïmy se positionne comme une plateforme au coeur de la vie de sa communauté et pas seulement comme un fournisseur de cosmétiques de qualité et éthiques. Par exemple sur sa page twitter, Aïmy se fait le relai des engagements personnels d’une blogueuse (du blog « (dé)maquillage ») qui commence un post en disant : « Pour une fois, je vais sortir du cadre strict "beauté / bien-être" et vous parler vie associative » et explique le besoin de bénévoles dans l’association de lutte contre l’analphabétisme au sein de laquelle elle s’implique.


Un modèle d’affaires basé sur la relation

Aïmy, pour ce que j’en connais, c’est à dire pas grand chose en réalité, illustre très bien ce que pourrait être un (parmi d’autres) modèles d’affaires dans l’économie de la relation :

- D’une propriété intellectuelle protégée par des brevets, à une connaissance partagée et protégée par la qualité de la relation.

- D’une approche marketing basée sur l’information au développement d’une communauté qui apprécie la qualité des produits, partage l’engagement de la marque et existe dans la vraie vie, se croisant parfois dans des activités organisées par la compagnie.

Je vous encourage à découvrir cette marque. Mon envie de mieux la comprendre est parti d’un coup de cœur pour son modèle, son engagement et son élégance.

jeudi 9 décembre 2010

De la société de l'information à la société de la relation (partie 2 : l'exploration continue)

Lien vers la partie 1.

L’exploration continue.

Pour commencer deux citations envoyées par Marc Fafard à mettre dans mon bréviaire :
Peter Drucker : « It's not what you know, it's who you know »
Jacques Attali : « Le monde appartient à ceux qui appartiennent, et non à ceux qui possèdent »

Je voudrais pour poursuivre la réflexion aborder deux thèmes :
- Le passage d’un monde d’information à un mode de relation avec les parties prenantes : de la rémission de compte à la « licence to operate »
- La mesure de la valeur créée dans un mode d’économie relationnelle.


De la rémission de compte à la « licence to operate »

La relation que les entreprises entretiennent avec leurs parties prenantes a fondamentalement évolué au cours des dernières années.

Replongeons nous (sans nuance je vous l’accorde) dans l’univers des entreprises « châteaux forts », sûres d’elles mêmes, un brin arrogantes. Elles savaient ce qu’elles avaient à faire. Leurs analyses marketing de plus en plus sophistiquées leurs donnaient la bonne information sur leurs clients. Elles imaginaient les bons produits et les mettaient en marché à grand renfort de publicité (dans une logique push). Elles avaient tendance à internaliser pour s’assurer de la maîtrise du processus de production.

Elles rendaient compte de leurs activités à leurs parties prenantes : actionnaires, organismes de réglementation. Synonymes de rendre compte : analyser, expliquer, exprimer, informer, notifier, raconter, retracer, signifier, témoigner. On est bien dans une logique d’information.

Et puis le consumérisme, le besoin de rapidité, de souplesse et de compétences de pointe qui obligent à travailler en réseau, et puis les pressions des associations et des ONG, l’environnementalisme, Internet qui permet de diffuser largement les informations les plus cachées, des clients de plus en plus difficiles à comprendre qui obligent à engager le dialogue, les frontières des entreprises sont devenues poreuses. Elles ne peuvent plus rester enfermées dans leur tour de verre. Elles sont de plus en plus sous observation, dans une discussion avec leurs parties prenantes. Cette logique de partage avec les parties prenantes est d’ailleurs au cœur du concept de développement durable.

On assiste à une inversion du sens de la légitimité. Auparavant l’entreprise était légitime parce qu’elle créait de la richesse et de l’emploi. Elle rendait compte de ses activités. Aujourd’hui, de plus en plus, les entreprises doivent gagner leur légitimité auprès des parties prenantes. Elles ont besoin d’une « licence to operate » (permis d’entreprendre) informelle délivrée par la société.

Novethic donne la définition suivante de la licence to operate : « Cette expression anglo-saxonne pourrait se traduire littéralement par "autorisation d’exploiter un site" mais elle recouvre en réalité des enjeux beaucoup plus importants et subtils qu’une simple autorisation légale pour les entreprises. Il s'agit pour elles de mériter le droit d’exercer leur métier. Concrètement pour des raisons politiques, économiques, culturelles ou environnementales, de rejet des populations locales, elles peuvent être obligées de quitter un territoire ou de renoncer à s’implanter dans un autre. »

Pour qu'une entreprise obtienne sa "licence to operate", son droit à fonctionner, il lui est nécessaire de développer des relations qui génèrent la confiance de ses parties prenantes : salariés, clients, actionnaires, partenaires, institutions publiques, société civile. Sinon : dégâts d’image, actions en justice des associations, boycott, perte d’attractivité, atteinte au moral des employés qui n’osent plus dire pour qui ils travaillent.

Sur la question de la légitimité de l’entreprise à exister, on trouve là encore une manifestation du passage de la société de l’information à la société de la relation. Je vous accorde que le mouvement est en cours et qu’il est loin d’être achevé.

Sur ce thème voir par exemple : Alain Chauveau, Jean-Jacques Rosé : L’entreprise responsable, Editions d’Organisation, 2003, page 331 et 332.


Mesurer la valeur des relations

Quelle est la valeur des relations, comment la mesurer ? Il est bien évident que ce concept prendra d’autant plus de place dans les stratégies des entreprises que l’on sera capable d’en mesurer les effets. Ma réflexion sur ce sujet est embryonnaire. Si certains ont des idées, je suis preneur. Mets sur la table trois idées.

- Le capital social.

De nombreuses études démontrent que le capital social a un impact positif sur la performance. C’est un concept vaste qui joue à plusieurs niveaux. Chou (2003) par exemple distingue trois niveaux : micro (les relations entre individus), meso (les relations entre entités, par exemples des entreprises) et macro (les relations institutionnelles formalisées, par exemple les régimes politiques, etc.). La valeur du capital social est aussi bi-dimensionnelle : structurelle/institutionnelle (les relations structurées, organisées) et cognitive (valeurs, comportements, croyances, etc.).
Il existe de nombreuses méthodes non uniformisées pour mesurer ces différents aspects du capital social. Un survol des articles sur le sujet permet de le constater. Que les spécialistes lèvent la main.

Conclusions qui nous intéressent à ce stade :
1. Le capital social a un impact positif sur la performance.
2. On peut en mesurer les différentes dimensions, même s’il n’existe pas encore de méthode comptable uniformisée qui permettrait d’ajouter la valeur du capital social dans les comptes.
Question sur le sujet : peut-on considérer que dans l’évaluation de la valeur d’un fonds de commerce, une part est constituée du capital social de l’entreprise ?

- Le Whuffie

Tara Hunt explique que le whuffie est un néologisme inventé par Cory Doctorow dans un roman d’anticipation. Elle en donne la définition suivante : « Le whuffie est le revenu – la valeur monétaire – engendré par ta réputation. Tu en perds ou tu en gagnes selon tes bonnes et tes mauvaises actions, ta contribution envers la communauté et ce que les gens pensent de toi. »

Le whuffie est plus un concept qu’un indicateur. Hunt ne donne pas de façon de le mesurer. Il est certain que les spécialistes en gestion de marque, ou en mesure d’image, ont des outils qui le permettent. Il est aussi probable que ce facteur est très difficile à mesurer puisqu’il concerne de plus en plus les relations au sein de plusieurs communautés et non une image globale. Par exemple le whuffie de Lacoste chez les rappeurs (qui ont détourné la marque) n’est pas le même que chez son cœur de clientèle.

- Le Googlejuice

Une des variables de mesure du capital relationnel est par exemple le Googlejuice, c’est à dire la valeur que Google donne à votre site. L’algorithme de mesure de Google insiste sur la dimension relationnelle plus que sur la valeur de l’information contenue dans le site (même si l’on peut supposer que plus l’information a de la valeur, plus il y a de liens). Ainsi plus votre site est mis en lien dans des sites dont le Googlejuice est élevé, plus votre propre Googlejuice va augmenter.


Conclusion :

Nous vivons un basculement majeur, la chaotique transition d’une époque dans lesquelles des entreprises autosuffisantes informaient leurs parties prenantes (de leurs nouveaux produits, de leurs résultats financiers, de leur respect des normes, etc.) à une époque dans laquelle les entreprises doivent gagner leur légitimité auprès de parties prenantes qui délivrent une "licence to operate".

Pour gagner cette confiance, il est nécessaire de passer d’une dynamique d’information au développement de relations riches avec les différentes communautés de parties prenantes dans une logique de dialogue et d’interinfluence.

La qualité de ces relations peut être mesurée de multiples façons. Nous avons cité un élément partiel mais concret : le Googlejuice. D’autres concepts sont plus vastes comme le capital social ou le whuffie, mais leur mesure n’est pas uniformisée. La question reste donc ouverte.

Dans un prochain message j'approfondirais les différentes dimensions relationnelles entre l'entreprise et ses clients.


