Vous avez probablement remarqué que nous avons été frappés par une crise financière qui a semblé prendre tout le monde par surprise. Pourtant plusieurs de mes lectures récentes décrivaient assez précisément ce qui allait se passer.
Extrait tiré du « Cygne noir ». Taleb y dénonce l’aveuglement des acteurs du système financier. Cela donne à la crise actuelle un air de déjà vu.
« Durant l’été 1982, de grosses banques américaines perdirent presque tous leurs gains passés, soit tous les profits réalisés dans l’histoire de la banque américaine – absolument tout. Elles avaient prêté à des pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud qui, tous en même temps ne purent honorer leur dette. Il suffit donc d’un seul été pour comprendre que tout cela était une affaire de dupes et que tous leurs gains provenaient d’un jeu très risqué. Et pendant tout ce temps, les banquiers avaient amené tout le monde, surtout eux-mêmes, à croire qu’ils étaient « extrêmement prudents ». Ils ne le sont pas ; ils sont juste incroyablement doués pour s’aveugler en évinçant la possibilité d’une perte considérable et dévastatrice. En fait, la supercherie se reproduisit dix ans plus tard, quand les grandes banques « sensibilisées aux problèmes des risques », se retrouvèrent une fois de plus sous pression, certaines d’entre elles, même, au bord de la faillite, après l’effondrement immobilier du début des années 1990 pour lequel l’industrie du crédit immobilier aujourd’hui défunte réclama un renflouement de plus d’un demi-trilliard de dollars aux frais du contribuable. La Réserve fédérale américaine protégea ces banques à notre détriment : quand les banquiers « extrêmement prudents » réalisent des profits, ce sont aux qui en bénéficient ; quand ils subissent des revers, c’est nous qui en assumons les frais. » (Nassim Nicholas Taleb, 2007, Le Cygne Noir, Les Belles Lettres, p. 75)
Vous me direz, Taleb est un ancien gérant de fonds. C’est un expert.
Argument valable. Alors que pensez quand un romancier décrit la crise actuelle… en 2007
« Depuis le début des années quatre-vingt, […] on assistait à une financiarisation croissante de l’économie. […] Plus étonnant encore, les marchés financiers encourageaient les entreprises à monétiser (on appelait ça « titriser ») tous leurs actifs. […] Ce qui nous préoccupe […] c’est que les acteurs de l’économie de marché semblent parfois aveuglés par leur foi dans la solidité du système. Ils oublient – ou font semblant d’oublie – que ces nouveaux instruments, s’ils fluidifient le marché, le rendent aussi plus fragile. Certains traders prennent des positions si complexes qu’ils ne sont même plus capables de chiffrer combien ils perdraient en cas de hausse ou de baisse brutale du dollar ou du pétrole. » (Antoine Bello, 2007, Les falsificateurs, Folio, p. 266-267)
Dans Cendrillon, Eric Reinhardt (2007) décrivait aussi très précisément la réussite puis la déroute d’un gérant de fonds spéculatifs en soulignant les fragilités du système et les mécanismes psychologiques en jeu.
Dès lors comment comprendre la surprise ? Ces auteurs sont-ils des pythies ? des bohémiennes lisant dans les cartes ? des chamanes ayant accès à des dimensions ignorées ? J’ai une autre interprétation.
Tout le monde, les experts du domaine en particulier, savait qu’il y aurait une crise. C’était inévitable. Mais il restait une incertitude majeure sur le moment où cela allait se produire. Dès lors, pour de multiples raisons dont, à mon avis l’avidité n’est pas la principale, chacun devait continuer sa route comme avant, tant que possible, ou pire, s’enrichir au plus vite, accroissant ainsi les risques et l’ampleur de la crise.
Vous vous insurgez devant cet aveuglement, cet égoïsme, ce manque cruel de perspective. Je partage cette indignation, avec dans le même temps, un titillement de ma conscience.
Il y a devant nous une crise écologique majeure. Impossible de la nier, elle est parfaitement documentée (voir par exemple les travaux du GIEC). Et alors comment réagissons-nous ?
On peut mobiliser de multiples théories issues de la stratégie (path dependency, théorie des jeux, etc.), de la psychologie ou de la sociologie (expérience de Milgram, etc.) pour comprendre ces inerties.
Cela doit-il nous absoudre de nos responsabilités individuelles ?
lundi 8 juin 2009
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