mercredi 17 novembre 2010

ROWE (Partie 3)

Un mode de fonctionnement à la ROWE (centré sur les résultats et la dynamique d’équipe, avec une flexibilité des horaires et une liberté d’organisation du travail) répond à des leviers fondamentaux de mobilisation des jeunes.
Les jeunes ne s’investissent pas dans leur travail par principe, contrairement aux boomers, marqué par les valeurs traditionnelles qui donne au travail une place centrale dans le sens de la vie. Ils s’investissent sous conditions. Or une organisation du travail du type ROWE répond à plusieurs de ces conditions.

Un travail qui a du sens

Sauf métiers très spécialisés, les jeunes ne sont pas motivés par une tâche. Ils ont besoin que les choses aient un sens. Ils s’investissent dans des projets. En matière de sens, ils ont besoin de comprendre deux dimensions : le pourquoi (les choses sont comme ça) et l’utilité (à quoi ça sert).

Or, les jeunes ne trouvent pas de sens à une bonne part de leur travail :
- Ils n’ont pas de vision globale de l’entreprise et ont du mal à voir en quoi ce qu’ils font a de l’impact et est utile dans la réalisation de la mission de l’entreprise et de sa stratégie. Et leurs managers passent généralement un temps insuffisant pour échanger avec eux sur ces sujets.
- Les processus et les procédures sont peu expliqués. Ils sont souvent l’héritage d’une époque qui n’est pas la leur.
- On leur fixe des objectifs qui n’ont pas de sens. Ils se demandent : "en quoi cela change-t-il fondamentalement quelque chose d’atteindre ces objectifs ? Par exemple : pourquoi vendre tel produit plutôt qu’un autre ?"

Avec ROWE, l’activité est centrée sur les résultats à obtenir, plus que sur l’activité elle-même. Les processus deviennent des outils utiles pour obtenir des résultats et non l’objet même tu travail. Dit autrement, travailler ce n’est pas appliquer des processus et des procédures abscons, mais obtenir des résultats, servir à quelque chose.


Des marges de manœuvre

Les jeunes ne sont pas des automates. Ils auront du mal à donner le meilleur d’eux-mêmes si leur travail consiste à appliquer des procédures, en ayant le sentiment de ne pas avoir beaucoup d’influence sur les choses. Ils s'inscrivent plus dans une logique de co-création que d’obéissance. Or depuis une vingtaine d’années, nous sommes entrés dans une logique d’organisation du travail de plus en plus normative. Les procédures se sont empilées, les processus se sont formalisés, les scriptes d’entrevue avec les clients se sont multipliés, les démarches de qualité et de conformité ont structuré les façons de faire. Les jeunes se sentent à l’étroit dans cette organisation du travail.

Et ce n’est pas juste une question de mauvaise volonté.
Pour toutes sortes de raison qu’il serait trop long d’expliquer ici, les jeunes sont dans des modes de fonctionnement par essai-erreur plus que dans l’application d’un savoir formalisé. Pour se sentir bien, pour s’approprier leur rôle et s’investir dans leurs tâches, ils ont besoin de mettre leur poste à leur main.

En limitant les contraintes au minimum, ROWE permet aux individus d’inventer leurs modes d’organisation en interaction avec l’équipe. L’ajustement est continu, l’innovation permanente, la responsabilisation totale. C’est pour les jeunes une autre raison de s’investir dans leur travail.


Un fonctionnement d’équipe

Les jeunes sont des animaux très sociaux. Depuis leur plus jeune âge ils font des projets d’équipe à l’école. Ils développent leurs réseaux sur Internet. Le fonctionnement en équipe leur est naturel.

En favorisant une approche d’auto-organisation par équipe, ROWE mise sur la dynamique d’équipe et l’intelligence collective.


Une logique d’épanouissement

Dans toutes les générations, le besoin d’un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle s’affirme aujourd’hui de plus en plus fortement. Cependant le rapport des jeunes au travail est très différent. Pour les boomers le travail était un cœur de la réussite dans la vie. Les X ont un rapport hostile avec le travail. Ils ont eu du mal à en trouver, ont galéré longtemps et sont souvent désabusés. Les Y, eux, sont dans une logique d’épanouissement et de réalisation de soi. Ils veulent devenir eux-mêmes. Le travail est un des leviers pour cela. Pour eux, il y a une continuité entre vie privée et vie professionnelle.
En permettant à chacun d’organiser son temps, de travailler de là où il le souhaite, dans une logique de flexibilité, ROWE répond à ce besoin d’intégration du travail dans la vie.


Des premiers pas vers ROWE

La philosophie derrière ROWE répond aux conditions qui génèrent de la mobilisation chez les jeunes. Elle a deux effets majeurs : elle génère de l’engagement (d’où l’amélioration de la productivité), et elle est attractive (la grande majorité des jeunes ont envie de travailler dans une entreprise qui offre ces conditions), elle constitue un avantage concurrentiel sur le marché des talents.

ROWE est-il pertinent pour toutes les entreprises ? La philosophie de ROWE me paraît adaptable pour toutes les entreprises, en fonction des contraintes, de la culture et des aspirations des employés. Des premiers pas sont possibles, ils peuvent créer de grandes bouffées d’air frais dans l’entreprise.

En particulier :

- L’obsession autour du temps de travail est à mon avis profondément contre-productive. On ne motive personne en comptant les heures, en particulier dans des métiers à forte valeur-ajoutée, nécessitant l’engagement des individus.

- Une très (très) grande majorité des actes managériaux dans les entreprises actuelles porte sur la partie procédurale du travail (respect des directives, respect du processus, contrôle). Une attention insuffisante est portée à la question du sens : le pourquoi des façons de faire, l’utilité des tâches, la raison des résultats visés. Les résultats visés se transforment d’ailleurs très vite en objectifs quantifiables mais vides de sens.

- Enfin il faut donner de la place à la responsabilisation, et à l’innovation. Faire confiance aux personnes. Des premières étapes : chercher à élargir les formes de délégation, et mettre en place des démarches d’innovation participative.

lundi 15 novembre 2010

ROWE (partie 2)

Une organisation du travail plus responsabilisante, axée plus sur le résultat que sur les heures passée le cul sur une chaise de bureau, permettant de travailler de n’importe où en coordination avec son équipe, me paraît incontournable. Il y a selon moi des facteurs externes et internes qui font que les organisations n’ont pas le choix.

Prédiction : Celles qui prendront du retard y perdront une partie de leur avantage concurrentiel.

Gérer un héritage

Les modes d’organisation et de fonctionnement actuels sont pour partie des héritages du passé. Retour dans les années 60, voire 70 quels sont les moyens de coordination au sein des équipes ? Le téléphone au mieux. Dans les années 80 s’ajouter le fax. Dans ce contexte pour qu’une équipe soit efficacité, il faut imposer une unité de temps et de lieu pour que les gens puissent se voir, se parler, s’organiser, collaborer sur les tâches . En conséquence : tout le monde au bureau à la même heure !
Il faut attendre le milieu des années 90 pour qu’Internet, les courriels et la téléphonie mobile se développent. On commence alors à parler sérieusement de télétravail.
Puis développement des outils de collaboration au cours des années 2000 permet une coordination d’équipes virtuelles et asynchrones.
Un des problèmes des organisations qui ont connu cette évolution, c’est qu’elles n’ont pas complètement vécu les transformations nécessaires, ce qui se comprend pour des raisons d’efficience. Beaucoup se sont hybridisées mais restent fondamentalement structurées sur des modèles classiques, hérités de l’avant internet.
Quelques indicateurs :
- est-il possible de se connecter depuis chez soi sur son poste de travail ?
- faut-il se déplacer ou les réunions sont-elles possibles en vidéoconférence ?
- les horaires sont-ils individualisés ?
- existe-t-il des outils collaboratifs pour faciliter le travail en équipe ?
Ces modes d’organisation hérités du passé sont fortement confrontés par plusieurs exigences internes et externes.

Un besoin de décentralisation pour plus de réactivité

Nombre de dirigeants vivent avec le mythe qu’il existe un mode d’organisation et des processus de travail qui permettent d’optimiser le fonctionnement une fois pour toute. Et pourtant : les heures d’ouverture d’un magasin peuvent varier en fonction des particularités de sa clientèle. Les partenaires (fournisseurs et autres) vont souhaiter être contactés par des voies très différentes : par Internet ou physiquement. La réalité du monde actuel est que la standardisation est une très mauvaise réponse.
La complexité du monde, la rapidité des changements, et la microsegmentation des marchés font qu’une réponse standardisées n’est pas optimale.
La performance passe par la capacité des équipes à s’adapter au plus près des réalités évolutives de leur périmètre d’activité.
L’enjeu est donc de dépasser la logique classique de rigidité et de conformité collective pour installer une culture de souplesse et d’agilité dans le but de réaliser les objectifs.

Des attentes des clients de plus en plus différenciées

Les clients sont en attente d’une plus grande personnalisation de la relation avec leurs fournisseurs. Ils ne veulent plus subir les rythmes, ni les modes de contact de leurs fournisseurs. Eux aussi sont en attente d’une plus grande souplesse dans les rythmes et les modes de travail de leurs fournisseurs.

Des rythmes naturels bouleversés

Les coûts induits par les maladies mentales (burn-out, dépressions, etc.) augmentent. Les organisations ont donc tout intérêt à mettre en place des organisations du travail qui sont plus respectueuses des rythmes naturels de la vie qui sont aujourd’hui bouleversés. Ainsi par exemple au Canada, la durée moyenne de déplacement pour aller travailler est passée de 54 minutes en 1992 à 63 minutes en 2005. Autour de Paris, en Ile de France, le temps consacré aux déplacements vers le lieu de travail a augmenté de 16% en 25 ans (selon le STIF). Dans le même temps le temps consacré à la famille diminue (au Canada, les travailleurs ont passé en 2005 45 min. de moins en famille par rapport à 1985). Les travailleurs réduisent la durée de leur repas de midi et la longueur de leurs nuits de sommeil.

Les coûts induits des déplacements

Le déplacement maison – travail est long, stressant et démotivant. C’est un constat qu’a fait IBM à Paris en créant des bureaux de proximité dans la région parisienne pour permettre aux collaborateurs de se connecter sans avoir besoin de rejoindre la tour de la Défense.
La réduction de l’émission des gaz à effets de serre. Dans un contexte où de plus en plus, il y aura un coût associé aux émissions de gaz à effet de serre, on comprend la pertinence de ne plus déplacer tous ses employés à la même heure, celle des embouteillages. Cela n’est pas anecdotique. Le potentiel de diminution des émissions de gaz à effet de serre lié au développement du télétravail serait de 1 million de tonnes (Mt) par an pour la France (rapport du centre d’analyse stratégique de novembre 2009) (rappelons que la France émettait 532 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2008).

La réponse aux attentes des jeunes générations

La question de la personnalisation de l’environnement de travail est aussi un facteur déterminant de différenciation sur le marché des talents. Dans un contexte où la main d’œuvre de qualité est rare, c’est un élément déterminant. Or, ROWE répond très précisément aux attentes des jeunes générations, ce que nous verrons dans une troisième partie.

vendredi 12 novembre 2010

ROWE (Partie 1)

J'ai été invité dans l'émission de Radio-Canada "L'après midi porte conseil" animée par Dominique Poirier. Le sujet portait sur ROWE : la méthode révolutionnaire d'organisation du travail développée chez Best-Buy.

En 2003, Best Buy faisait face à des problèmes lourds qui menaçaient sa survie à terme. Un roulement du personnel important, des gens démotivés, et des burn-outs. Alors ils expérimentent dans un département particulièrement en difficulté, une nouvelle organisation du travail. Toute référence au temps de travail est abandonnée. Les gens décident d'où ils travaillent : dans un bureau, chez eux, dans un café. La présence dans les réunions est optionnelle (relisez juste cette phrase, par plaisir. Seule contrainte : réaliser les objectifs qui sont fixés pour l'équipe. Libres à elles de s'organiser.

