jeudi 30 décembre 2010

Angoisse de Noël : se développer dans un monde fini

Petite angoisse philosophique de fin d’année, je partage avant d’oublier. La question de la dépendance à la croissance, de nos économies (sans croissance, pas de création de richesse), de notre équilibre social (« le partage des fruits de la croissance ») voire de notre bonheur individuel (croissance = travail + consommation = sens à la vie + stimulation narcissique) me titille depuis longtemps.

Depuis un an cette question est alimentée très concrètement par l’enjeu des terres rares. Les terres rares, sont dix-sept métaux aux noms de pensionnaires du Gaffiot : comme le scandium, l’yttrium, le lutécium, ou le gadolinium. Lesquels entrent, par la grâce de leurs propriétés électromagnétiques exceptionnelles, dans la fabrication de beaucoup de produits verts comme les batteries des voitures électriques, les LED, les cellules solaires à haut rendement, les cellules photovoltaïques, etc (en plus des écrans plats et autres produits électroniques). Dit autrement la croissance verte génère une pression sur l’extraction de terres rares.

Or il se trouve que la Chine produit 97% des terres rares utilisées sur la planète. L’extraction de ces métaux se fait dans des conditions environnementales et sociales désastreuses. Elle est très consommatrice d’énergie, d’autant que les métaux sont pour plusieurs peu concentrés.

La question des terres rares est selon moi du même ordre que celle du pétrole. Dit autrement la croissance verte déplace (en partie) le problème. Du point de vue de la théorie de la « modernisation écologique » (stimulons et incitons le marché pour orienter l’offre et la demande de telle sorte que les bons choix seront faits), on peut voir là une transition nécessaire vers un système de production définitivement durable (comme l’ivrogne prend un dernier verre pour la route). Du point de vue de l’écologie politique (une critique plus radicale qui considère que nos modes de développement sont par essence non durables), le problème dans le concept de croissance verte n’est pas le « vert », mais l’idée même de croissance.


L’épuisement des ressources

Les terres rares ne sont pas des ressources renouvelables, pas plus que l’aluminium, le charbon, le fer ou l’or. Se pose donc la question du volume des stocks (qui ne semble pas être un réel problème), de l’empreinte écologique de leur exploitation (qui aujourd’hui semble très grande), et du coût de ces matières premières.

Les ressources s’épuisent pour de vrai : le cryolithe à la fin des années 80 (ce métal entre dans la composition de l’aluminium, il est aujourd’hui produit artificiellement), le terbium (utilisé dans les lampes à basse consommation) en 2012, l’argent entre 2021 et 2037, l’uranium au maximum dans 90 ans. (source : planetoscope.com, voir la liste des projections d’épuisement des métaux).

Le ministère chinois du Commerce a récemment annoncé que les réserves de terres rares du pays avaient chuté de 37% entre 1996 et 2003. A la vitesse actuelle d’exploitation il ne devrait plus y avoir de métaux rares exploitables en Mongolie au maximum dans trente ans.

L’enjeu sera donc d’organiser une industrie du recyclage. Opportunité : Marché à prendre. Mais là encore se posent les questions du coût, de la faisabilité technique et du modèle économique. On voit bien aujourd’hui comme la chaîne de valeur du recyclage ne fonctionne pas bien (voir par exemple sur le sujet l’excellent reportage de L’actualité : La grande illusion du recyclage).


L’empreinte écologique de l’extraction

L’extraction de ces métaux est un grand classique : exploitation des travailleurs, pollution et mafia.
Les mineurs travaillent dans les conditions des mineurs chinois. Pas besoin d’insister. Keith Bradsher, journaliste du New York Times raconte le processus d’extraction de ces métaux, les traitements chimiques nécessaires pour séparer ces oxydes des autres métaux. Comment les solvants polluent terres, rivières et cultures. C’est aussi une activité très consommatrice d’énergie. Enfin une part significative des exportations se fait par contrebande.

Tout cela démontre que beaucoup d’externalités ne sont pas intégrées dans le prix des terres rares.
Aux Etats-Unis, une mine californienne, fermée depuis 1992, va rouvrir. On peut supposer que les conditions d’extraction seront meilleures. Pourra-t-elle être rentable ? Quelle sera son empreinte écologique ?