Sources :

Chou Y.K., 2003, « Modelling the Impact of Network Social Capital on Business and Technological Innovations », University of Melbourne, Department of Economics, Research Paper N°890.
Hunt T., 2010, « L’effet Whuffie », Les Editions Diateino

lundi 6 décembre 2010

De la société de l'information à la société de la relation (partie 1)

Depuis quelques semaines, je réfléchis à l’idée, suggérée lors d’une conversation par Isabelle Lopez, que nous vivons une transition d’une société de l’information à une société de la relation. Allumage instantané de réverbère. Depuis j’accumule des preuves. Je les distillerai dans les prochains mois. Attention : réflexion en cours, donc imparfaite.

Dans un premier temps, il me paraît essentiel de présenter le concept.

Lors de la conférence d’ouverture de la Journée Informatique du Québec, Martin Forest et moi avons présenté l’idée à 1400 personnes. Nous sommes toujours vivants pour en parler, c’est donc que :
a. Les participants étaient suffisamment assoupis pour ne pas entendre ou renoncer à des comportements velléitaires.
b. Qu’il y a là peut-être quelque chose.

Pour préciser le concept nous avons présenté ceci :


Nous distinguons 4 étapes dans l’organisation des systèmes productifs : les sociétés artisanale, industrielle, de l’information et de la relation.


La société artisanale

Dans une société artisanale les individus utilisent leur maîtrise technique d’un métier pour réaliser leur tâche. Les individus sont indépendants (s’entourent d’un petit nombre d’aides), organisent autour d’eux un atelier qui réunit des apprentis, qui permet d’être plus efficace et constitue une école pour transmettre leurs connaissances.


La société industrielle

La société industrielle se développe avec la mécanisation. Elle se caractérise par une confiance absolue dans la machine. Cela s’inscrit dans une tradition philosophique portée par exemple par Descartes pour qui le monde est une gigantesque machine dont on pourrait expliquer les mécanismes. Cette perspective génère son illusion : celle du robot, reproduction mécanisée du comportement humain. Illusion comme le robot joueur d’échec qui à la fin du XVIIIème et au début du XIXème fascinait les cours d’Europe et qui finit par dévoiler son secret : le nain caché dans le coffre de la machinerie.
L’organisation taylorienne du travail est la quintessence de cette organisation. Le travail est organisé en une chaîne de tâches réalisées par des travailleurs. Les individus sont les bras qui font fonctionner le mécanisme de production. Pas besoin de mobiliser leur intelligence, à tel point que les sociologues du travail conseillent à l’époque de rendre les gestes tellement automatiques que les individus pourront penser à autre chose, s’évader pour ne pas devenir fous.

(Dans « Les métamorphose de la question sociale », Robert Castel montre d’ailleurs comment s’est vécue la transition entre la société artisanale et la société industrielle. A la fin du XVIIIème siécle et au cours du XIXIème, les artisans se sont d’abord regroupés sous le même toit pour mutualiser l’accès aux nouvelles technologies énergétiques : la machine à vapeur, qui permettait une production plus efficace. L’étape d’optimisation supplémentaire de la chaîne de valeur a été naturellement de salarier les artisans pour avoir une maîtrise globale de l’ensemble des machines).


La société de l’information

La société de l’information naît avec les développements des ordinateurs après la seconde guerre mondiale. Elle s'appuie sur l'algèbre Booléenne (le binaire 0 ou 1). L'informatique fonctionne dans un paradigme algorithmique.
Derrière les algorithmes, il y a l’idée que des processus systématiques, basés sur le calcul, permettent de définir et de décrire, ce qui constitue les étapes optimales pour atteindre un résultat. Dans l’organisation du travail, dans laquelle l’informatique prend de plus en plus de place, cela se traduit par un fonctionnement par processus, avec une réingénierie constante des processus dans le but d’atteindre (enfin) un fonctionnement optimal. Il est frappant de voir comment lorsqu’on installe un progiciel (un ERP par exemple), il s’agit d’adapter les processus de fonctionnement de l’entreprise parce qu’il existe des bonnes pratiques qui vont avec : logique algorithmique, plus que logique métier. Dans ce parafL’organisation de la production s’appuie que la vision algorithmique qui est le fondement de l’informatique.
Appliqué aux entreprises qui s'informatisent, ce paradigme transforme l'organisation de la production. Les hommes deviennent des processeurs d’information. Ce qu’on attend des individus dans ce contexte, c’est qu’ils se fondent dans les processus existants. Si on a besoin de leur intelligence (pour traiter l’information), on attend d’eux des comportements de conformité.
Et dans les usines, sur les chaînes de production, me direz-vous ? La même évolution est à l’œuvre. Les tâches sont de plus en plus effectuées par des machines. Les travailleurs sont ceux qui gèrent l’information produite par les machines (la planification, la qualité, etc.) et les incidents. Et quand bien même ce sont eux qui vissent, la part informationnelle du travail est considérable : plannings de production, indicateurs multiples, etc.

La société de l’information e a aussi ses quêtes (ses illusions ?) : l’intelligence artificielle. La création d’un ensemble d’algorithmes assez sophistiqués et de machines assez puissantes pour reproduire le cerveau humain. Deep Blue a succédé au joueur d’échec mécanique. L’intelligence artificielle est-elle aussi une illusion. « A la recherche du temps perdu » pourra-t-il un jour écrit par une machine ?


La société de la relation

Il me paraît (comme à d’autres) que nous basculons dans une société de la relation. Cette évolution est portée par une évolution des sciences. La physique quantique, c’est que les choses ne sont pas 0 ou 1. Elles peuvent être 0 et 1 en fonction de la relation entre les éléments. L’observateur influence ce qu’il observe. La notion de complexité montre aussi des effets d’interdépendance entre les éléments d’un système.
Les outils collaboratifs, le fameux web 2.0, nous font basculer dans un monde de réseaux, d’interaction entre les individus. Ce qui regroupe les individus, ce n’est plus un processus, mais un projet. Même si les processus restent incontournables, dans ce contexte où l’innovation est impérative, les individus sont plus autonomes et co-créateurs. On attend d’eux une implication totale : leurs bras, leur intelligence, leurs émotions, leurs capacités relationnelles. Cela a un impact considérable sur la dynamique de management et les leviers de mobilisation des individus. J’y reviendrai un de ces jours.

La société de la relation a me semble-t-il aussi ses illusions. En particulier la capacité des individus à travailler dans le sens du bien commun. Je ne suis pas rousseauiste. De multiples expériences en sociologie (celle qui me frappe le plus est celle de Milgram) montrent que les dynamiques de groupe introduisent des déviances qui éloignent d’un fonctionnement optimal (pour utiliser un euphémisme).


Conclusion

Le passage d'une société de l'information à une société de la relation est, selon moi, une transformation radicale dont on peut mesurer les manifestations dans tous les domaines : marketing, politique (storytelling, usage de l'émotionnel), stratégies d'entreprise (réseau, crowdsourcing, développement durable), organisation du travail (matrices, outils collaboratifs), modes de socialisation (web 2.0), etc.

Dans mes mois qui viennent, régulièrement j'approfondirai un aspect en essayant d'être le plus concret possible. Je promets que c'était là la première et la dernière brique conceptuelle.

Nous basculons dans une société de la relation. J'aime cette idée. Elle me paraît humainement très riche. Quand je me laisse aller j'y vois les germes d'une nouvelle utopie : un travail plus satisfaisant pour les individus, des modes de consommation plus équilibrés, régulés par les interdépendances, enfin des citoyens plus responsables et maîtres de leur destin collectif. On peut toujours rêver.

mercredi 17 novembre 2010

ROWE (Partie 3)

Un mode de fonctionnement à la ROWE (centré sur les résultats et la dynamique d’équipe, avec une flexibilité des horaires et une liberté d’organisation du travail) répond à des leviers fondamentaux de mobilisation des jeunes.
Les jeunes ne s’investissent pas dans leur travail par principe, contrairement aux boomers, marqué par les valeurs traditionnelles qui donne au travail une place centrale dans le sens de la vie. Ils s’investissent sous conditions. Or une organisation du travail du type ROWE répond à plusieurs de ces conditions.

Un travail qui a du sens

Sauf métiers très spécialisés, les jeunes ne sont pas motivés par une tâche. Ils ont besoin que les choses aient un sens. Ils s’investissent dans des projets. En matière de sens, ils ont besoin de comprendre deux dimensions : le pourquoi (les choses sont comme ça) et l’utilité (à quoi ça sert).

Or, les jeunes ne trouvent pas de sens à une bonne part de leur travail :
- Ils n’ont pas de vision globale de l’entreprise et ont du mal à voir en quoi ce qu’ils font a de l’impact et est utile dans la réalisation de la mission de l’entreprise et de sa stratégie. Et leurs managers passent généralement un temps insuffisant pour échanger avec eux sur ces sujets.
- Les processus et les procédures sont peu expliqués. Ils sont souvent l’héritage d’une époque qui n’est pas la leur.
- On leur fixe des objectifs qui n’ont pas de sens. Ils se demandent : "en quoi cela change-t-il fondamentalement quelque chose d’atteindre ces objectifs ? Par exemple : pourquoi vendre tel produit plutôt qu’un autre ?"

Avec ROWE, l’activité est centrée sur les résultats à obtenir, plus que sur l’activité elle-même. Les processus deviennent des outils utiles pour obtenir des résultats et non l’objet même tu travail. Dit autrement, travailler ce n’est pas appliquer des processus et des procédures abscons, mais obtenir des résultats, servir à quelque chose.


