vendredi 19 décembre 2008

The contribution revolution : Quand le client travaille à son propre bonheur

Dans le livre fameux de Stan Davis et Christopher Meyer, « Blur », paru en 1999, une idée m’avait particulièrement frappé : le fait que dans une économie en réseau frontières des entreprises deviennent floues. Ainsi il deviendrait de plus en plus difficile de savoir où commence et où s’arrête la chaîne de valeur de l’entreprise.
Je suis frappé de constater combien, au cours de cette dernière décennie, cette vision s’est révélée vraie. Stratégies réseau, open innovation, impartition, etc. Pour exprimer la réalité de ces réseaux de chaînes de valeur étroitement imbriquées, Karlsson et Sköld (2007) vont jusqu’à proposer le terme d’extraprise manufacturière.

Dans le numéro d’octobre de la Harvard Business Review, un article aborde la question sous un angle intéressant et inhabituel : comment s’appuyer sur des contributions volontaires pour développer son entreprise. Son titre : « The contribution revolution – Letting volunteers build your business ». Dit autrement : comment faire de l’argent en faisant travailler les autres pour rien. Avouez que c’est tentant. Donc explications.

Cette stratégie repose sur quelques principes qu’il me paraît utile de rappeler pour mettre en contexte cette réflexion.

La part immatérielle dans l’offre augmente :
- dans sa conception : les produits font de plus en plus appel à des compétences pointues en design, ingénierie, connaissances juridiques et règlementaires, etc. ; la personnalisation des solutions nécessite par essence une augmentation de la part d’information « injectée » dans le produit.

- dans son contenu : la gestion de l’information prend de plus en plus de place dans les fonctionnalités d’un produit (voir par exemple l’électronique embarquées dans les voitures d’aujourd’hui).

- dans la relation entre l’entreprise et ses clients : les entreprises ont depuis longtemps dépassé une relation ponctuelle achat-vente pour développer la durabilité des relations en proposant des services complémentaires qui facilitent la vie de leurs clients (service après vente, puis en mettant en place des politiques de gestion de la relation client.

- dans sa dimension symbolique : les marques se développent et donnent aux produits une valeur globale qui dépasse leur valeur d’usage (un sac à main Louis Vuitton est plus qu’un sac à main).

La connaissance est évolutive et répartie
Dans un contexte de spécialisation de la connaissance et d’évolution rapide, il est très difficile d’identifier quelle est l’information pertinente et où elle se trouve. Il est moins efficace d’essayer de centraliser l’information et la connaissance que de laisser émerger l’information et la connaissance pertinentes (ex. Wikipedia) ou de trouver des moyens d’accéder rapidement à celui qui la détient (ex. Yahoo answers).

L’économie en réseau transforme la logique de valeur
Dans une logique industrielle, la rareté crée la valeur. Ce principe se trouve remis en question dans une économie du réseau où ce qui crée la valeur, c’est au contraire, la diffusion. Ainsi un téléphone n’a aucune valeur, il commence à avoir de la valeur quand il est connecté à un réseau. Et plus il y a de monde connecté au réseau, plus il est utile et a de la valeur, mais une valeur qui repose sur de l’immatériel (voir le point précédent).

Chaque individu a un grand besoin de s’exprimer et de participer
Les individus sont plus éduqués, mieux informés. Depuis toujours chacun se valorise dans son milieu parce qu’il en sait plus que les autres, et chacun recherche le feed-back des membres de sa communauté. En outre, de plus en plus, chacun cherche à exprimer sa créativité et ses multiples talents. Les nouvelles technologies élargissent ce cercle de partage et de possibilités créatives.

On est convaincu par des pairs

Foin des vendeurs et des experts de toutes sortes, celui ou celle qui a le plus de chances de nous convaincre c’est un pair. L’entrepreneur par l’entrepreneur (les chambres de commerce le savent bien), la mère de famille par la mère de famille (Tupperware l’a compris), etc. En s’adressant à des communautés d’individus partageant le même centre d’intérêt on peut obtenir un effet de levier qui rend plus efficace le travail de conviction fait auprès de chacun.

Forts de ces prolégomènes, revenons à l’article qui présente une taxonomie, vraiment originale, des différentes formes que peuvent prendre les contributions volontaires des clients, des partenaires ou des employés sur lesquelles une entreprise peut s’appuyer pour se développer. Je l’adapte légèrement.



