jeudi 9 décembre 2010

De la société de l'information à la société de la relation (partie 2 : l'exploration continue)

Lien vers la partie 1.

L’exploration continue.

Pour commencer deux citations envoyées par Marc Fafard à mettre dans mon bréviaire :
Peter Drucker : « It's not what you know, it's who you know »
Jacques Attali : « Le monde appartient à ceux qui appartiennent, et non à ceux qui possèdent »

Je voudrais pour poursuivre la réflexion aborder deux thèmes :
- Le passage d’un monde d’information à un mode de relation avec les parties prenantes : de la rémission de compte à la « licence to operate »
- La mesure de la valeur créée dans un mode d’économie relationnelle.


De la rémission de compte à la « licence to operate »

La relation que les entreprises entretiennent avec leurs parties prenantes a fondamentalement évolué au cours des dernières années.

Replongeons nous (sans nuance je vous l’accorde) dans l’univers des entreprises « châteaux forts », sûres d’elles mêmes, un brin arrogantes. Elles savaient ce qu’elles avaient à faire. Leurs analyses marketing de plus en plus sophistiquées leurs donnaient la bonne information sur leurs clients. Elles imaginaient les bons produits et les mettaient en marché à grand renfort de publicité (dans une logique push). Elles avaient tendance à internaliser pour s’assurer de la maîtrise du processus de production.

Elles rendaient compte de leurs activités à leurs parties prenantes : actionnaires, organismes de réglementation. Synonymes de rendre compte : analyser, expliquer, exprimer, informer, notifier, raconter, retracer, signifier, témoigner. On est bien dans une logique d’information.

Et puis le consumérisme, le besoin de rapidité, de souplesse et de compétences de pointe qui obligent à travailler en réseau, et puis les pressions des associations et des ONG, l’environnementalisme, Internet qui permet de diffuser largement les informations les plus cachées, des clients de plus en plus difficiles à comprendre qui obligent à engager le dialogue, les frontières des entreprises sont devenues poreuses. Elles ne peuvent plus rester enfermées dans leur tour de verre. Elles sont de plus en plus sous observation, dans une discussion avec leurs parties prenantes. Cette logique de partage avec les parties prenantes est d’ailleurs au cœur du concept de développement durable.

On assiste à une inversion du sens de la légitimité. Auparavant l’entreprise était légitime parce qu’elle créait de la richesse et de l’emploi. Elle rendait compte de ses activités. Aujourd’hui, de plus en plus, les entreprises doivent gagner leur légitimité auprès des parties prenantes. Elles ont besoin d’une « licence to operate » (permis d’entreprendre) informelle délivrée par la société.

Novethic donne la définition suivante de la licence to operate : « Cette expression anglo-saxonne pourrait se traduire littéralement par "autorisation d’exploiter un site" mais elle recouvre en réalité des enjeux beaucoup plus importants et subtils qu’une simple autorisation légale pour les entreprises. Il s'agit pour elles de mériter le droit d’exercer leur métier. Concrètement pour des raisons politiques, économiques, culturelles ou environnementales, de rejet des populations locales, elles peuvent être obligées de quitter un territoire ou de renoncer à s’implanter dans un autre. »

Pour qu'une entreprise obtienne sa "licence to operate", son droit à fonctionner, il lui est nécessaire de développer des relations qui génèrent la confiance de ses parties prenantes : salariés, clients, actionnaires, partenaires, institutions publiques, société civile. Sinon : dégâts d’image, actions en justice des associations, boycott, perte d’attractivité, atteinte au moral des employés qui n’osent plus dire pour qui ils travaillent.

Sur la question de la légitimité de l’entreprise à exister, on trouve là encore une manifestation du passage de la société de l’information à la société de la relation. Je vous accorde que le mouvement est en cours et qu’il est loin d’être achevé.

Sur ce thème voir par exemple : Alain Chauveau, Jean-Jacques Rosé : L’entreprise responsable, Editions d’Organisation, 2003, page 331 et 332.