Des marges de manœuvre

Les jeunes ne sont pas des automates. Ils auront du mal à donner le meilleur d’eux-mêmes si leur travail consiste à appliquer des procédures, en ayant le sentiment de ne pas avoir beaucoup d’influence sur les choses. Ils s'inscrivent plus dans une logique de co-création que d’obéissance. Or depuis une vingtaine d’années, nous sommes entrés dans une logique d’organisation du travail de plus en plus normative. Les procédures se sont empilées, les processus se sont formalisés, les scriptes d’entrevue avec les clients se sont multipliés, les démarches de qualité et de conformité ont structuré les façons de faire. Les jeunes se sentent à l’étroit dans cette organisation du travail.

Et ce n’est pas juste une question de mauvaise volonté.
Pour toutes sortes de raison qu’il serait trop long d’expliquer ici, les jeunes sont dans des modes de fonctionnement par essai-erreur plus que dans l’application d’un savoir formalisé. Pour se sentir bien, pour s’approprier leur rôle et s’investir dans leurs tâches, ils ont besoin de mettre leur poste à leur main.

En limitant les contraintes au minimum, ROWE permet aux individus d’inventer leurs modes d’organisation en interaction avec l’équipe. L’ajustement est continu, l’innovation permanente, la responsabilisation totale. C’est pour les jeunes une autre raison de s’investir dans leur travail.


Un fonctionnement d’équipe

Les jeunes sont des animaux très sociaux. Depuis leur plus jeune âge ils font des projets d’équipe à l’école. Ils développent leurs réseaux sur Internet. Le fonctionnement en équipe leur est naturel.

En favorisant une approche d’auto-organisation par équipe, ROWE mise sur la dynamique d’équipe et l’intelligence collective.


Une logique d’épanouissement

Dans toutes les générations, le besoin d’un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle s’affirme aujourd’hui de plus en plus fortement. Cependant le rapport des jeunes au travail est très différent. Pour les boomers le travail était un cœur de la réussite dans la vie. Les X ont un rapport hostile avec le travail. Ils ont eu du mal à en trouver, ont galéré longtemps et sont souvent désabusés. Les Y, eux, sont dans une logique d’épanouissement et de réalisation de soi. Ils veulent devenir eux-mêmes. Le travail est un des leviers pour cela. Pour eux, il y a une continuité entre vie privée et vie professionnelle.
En permettant à chacun d’organiser son temps, de travailler de là où il le souhaite, dans une logique de flexibilité, ROWE répond à ce besoin d’intégration du travail dans la vie.


Des premiers pas vers ROWE

La philosophie derrière ROWE répond aux conditions qui génèrent de la mobilisation chez les jeunes. Elle a deux effets majeurs : elle génère de l’engagement (d’où l’amélioration de la productivité), et elle est attractive (la grande majorité des jeunes ont envie de travailler dans une entreprise qui offre ces conditions), elle constitue un avantage concurrentiel sur le marché des talents.

ROWE est-il pertinent pour toutes les entreprises ? La philosophie de ROWE me paraît adaptable pour toutes les entreprises, en fonction des contraintes, de la culture et des aspirations des employés. Des premiers pas sont possibles, ils peuvent créer de grandes bouffées d’air frais dans l’entreprise.

En particulier :

- L’obsession autour du temps de travail est à mon avis profondément contre-productive. On ne motive personne en comptant les heures, en particulier dans des métiers à forte valeur-ajoutée, nécessitant l’engagement des individus.

- Une très (très) grande majorité des actes managériaux dans les entreprises actuelles porte sur la partie procédurale du travail (respect des directives, respect du processus, contrôle). Une attention insuffisante est portée à la question du sens : le pourquoi des façons de faire, l’utilité des tâches, la raison des résultats visés. Les résultats visés se transforment d’ailleurs très vite en objectifs quantifiables mais vides de sens.

- Enfin il faut donner de la place à la responsabilisation, et à l’innovation. Faire confiance aux personnes. Des premières étapes : chercher à élargir les formes de délégation, et mettre en place des démarches d’innovation participative.

lundi 15 novembre 2010

ROWE (partie 2)

Une organisation du travail plus responsabilisante, axée plus sur le résultat que sur les heures passée le cul sur une chaise de bureau, permettant de travailler de n’importe où en coordination avec son équipe, me paraît incontournable. Il y a selon moi des facteurs externes et internes qui font que les organisations n’ont pas le choix.

Prédiction : Celles qui prendront du retard y perdront une partie de leur avantage concurrentiel.

Gérer un héritage

Les modes d’organisation et de fonctionnement actuels sont pour partie des héritages du passé. Retour dans les années 60, voire 70 quels sont les moyens de coordination au sein des équipes ? Le téléphone au mieux. Dans les années 80 s’ajouter le fax. Dans ce contexte pour qu’une équipe soit efficacité, il faut imposer une unité de temps et de lieu pour que les gens puissent se voir, se parler, s’organiser, collaborer sur les tâches . En conséquence : tout le monde au bureau à la même heure !
Il faut attendre le milieu des années 90 pour qu’Internet, les courriels et la téléphonie mobile se développent. On commence alors à parler sérieusement de télétravail.
Puis développement des outils de collaboration au cours des années 2000 permet une coordination d’équipes virtuelles et asynchrones.
Un des problèmes des organisations qui ont connu cette évolution, c’est qu’elles n’ont pas complètement vécu les transformations nécessaires, ce qui se comprend pour des raisons d’efficience. Beaucoup se sont hybridisées mais restent fondamentalement structurées sur des modèles classiques, hérités de l’avant internet.
Quelques indicateurs :
- est-il possible de se connecter depuis chez soi sur son poste de travail ?
- faut-il se déplacer ou les réunions sont-elles possibles en vidéoconférence ?
- les horaires sont-ils individualisés ?
- existe-t-il des outils collaboratifs pour faciliter le travail en équipe ?
Ces modes d’organisation hérités du passé sont fortement confrontés par plusieurs exigences internes et externes.

Un besoin de décentralisation pour plus de réactivité

Nombre de dirigeants vivent avec le mythe qu’il existe un mode d’organisation et des processus de travail qui permettent d’optimiser le fonctionnement une fois pour toute. Et pourtant : les heures d’ouverture d’un magasin peuvent varier en fonction des particularités de sa clientèle. Les partenaires (fournisseurs et autres) vont souhaiter être contactés par des voies très différentes : par Internet ou physiquement. La réalité du monde actuel est que la standardisation est une très mauvaise réponse.
La complexité du monde, la rapidité des changements, et la microsegmentation des marchés font qu’une réponse standardisées n’est pas optimale.
La performance passe par la capacité des équipes à s’adapter au plus près des réalités évolutives de leur périmètre d’activité.
L’enjeu est donc de dépasser la logique classique de rigidité et de conformité collective pour installer une culture de souplesse et d’agilité dans le but de réaliser les objectifs.

Des attentes des clients de plus en plus différenciées

Les clients sont en attente d’une plus grande personnalisation de la relation avec leurs fournisseurs. Ils ne veulent plus subir les rythmes, ni les modes de contact de leurs fournisseurs. Eux aussi sont en attente d’une plus grande souplesse dans les rythmes et les modes de travail de leurs fournisseurs.

Des rythmes naturels bouleversés

Les coûts induits par les maladies mentales (burn-out, dépressions, etc.) augmentent. Les organisations ont donc tout intérêt à mettre en place des organisations du travail qui sont plus respectueuses des rythmes naturels de la vie qui sont aujourd’hui bouleversés. Ainsi par exemple au Canada, la durée moyenne de déplacement pour aller travailler est passée de 54 minutes en 1992 à 63 minutes en 2005. Autour de Paris, en Ile de France, le temps consacré aux déplacements vers le lieu de travail a augmenté de 16% en 25 ans (selon le STIF). Dans le même temps le temps consacré à la famille diminue (au Canada, les travailleurs ont passé en 2005 45 min. de moins en famille par rapport à 1985). Les travailleurs réduisent la durée de leur repas de midi et la longueur de leurs nuits de sommeil.

Les coûts induits des déplacements

Le déplacement maison – travail est long, stressant et démotivant. C’est un constat qu’a fait IBM à Paris en créant des bureaux de proximité dans la région parisienne pour permettre aux collaborateurs de se connecter sans avoir besoin de rejoindre la tour de la Défense.
La réduction de l’émission des gaz à effets de serre. Dans un contexte où de plus en plus, il y aura un coût associé aux émissions de gaz à effet de serre, on comprend la pertinence de ne plus déplacer tous ses employés à la même heure, celle des embouteillages. Cela n’est pas anecdotique. Le potentiel de diminution des émissions de gaz à effet de serre lié au développement du télétravail serait de 1 million de tonnes (Mt) par an pour la France (rapport du centre d’analyse stratégique de novembre 2009) (rappelons que la France émettait 532 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2008).

La réponse aux attentes des jeunes générations

La question de la personnalisation de l’environnement de travail est aussi un facteur déterminant de différenciation sur le marché des talents. Dans un contexte où la main d’œuvre de qualité est rare, c’est un élément déterminant. Or, ROWE répond très précisément aux attentes des jeunes générations, ce que nous verrons dans une troisième partie.

vendredi 12 novembre 2010

ROWE (Partie 1)

J'ai été invité dans l'émission de Radio-Canada "L'après midi porte conseil" animée par Dominique Poirier. Le sujet portait sur ROWE : la méthode révolutionnaire d'organisation du travail développée chez Best-Buy.

