jeudi 16 juin 2011

Faut changer, ça presse - Réflexions sur l'avenir de la presse (partie 2)

Ce billet est la première partie d’une analyse de l’industrie médiatique, de la valeur de l’information et du rôle des journalistes. Ces billets se retrouvent à la fois sur ce blogue et celui de MA14.

Le travail du journaliste consiste à raffiner des données pour les transformer en information ayant de plus en plus de valeur-ajoutée. Nous distinguons cinq niveaux : les données, l’information brute, l’information raffinée, la connaissance et l’immersion. Explications et exemples.


1- Les données


Au départ il y a des données : des évènements, des faits, des témoignages, des rumeurs, des chiffres, des commentaires. Le travail du journaliste est de travailler ces données pour produire une information : elle est vérifiée et les sources sont croisées.

2- L'information brute


(Le terme retrouvé souvent dans de la littérature est «information pauvre», nous l’avions utilisé donc pendant l'atelier, mais comme il semblerait que cela en ait un peu choqué certains, nous la renommons ici. :) )

L’information brute, est la matière première qui alimente la presse. C'est le travail de base des agences de presse dont les fils de nouvelles alimentent en continu les entreprises de média.

Il y a quelques années, les informations contenues dans les fils de nouvelles avaient beaucoup de valeur parce qu'elles n'étaient pas accessibles au lecteur. Le journaliste avait un rôle d'intermédiaire qui avait le temps de sélectionner et hiérarchiser l'information : il n'y avait pas de poste radio ou TV d'information continue et les journaux sortaient une fois par jour. Aujourd'hui ces fils de nouvelles sont directement accessibles sur tous les sites d'information et sur les sites des agences de presse elles-mêmes (ex. Reuters Canada), sur d'autres supports Internet en push (twitter, Facebook, flux RSS) et aujourd'hui sur les outils mobiles (téléphones, tablettes, etc.). Certains opérateurs mobiles ont même un service d'envoi par SMS d'information.

Quelle est donc la valeur de cette information ?



Le 7 mai, à 07H43, heure de Québec, après l'opération d'élimination de Ben Laden, Le Monde affichait sur son site un article vedette intitulé : « Ben Lade aurait vécu au Pakistan pendant 7 ans ». A la même minute, Libération publiait sur le sien un autre gros titre : « Ben Laden aurait vécu cinq ans à Abbotabbad ».

Cette anecdote donne un indice sur la perception qu’à un lecteur de ces informations qui semblent, à première vue, diverger. Les deux informations sont vraies. Elles ont été vérifiées auprès des sources concernées. Mais quelle est leur valeur ? Faible. En tant que lecteur, je savais qu'elles changeraient dans les heures qui viennent. Pour moi, comme lecteur ces informations n'ont pas assez de valeur pour que je paye pour elles.

La date d’expiration de l’information

L'information brute est difficile à monétiser. Elle met aussi les journaux en difficulté. Ils vendent en effet une masse information brute, sans grande valeur-ajoutée, qui est disponible gratuitement ailleurs. Pire encore, il la distribuent dans leurs versions papier, ils vendent une information périmée, dont la version actualisée est disponible sans rien payer (sur internet, sur les chaînes d'information en direct radio et TV).

Certaines expériences cherchent à valoriser cette information brute. Le direct du Monde.fr est particulièrement intéressant à ce titre.



Ce procédé est mis en place pour les événements majeurs (comme le tsunami, Fukushima ou l'affaire DSK). Sur la page du site du journal une application Java ouvre une fenêtre dans laquelle les abonnés peuvent poser des questions en lien avec l’événement. Un journaliste se charge de donner des éléments de réponse en orientant le lecteur vers des ressources en ligne : articles du Monde, d’autres journaux, sites de référence, billets de blogues, vidéos etc. Ce service offert par Le Monde aide le lecteur à faire le tri dans la masse d’information disponible.

3- L'information raffinée


(Nous l'avions nommée information riche pendant l'atelier.) Il s'agit de traiter l'information brute pour produire une information raffinée qui a plus de valeur pour le lecteur. C'est une autre fonction essentielle du journalisme. L'enquête sur un sujet d'actualité, le reportage, l'édito sont quelques processus de raffinage de l'information.


Un exemple : un site comme Mediapart annonce qu'il va au delà du simple relais d'information pour se spécialiser dans l'investigation, l'enquête et les scoops. Les journaux satiriques comme le "Canard Enchaîné" sont aussi des raffineurs d'information à travers le regard décalé qu'ils portent sur l'actualité.



Un autre axe possible est l'utilisation du multimedia. Quelques exemples : le New York Times est très actif dans ce domaine. Il propose sur son site une carte interactive de Manhattan qui recense tous les crimes avec des détails sur les meurtriers, les victimes, les motifs et l'arme utilisée, ou un montage interactif pour montrer l'avant / après tsunami au Japon. Libération a créé Libe-Labo un site multimédia sur lequel sont produits des podcasts audio ou vidéo dans lesquels apparaissent des journalistes de la rédaction ainsi que des invités pour commenter l'actualité, des parodies, etc.

