Dans la série "la novlangue des affaires pour briller en société", explorons aujourd’hui le concept de nearsourcing.
Dans un contexte où les délocalisations hantent les nouvelles et les peurs, plusieurs nouvelles récentes ont attiré mon attention. D’où rapide recherche et réflexion que je fais tourner.
Ikea a ouvert sa première usine en Amérique du Nord (Danville, Virginie), plutôt que de sous-traiter la fabrication en Chine.
Décathlon relocalise d’ici 2010 son usine de cycles (150000 vélos par an) dans le Nord de la France.
Adidas réfléchit à « une nouvelle répartition de ses approvisionnements pour des raisons économiques et géopolitiques », afin d’aboutir à « une meilleure répartition des risques » (source : Filière Sport.com, n° 08-36, octobre-novembre 2008)
Geneviève Lethu relocalise en France ou en Europe sa production de produits de vaisselle et de décoration de table (10% des produits fabriqués en Asie, contre 40% il y a 10 ans)
Craftmaster, un fabricant de meubles fondé en Caroline du Nord appartient désormais à des Chinois. Lesquels viennent d’ouvrir une usine en Caroline du Nord. La-Z-Boy, le créateur et le manufacturier du célèbre fauteuil, commence elle-aussi à produire dans cet État.
RISC Group (services informatiques) a relocalisé en France son centre d’appels (voir la vidéo).
Tour des explications du phénomène :
L’augmentation des coûts
Les coûts de production en Chine ont augmenté de 10% en moyenne par an depuis quelques années, du fait de l’augmentation des salaires (ce qui ne peut pas être vu comme une mauvaise nouvelle) et de la revalorisation du yuan
Les coûts de transport se sont aussi envolés. En huit ans, l'envoi d'un conteneur de 40 pieds de Shanghai vers l'Amérique du Nord est passé de 3 000 à 8 000 dollars. Ajoutons que les taxations écologiques qui se mettent peu à peu en place laissent entrevoir que ce coût continuera d’augmenter, sauf à renouveler la flotte de cargos.
La volonté de réduire l’incertitude
L’incertitude génère des risques et la gestion des risques a un coût (outre le stress). La maîtrise du risque est un incontournable pour un stratège. Produire loin, introduit de l’incertitude. Elle peut être politique. Mais c’est surtout la réduction de l’incertitude dans la gestion de la supply chain qui est visée.
Par exemple : un conteneur de 20 pieds se négocie autour de 400 à 500 $ actuellement dans le sens Asie-Europe contre 1500 $ il y a un an (remarquez le chiffre incohérent avec celui du paragraphe précédent : deux sources voilà ce que ça donne).
L'impératif de qualité
Plusieurs affaires récentes ont mis en évidence les défauts de qualité des usines chinoises. Ces scandales ont un effet désastreux pour l’image (voir par exemple l’impact sur les résultats de Conforama du scandale des fauteuils allergènes).
Au-delà du scandale le défaut de qualité a un coût. Ainsi selon le journal Les Affaires (1er nov. 2008), le coût de rappel de produits fabriqués en Asie pour un manufacturier nord-américain a fortement augmenté. En 2003, cette opération réduisait de 6 % les avantages associés à la délocalisation, en 2008, ce chiffre a grimpé à 10%.
Le témoignage d’un dirigeant de Geneviève Lethu, entreprise française spécialisée dans les arts de la table (moyen – haut de gamme) est significatif (source : Le Monde). « L'exécution des commandes n'était pas toujours respectée, loin s'en faut. Le cahier des charges non plus. Cela pouvait se traduire par une couleur qui n'était pas celle désirée - avec un vert prairie qui devient par exemple un improbable vert anglais - ou, de façon plus grave, par l'utilisation de composants ne respectant pas les normes alimentaires, comme les additifs au cadmium, par exemple, dans la fabrication des assiettes. Ce qui est strictement interdit en France ». « Produire en France ou en Europe revient de 15 % à 50 % plus cher qu'en Chine, selon les produits, mais dans la mesure où il fallait parfois mettre à la poubelle la moitié des conteneurs, la question de la relocalisation s'est imposée d'elle-même » . Or pour une PME de 45 personnes il est impossible d’assurer l’inspection qualité en Chine à un niveau satisfaisant.
Besoin de réactivité dans la chaîne de valeur
Le délai de livraison par bateau en Europe depuis la Chine est de 25 à 30 jours, voire plus en cas de tempête. Chez Lafuma il faut compter en moyenne entre 3 à 5 mois entre la commande et la réception des produits finis, contre 2 à 3 mois avec le Maghreb ou l’Europe de l’est témoigne. Les opticiens Atol constatent : « On perd un mois de délai quand une livraison doit partir pendant le Nouvel An chinois ».
Les stratégies des usines chinoises sont de fabriquer de grands volumes. Elles ne sont pas adaptées à des stratégies de petites séries en cycle court, stratégie dominante dans certains secteurs comme celui du vêtement.
Le besoin de robustesse de la chaîne de valeur
Tout cela fait peser une menace sur la robustesse de la chaîne de valeur. Les risques de rupture en magasins peuvent mettre en péril des contrats de distribution (en particulier avec les gros distributeurs qui ont une allergie aux ruptures). Cela oblige à constituer des stocks de sécurité, ce qui a un coût financier.
D’autant que les délais de livraison et le fait qu’il faille commander en grand volume peut amener à passer des commandes mal estimées car passées trop tôt. (La mode peut avoir évoluer par exemple dans les trois derniers mois). En résultent des stocks qu’il faudra solder.
Les difficultés de l’implantation
Faire des affaires en Asie est complexe. Le contexte juridique (pensons au risque de copie), le rôle des gouvernements, les pratiques ne sont pas les mêmes. Beaucoup d’entreprises ne sont pas préparées à cette difficulté. A ce titre le cas de Voodoo Technologies est exemplaire. L’entreprise fondée en 1997était le principal fabricant de kayaks haut de gamme au Canada. Elle a révolutionné le marché par sa conception novatrice. Mais sa stratégie de délocalisation en Chine a été une erreur. Les difficultés d’implantation lors de son déménagement en Chine ont engendré des coûts qui l’ont conduit à la faillite.
Des menaces sur la différenciation
Les usines géantes chinoises fabriquent souvent pour des clients concurrents entre eux avec les matériaux et les mêmes savoir-faire. Pour les dirigeants de Décathlon, cela fait peser un risque sur la différenciation. C’est une des raisons pour lesquelles ils sont décidé de relocaliser en France la fabrication des vélos b’Twin.
Un effet négatif sur l’image
Au delà des risques de scandales, la fabrication en Chine peut ne pas être bon pour l’image.
Dans certains secteurs l’image du fabriqué local est primordiale. Pour Geneviève Lethu le « made in France » est (paradoxalement) un argument majeur sur ses marchés asiatiques en pleine croissance.
Un réflexe d’une consommation locale soutenu par les gouvernements (voir par exemple la campagne « fait au Québec ») est en train de se développer. Les considérations de développement durable sont un déterminant clé dans ce domaine (voir par exemple les normes de construction LEED par exemple).
Toutes ces considérations conduisent les dirigeants à revoir leur façon d’organiser leur chaîne de valeur. De la stratégie des hirondelles, au neasourcing, nous verrons dans un prochain message les approches mises en place.
samedi 23 mai 2009
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