Les premiers résultats sont encourageants. La méthode essaime. Les sceptiques sont peu à peu convaincus. Trois ans plus tard, le roulement du personnel a été réduit de 90%, la productivité a augmenté de 35% et les niveaux de satisfaction au travail sont particulièrement élevés.

Aujourd'hui d'autres entreprises comme Gap appliquent la méthode.

L'entrevue est accessible ici.

Vous voulez savoir comment sécher légitimement les réunions :

Le site de CultureRx, le cabinet de conseil créé par les deux personnes qui ont piloté la démarche chez Best Buy.

"Why work sucks and how to fix it. The result Only Revolution", leur livre.

Des témoignages de dirigeants et d'employés de Best-Buy qui ont vécu la transformation :


Mon sentiment :

Derrière ROWE il y a une philosophie qui témoigne d'une évolution profonde du rapport des individus au travail et des modes d'organisation. Le temps est de moins en moins l'unité de mesure du travail. La question n'est pas de savoir si les entreprises appliqueront des méthodes du type ROWE, mais quand. De mon point de vue c'est inévitable. J'expliquerai pourquoi dans une seconde partie.

Seconde partie sur le thème de ROWE.
Troisième partie sur le thème de ROWE.

mercredi 3 novembre 2010

Mettre en oeuvre une stratégie (partie 2)

Dans une première partie nous avons vu que le premier levier de la mise en oeuvre d'une stratégie est d'amener chacun à trouver pour lui du sens au changement. Au delà, quelques règles permettent de lever bien des difficultés dans la mise en œuvre d’une stratégie.

1. Procéder par expérimentation

Ne pas considérer que tout le monde sera mobilisé de manière égale. De nombreux modèles étudient la question de la mobilisation variable des individus dans le changement. (Personnellement, je trouve que la sociodynamique, développée par Jean-Christian Fauvet est un outil très utile.)

En gros, entre 10% et 25% des gens seront des résistants quoi qu’il arrive. 50% des gens suivront le vent. Pour mener un changement vous disposerez au maximum de 30% d’alliés engagés. N’attendez pas d’embarquer tout le monde. Commencez avec les 30%, utilisez les pour gagner les 50% et ne perdez pas d’énergie avec le reste.

Cela signifie que sur les sujets sur lesquels les changements sont significatifs, il est utile de fonctionner par expérimentation avec les gens qui sont les plus motivés, de soutenir particulièrement ces projets pilotes pour en assurer la réussite (et en tirer les leçons pour les améliorer). Puis généralisez les dans l’organisation en vous servant des collaborateurs comme ambassadeurs.

2. Obtenir des gains rapides

Pour convaincre de la crédibilité d’un projet, pour éviter le découragement et garder le rythme, il est nécessaire que les équipes constatent des progrès rapides.

Chez GE on considère qu’un changement qui n’a pas produit de résultat dans les premiers 90 jours ne produira jamais de résultat. Pas faux. Il ne s’agit pas de tout régler en 90 jours, mais d’éviter l’enlisement qui donne raison aux sceptiques.

Donc, dans votre stratégie de mise en œuvre de la stratégie, identifiez des gains rapides sur tous les sujets à enjeu qui vont bousculer les habitudes pour montrer que c’est possible. Et communiquez sur ces premiers succès.

3. Chasser les facteurs d’incohérence

Un autre élément qui permet aux résistances de s’organiser est l’incohérence entre le discours présenté dans la stratégie et la réalité vécue. Elle permet aux grincheux d’affirmer : « tout ça c’est des mots, dans la vraie vie ça continue comme avant ».

Dans la préparation du changement stratégique, un élément clé est de réfléchir aux éléments d’incohérence, de les identifier et de trancher : le problème c’est soi l’élément en incohérence, soit l’axe stratégique. Vivre avec les deux est une garantie d’échec.