En 2003, Best Buy faisait face à des problèmes lourds qui menaçaient sa survie à terme. Un roulement du personnel important, des gens démotivés, et des burn-outs. Alors ils expérimentent dans un département particulièrement en difficulté, une nouvelle organisation du travail. Toute référence au temps de travail est abandonnée. Les gens décident d'où ils travaillent : dans un bureau, chez eux, dans un café. La présence dans les réunions est optionnelle (relisez juste cette phrase, par plaisir. Seule contrainte : réaliser les objectifs qui sont fixés pour l'équipe. Libres à elles de s'organiser.

Les premiers résultats sont encourageants. La méthode essaime. Les sceptiques sont peu à peu convaincus. Trois ans plus tard, le roulement du personnel a été réduit de 90%, la productivité a augmenté de 35% et les niveaux de satisfaction au travail sont particulièrement élevés.

Aujourd'hui d'autres entreprises comme Gap appliquent la méthode.

L'entrevue est accessible ici.

Vous voulez savoir comment sécher légitimement les réunions :

Le site de CultureRx, le cabinet de conseil créé par les deux personnes qui ont piloté la démarche chez Best Buy.

"Why work sucks and how to fix it. The result Only Revolution", leur livre.

Des témoignages de dirigeants et d'employés de Best-Buy qui ont vécu la transformation :


Mon sentiment :

Derrière ROWE il y a une philosophie qui témoigne d'une évolution profonde du rapport des individus au travail et des modes d'organisation. Le temps est de moins en moins l'unité de mesure du travail. La question n'est pas de savoir si les entreprises appliqueront des méthodes du type ROWE, mais quand. De mon point de vue c'est inévitable. J'expliquerai pourquoi dans une seconde partie.

Seconde partie sur le thème de ROWE.
Troisième partie sur le thème de ROWE.

mercredi 3 novembre 2010

Mettre en oeuvre une stratégie (partie 2)

Dans une première partie nous avons vu que le premier levier de la mise en oeuvre d'une stratégie est d'amener chacun à trouver pour lui du sens au changement. Au delà, quelques règles permettent de lever bien des difficultés dans la mise en œuvre d’une stratégie.

1. Procéder par expérimentation

Ne pas considérer que tout le monde sera mobilisé de manière égale. De nombreux modèles étudient la question de la mobilisation variable des individus dans le changement. (Personnellement, je trouve que la sociodynamique, développée par Jean-Christian Fauvet est un outil très utile.)

En gros, entre 10% et 25% des gens seront des résistants quoi qu’il arrive. 50% des gens suivront le vent. Pour mener un changement vous disposerez au maximum de 30% d’alliés engagés. N’attendez pas d’embarquer tout le monde. Commencez avec les 30%, utilisez les pour gagner les 50% et ne perdez pas d’énergie avec le reste.

Cela signifie que sur les sujets sur lesquels les changements sont significatifs, il est utile de fonctionner par expérimentation avec les gens qui sont les plus motivés, de soutenir particulièrement ces projets pilotes pour en assurer la réussite (et en tirer les leçons pour les améliorer). Puis généralisez les dans l’organisation en vous servant des collaborateurs comme ambassadeurs.

2. Obtenir des gains rapides

Pour convaincre de la crédibilité d’un projet, pour éviter le découragement et garder le rythme, il est nécessaire que les équipes constatent des progrès rapides.

Chez GE on considère qu’un changement qui n’a pas produit de résultat dans les premiers 90 jours ne produira jamais de résultat. Pas faux. Il ne s’agit pas de tout régler en 90 jours, mais d’éviter l’enlisement qui donne raison aux sceptiques.

Donc, dans votre stratégie de mise en œuvre de la stratégie, identifiez des gains rapides sur tous les sujets à enjeu qui vont bousculer les habitudes pour montrer que c’est possible. Et communiquez sur ces premiers succès.

3. Chasser les facteurs d’incohérence

Un autre élément qui permet aux résistances de s’organiser est l’incohérence entre le discours présenté dans la stratégie et la réalité vécue. Elle permet aux grincheux d’affirmer : « tout ça c’est des mots, dans la vraie vie ça continue comme avant ».

Dans la préparation du changement stratégique, un élément clé est de réfléchir aux éléments d’incohérence, de les identifier et de trancher : le problème c’est soi l’élément en incohérence, soit l’axe stratégique. Vivre avec les deux est une garantie d’échec.

Le grand classique en la matière est l’incohérence entre les critères d’évaluation de la performance et les orientations stratégiques. Par exemple la stratégie affirme une orientation vers la satisfaction client, mais les commerciaux sont évalués sur le nombre de produits vendus, sans aucune référence à la satisfaction client.

Il ne s’agit pas de tout résoudre à court terme. La mise en cohérence peut prendre du temps, mais il est essentiel d’avoir une idée assez claire au départ des facteurs d’incohérence qu’il va falloir corriger.

Dans le même ordre d’idée, tout au long de la mise en œuvre de la stratégie, vous devez pouvoir expliquer comment les décisions que vous prenez sont en cohérence avec la stratégie, ou bien en quoi la stratégie doit évoluer du fait de l’évolution du contexte.

4. Assurer une communication continue

Pour permettre aux individus de trouver le sens dans la durée, une communication continue est nécessaire. Elle doit permettre de :
- Faire un suivi de l’atteinte des résultats (ce qui suppose d’avoir des indicateurs simples à communiquer), souligner les réussites et mettre en évidence les difficultés rencontrées.
- Mettre l’accent sur les expérimentations réussies.
- Partager les bonnes pratiques qui vont dans le sens des orientations stratégiques.
- Informer sur les réalignements stratégiques liés à l’évolution du contexte.
- Montrer en quoi les décisions prises contribuent aux objectifs stratégiques poursuivis.

Dans leurs échanges réguliers, les managers doivent s’appuyer sur les éléments de la stratégie, pour mettre en perspective les décisions et ainsi construire petit à petit un cadre de référence cohérent et ancré dans la réalité.

lundi 1 novembre 2010

Mettre en oeuvre une stratégie (Partie 1)

Question d’une lectrice du blogue : Quels sont selon vous les facteurs d´inertie potentiels dans l´adoption d´une nouvelle stratégie dans une entreprise et quelles sont vos préconisations pour y faire face?

Il se trouve que cette question est au cœur de mon activité de consultant. Donc quelques éléments de réflexion sur le sujet.

La séquence classique de démobilisation autour de la stratégie

Retour sur la séquence de construction d’une stratégie. Généralement les choses se passent ainsi :

1. Une équipe de direction travaille pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour faire un état de la situation actuelle, se projeter dans le futur et proposer une stratégie. Elle se fait aider pour cela de consultants et mobilise les experts internes. Le reste de l’organisation est plus ou moins invité à participer au processus.

2. Une fois le document écrit, il s’agit de le diffuser dans l’organisation. Et puisque les choses sont enfin claires, et qu’il faut aller vite parce que le monde, les concurrents, etc., on estime qu’une bonne présentation ppt de 45 min. + 15 min. de questions devraient suffire. (J’exagère…. à peine).

3. Evidemment, au mieux la stratégie est oubliée aussi vite qu’entendue (si il n’y a pas la perception de changements majeurs), au pire les résistances individuelles et collectives s’installent (s’il y a la perception qu’il va falloir changer significativement des choses).

Alors comment faire ?

Première remarque : plus les collaborateurs sont partie prenante dans l’élaboration de la stratégie, plus les résistances seront réduites dans la phase de mise en œuvre. J’ai bien dit partie prenante, je n’ai pas affirmé que la stratégie était une construction démocratique. Tout est question de méthode. Mais ce n’est pas mon sujet.


Le management intermédiaire sur le fil du rasoir

Un acteur clé dans la mise en œuvre de la stratégie est le manager intermédiaire. En réalité c’est sur lui que reposent en grande partie les clés de la mobilisation. Il est en effet le liant entre deux corps sociaux : les équipes de premier niveau d’une part, celles qui vont mettre en œuvre la stratégie au quotidien, et les équipes dirigeantes qui élaborent les stratégies.
S’il adhère à la stratégie et qu’il se sent assez soutenu, il va pouvoir la porter auprès des équipes. Dans le cas contraire, si la stratégie n’est pas claire pour lui ou s’il ne se sent pas en position solide, il risque de prendre le parti de l’équipe contre les changements imposés par la stratégie. Dès lors obtenir l’adhésion de tous sera très compromis.

D’où premier levier : soigner le management intermédiaire dans le processus de diffusion de la stratégie. Nous conseillons toujours aux équipes dirigeantes de prendre le temps de discuter de la stratégie avec le management intermédiaire, dans un échange ouvert, mature, entre partenaires d’affaires. (Il y a des techniques, cela s’organise). Tant que ce corps n’a pas développé une conviction intime de la pertinence de la stratégie, il y a un risque réel à aller plus loin.