4- La connaissance


Selon les dictionnaires : l'information est un ensemble de données intelligible qui prend un sens. La connaissance est une structuration des informations pour leur conférer un sens plus large. Dans le cas de la presse cela signifie prendre le temps de décrypter, d’analyser, d’expliquer, de prendre de la distance par rapport à l’événement pour lui donner de la perspective. Les citoyens sont en attente de cela : une explication de ce monde qu’ils ne comprennent pas.

En France, les quotidiens connaissent une chute des ventes dramatique. En revanche, le marché des hebdomadaires, des mensuels et des magasines en général se porte bien et est en croissance. Pourquoi ? Précisément parce qu’on y retrouve une information riche (raffinée), voire complexe, vulgarisée ou analysée (l’interprétation de l’information de la semaine ou du mois, par exemple). Au Québec, les journaux du samedi se vendent mieux, la dimension magasine y est pour beaucoup.


Un site comme Slate se positionne ainsi : «Slate est un magazine en ligne d'analyses, de commentaires et de débats sur l'actualité». Ils mobilisent pour cela des signatures prestigieuses. Un des défis dans ce contexte est celui de la compétence. Souvent la connaissance peut-être du côté des blogueurs qui s'expriment sur des sujets dont ils sont des professionnels (professeurs, chercheurs, chefs d'entreprises, magistrat, avocats, économistes, etc.). *

Ce sont ceux-là même auprès de qui le journaliste va chercher un commentaire. Au contraire pour des raisons de modèle économique, les journalistes sont de moins en moins spécialisés : ils sont de plus en plus nombreux à devoir couvrir plusieurs domaines et ont de moins en moins de temps et de ressources pour approfondir leurs sujets. (Quelques fois ils utilisent leur blogue personnel pour travailler sur ce qui les intéresse.) C’est une raison pour laquelle, les blogues s’installent sur les sites des journaux. (Par ailleurs, la distinction entre ce qui est un blogue et un article est de moins en moins claire.) Certains organes comme Liberation ou LeMonde offrent même des services d’hébergement de blogues.

Plus que de l’information linéaire

Les webdocumentaires constituent un nouveau format qui revisite le documentaire en proposant plusieurs niveaux d’information, une multitudes de ressources (texte, entrevues, vidéos, photos, etc.) permettant au lecteur de faire son propre cheminement, d’approfondir les points qui l’intéressent plus particulièrement. Voir par exemple l’excellent : « Avant l’expo » qui explore les transformations de Shangaï avant l’exposition universelle. Le Monde semble particulièrement miser sur la diffusion de ce type de documentaires.



5- L’immersion


L’immersion est l’idée de plonger le lecteur au cœur de l’information, de le rendre acteur. Cela répond à une tendance lourde, qui voir le consommateur devenir consommacteur, c’est à dire un acteur impliqué dans la production de ce qu’il consomme. Parce qu’il est directement impliqué, la valeur perçue pour le consommateur est plus élevée. (Cela correspond à l’idée d’expérience et de transformation dans l’échelle de Pine et Gilmore).

L’immersion peut prendre de nombreuses formes. Une des plus commentées est le journalisme citoyen. De manière plus « soft », il existe de multiples façons d’impliquer la communauté, dit autrement de faire du media un espace de socialisation. Le site Le Post en est un très bon exemple (nous y reviendrons dans un prochain message).

Le ludique est un autre axe d’immersion du lecteur. Un exemple extrême (et éthiquement condamnable) est celui de Kuma War qui n’est pas un organe de presse, mais un site qui produit un jeu vidéo d’immersion dans l’actualité. Depuis 2004, tous les mois, un scénario est proposé qui permet à l’internaute de jouer le rôle d’un militaire intervenant sur des événements de l’actualité (prises d’otage ou interventions contre Sadam Hussein ou Ben Laden par exemple).

 



Exemple plus recommandable, le remarquable webdocu du Monde « Voyage au bout du charbon » qui présente le contenu d’un véritable documentaire rigoureux sur une mine de charbon chinoise, et qui propose à l’internaute de se mettre à la place du reporter sur le terrain qui recueille l’information (l’entrevue avec le patron de la mine donne une bonne idée de la difficulté du métier). L’internaute doit prendre des décisions, choisir ses questions, etc. Au delà de l’information l’internaute vit donc une expérience qui l’implique dans la production de l’information qu’il consulte.

Lors de notre présentation, certains ont nommé «scénarisation» ce processus de transformation de l’information. Il est vrai que de présenter l’information dans un ordre changeant tient plus d’un travail de mise en scène et de narration à multiples posisbilités (ça peut même rappeler les Livres dont vous êtes le Héros). Mais ces exemples sont les balbutiements d’une industrie qui cherche à augmenter la valeur de son offre et à se battre pour retenir l’attention, e temps et l’argent des consommateurs distrait pas les multiples autres occupations plus divertissantes les unes que les autres.

(à suivre...)

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