Le grand classique en la matière est l’incohérence entre les critères d’évaluation de la performance et les orientations stratégiques. Par exemple la stratégie affirme une orientation vers la satisfaction client, mais les commerciaux sont évalués sur le nombre de produits vendus, sans aucune référence à la satisfaction client.

Il ne s’agit pas de tout résoudre à court terme. La mise en cohérence peut prendre du temps, mais il est essentiel d’avoir une idée assez claire au départ des facteurs d’incohérence qu’il va falloir corriger.

Dans le même ordre d’idée, tout au long de la mise en œuvre de la stratégie, vous devez pouvoir expliquer comment les décisions que vous prenez sont en cohérence avec la stratégie, ou bien en quoi la stratégie doit évoluer du fait de l’évolution du contexte.

4. Assurer une communication continue

Pour permettre aux individus de trouver le sens dans la durée, une communication continue est nécessaire. Elle doit permettre de :
- Faire un suivi de l’atteinte des résultats (ce qui suppose d’avoir des indicateurs simples à communiquer), souligner les réussites et mettre en évidence les difficultés rencontrées.
- Mettre l’accent sur les expérimentations réussies.
- Partager les bonnes pratiques qui vont dans le sens des orientations stratégiques.
- Informer sur les réalignements stratégiques liés à l’évolution du contexte.
- Montrer en quoi les décisions prises contribuent aux objectifs stratégiques poursuivis.

Dans leurs échanges réguliers, les managers doivent s’appuyer sur les éléments de la stratégie, pour mettre en perspective les décisions et ainsi construire petit à petit un cadre de référence cohérent et ancré dans la réalité.

lundi 1 novembre 2010

Mettre en oeuvre une stratégie (Partie 1)

Question d’une lectrice du blogue : Quels sont selon vous les facteurs d´inertie potentiels dans l´adoption d´une nouvelle stratégie dans une entreprise et quelles sont vos préconisations pour y faire face?

Il se trouve que cette question est au cœur de mon activité de consultant. Donc quelques éléments de réflexion sur le sujet.

La séquence classique de démobilisation autour de la stratégie

Retour sur la séquence de construction d’une stratégie. Généralement les choses se passent ainsi :

1. Une équipe de direction travaille pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour faire un état de la situation actuelle, se projeter dans le futur et proposer une stratégie. Elle se fait aider pour cela de consultants et mobilise les experts internes. Le reste de l’organisation est plus ou moins invité à participer au processus.

2. Une fois le document écrit, il s’agit de le diffuser dans l’organisation. Et puisque les choses sont enfin claires, et qu’il faut aller vite parce que le monde, les concurrents, etc., on estime qu’une bonne présentation ppt de 45 min. + 15 min. de questions devraient suffire. (J’exagère…. à peine).

3. Evidemment, au mieux la stratégie est oubliée aussi vite qu’entendue (si il n’y a pas la perception de changements majeurs), au pire les résistances individuelles et collectives s’installent (s’il y a la perception qu’il va falloir changer significativement des choses).

Alors comment faire ?

Première remarque : plus les collaborateurs sont partie prenante dans l’élaboration de la stratégie, plus les résistances seront réduites dans la phase de mise en œuvre. J’ai bien dit partie prenante, je n’ai pas affirmé que la stratégie était une construction démocratique. Tout est question de méthode. Mais ce n’est pas mon sujet.


Le management intermédiaire sur le fil du rasoir

Un acteur clé dans la mise en œuvre de la stratégie est le manager intermédiaire. En réalité c’est sur lui que reposent en grande partie les clés de la mobilisation. Il est en effet le liant entre deux corps sociaux : les équipes de premier niveau d’une part, celles qui vont mettre en œuvre la stratégie au quotidien, et les équipes dirigeantes qui élaborent les stratégies.
S’il adhère à la stratégie et qu’il se sent assez soutenu, il va pouvoir la porter auprès des équipes. Dans le cas contraire, si la stratégie n’est pas claire pour lui ou s’il ne se sent pas en position solide, il risque de prendre le parti de l’équipe contre les changements imposés par la stratégie. Dès lors obtenir l’adhésion de tous sera très compromis.

D’où premier levier : soigner le management intermédiaire dans le processus de diffusion de la stratégie. Nous conseillons toujours aux équipes dirigeantes de prendre le temps de discuter de la stratégie avec le management intermédiaire, dans un échange ouvert, mature, entre partenaires d’affaires. (Il y a des techniques, cela s’organise). Tant que ce corps n’a pas développé une conviction intime de la pertinence de la stratégie, il y a un risque réel à aller plus loin.


Le levier principal : amener chacun à trouver son sens

Le manque de sens est le principal frein à la mobilisation des équipes autour de la stratégie. Tous les dirigeants, tous les managers sont convaincus qu’il faut donner du sens. Alors ils parlent, ils expliquent, ils donnent leur sens. Souvent sans vérifier ce que les autres ont compris, ni ce qu’ils retiennent, ni ce que cela leur fait. Et bénissent l’équipe de communication qui leur a bâti cette présentation ppt qui permet décidément de tout dire en 45 min. Et puis, vu qu’il n’y a pas vraiment eu de questions à la fin, c’est bien que tout devait être clair.

Remarque, vous pouvez toujours donner le sens, mais vous ne savez pas ce que les gens vont faire avec. Je peux même garantir que chacun va comprendre ce qui l’arrange.

Plutôt que de donner du sens, amenez les gens à trouver leur sens et parlez-en avec eux.

Concrètement cela veut dire quoi ?
Amener les collaborateurs à refaire le cheminement intellectuel qui a conduit l’équipe de direction à choisir la stratégie. Donc il faut prendre le temps d’explorer avec les équipes les éléments suivants :
- Le contexte de changement : comment l’environnement, les concurrents bougent et quelles sont les pressions d’évolution qui s’exercent sur le métier et l’entreprise.
- Le partage du diagnostic sur la situation actuelle de l’entreprise et ses défis d’évolution. C’est un moment clé pour susciter l’adhésion à la stratégie. Tant que les individus ne partagent pas le diagnostic, ils n’adhéreront pas à ce qui apparaîtra comme une réponse à une mauvaise question.
- Comment la stratégie répond à ces évolutions.

Le mode de communication à utiliser est aussi fondamental. Quittez le monologue, allez vers le dialogue. La réflexion sur la stratégie doit constituer une discussion à tous les niveaux de l’entreprise, dans chacune des équipes (ce qui donne un rôle majeur au management intermédiaire). L’enjeu du dialogue n’est pas de remettre en question la stratégie mais d’amener chacun à se l’approprier en en discutant. Les questions qui doivent structurer cet échange :
- Quelle est la situation actuelle de l’entreprise ?
- Quels sont les défis d’évolution pour l’entreprise dans les années qui viennent ?
- Quels sont les éléments qui motivent, ceux qui inquiètent dans la stratégie ? Quelles sont les questions qui se posent ?
- En quoi l’équipe sera-t-elle impactée par la stratégie dans les années qui viennent ?
- Comment chacun sera-t-il impacté en ce qui concerne ses missions, ses compétences, etc. ?

Un incontournable : Valoriser le passé. Beaucoup de dirigeants (en particulier les nouveaux arrivés) n’aiment pas parler du passé dans ce monde des affaires où le regard se tourne vers l’horizon lumineux du futur de demain. C’est une erreur. On ne mobilise pas un corps social sans reconnaître ce qu’il a fait. Dans l’étape de diagnostic un moment important consiste ainsi à identifier les réussites et les choses dont on peut être fier au cours des derniers mois / années. Cela génère de l’ouverture à la remise en question.

Cet exercice de communication prend nécessairement du temps. Il est très souvent négligé pour cette raison. C’est une erreur majeure. C’est en réalité un investissement incontournable. Certes son impact ne sera pas uniforme. Tout le monde n’adhèrera pas de la même façon. C’est normal. C’est un facteur à intégrer dans la gestion de la mise en œuvre que nous verrons dans la partie suivante.