Le levier principal : amener chacun à trouver son sens

Le manque de sens est le principal frein à la mobilisation des équipes autour de la stratégie. Tous les dirigeants, tous les managers sont convaincus qu’il faut donner du sens. Alors ils parlent, ils expliquent, ils donnent leur sens. Souvent sans vérifier ce que les autres ont compris, ni ce qu’ils retiennent, ni ce que cela leur fait. Et bénissent l’équipe de communication qui leur a bâti cette présentation ppt qui permet décidément de tout dire en 45 min. Et puis, vu qu’il n’y a pas vraiment eu de questions à la fin, c’est bien que tout devait être clair.

Remarque, vous pouvez toujours donner le sens, mais vous ne savez pas ce que les gens vont faire avec. Je peux même garantir que chacun va comprendre ce qui l’arrange.

Plutôt que de donner du sens, amenez les gens à trouver leur sens et parlez-en avec eux.

Concrètement cela veut dire quoi ?
Amener les collaborateurs à refaire le cheminement intellectuel qui a conduit l’équipe de direction à choisir la stratégie. Donc il faut prendre le temps d’explorer avec les équipes les éléments suivants :
- Le contexte de changement : comment l’environnement, les concurrents bougent et quelles sont les pressions d’évolution qui s’exercent sur le métier et l’entreprise.
- Le partage du diagnostic sur la situation actuelle de l’entreprise et ses défis d’évolution. C’est un moment clé pour susciter l’adhésion à la stratégie. Tant que les individus ne partagent pas le diagnostic, ils n’adhéreront pas à ce qui apparaîtra comme une réponse à une mauvaise question.
- Comment la stratégie répond à ces évolutions.

Le mode de communication à utiliser est aussi fondamental. Quittez le monologue, allez vers le dialogue. La réflexion sur la stratégie doit constituer une discussion à tous les niveaux de l’entreprise, dans chacune des équipes (ce qui donne un rôle majeur au management intermédiaire). L’enjeu du dialogue n’est pas de remettre en question la stratégie mais d’amener chacun à se l’approprier en en discutant. Les questions qui doivent structurer cet échange :
- Quelle est la situation actuelle de l’entreprise ?
- Quels sont les défis d’évolution pour l’entreprise dans les années qui viennent ?
- Quels sont les éléments qui motivent, ceux qui inquiètent dans la stratégie ? Quelles sont les questions qui se posent ?
- En quoi l’équipe sera-t-elle impactée par la stratégie dans les années qui viennent ?
- Comment chacun sera-t-il impacté en ce qui concerne ses missions, ses compétences, etc. ?

Un incontournable : Valoriser le passé. Beaucoup de dirigeants (en particulier les nouveaux arrivés) n’aiment pas parler du passé dans ce monde des affaires où le regard se tourne vers l’horizon lumineux du futur de demain. C’est une erreur. On ne mobilise pas un corps social sans reconnaître ce qu’il a fait. Dans l’étape de diagnostic un moment important consiste ainsi à identifier les réussites et les choses dont on peut être fier au cours des derniers mois / années. Cela génère de l’ouverture à la remise en question.

Cet exercice de communication prend nécessairement du temps. Il est très souvent négligé pour cette raison. C’est une erreur majeure. C’est en réalité un investissement incontournable. Certes son impact ne sera pas uniforme. Tout le monde n’adhèrera pas de la même façon. C’est normal. C’est un facteur à intégrer dans la gestion de la mise en œuvre que nous verrons dans la partie suivante.

mercredi 20 octobre 2010

Les 45 ans et plus au travail, un atout?

Article d'Anaïs Chabot publié dans le supplément PME de La Presse du 19 octobre.

Faut-il que les employeurs engagent des personnes plus âgées, qui ont plus d'expérience?

Bonne question.

Ma réponse : «Les responsables de ressources humaines redécouvrent la pertinence des baby-boomers, constate-t-il. Ce sont des personnes expérimentées, capables d'assumer des responsabilités très vite, plus stables (leurs choix de vie sont déjà faits) et reconnaissante. Elle est très utile pour stabiliser une équipe plus jeune.»

Et la suite .

vendredi 15 octobre 2010

Encore la rencontre des générations

Entrevue avec Anaïs Chabot dans le supplément PME de la Presse du 13 octobre.

"Comment faire cohabiter les générations".

Ca donne ça :

Des baby-boomers en fin de carrière et une génération Y de plus en plus présente sur le marché du travail, jumelés à une génération X bien installée créent une nouvelle dynamique dans les PME du Québec. Alors comment faut-il s'ajuster aux comportements de ces différentes générations ? Quelle est la meilleure manière de les faire produire ensemble ?

Le milieu du travail est en pleine mutation. Les baby-boomers sont en fin de carrière et les jeunes veulent prendre leur place.

La cohabitation entre les générations n'est pas simple, autant pour les travailleurs que pour les patrons. Tout le monde doit donc s'ajuster.

Selon Jean-François Rougès, consultant au Groupe Forest et doctorant en management de l'Université Laval, les patrons doivent revoir leurs façons de faire.

(La suite ici)

Une autre partie de l'entrevue dans un court article : Le mentorat, la solution miracle ?

Le mentorat, soit un jumelage entre personnes issues de deux générations différentes, s'inscrit parmi les solutions envisagées dans les PME. Dans ce cas, le mentor, un babyboomer, prend sous son aile un jeune (mentoré) sans expérience significative de travail et le guide dans son apprentissage.

«Mais il ne faut pas juste mettre en place le mentorat, précise Julye Vézina, président de 45plusjob.com.et consultante en carrière. Il faut assurer un suivi. Il faut que de l'information complémentaire soit échangée. Il faut qu'il y ait une réelle relation entre les mentors et les mentorés.»

Cela demande une certaine adaptation de la part des entreprises, qu'elles ne sont pas nécessairement prêtes à faire. «Ce n'est pas encore un phénomène important, pour l'instant c'est plus une utopie qu'autre chose», estime Mme Vézina.

Pour Jean-François Rougès, du Groupe Forest, le mentorat est une excellente solution, mais pas une solution miracle.

(L'explication est ici)

mercredi 29 septembre 2010

"Tenaces, les stéréotypes générationnels", Entrevue avec Iris Gagnon-Paradis pour La Presse

Publié le 29 septembre 2010 à 07h53 | Mis à jour à 07h53

Les jeunes butinent d'un emploi à l'autre, croient tout savoir et veulent travailler pour de grosses entreprises... Ces stéréotypes ne tiennent pas nécessairement la route, selon un sondage publié la semaine dernière par le cabinet RSM Ritcher Chamberland.

Soixante-dix-huit pour cent des jeunes de 18 à 34 ans croient que les PME offrent de meilleures possibilités de développement de carrière que les grosses entreprises, 30% n'ont pas confiance en leurs compétences et 41% prévoient travailler jusqu'à trois ans pour le même employeur. Ces résultats, tirés d'un sondage réalisé par Angus Reid Strategies auprès de 1000 répondants canadiens pour le compte du cabinet de comptabilité et de services-conseils RSM Ritcher Chamberland, viennent remettre en question certains stéréotypes répandus sur la génération Y.

Ces résultats n'étonnent pas Jean-François Rougès, doctorant en management et consultant pour le Groupe Martin Forest. Parmi ses sujets de prédilection, la rencontre intergénérationnelle. «Ce sondage montre que le comportement des jeunes est paradoxal seulement si on le regarde avec des yeux de baby-boomers ou de X», avance-t-il.

La suite à lire ici.

mercredi 15 septembre 2010

Apple contre le reste du monde (partie 3)

Dans les deux parties précédentes nous avons vu comment Apple s’est installé comme la référence sur le marché des téléphones intelligents, ce qui lui donne un fort pouvoir de négociation et lui permet de capter une part importante du cash dans la chaîne de valeur.
Dans cette partie nous verrons comment Apple a joué le rôle du challenger sur le marché du livre numérique.

Sur ce marché, le leader est Amazon. Sa stratégie a été de s'imposer comme un standard. Une marque très forte, une plateforme de vente en ligne qui fait référence, manquait un terminal. Amazon a choisi de le développer. Ainsi naquit le Kindl.

Phase 1 : créer le standard

Dans une première phase Amazon a cherché à vendre des Kindl afin de bâtir le standard de l'industrie. En effet, on peut supposer qu’un client équipé d’un terminal aura plus de mal à changer de fournisseur. Pour cela Amazon a négocié avec les éditeurs des conditions avantageuses pour eux : en maintenant des prix d’achat élevés aux éditeurs, et en revendant à perte à 9,99$, en échange de contrats très stricts.
En procédant ainsi, Amazon est devenu incontournable sur le marché du livre numérique. Le Kindl s'est imposé comme le standard chez les lecteurs du fait de la grande quantité de titres disponibles, et Amazon est devenu le partenaire obligé des éditeurs (parce qu’il détenait le marché, les lecteurs équipés d’un Kindl, et la plateforme de distribution). Amazon a donc construit un pouvoir de négociation très élevé vis-à-vis des éditeurs et des clients.