La dépendance géopolitique

Le pétrole est un enjeu géopolitique majeur. Les états occidentaux ont cherché à diversifier leurs sources d’approvisionnement pour limiter leur dépendance à certains pays producteurs.

Avec les terres rares nous faisons quelques pas en arrière. La Chine produit 95% à 97% (selon les sources) de la consommation mondiale. Elle s’en sert comme d’une véritable arme diplomatique. Ainsi en septembre 2010, la Chine a temporairement cessé ses exportations de terres rares vers le Japon suite à une querelle diplomatique concernant le capitaine d’un bateau de pêche chinois emprisonné au Japon.

Et la Chine joue de son avantage. Elle a annoncé que ses exportations en 2011 seraient réduites de 11,4% pour des questions environnementales (habile utilisation des arguments occidentaux) et pour garantir l’approvisionnement des industries chinoises très actives en matière de produits verts (on voit la volonté de construire une industrie forte pour conquérir la planète, voir le concept de diamant de Porter). Enfin la Chine veut avoir un plus grand contrôle sur les prix mondiaux du fait de sa position dominante.


Conclusion : Une croissance assise sur des externalités ?

Le modèle économique occidental vacille très profondément. La question des terres rares est une illustration, il y en a beaucoup d’autres. Nous avons besoin de croissance. Or elle est faible, à peu près partout dans les vieux pays développés. D’autre part une partie de cette croissance n’intègre pas les externalités négatives, en particulier lorsqu’on s’intéresse aux caractéristiques de sa durabilité.

Les terres rares sont un excellent exemple : La croissance verte nécessite des matières premières qui pour être disponibles à un coût raisonnable, doivent être produits en Chine dans des conditions écologiques et sociales non durables.

Autre exemple : une étude de Factor X – Climate Consulting Group change la perspective sur le niveau d’émission des gaz à effet de serre (GES). Il s’intéresse non pas à ce qui est émis sur le territoire, mais aux GES nécessaires pour générer le PIB. Dit autrement, on soustrait des émissions faites sur le territoire national celles nécessaires aux exportations et on ajoute celles engendrées par la fabrication des importations.

Sachant que les importations représentent 28% du PIB français, que l’essentiel de ces importations en valeur est constitué de biens d’équipements et de consommation et que les pays fabricant ces importations ont une empreinte carbone bien moins favorable que la France, on constate que lorsqu’on ajoute l’impact des importations et qu’on soustrait celui des exportations, la France, bonne élève en valeur brute, revient dans la moyenne.

Dit autrement, la France délocalise une partie la production de GES. Ainsi la France fait assumer par d’autres une partie des externalités de sa faible croissance.


Résolution pour 2011 :

L’approche de la modernisation écologique qui est aujourd’hui dominante dans nos sociétés considère que le marché n’a pas d’idéologie et qu’il évolue naturellement dans un équilibre dynamique entre l’offre et la demande alimenté par l'évolution technologique (l'émergence de technologies vertes en l'occurrence). Les incitatifs de modification de l’offre (à travers par exemple la mise en place de normes ou de taxes carbone) et de la demande (grâce à la sensibilisation des consommateurs) doivent conduire une évolution en douceur, créatrice de croissance économique durable.

Pourtant pus ça va et plus j’ai des doutes sur la possibilité de tenir une logique de croissance dans un univers aux ressources finies. Les terres rares sont un nouvel exemple du fait que nous n’avons pas les technologies pour le faire. Tant du point de vue écologique, que social, et géopolitique (autour de la bataille de l’eau par exemple) il y a aura un coût à cette transition. Les optimistes diront qu’il sera globalement supportable. J’y crois de moins en moins. Alors quoi d’autre ?

M’intéresser au concept de décroissance raisonnable. Réfléchir dans une perspective plus radicale d’écologie politique amenant à une remise en question radicale de nos modes de fonctionnement. En envisager la pertinence, les conditions de mise en œuvre et le coût de transition. Et puis….

Aller festoyer pour le réveillon de Noël.

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