Mesurer la valeur des relations

Quelle est la valeur des relations, comment la mesurer ? Il est bien évident que ce concept prendra d’autant plus de place dans les stratégies des entreprises que l’on sera capable d’en mesurer les effets. Ma réflexion sur ce sujet est embryonnaire. Si certains ont des idées, je suis preneur. Mets sur la table trois idées.

- Le capital social.

De nombreuses études démontrent que le capital social a un impact positif sur la performance. C’est un concept vaste qui joue à plusieurs niveaux. Chou (2003) par exemple distingue trois niveaux : micro (les relations entre individus), meso (les relations entre entités, par exemples des entreprises) et macro (les relations institutionnelles formalisées, par exemple les régimes politiques, etc.). La valeur du capital social est aussi bi-dimensionnelle : structurelle/institutionnelle (les relations structurées, organisées) et cognitive (valeurs, comportements, croyances, etc.).
Il existe de nombreuses méthodes non uniformisées pour mesurer ces différents aspects du capital social. Un survol des articles sur le sujet permet de le constater. Que les spécialistes lèvent la main.

Conclusions qui nous intéressent à ce stade :
1. Le capital social a un impact positif sur la performance.
2. On peut en mesurer les différentes dimensions, même s’il n’existe pas encore de méthode comptable uniformisée qui permettrait d’ajouter la valeur du capital social dans les comptes.
Question sur le sujet : peut-on considérer que dans l’évaluation de la valeur d’un fonds de commerce, une part est constituée du capital social de l’entreprise ?

- Le Whuffie

Tara Hunt explique que le whuffie est un néologisme inventé par Cory Doctorow dans un roman d’anticipation. Elle en donne la définition suivante : « Le whuffie est le revenu – la valeur monétaire – engendré par ta réputation. Tu en perds ou tu en gagnes selon tes bonnes et tes mauvaises actions, ta contribution envers la communauté et ce que les gens pensent de toi. »

Le whuffie est plus un concept qu’un indicateur. Hunt ne donne pas de façon de le mesurer. Il est certain que les spécialistes en gestion de marque, ou en mesure d’image, ont des outils qui le permettent. Il est aussi probable que ce facteur est très difficile à mesurer puisqu’il concerne de plus en plus les relations au sein de plusieurs communautés et non une image globale. Par exemple le whuffie de Lacoste chez les rappeurs (qui ont détourné la marque) n’est pas le même que chez son cœur de clientèle.

- Le Googlejuice

Une des variables de mesure du capital relationnel est par exemple le Googlejuice, c’est à dire la valeur que Google donne à votre site. L’algorithme de mesure de Google insiste sur la dimension relationnelle plus que sur la valeur de l’information contenue dans le site (même si l’on peut supposer que plus l’information a de la valeur, plus il y a de liens). Ainsi plus votre site est mis en lien dans des sites dont le Googlejuice est élevé, plus votre propre Googlejuice va augmenter.


Conclusion :

Nous vivons un basculement majeur, la chaotique transition d’une époque dans lesquelles des entreprises autosuffisantes informaient leurs parties prenantes (de leurs nouveaux produits, de leurs résultats financiers, de leur respect des normes, etc.) à une époque dans laquelle les entreprises doivent gagner leur légitimité auprès de parties prenantes qui délivrent une "licence to operate".

Pour gagner cette confiance, il est nécessaire de passer d’une dynamique d’information au développement de relations riches avec les différentes communautés de parties prenantes dans une logique de dialogue et d’interinfluence.

La qualité de ces relations peut être mesurée de multiples façons. Nous avons cité un élément partiel mais concret : le Googlejuice. D’autres concepts sont plus vastes comme le capital social ou le whuffie, mais leur mesure n’est pas uniformisée. La question reste donc ouverte.

Dans un prochain message j'approfondirais les différentes dimensions relationnelles entre l'entreprise et ses clients.


Sources :

Chou Y.K., 2003, « Modelling the Impact of Network Social Capital on Business and Technological Innovations », University of Melbourne, Department of Economics, Research Paper N°890.
Hunt T., 2010, « L’effet Whuffie », Les Editions Diateino

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