mercredi 22 décembre 2010

Aïny, modèle d'affaires relationnel

Depuis que je m'intéresse au sujet, je vois tout à travers le prisme de l'économie de la relation (voir partie 1 et partie 2). Application concrète ci-dessous.

Isabelle Lopez, qui n’est jamais à court d'explorations, m’a fait découvrir Aïny, jeune entreprise dans le domaine des produits naturels qui crée et commercialise des cosmétiques : crèmes hydratantes et démaquillantes. Le modèle d’affaires de l’entreprise est particulièrement intéressant et illustre le passage d’une économie de l’information à une économie de la relation.



Le brevet ou le marketing, les leviers de la bataille concurrentielle traditionnelle

Le modèle idéal, classique dans ce domaine pour des entreprises d’envergure, repose sur la possession d’une propriété intellectuelle, un brevet. Cela donne de la valeur à la compagnie qui cherche sur cette base à se financer auprès d’investisseurs. Caudalie par exemple a breveté entre autres les polyphénols des pépins de raisin, Galénic a quatre brevets autour de l’huile d’argan.

D’autres n’ont pas de brevet et se battent sur l’innovation produit et marketing en exploitant un même ingrédient naturel. En ce moment, par exemple, l’huile d’argan fait un tabac et de multiples compagnies se battent sur ce créneau où on comprend que la différenciation doit être difficile.


Une propriété intellectuelle protégée par la qualité de la relation et non par un brevet, le modèle Aïny

Aïny est l’illustration d’un modèle différent. Il est basé sur l’exploitation d’un réseau dense de relations. L’histoire est la suivante, telle que racontée sur le site de l’entreprise : Son fondateur, Daniel Joutard, (consultant en stratégie, diplômé de l’ESSEC, une des meilleures écoles de commerce françaises) a travaillé avec les peuples autochtones dans le cadre de projets de développement pendant 8 ans. En Equateur, il rencontra une apprentie-chamane qui lui fit découvrir le pouvoir des plantes traditionnelles. En 2006, il crée Aïny qui vise : « à ré-enchanter le monde en valorisant la diversité des cultures, des végétaux et des sciences ».

Aïny travaille avec des « chamanes et des guérisseurs des Andes et d’Amazonie qui ont une connaissance des plantes inégalée. (…) Ces guérisseurs aident Aïny à trouver la plante rare de laquelle naîtra un soin d’exception » (source : www.ainy.fr) L’entreprise ne dépose pas de brevets sur ces principes actifs. Déposer des brevets sur des éléments découlant des connaissances ancestrales de peuples autochtones est de la biopiraterie qui prive ces peuples des revenus liés à leur connaissance (voire pourrait les amener à payer des compagnies pour des produits issus de leurs savoirs ancestraux).

La philosophie d’affaires de Aïny est à l’opposé. L’entreprise a développé des relations étroites avec des communautés Achuars, Ashaninkas, Yaneshas et Quechuas qui lui donnent accès à leurs connaissances et sont aussi les fournisseurs de plantes qui sont transformées en France. Cela s’inscrit dans une logique de commerce équitable : en plus d’un juste prix de vente, 4% du chiffre d’affaires de la compagnie sont reversés aux communautés « comme droits d’utilisation de leurs savoirs traditionnels » et Aïny s’engage à ne pas divulguer les secrets ancestraux.

Dans une économie de l’information le brevet était la meilleure façon de protéger une propriété intellectuelle. Aïny illustre un modèle alternatif dans lequel la qualité de la relation, la confiance et la perspective de codéveloppement, permettent de partager (et de protéger) la propriété intellectuelle.

D’un point de vue opérationnel, la préservation de cette propriété intellectuelle impose une maîtrise totale de la chaîne d’approvisionnement.


Une stratégie marketing basée sur le développement d’une communauté

A bien y regarder, le marketing d’Aïny est basé sur le développement d’une communauté autour de la marque qui n’est pas seulement basée sur la qualité des produits mais aussi sur les valeurs et le style de vie que porte l’entreprise.

Aïny mise, entre autres, sur des ventes privées qui réunissent dans des salons de petits groupes de curieux (recrutés surtout par bouche à oreille) pour des présentations de plusieurs marques inscrites dans le même style de vie, par exemple : Daynà (soins capillaires inspirés des traditions ayurvédiques), Fibrétic (étoles et kimono en fibres naturelles tissées main), Ibsa (porcelaines et verreries personnalisées, objets de décoration) et Pearl&Petal (bijoux et parures de cheveux faits main.) Cela permet de développer une relation riche entre la marque et des personnes qui seront des ambassadeurs au sein de leurs propres réseaux.

Le blogue et la page Facebook d’Aïny (851 personnes inscrites) illustrent bien la richesse de la relation que l’entreprise veut développer avec ses clients. Je les comparerai avec les pages Facebook de Caudalie (6281 inscrits) ou Yves Rocher (73162 inscrits) qui ont, avec beaucoup de succès, des approches différentes, plus en lien avec les traditions de l’économie de l’information.

Je tente une pyramide (exploratoire) des niveaux de liens entre les marques et leurs clients (vous y reconnaîtrez l’inspiration de la pyramide de Maslow). Et j’y situe Aïny, Caudalie et Yves Rocher.


Les interactions de Caudalie et Yves Rocher sont de type « informationnel » : les caractéristiques des produits et liens vers les sites ou les articles qui font référence à leurs produits, et « opérationnel » (promotions et relai d’opérations marketing (votes, concours, etc.).

Au delà d’une relation basée sur les produits, Aïny s’attache, à décrire l’univers dans lequel elle s’inscrit : « Les Kallawaya, médecins traditionnels itinérants », « Découvrir la médecine traditionnelle andine », « Dans les coulisses de l'art sacré amazonien », promotion d’artistes, etc.

Au delà Aïny développe une relation « valorielle » avec ses clients. Des articles ne portent pas sur les produits directement, mais sur son engagement : « Revue de presse: Nagoya, la répartition des bénéfices de la biodiversité en question », « Aïny et son alternative à la biopiraterie mis à l'honneur dans El Comercio du 4 décembre », « La Radio Suisse Romande diffuse une émission sur la biopiraterie », « Nouvelle victoire du Pérou contre la biopiraterie ». Le travail sur cette dimension permet de situer la relation entre le consommateur et la marque à un niveau plus élevé. Il ne s’agit pas simplement d’acheter un bon produit, respectueux de l’environnement, mais de participer activement à une cause de portée mondiale.

Aïny va encore plus loin. Elle cherche à entretenir la vie de la communauté autour d’elle, en promouvant des espaces dans lesquels sa communauté va pouvoir se rencontrer et se renforcer : expositions, spectacles, etc.

- Pour cela Aïmy s’investit dans l’organisation d’événements, par exemple : « Après le photographe Daniel Silva dont Ainy a exposé les photos chez By Terry, dans la galerie Vero Dodat , Ainy poursuit ses recherches et ses partenariats avec d’autres créateurs péruviens. ».

- Aïmy se positionne comme une plateforme au coeur de la vie de sa communauté et pas seulement comme un fournisseur de cosmétiques de qualité et éthiques. Par exemple sur sa page twitter, Aïmy se fait le relai des engagements personnels d’une blogueuse (du blog « (dé)maquillage ») qui commence un post en disant : « Pour une fois, je vais sortir du cadre strict "beauté / bien-être" et vous parler vie associative » et explique le besoin de bénévoles dans l’association de lutte contre l’analphabétisme au sein de laquelle elle s’implique.


Un modèle d’affaires basé sur la relation

Aïmy, pour ce que j’en connais, c’est à dire pas grand chose en réalité, illustre très bien ce que pourrait être un (parmi d’autres) modèles d’affaires dans l’économie de la relation :

- D’une propriété intellectuelle protégée par des brevets, à une connaissance partagée et protégée par la qualité de la relation.

- D’une approche marketing basée sur l’information au développement d’une communauté qui apprécie la qualité des produits, partage l’engagement de la marque et existe dans la vraie vie, se croisant parfois dans des activités organisées par la compagnie.

Je vous encourage à découvrir cette marque. Mon envie de mieux la comprendre est parti d’un coup de cœur pour son modèle, son engagement et son élégance.

3 commentaires:

Daniel a dit…

Bonjour

Je vous remercie pour votre article et vous félicite pour son acuité. Je suis à votre disposition si vous souhaitez rediscuter de notre approche.

Bien à Vous

Daniel Joutard
Fondateur d'Aïny

Jean-François Rougès a dit…

@Daniel
Merci pour le commentaire.
Je vois que l'on surveille attentivement ce qui est dit de Aïny sur le net :)
Je serai ravi d'en rediscuter pour approfondir quelques questions que j'ai dans la tête.
Isabelle a découvert Aïny dans le cadre d'une vente privée, lors d'un de ses passages à Paris. Elle a été séduite par le discours et l'énergie de la personne qui présentait Aïny. Elle a acheté des produits pour les tester. Et elle est revenue avec une poignée d'échantillons qui maintenant circulent dans son réseau au Québec. Beau travail !

Daniel a dit…

Nous essayons d etre attentifs aux différents avis sur notre travail, et le votre m a beaucoup interessé car vous conceptualisez tres justement nos intuitions. Si vous souhaitez en rediscuter à l'occasion vous pouvez me joindre ici : daniel(at)ainy.fr
Bien a vous et bonne fin d'année.
Daniel