Phase 2 : jouer de son pouvoir de négociation


Une fois sa situation installée, Amazon s’est vu en situation de jouer de son pouvoir de négociation pour imposer ses conditions. Objectif : revoir les conditions des contrats avec les éditeurs pour améliorer ses profits.
Parmi les conditions : signer des contrats d’exclusivité et baisser leurs prix de vente à Amazon afin qu’elle génère une marge sur la vente de livre.
Si les éditeurs râlaient ils étaient coincés. Amazon était la référence incontournable en matière de vente en ligne et le Kindl, le principal outil de lecture. Dans le bras de fer qui s’engageait, Amazon était en position de force. Jusqu’à ce que….

Phase 3 : avec le iPad, une modification des rapports de force


Jusqu’au iPad. Un des intérêts du iPad est d’être un terminal de lecture. Appel a donc créé une plateforme de distribution : iBooks. Sur ce marché, où il apparaît comme un challenger, Apple n’applique pas les mêmes conditions que sur iTunes. Pour attirer les éditeurs, Apple leur permet de fixer un prix de vente plus élevé et une répartition des profits 70/30. Cela arrange les éditeurs à deux niveaux : générer plus de profits qu’avec Amazon et moins cannibaliser les livres papiers.
Dès lors l’équilibre des forces s’est modifié.
Mcmillan voit l’opportunité et lance la révolte, refusant les conditions d’Amazon, souhaitant s’aligner sur celles d’Apple. Amazon réagit en jouant de ce qu’il pense être son pouvoir de négociation en menaçant l’éditeur de retirer ses livres de la vente.
Mais voilà en refusant les publications de Mcmillan Amazon affaiblit son offre et renforce celle de son principal concurrent : Apple. Au final, Amazon est contraint de modifier les conditions offertes aux éditeurs. Apple a réussi à modifier les règles du secteur.

Trois morales à l’histoire :

1. ne jamais prendre son pouvoir de négociation comme une donnée.
2. ne pas profiter de son pouvoir pour capter une part indue de la valeur créée dans la chaîne de valeur, cela finit toujours par ouvrir la porte à des concurrents.
3. rester vigilent sur les modèles d’affaires émergents qui modifient la répartition de la valeur créée.

jeudi 1 juillet 2010

Apple contre le reste du monde (partie 2)

Dans la première partie, nous avons vu que la relation entre Apple et les compagnies de télécom était tendue. Apple capte une bonne partie de la valeur créée dans la chaîne de valeur, au détriment de ces dernières qui doivent supporter des investissements massifs, en particulier pour faire évoluer les réseaux. Comment Apple a-t-elle réussi à s’imposer ainsi ?

Le modèle des cinq forces de la concurrence de Porter nous donne un cadre d’analyse pertinent pour comprendre ce qui se passe. Jusqu'à présent le combat a compté quatre rounds :
Round 1 : Le iPhone, une rupture sur le marché
Round 2 : Des concurrents se lancent
Round 3 : L'émergence d'un challenger
Round 4 : La lutte pour rester le standard


Round 1 : Le iPhone, une rupture sur le marché


Le iPhone a constitué une rupture dans l’univers de la téléphonie mobile par son design, par son interface tactile, et surtout par la démarche de crowdsourcing dans le développement de milliers d’applications grand public ou de niche.
Avec son inimitable talent marketing, Apple a crée une énorme attente dans le public. Sa stratégie dès lors a été d’assurer l’exclusivité de la vente du iPhone à une marque par pays.

L’intérêt pour la compagnie de téléphone : gagner des parts de marché en ayant l’exclusivité d’un produit innovant et tendance, générer du chiffre d’affaires dans la mesure où les multiples applications du iPhone promettaient de nouveaux usages. Pour toutes les compagnies c’était une bonne affaire.

En choisissant la compagnie qui allait avoir l’exclusivité de la distribution du iPhone, Apple s’assurait d’être « du bon côté du bâton » et pouvait imposer ses conditions. Par exemple le fait de ne pas permettre que le logo de la compagnie de télécom apparaisse sur l’écran d’ouverture du iPhone. Le pouvoir de négociation était du côté de Apple.


Round 2 : Des concurrents se lancent

Naturellement, face au succès du iPhone la concurrence s’est organisée. Une multitude de concurrents ont émergé. Les compagnies téléphoniques qui ne distribuaient pas le iPhone avaient donc la possibilité de distribuer d’autres téléphones intelligents. L’équilibre des forces pouvait s’en trouver modifié et le pouvoir de négociation pouvait s’équilibrer. Mais Apple disposait d’un atout majeur : la supériorité de son produit. Par sa stratégie de crowsourcing, Apple avait donné une valeur considérable à son téléphone. Les nouveaux entrants ne pouvaient pas proposer la même valeur.

Le réflexe d’Apple a été de continuer à faire de son iPhone le standard du marché. Pour écraser la concurrence a été de permettre à d’autres marques de distribuer son téléphone. Ainsi les nouveaux entrants étaient confrontés à la concurrence directe dans chacune des marques. La supériorité du iPhone étant incontestable, la bataille tournait à l’avantage de Apple. Le statut de standard de l’industrie du iPhone se trouvait paradoxalement renforcé. Le pouvoir de négociation restait du côté de Apple qui, malgré les maugréments des compagnies téléphoniques pouvait continuer à imposer ses conditions.


Round 3 : L'émergence d’un challenger


Pour pouvoir bousculer cette position dominante, il était nécessaire d’avoir un produit capable de se comparer au iPhone : par sa qualité et le volume d’applications disponibles. Ce ne fut pas le Palm Pre, malgré ses promesses. Le concurrent véritable émerge lorsque Google se lance sur le marché avec la puissance de son image qui lui a permis de stimuler très rapidement le développement d’applications et une rupture : son système d’exploitation.

Pour installer rapidement Android comme un challenger au standard de l’industrie qu’est le iPhone, Google adopte une stratégie inverse à celle de Apple :
- Plutôt qu’une position fermée, Google ouvre : il crée certes son propre téléphone et équipe les appareils de plusieurs constructeurs de téléphones. Par exemple le Droid de Motorola, a connu un meilleur lancement que le iPhone: 1,05 millions d’exemplaires vendus en 74 jours contre 1 million.
- Google négocie aussi des conditions plus favorables pour les compagnies de télécom, capte une part moins grande de la valeur créée.
Dit autrement, les compagnies de téléphone ont intérêt à privilégier les solutions Android qui sont plus rentables pour elles, comme l’affirme Bouygues, et l’avantage produit d’Apple se réduit.

En outre les opérateurs se rebellent. Ainsi des compagnies de télécom (AT&T, Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, etc.) et des constructeurs (Samsung, LG, Sony) ont créé la « Wholesale Applications Community », une plateforme technique commune pour développer des applications concurrentes à celles d’Apple (précisons que les spécialistes sont sceptiques face à cette initiative). Ils espèrent ainsi reprendre du pouvoir dans la chaîne de valeur.

Ces évolutions se constatent dans les parts de marché. Aujourd’hui il se vend plus de téléphones Android que de iPhones. Le pouvoir de négociation entre Apple et les compagnies de télécom se rééquilibre puisqu’il existe une alternative crédible. (Sur le graphique ci-dessous le iPhone apparaît sous le nom de son système d’exploitation OS X, RIM est le nom du fabriquant du Backberry qui est a un modèle d’affaires différent des autres, puisque concentré essentiellement sur les usages professionnels avec peu d’application développées).



Round 4 : La lutte pour rester le standard


La lutte est ouverte pour être perçu comme le standard. La stratégie de domination par le produit d’Apple se poursuit :
- Le iPhone 4 propose des fonctionnalités nouvelles qui redonnent un avantage au téléphone intelligent’
- Apple continue à enrichir l’accès au contenu qui donne de la valeur à son téléphone. Ainsi même si elle est destinée principalement au iPad, iBook, la plateforme de vente de livres contribue à enrichir l’univers auquel le iPhone permet d’accéder.


Conclusion


Le modèle de profit d’Apple repose sur une domination dans le pouvoir de négociation qui lui permet d’imposer ses conditions aux compagnies de télécom. Avec l’arrivée d’Android, cette domination s’érode. A long terme le succès d’Apple reposera sur sa capacité à rester le standard par une domination produit (innovation dans le produit + enrichissement de l’univers de contenu auquel le téléphone donne accès), ou par le choix de rentrer dans le rang en alignant ses conditions sur celles de ses concurrents (ce qui me paraît peu probable).

Sur le marché de la téléphonie Apple voit son pouvoir de négociation attaqué par un nouvel entrant. Dans une troisième partie, nous verrons comment Apple a attaqué Amazon sur le marché du livre électronique

jeudi 17 juin 2010

Apple contre le reste du monde (partie 1)

Une phrase lue dans un vieux numéro du mensuel Enjeux Les Echos a attiré mon attention : « Désormais pour tous les Orange, Vodafone ou AT&T de la terre, Apple est le pire des fournisseurs. En installant dans la poche de leurs clients, (…) un iPhone permettant de consommer des services électroniques, Apple s’est surtout enrichi lui-même » (Nokia le dernier atout de l’Europe, David Barroux, Enjeux les Echos, février 2010)
A rapprocher d’une affirmation de Olivier Roussat, DG de Bouygues Telecom : « Nous allons pousser Android à fond »

La phrase est violente. Elle met en évidence un problème stratégique majeur : la répartition de la valeur créée au sein de la chaîne de valeur.
Pour mieux comprendre commençons par analyser les modèles de profit d’Apple et de ses partenaires en aval de la chaîne : les compagnies de Télécom.


