mardi 15 février 2011

La R&D relationnelle

Dans un environnement hyperconcurrentiel, dans laquelle la durée de vie des produits se réduit sans cesse, l'innovation est devenue un enjeu de survie pour les entreprises.

La démarche d'innovation comprend plusieurs mécanismes. J'en vois trois principaux :
- l'innovation participative qui permet de gérer des idées qui fourmillent chez les employés.
- la R&D, une approche plus structurée qui structurent l'innovation autour des orientations stratégiques.
- l'opportunisme agile qui permet à une entreprise de saisir des opportunités non prévues dans son plan de marche.

Je me concentrerai dans cette réflexion sur la R&D. En la matière, les entreprises font face à trois défis :
- la créativité. Pour avoir une bonne idée qui mène quelque part, il faut en avoir cent (la citation approximative est de quelqu'un de chez 3M qui s'y connait en la matière, mais dont je ne retrouve pas le nom).
- le coût. Innover coûte cher, d'autant que le retour sur investissement est par définition incertain. C'est d'ailleurs un facteur qui explique la difficulté à innover. En effet, entre deux managers qui demandent des budgets, le premier pour un projet pas innovant mais aux résultats prévisibles (du genre : amélioration de la productivité ou réduction des coûts), et un projet très innovant dont on ne connaît pas les résultats, il est difficile pour un décideur de résister au premier.
- la vitesse du cycle développement – mise en marché. Aller vite pour capter le marché, bénéficier des marges sur les early adopters avant que la concurrence s'organise, est un facteur de plus en plus décisif. Quelque chose qu'exprime bien cette phrase d'un patron d'une start-up à succès, dont j'ai aussi oublié le nom : "Si vous êtes fier de votre produit quand vous le mettez sur le marché, c'est qu'il est trop tard."

(Parenthèse : Certaines industries sont au coeur d'une tempête parfaite en matière d'innovation. Ainsi l’industrie pharmaceutique est en difficulté sur chacun de ces trois critères. De moins en moins de médicaments sortent des laboratoires (de moins en moins de brevets déposés), pour un coût toujours croissant (de l'ordre du milliard de dollar pour un nouveau médicament) et avec une durée de développement clinique qui s’allonge (de 10 à 12 ans en moyenne).)

Créativité + Coût + Vitesse = on ne peut plus y arriver tout seul.
Le modèle classique d'organisation de la R&D : internalisé, aligné soigneusement sur les roadmaps stratégiques, est remis en cause. Là encore le modèle de l'économie relationnelle s'impose. Démonstration.
Il me semble qu'on peut distinguer cinq niveaux dans la structuration de la R&D

Niveau 1 : Internalisation
L’entreprise internalise ses capacités de R&D et les développe de manière organique. Elle crée ses labos, embauche des chercheurs, dépose des brevets qu'elle exploitera. Même si la tendance à l'innovation ouverte, ce n'est pas toujours un mauvais choix.
L'Oreal par exemple a une recherche fondamentale très forte qu'elle exploite à travers une multitude de marques. Dans certains secteurs comme le nucléaire dans lequel il existe peu de recherche universitaire, peu de jeunes pousses et peu de mobilité des employés, c’est même une nécessité.

Niveau 2 : Acquisition & Development
L’entreprise cherche à internaliser ses capacités d'innovation. Mais, au lieu de les développer de manière organique, elle identifie sur le marché des jeunes pousses prometteuses et les rachète. Cela permet d'entrer à un moment plus avancé dans le le long chemin allant de l'idée au produit, et ainsi de réduire, les risques et les coûts ainsi que d'accélérer le cycle de mise en marché. Le terme d'Acquisition & Development vient de la stratégie utilisée par Cisco.
Certaines entreprises vont plus loin et entretiennent un vivier de jeunes pousses parmi lesquelles elles choisiront. Par exemple Nokia a un fonds de capital risque nommé Nokia Growth Partners. Alstom et Schneider Electric ont créé un fonds commun de capital risque, baptisé Aster Capital, spécialisé dans les technologies innovantes pour l’énergie et l’environnement. D'autres mettent à disposition leurs infrastructures (ex. locaux, laboratoires de recherche, etc.) pour créer des incubateurs qu'elles peuvent accompagner et sur qui elles peuvent garder l'oeil.

Niveau 3 : Identify and accelerate (Air Products)
Autre attitude possible : développer des partenariats ciblés avec des centres de recherche, des universités ou d’autres partenaires, qui peuvent être des concurrents, pour développer des programmes spécifiques conjoints de R&D.

Niveau 4 : Connect and develop (P&G)
Le niveau 3 identifie des relations spécifiques, cadrées. La logique du 'connect and develop'’ est plus ouverte, basée sur la qualité des relations au sein d'un réseau de partenaires. Dans cette stratégie l'entreprise développe un réseau de partenaires, un écosystème, au sein duquel les idées circulent. La stratégie « connect and develop » de Procter & Gamble vise ainsi à développer un réseau de partenaires en situation d’échanges continus. La firme a mis en place une politique qui illustre bien l’idée de cette innovation en réseau. Si une idée originaire d’un laboratoire de P&G n’est pas utilisée dans un délai de trois ans, elle doit être offerte à un partenaire externe, qui peut aussi bien être un concurrent.

Niveau 5 : Crowdsourcing
Le crowdsourcing est plus ouvert que la stratégie Connect and Develop. Dans cette configuration un dialogue organisé s’élargit au delà du réseau habituel de l’entreprise : avec les clients mais aussi des entités que l’entreprise ne connaît pas. Elle s’appuie sur la communauté pour développer de nouvelles idées.
Innocentive.com, filiale de Elly Lili illustre parfaitement cet état d’esprit. Sur ce site, des entreprises déposent des problèmes dans des domaines très variés : ingénierie, informatique, chimie, physique, etc. Elles promettent des récompenses à ceux qui auront les solutions les plus pertinentes.
Dans le même ordre d'idées, pour aller chercher les idées des clients, Dell a créé Idea Storm, ou sur un plan plus local, SNCF, Le Lab du réseau Transilien

Conclusion
Dans un contexte où tout va très vite, où les bonnes idées sont rares et coûteuses, les entreprises découvrent qu'elles ne peuvent plus y arriver toutes seules. Chesbrough avait proposé le terme d'innovation ouverte pour décrire les phénomènes d'impartition et de partenariats en matière de R&D.
Il me semble que les choses vont aujourd'hui plus loin encore et que l'on peut parler de R&D relationnelle. Les entreprises cherchent à s'inscrire dans des réseaux, des écosystèmes, dans lesquels les idées circulent plus librement. Un facteur clé de succès est la qualité des relations que les entreprises entretiennent avec les membres de leur communauté. Elles doivent donner, contribuer à la communauté, pour recevoir.

3 commentaires:

Mathieu Dupas a dit…

Merci pour ce constat et explication de la nécessité pour les entreprises à s'ouvrir.
Les lecteurs souhaitant trouver d'autres exemples de démarches ouvertes et collaboratives peuvent aller visiter : http://www.innovationpartagee.com/Blog/

nick a dit…

Tu pense à Larry Wendling de 3M et de ses "Seven Habits of Highly Innovative Organizations."

Luc a dit…

Excellent papier. C'est aussi une illustration de l'interaction entre la société et la R&D des entreprises. Il n'est plus je pense économiquement viable de ne pas en tenir compte.