Déambulant dans les allées (étroites, très étroites, disons les failles), déambulant donc chez Moisan, dans les failles qui sont ouvertes entre les étalages, je suis tombé sur une armoire réfrigérée ornée d’un panneau intriguant : « Contient une séance d’acuponcture, une séance de yoga et une semaine de vacances ». A l’approche de la semaine de lecture, il y a avait une promesse qui me touchait. J’ai donc acheté une canette de Slow Cow.
Le cas est intéressant d’un point de vue stratégique. Un bel exemple de distinction stratégique.
La boisson est un nouvel entrant sur le marché des boissons énergisantes créé par Red Bull il y a une dizaine d’années. Selon l’étude menée par Agriculture et Agroalimentaire Canada, il existe 210 marques qui commercialisent ces produits en Amérique du Nord. Il pèse plus d’un milliard de dollars pour une part de près de 5% du marché des boissons non-alcoolisées. Le marché est très concentré : Red Bull détient 40% du marché, devant Monter et Full Throttle, 30%. Les 200 autres marques se disputent donc 33% d’un marché qui ne cesse de croître.
Ciblés, essentiellement les jeunes hommes.
Comment se démarquer sur un marché dominé par trois acteurs majeurs et sur lequel une multitude de petits acteurs sont présents ? La plupart des entreprises se battent sur
- Le prix
- La saveur : voir par exemple le Red Bull Cola
- L’énergie : la durée du regain et l’effet d’effondrement
- L’image : par exemple, la marque Québec Castor Bleu, fleur de lys sur la bouteille et drapeau québécois sur le site, joue de la fibre identitaire.
Les meilleures marques réussissent à se trouver une niche et cherchent à fidéliser les consommateurs en travaillant l’image de leur marque.
Et est arrivée Slow Cow.
Plutôt que de se battre dans ce que Chan, Mauborgne et Cohen appellent l’Océan rouge, c'est-à-dire l’espace concurrentiel central, ensanglanté, dans lequel tout le monde se bat avec les mêmes règles, Slow Cow a détourné un certain nombre de règles du jeu pour explorer un espace concurrentiel encore vierge. Le modèle d’affaire transgresse systématiquement, consciencieusement et avec beaucoup d’humour tous les codes du marché des boissons énergisantes, sans pour autant aller à la rupture. Même format de canette et transgressions en série : à commencer par le nom, le logo et les codes couleurs.
Une partie de l’effet de la boisson est le même : stimuler l’attention. Cependant les modes opératoires diffèrent. Dans le cas d’une boisson énergisante, cela passe par l’excitation, la Slow Cow, par la relaxation.
Textes apparaissant sur les canettes :
Red Bull : Conçue pour des périodes d’intenses efforts mentaux et physiques, cette boisson permet de stimuler temporairement les capacités d’éveil ou de vigilance en cas de fatigue ou de somnolence.
Slow Cow : favoriser la relaxation sans causer de somnolence, améliorer la capacité du cerveau à se concentrer, apprendre, mémoriser et accroître les niveaux cérébraux de dopamine, le neurotransmetteur du plaisir.
Slow Cow s’adresse à tous ceux que les boissons énergisantes inquiètent pour leurs effets sur la santé. Un segment de marché très large, probablement plus féminin, rassuré par la camomille, la passiflore, la valériane, le tilleul et le houblon.
De la capacité de Slow Cow a concilier une image branchée avec son message de boisson santé, dépend probablement son succès.
Ce qui est frappant dans cet exemple, pour qui j’ai beaucoup de sympathie, est le fait de s’approprier des règles du jeu d’un secteur pour s’en affranchir, et ainsi élargir le marché à des clients qui ne se sentaient pas concernés au départ. Le low-cost l’a fait dans le transport aérien, le Cirque du Soleil dans le cirque, ou Yellow Tail dans le vin.
Ce décalage initial, ce contre-pied radical ne permettent pas de retour en arrière. C’est ce que Raynor appelle Le Paradoxe Stratégique. En fonction de la réaction du marché, imprévisible puisque justement on explore un nouvel espace concurrentiel, ce qui attend l’entreprise c’est une grande réussite ou un superbe échec.
Alors Slow Cow, la Wii de la boisson énergisante ?
Qu’en conclure ?
Pour toute entreprise qui cherche à développer sa présence sur un marché, une réflexion sur le contre-pied et le décalage devrait être menée. Trois questions simples pour l’initier :
- Quelle est l’image que projettent les géants du secteur et qui structurent l’imaginaire du public ?
- Quelles sont les règles du secteur qui font que certains ne se sentent pas concernés par ses produits et services ?
- Quelles sont les règles du secteur que personne ne remet en cause et qui pourraient être transgressées ?
Allez au bout de ces questions et des infinités d’espace stratégiques non exploités pourraient alors se révéler devant vos yeux ébahis.
samedi 28 février 2009
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