1. Le modèle de profit du iPhone d'Apple
Avec son iPhone, Apple génère des revenus de plusieurs façons :

- En vendant son iPhone au grand public
Selon le site iSuppli, le coût de fabrication d’un iPhone est de 172,46$ pour les pièces et de 6,50$ de coûts de fabrication. Le prix de vente public du iPhone est autour de 500$. Apple réalise donc une belle marge sur chaque appareil vendu.

- En vendant son iPhone aux compagnies de téléphone
Les compagnies de télécom offrent le iPhone à prix réduit pour attirer les clients, de 100$ à 200$. Même si Apple leur fait une remise de volume important, Apple génère une marge confortable. Symétriquement, le coup d’acquisition d’un nouveau client pour les compagnies téléphoniques est très élevé (nous y reviendrons).

- En prenant un pourcentage sur les revenus liés à l’utilisation de son iPhone (abonnement et facturation à l’usage)
Apple prend une commission de 25% à 30% des revenus générés chez les compagnies de télécom par l’utilisation du iPhone : abonnements et frais d’utilisation hors forfait. La justification est que l’usage du iPhone génère des consommations nouvelles et des revenus nouveaux pour les compagnies de téléphonie.

- En prenant une commission sur les éléments de contenu à travers iTunes, les applications qui sont créées ou les livres électroniques.
Apple a développé autour du iPhone des plateformes d’accès à du contenu qui augmentent la valeur de l’objet et lui permettent de générer des revenus supplémentaires. Ainsi la commission d’Apple est de 70% sur iTunes, 30% sur Appstore, 30% sur iBook).

Tout cela est évidemment très rentable. Rappelons que la capitalisation boursière vient de dépasser celle de Microsoft, ce qui consacre un basculement d’ère : du fixe au mobile, de l’interface clavier à l’interface naturelle la main, de l’utilisation sérieuse à l’utilisation ludique.


2. Le modèle de profit des compagnies de téléphonie

Voyons à présent le modèle de profit des compagnies de téléphone.

- Les revenus
Les compagnies facturent des abonnements et des coûts liés à l’usage (dépassement de forfaits, etc.). Apple en capte 25% à 30%.
En face de ces revenus, les coûts sont considérables.

- Le coût d’acquisition des nouveaux clients.
Pour attirer des clients, les compagnies de télécom proposent des téléphones à prix réduit. Elles investissent pour proposer les téléphones à ce prix. Ajoutons la publicité, les charges salariales du personnel de vente et le coût d’acquisition des clients se révèle très élevé. Les contrats qui obligent le client à rester plusieurs années permettent à terme un retour sur l’investissement de départ. Mais les lois évoluent, ce type de contrat est de plus en plus combattu. Le risque pour les compagnies de télécom augmente.

- Le coût de mise à niveau des infrastructures.
Les téléphones intelligents consomment énormément de bande passante. Les applications développées sont de plus en plus gourmandes (pensons par exemple que le iPhone4 permettra la vidéoconférence). Les compagnies de télécom doivent donc mettre à niveau leur infrastructure, élargir la bande passante. Les investissements à réaliser sont considérables. SFR par exemple a investi 1,4 milliard d'euros dans son réseau en 2009 (soit 11,6% de son chiffre d'affaires).

On comprend à la comparaison des modèles que les compagnies de télécom ont le sentiment qu’Apple capte l’essentiel de la valeur créée dans la chaîne de valeur qui conduit au client.

La question qui se pose alors est : mais pourquoi se sont-ils laissé imposé cela ? et que peuvent-ils faire ?

Pour réfléchir à la question nous nous appuierons dans la seconde partie sur l'analyse du rapport des forces entre Apple et les compagnies de télécom, dans la plus pure tradition du modèle de Porter des cinq forces de la concurrence.

mardi 1 juin 2010

Le troisième âge du capitalisme

La question d’un déséquilibre croissant dans la répartition de la valeur créée entre actionnaires et salariés est au cœur du débat public depuis quelques années. Le grand oublié des discussions est le client.

J’ai eu l’occasion ces dernières semaines d’animer des groupes de travail chez des clients, en l’occurrence des banques. J’ai ainsi pu échanger avec une centaine de collaborateurs (traduction en Français du Québec : employés) et de managers (gestionnaires) sur leur vision de la situation actuelle de leur entreprise. Au cours de ces discussions, un point m’a frappé : leur sentiment que la recherche de la performance à court terme attribuable aux exigences d’une entreprise cotée en bourse, au durcissement des règles prudentielles, aux besoins de financement d’un groupe en plein développement international et à l’épanchement des pertes de la crise financière. Pour eux l’atteinte de ces objectifs de performance financière à court terme s’est faite au détriment des clients (qui manifestent dans les enquêtes une baisse de la satisfaction) et des salariés (qui ont vu leurs conditions de travail se durcir). Nombreux parmi ceux avec qui j’ai échangé avaient perdu une certaine fierté de leur métier, ce qui a un impact direct sur la motivation, donc l’engagement à long terme. Ce que j’appelle le syndrome Alcatel de « l’entreprise sans usine » de Tchuruk.

Dans un article de la Harvard Business Review de janvier-février 2010, The age of customer capitalism, Roger Martin pose le problème et, plein d’optimisme, annonce un troisième âge du capitalisme. Sa thèse, quelques exemples à l’appui :

Le capitalisme managérial, la première époque du capitalisme débute en 1932. Elle se caractérise par une séparation de la propriété et du management de l’entreprise. La personne du manager professionnel, formé, succède aux héritiers à la tête des entreprises.

Le capitalisme financier, seconde étape du capitalisme, l’objectif devient la maximisation de la valeur pour les actionnaires (dividendes et cours de bourse), GE est le modèle de cette époque. Autre exemple, lorsque Rio Tinto rachète Alcan, son patron dit : "With our attractive cost position, strong technology portfolio, complementary refining and smelting assets, and a strong growth pipeline, Rio Tinto Alcan's mission is to create maximum sustainable value for Rio Tinto shareholders and to fulfil our mutual commitments to all of our stakeholders”. La mission de la nouvelle entreprise est de maximiser la valeur crée pour les actionnaires. Le client, les produits ne sont pas cités.
Selon les auteurs le modèle a atteint ses limites. Pour l’auteur il faut remettre les choses en ordre.

Le capitalisme orienté client
, troisième âge du capitalisme.
Retour aux sources. A quoi sert une entreprise ? Mobiliser des individus compétents pour créer de la valeur pour des clients à travers des clients ou des services.
Toutes les entreprises doivent se poser la question de l’utilité qu’elles ont pour leurs clients. Elles ne pourront pas réussir durablement si elles ne se concentrent pas sur cet aspect. Deux exemples sont frappants : le credo de Johnson & Johnson, la mission de Procter & Gamble n’ont pas bougé depuis de longues décennies. Elles mettent clairement en ordre les choses :
1. Définir l’utilité pour les clients.
2. Considérer que la valeur créée pour les actionnaires est un résultat de la satisfaction du client.

Credo de Johnson & Johnson :
« We believe our responsability is to the doctors, nurses and patients, to mothers and fathers and all others who use our products and services… We are responsible to our employees, the men and women who work with us throughout the world… We are responsible to the communities in which we live and work and to the world community as well… Our final responsibility is to our stockholders… When we operate according to these principles, the stockholders should realize a fair return.”

Mission de Procter & Gamble
We will provide branded products and services of superior quality and value that improve the lives of the world’s consumers. As a result, consumers will reward us with leadership sales, profit and value creation, allowing our people, our shareholders and the communities in which we lie and work to prosper

Michelin s’est donné des valeurs : respect du client, respect des personnes, respect des actionnaires, respect de l’environnement, respect des faits. La valeur de respect des actionnaires a été rajoutée aux autres valeurs dans les années 90, au moment où l’entreprise faisait face à des résultats financiers insuffisants qui la mettaient en péril. La façon dont est formulée cette valeur est intéressante :
“Respecter l’actionnaire, c’est reconnaître totalement son rôle et sa prise de risque, l’associer à la vie de l’entreprise et s’efforcer, dans la durée, de répondre à ses attentes.
Notre conviction est que la recherche de la performance économique, le souci de l'environnement ainsi que l'attention portée aux personnes, et plus généralement à la société, sont non seulement compatibles mais indissociables.
Par la recherche d'un niveau de bénéfice suffisant, nous répondons non seulement aux attentes de nos actionnaires, mais nous nous donnons également les moyens de répondre à nos besoins d'investissement, d'accroître la rémunération de nos collaborateurs, d'améliorer notre performance environnementale et de participer au développement des pays où nous sommes présents. »

1. Michelin énonce une volonté de dépasser l’actionnaire anonyme pour en faire un partenaire du projet de l’entreprise qu’il cherche à associer durablement.
2. La satisfaction de l’actionnaire et des autres parties prenantes sont présentées comme indissociables.
3. La satisfaction des actionnaires est présentée comme un moyen pour atteindre des buts plus élevés.

Conclusion :
Se recentrer sur les clients, et donc indirectement sur les métiers, est un levier de motivation à long terme. Cela donne du sens, permet au corps social de se trouver une utilité. Espérons que le capitalisme soit vraiment entré dans un troisième âge.

