lundi 30 novembre 2009

Le jeu vidéo ne sera plus ce qu’il était - partie 1 : tempête sur un modèle d’affaires ?

Depuis plusieurs jours je croise des informations qui se croisent dans mes réflexions. L’histoire commence avec des informations générales sur le secteur des jeux vidéo. Surprise : en 2009, en contradiction avec des prévisions plutôt optimistes (le jeu refuge au rapport qualité – prix avantageux en cas de crise), le chiffre d’affaires du secteur a baissé de 12% sur les neuf premiers mois de l’année.

Je suis surpris du chiffre. Je fouille. Et là un monde s’ouvre devant mes yeux. Un peu comme si mon personnage avait trouvé un passage secret dans un mur, s’ouvrant sur un univers gigantesque. Je suis au milieu d’une falaise, un paysage complexe s’étale devant mes yeux. Un univers qui me paraît illustrer quelques unes des tendances à l’œuvre dans tous les secteurs.

Le modèle d’affaires historique du jeu vidéo a été très payant jusqu’à présent. Pour résumer, il s’apparente à celui du cinéma. Il se résume avec l’équation suivante :

Cash = PI * blockbuster * multiplicateur de profits


PI = Propriété Intellectuelle


Au cœur du modèle il y a l’existence d’une propriété intellectuelle : des personnages, un univers, des scénarios. La valeur créée repose sur l’exploitation de cette propriété intellectuelle : pour le client qui aime les personnages et leur univers, s’identifie, a du plaisir à jouer avec eux, et pour le détenteur de la propriété intellectuelle on le comprendra.

Vis-à-vis de la PI, les studios de jeux peuvent poursuivre plusieurs stratégies.

a- Exploiter une propriété intellectuelle qui a été développée par d’autres (ex. les studios Marvel pour les superhéros, ou Lucasfilm pour la Guerre des Etoiles). L’intérêt est de réduire les investissements pour accéder à un univers où les barrières à l’entrée sont très élevées. Certains univers se sont ainsi développés pendant des années et font partie de la culture populaire. En exploitant sous licence une propriété intellectuelle, on réduit évidemment les coûts et on profite des efforts du propriétaire pour exploiter la PI.

b- Créer sa PI. C’est évidemment plus payant puisque, à l’inverse, on devient celui qui tire des bénéfices de toute exploitation du personnage. La stratégie de licences s’impose. On crée son personnage et on le vend pour des jouets, des vêtements, des livres, etc. Cependant les coûts pour réussir à imposer un nouveau personnage sont très élevés, et le risque d’échec très importants. Posséder une PI qui a une renommée est un levier majeur pour le développement d’une entreprise dans ce domaine, et le graal pour tous les petits studios.


Blockbuster

Les studios de jeux vivent avec une contrainte : dans un contexte où les capacités techniques sont de plus en plus performantes, le coût de développement d’un jeu est extrêmement élevé. Par exemple Deus Ex 3 (qui sortira en 2010) a nécessité l’équivalent de 100 personnes pendant 30 mois. Pour rentabiliser un tel investissement, plusieurs conditions doivent être réunies : vendre en masse et vendre vite (la technologie change vite, les sorties sont nombreuses) (les quelques semaines suivant le lancement sont d’ailleurs décisives comme le sont les premiers jours de la sortie d’un film ou d’un livre).

Seconde contrainte. Les jeux vidéos sont comme les films. Mis à part quelques incontournables, leur succès reste incertain. Beaucoup de jeux, peu d’élus. Les succès (les blockbusters) paient pour les jeux moins rentables. Un studio doit donc diversifier ses risques, en menant plusieurs projets de fronts (comme le font les studios de cinéma). Cela suppose aussi de construire des pools de financement pour partager les risques. Dans cette logique, chaque jeu est pensé comme un projet qui amène à construire un réseau de partenaires apportant des compétences nécessaires.


Multiplicateurs de profit


Compte tenu des coûts de développement et de la courte fenêtre d’opportunité pour rentabiliser le jeu, une stratégie adoptée est celle des multiplicateurs de profit [voir Slywotzky et Morrison, The profit zone]. Dit autrement, multiplier les utilisations de la PI pour générer plus de revenus et imposer l’image. On pense immédiatement aux produits dérivés : jouets, vêtements, objets, etc.

La convergence entre cinéma et jeux vidéo est en marche depuis longtemps. Depuis 30 ans, 500 PI du cinéma ont donné lieu à 3500 jeux. Puis, illustrant leur place croissante dans la culture populaire, des films ont été tirés des PI de jeux vidéo. Le premier date de 1993. Il s’agit de Super Mario. De nombreux autres suivirent : Lara Croft, Resident Evil, etc. Au milieu des années 2000, les deux médias convergèrent plus encore. Dans certains cas, pour maximiser l’impact marketing, jeux et films se mirent à sortir simultanément (ex. Azur et Asmar).
Etape supplémentaire aujourd’hui. Certains studios réalisent eux-mêmes des films à partir de leurs jeux. Ainsi Ubisoft a produit un court métrage (voir ci-dessous) pour annoncer la sortie de son jeu Assassin’s creed 2. Cette convergence entre les deux médias s’est traduite chez Ubisoft par le rachat de Hybride Technologies, spécialiste des effets spéciaux (300, Sin City). De la même façon, mais avec une stratégie d’externalisation, Microsoft a fait créer des courts métrages pour promouvoir son jeu Halo (10 millions d’exemplaires vendus pour le troisième volet). On le voit beaucoup d’argent en jeu.



Une autre façon de multiplier le profit est d’installer la PI dans le temps. Plusieurs techniques : créer des suites aux jeux, diversifier les univers en exploitant les mêmes personnages (voir Super Mario), ou vendre des épisodes qui permettent au joueur de poursuivre l’immersion dans un monde qui le séduit (le joueur télécharge des extensions payantes). Il est aussi possible d’élargir l’univers à travers une série de bandes dessinées (voir par exemple Prince of Persia) ou une revue.

L’enjeu est fondamental : rentabiliser rapidement des investissements considérables et valoriser la PI en l’installant dans l’espace culturel.


Et alors ?


Cash = PI * blockbuster * multiplicateur de profits.
En quoi ce modèle est-il confronté dans le contexte actuel ? Qu’est ce que cela nous apprend sur les tendances de fond à l’œuvre actuellement ?
Réponse dans une seconde partie très bientôt.

Aucun commentaire: