vendredi 17 juin 2011

La transformation d'eBay

Dans le magasine Wired de juin, un article surprenant de James Surowiecki : « Going… going… gone. Auctions were supposed to be the new way to buy and sell everything. It didn’t turn out that way – just ask eBay ». Le post ci-dessous est une adaptation de ce texte.

eBay est une pépite créée en 1995. Fille du premier boom de l’Internet, elle a prospéré même pendant l’explosion de la bulle. En quelques années l’entreprise est devenue une référence avec son modèle de grand bazar où les achats se faisaient par enchères. Elle réalisait en 2010 9,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Aujourd’hui les enchères ne représentent que 31% du chiffre d’affaires de eBay. La plupart des ventes sur le site s’effectuent par le bouton « buy it now » avec un prix fixe comme sur n’importe quel site de vente en ligne. Le modèle enchères répond de plus en plus à des usages de niches pour certaines catégories de produits, par exemple il représente 80% à 85% pour les voitures usagées. Les enchères sont particulièrement pertinentes lorsque des personnes ont des opinions différentes sur la valeur d’un bien et que les vendeurs manquent de connaissance sur la demande, situation caractéristique sur le marché des objets de collection.

Pourquoi les internautes se sont-ils détournés des enchères ?

Le désenchantement de l’expérience eBay
A ses débuts, participer à une enchère sur eBay avait ce que les économistes appellent un « bénéfice hédoniste ». L’enchère était une compétition. D’ailleurs ne dit-on pas gagner une enchère plutôt qu’acheter un produit. C’était ludique, stimulant, voire addictif. Utiliser eBay était en soi une expérience.
Mais le « snipping » (de l’anglais familier « faire une bonne affaire ») s’est développé. Cette pratique consiste à placer des enchères au dernier moment pour l’emporter. Dès lors pourquoi attendre sept jours pour se faire coiffer au dernier moment, systématiquement et sans pouvoir rien y faire. En outre, les internautes sont des plus en plus sensibles à l’efficacité et à la rapidité. Passer du temps pour acheter, suivre l’évolution d’une enchère, n’intéresse plus grand monde.
Les internautes se sont lassés. L’expérience eBay s’est désenchantée.

Des prix qui s’alignent sur ceux du marché
Cet intérêt pour les enchères se doublait du sentiment de faire une bonne affaire. Ainsi une étude de 2005 montre que lorsque les internautes avaient le choix entre un prix fixe en dessous du marché et une enchère, une majorité choisissaient de tenter leur chance.
Hors peu à peu les internautes se sont rendu compte qu’au final cela leur coûtait plus cher que prévu : ils se laissaient emporter dans les enchères, et multipliaient les soumissions sur des objets qu’ils n’avaient pas prévus.
En outre l’avantage prix de eBay s’est réduit. Un effet d’apprentissage collectif a joué, aidé par la multiplication des sites de comparaison des prix. Au cours du temps, les internautes ont appris la valeur des choses. Les prix fixés par les enchères se mirent à être de plus en plus justes, et les bonnes affaires de plus en plus rares. Un vendeur d’électronique sur eBay a réalisé une étude concluant que pour des iPods Touch le prix fixe et les enchères variaient de 2$ dans un sens ou dans l’autre.

Le développement de la concurrence et de modèle alternatifs
A ses débuts la grande diversité des biens était un avantage concurrentiel pour eBay. Aujourd’hui la vente en ligne s’est développée. Une multitude de distributeur en ligne et de spécialistes se sont développés. Ceux-ci sont excellemment référencés dans Google (avec la création d’adresses uniques pour chaque référence). Ainsi si à la fin des années 90 quelqu’un qui cherchait un objet rare avait pour réflexe de se rendre sur eBay, il commence aujourd’hui par Google pour trouver la liste des vendeurs existants et les comparateurs de prix.
Le modèle des enchères permettait à eBay d’entretenir l’idée de la bonne affaire. Hors depuis quelques années, la vente promotionnelle s’est développée massivement sur Internet à travers des modèles alternatifs : ventes privées, ventes groupées, ticketing, etc. (pensons à vente-privée.com, Groupon, etc.). Depuis 10 ans, le consommateur a pris du pouvoir, et se sent moins prisonnier du prix fixé par le vendeur. Il a trouvé des alternatives aux enchères de eBay.

Un modèle de facturation attaqué par Amazon
L’ancienne structure de facturation de eBay aux vendeurs était un pourcentage sur le prix de vente du produit et non du montant total de la facturation au client qui inclut les frais de transport ce qui encourageait ces derniers à maintenir des frais de shipping élevés.
eBay a connu une déstabilisation concurrentielle forte le jour où Amazon a choisi de réinvestir une partie de l’argent mis en marketing dans la livraison sans frais.

Enfin, dans le respect de l’esprit démocratique de eBay, certaines (rares) fraudes ont été mal gérées ce qui a terni l’image de la marque .

Conclusion

L’évolution de eBay est une revue de l’histoire de la consommation sur Internet. Elle montre comment :
- Les internautes sont devenus des consommateurs de plus en plus rationnels pour qui les critères de l’efficacité et du prix sont devenus primordiaux.
- La concurrence s’est multipliée avec des modèles d’affaires très diversifiés et parfois étonnants (pensons à Groupon par exemple).

Face à ces enjeux, l’entreprise a su se réinventer sous trois axes :
- Un ciblage des enchères sur des marchés de niches (en particulier les objets de collection).
- Une évolution vers la vente en ligne classique sur le modèle d’Amazon pour exploiter son image et sa base client.
- Une diversification vers des métiers nouveaux et très rentables : StubHub (vente de tickets), vente promotielle (Half.com) et surtout Paypal.

eBay va très bien, merci.

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