Des questions à vous poser :
- Quelle place donnez-vous à vos clients dans le projet de votre entreprise ?
- Dans votre entreprise, vos employés ont-ils le sentiment que les métiers sont valorisés ?
- Vos clients ont-ils l’impression qu’ils sont au cœur de vos soucis ?

dimanche 16 mai 2010

C’est pas tout, il faut vendre ! (Partie 4 : Innover dans les modes de distribution)

Dans un mode hyperconcurrentiel, en réponse à des attentes clients qui évoluent radicalement, les modes de distribution sont un levier majeur de différenciation. Au-delà de l’expérience que l’on fait vivre au client à travers le canal de vente, sujet que nous n’aborderons pas ici, les modes même de distribution sont la source d’innovations potentielles importantes.

Deux approches les magasins éphémères et la distribution automatique peuvent être pertinents dans des contextes particuliers. Quant à l’intégration des canaux pour créer une proximité multicanal sans couture, elle m’apparaît comme une tendance de fond à laquelle toute entreprise devrait réfléchir.

1. Les magasins éphémères

Qu’on les nomme « pop-up stores », « magasins éphémères » ou « guerilla stores », depuis quelques années, ce format de distribution se multiplie. L’idée est de créer des points de vente à durée de vie limitée, de quelques jours à quelques mois. De nombreuses marques se sont lancées, tour d’horizon.

- Un modèle d’affaires
Chronostock a fait son modèle d’affaire de l’ouverture et de l’exploitation de magasins éphémères dans le domaine du petit électroménager et des instruments de cuisine. Cela la met en concurrence directe avec les sites de vente flash sur Internet.
L’enseigne investit un espace libre, par exemple une crèche désaffectée, et pendant quelques mois écoule son stock à prix cassés : 20% à 40% moins cher que dans le commerce traditionnel.
Dans une entrevue à Intermédia, l’un des deux fondateurs, Edouard de Jandin explique très clairement le modèle d’affaires : « Cela coûte très cher d'émerger en ligne. Et la logistique est également coûteuse. Alors qu'ici le client repart avec son produit. On loue simplement un entrepôt pour stocker le matériel qu'on achète. Et il n'y a pas de réassort. Quand le produit est épuisé, c'est fini. En réduisant les coûts au maximum, on propose des prix plus compétitifs que sur internet. »
Pour annoncer l’ouverture de ses magasins temporaires, Chronostock organise des jeux de piste sur Internet.

Chronostock est une exception. A première vue (et je peux me tromper) peu d’entreprise choisissent ce modèle d’affaires. Pour la plupart des marques les magasins éphémères sont des canaux complémentaires utilisés pour des occasions particulières.

- Une réponse à la saisonnalité des ventes

L’ouverture de magasins éphémères peut être une solution pertinente pour répondre à une forte saisonnalité des ventes. On pourrait ainsi imaginer des magasins qui ouvrent dans les stations de ski en hiver et sur les plages en été distribuant des marques (nombreuses) s’adressant à ces deux marchés. Ainsi Toys'R'Us ouvre 80 points de vente éphémères aux Etats-Unis au moment de Noël. Une première expérience a été menée en France dans un centre commercial de Seine-et-Marne.

- Une plateforme pour lancer un nouveau produit
La création d’une boutique éphémère est un bon moyen de créer du bruit autour du lancement d’un produit et de créer un cercle d’ambassadeurs autour de lui, tout en recueillant leurs commentaires. Les exemples sont multiples.
Pour lancer son Cube, Nissan a créé à Paris du 26 novembre au 31 décembre 2009 son Cube Store. Pour y entrer, il fallait avoir été coopté ou postuler sur Internet. A l’intérieur : la vente de produits japonais ainsi que des événements qui plongeaient le visiteur dans l’univers du produit.
Pour le lancement de Windows 7, un café design accueillait à Paris les impatients qui souhaitaient tester le nouveau système d’exploitation.
Procter et Gamble décline le concept pour plusieurs de ses marques. Clearblue a créé un lieu éphémère intimiste pour profiter de la Saint-Valentin et lancer son nouveau test de grossesse. Durée : 2 jours. Oral-B, spécialiste des brosses à dents électriques, ouvre pour la troisième année consécutive dans le quartier chic de paris : au 131 rue du Faubourg-Saint-Honoré, pour l'utilisation son bar éphémère axé sur la beauté. Karine Pinon, responsable des relations extérieures des produits santé et bien-être de Procter & Gamble, explique très bien l’utilité de cette opération dans le marketing de la marque : « Pour lever les freins à l'utilisation d'une brosse à dents électrique, il faut la faire essayer, donner des conseils et en dédramatiser l'usage en instaurant une atmosphère de bien-être. La personne fréquentant l'Oral-bar est un consommateur gagné qui parlera positivement de ce qu'il a vécu » (source : un article du journal Les Echos).
Les clientèles visées sont parfois étonnantes. Ainsi Meow Mix, une marque américaine d’aliments pour animaux, avait ouvert à la rentrée un bar pour chats en plein Manhattan. Ils pouvaient là goûter les nouvelles saveurs de les croquettes Hairball. Un concours identifiant le meilleur miauleur était aussi organisé.

- Un moyen de préparer l’ouverture d’un magasin
Un magasin éphémère peut aussi permettre de préparer le terrain avant une ouverture définitive. Deux exemples. L’enseigne japonaise de vêtements Uniqlo a présenté ses produits phares dans un petit local du Marais, avant l'installation de son premier magasin parisien. La Maison du Whisky a créé un espace thématique (calvados et cidre après les whiskies japonais) au carrefour de l'Odéon en attendant l'ouverture d'une boutique permanente de spiritueux.

- Une occasion de célébrer un événement

Pour fêter ses 50 ans Ferrero avait ouvert une espace éphémère retraçant son histoire et commercialisant en avant-première une édition limitée de produits estampillés « 50 ans », et proposant des animations ludiques, comme un atelier de recettes basées sur les produits du groupe.
Pendant l’été 2008, Nike a célébré les jeux Olympiques de Pékin dans des espaces éphémères ouverts dans sept villes. Le succès reposait sur la combinaison d’un lieu d’exception (à Paris, une péniche sur la Seine), d’une présentation très sélective de produits avec des bornes interactives et une série d’événements (visites d’athlètes et de personnalités).

- Organiser l’éphémère, un nouveau métier pour les agences de marketing
L’organisation de l’éphémère est compliquée : au niveau juridique, logistique, publicité, aménagement et décoration. Des agences se spécialisent dans ce créneau à la mode. Deux exemples en France.
L’agence My Pop Up Store « monte pour [une] marque une opération de magasin éphémère sur mesure et clé en main ». Pour ce faire, elle s’est dotée d’une agence immobilière.
Plusieurs agences se sont spécialisées dans l’organisation de ces opérations éphémères. Le modèle de l’agence Waf est intéressant. Elle a créé un espace nommé l’atelier dans une ancienne imprimerie située face au Centre Pompidou. Tous les mois, les produits présentés changent. Waf accompagne les marques dans la création de ces espaces éphémères. Facture annoncée par le magasine Capital : entre 35000 à 50000 euros, selon les options retenues par le client.

2. La distribution automatique

Les machines distributrices se multiplient. Boissons, sandwiches, revues, sextoys, de plus en plus de produits adoptent ce format en réponse à la mobilité des consommateurs et à leurs horaires de consommation atypiques. Pensons par exemple aux distributeurs automatiques de maillots et de bonnets de bain dans les piscines.
En France Petit Casino 24 est l’enseigne de référence dans le domaine. Ses 47 épiceries automatiques proposent 200 références dans des emplacements à fort trafic. Elles réalisent en moyenne 100 000 euros par an en vendant pour 30% des sodas, 30% des sandwiches et 20% des produits laitiers (chiffres de 2007).

Ce format peut-il être utile pour d’autres produits ? Pourquoi pas. Si vous vendez des produits qui peuvent être de première nécessité et qu’il existe un espace où votre clientèle est concentrée (idéalement avec des horaires atypiques) comme une piscine, une entreprise, ou une salle de spectacle.

3. L’intégration des canaux : la proximité multicanal sans couture

A mon avis, au-delà des concepts comme les magasins éphémères ou la distribution automatique qui ont des usages spécifiques, le principal axe d’innovation de fond est l’intégration des canaux de distribution pour créer une proximité multicanal sans couture.

L’enjeu est de permettre aux clients d’accéder au niveau de service souhaité au moment où ils le veulent et par le canal qui est le plus pratique.
Des innovations technologiques sont utiles : vidéoconférence, click-and-call, etc. Mais au-delà créer une approche multicanal intégrée est un enjeu majeur en ce qui concerne le système d’information, les modes d’organisation (beaucoup plus transversaux) et les réflexes culturels (par exemple imposer l’idée que le client n’appartient à personne et qu’on peut partager un client) conditionnés par des pratiques organisationnelles (comme la fixation des objectifs individuels de vente par exemple).

Réussir la proximité multicanal sans couture nécessite donc une transformation organisationnelle complexe et coûteuse. C’est pourtant un incontournable. En effet de nouveaux acteurs profitent des espaces nouveaux créés par les technologies pour se faufiler et grapiller des parts de marchés aux acteurs installés.