La contribution des utilisateurs peut être active

Dans la gestion de la connaissance
- Les opinions et conseils : de nombreuses entreprises donnent à leurs clients, grâce à des sites internet dédiés, l’occasion de donner opinions et conseils qui permettent de guider les autres dans leur consommation et d’augmenter la valeur de l’information autour de l’offre. Ainsi Hyatt a développé Yatt’it un service en ligne de concierge, dans lequel chacun peut déposer ses conseils et bonnes adresses.
Ex. : inthemotherhood.com (produits d’hygiène corporelle de Unilever), leroutard.com (guides de voyage), amazon.ca (vente en ligne de produits culturels), etc.

- L’expertise : wikipedia est l’exemple ultime de cette tendance où la connaissance émerge de la communauté de manière non contrainte. Ainsi Best Buy a mis en place un site sur son intranet : BlueShirt Nation, qui permet aux employés d’échanger et de partager leurs expériences sur des problèmes professionnels ou de gestion de carrière. Les outils collaboratifs ouvrent de nouvelles possibilités dans les démarches de gestion de la connaissance (Knowledge management)
Ex. Wordreference.com (dictionnaire communautaire), la communauté d’utilisateurs de AT&T, etc.

- L’expression créative : En permettant à leurs clients de participer à la conception de leurs campagnes de communication, les marques libèrent une créativité parfois frénétique qui créé une effervescence à moindre coût dans les médias sociaux. Ainsi Bouygues Telecom a lancé un concours de création d’une vidéo pour créer un buzz sur internet autour du lancement de sa Bbox. Bouygues a été tellement surpris par la qualité des vidéos qu’ils ont finalement décidé de récompenser les deuxième et troisième prix (5000 Euros chacun), ce qui n’était pas prévu au départ.
Ex. : Suave demande à ses clientes de proposer des scénarios pour alimenter sa série d’émissions diffusées sur Internet ; Doritos a assuré à la vidéo sélectionnée une diffusion lors du Superbowl 2007.

Dans l’élaboration de l’offre
- La mise à disposition des biens : Les intermédiaires comme EBay ou d’autres plus spécialisés exoneo.fr (philatélie) ou cavalissimo.com (cheval) s’appuie sur le stock mis en ligne par leurs clients vendeurs.
- La création de l’offre : Certaines marques mettent à contribution leurs clients dans la création de leurs produits. C’est une pratique très courante dans le domaine du logiciel. Par exemple à travers le logiciel libre (par exemple Mozilla), mais aussi Microsoft qui fait de chaque utilisateur un testeur. Dans un autre ordre d’idée duproprio.com, un site immobilier, demande aux clients de déposer leurs idées d’amélioration du service sur le site. Ces idées sont évaluées par les internautes qui peuvent aussi laisser une explication détaillée de leur point de vue.
Ex. : avomarks.fr, threadless.com

La contribution peut aussi être passive.

Dans l’exploitation des données recueillies auprès des clients
- En exploitant les données sur les comportements de consommation. En naviguant sur internet, en consommant, les clients donnent accès à une série d’informations qui permet d’ajuster l’offre et l’approche commerciale. Par exemple d’identifier des opportunités de vente croisée (le fameux : les internautes ayant acheté … ont également acheté …).
- En exploitant les données issues de l’utilisation des produits. Ainsi Honda agrège les informations envoyées par les GPS embarqués dans les voitures de ses clients pour dresser une cartographie de la circulation.

L’exploitation de ressources inutilisées par les clients

- Le système téléphonique gratuit de Skype repose sur l’utilisation des capacités de calcul inutilisées sur les ordinateurs de la douzaine de millions d’utilisateurs qui sont connectés à tout instant. Ainsi Skype n’a pas à investir dans ses propres capacités.

Certains modèles d’affaire comme les logiciels libres ou EBay, exploitent très cette stratégie qui permet d’accéder à des ressources que l’entreprise ne peut pas développer en interne. Un des plus beaux exemples de ce type d’entreprises que j’ai croisées, est Dassault Système qui a développé autour de lui un écosystème pour assurer son développement. Un jour, il faudra bien que je vous en parle.

Aucun commentaire: