lundi 5 janvier 2009

Faîtes vos courses en 2020

Durant les fêtes, ma mère, détecteur breveté de signaux faibles d’évolution, a partagé ce constat : « décidément, il y a moins de monde dans les magasins. » Et de poursuivre : « Les gens achètent de plus en plus sur Internet ».

Pas faux. Selon le baromètre de la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance) qui porte sur près de 45 000 sites, la hausse des ventes sur internet en France s’est poursuivie au 3ème trimestre 2008. L’ensemble des sites de vente en ligne a vu son chiffre d’affaires progresser de +27% sur un an.
Pour le mois de décembre, le site Internet de la Fnac Eveil et Jeux a vu ses ventes progresser de 15% à 20%, celui de Pixmania de 35%.

Cela amène à se questionner sur l’évolution de la grande distribution à la française, c'est-à-dire des hypermarchés (Carrefour, Auchan, HyperU, Leclerc, etc.) fonctionnant sur le modèle : « tout sous le même toit », libre service et voiture (je précise parce que ce n’est pas un modèle universel).

Petit exercice de prospective.
Je vous propose un scénario extrême d’évolution du modèle de la grande distribution. Il en existe beaucoup d’autres. Une réflexion stratégique à long terme supposerait de tous les explorer.
Ce scénario est basé sur les considérations suivantes :
- L’évolution de l’Internet se poursuit : le haut-débit se généralise, les interfaces de réalité virtuelle se développent.
-L’économie ne connaît pas de récession majeure qui bouleverserait les façons de consommer.

Outre la pertinente constatation de ma mère sur la croissance de la vente en ligne, plusieurs signaux faibles d’évolution sont à souligner :

- La fréquentation des hypermarchés est en baisse. Ainsi les ventes de produits alimentaires ont baissé de 0.6% en janvier 2008, 0.7% en février, 1.8 % en mars et 4.1% en avril.

- Carrefour a réduit la taille de certains de ses hypermarchés les plus grands. Les clients se lassent du gigantisme. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. La taille de ces magasins géants fait perdre du temps. Face à une offre complexe (par exemple en informatique ou en électroménager) le conseil est peu présent. Magasiner en hyper coûte plus cher : les prix sont plus élevés que chez les hard-discounters, on dépense plus puisque l’on se laisse tenter par des achats non prévus (ou alors on sort frustré), enfin cela coûte cher en essence.

- En parallèle Carrefour développe ses concepts de magasin de proximité : Les Carrefour Contact visent la proximité rurale, les Carrefour City s’attaquent aux villes. Enfin les magasins Champion sont transformés en Carrefour Market.

- La vente croisée (cross-merchandising) se développe. Ainsi dans les hypermarchés on trouve aujourd’hui des ustensiles de cuisine en vente dans les rayons de conserves ou des produits de puériculture dans le rayon couches. Au-delà de cette approche « artisanale », il est possible de traiter la masse d’information dont disposent les distributeurs (à travers les cartes de fidélité ou les informations recueillies sur les sites Internet) pour connaître les comportements des clients et proposer une offre personnalisée. Les sites de vente en ligne de produits culturels (fnac ou amazon) sont passés maîtres dans cette façon de vendre.

Fort de ces titillements, le scénario.
En 2020 les distributeurs se voient comme des partenaires dans la consommation tout au long du cycle de vie des produits : depuis la fabrication (développement des filières et de la traçabilité), l’achat (le choix du produit qui répond aux besoins), l’utilisation des produits et la gestion de leur fin de vie (recyclage, vente d’occasion).
Les hypermarchés tels que nous les connaissons aujourd’hui ont disparu. Les distributeurs se sont réorganisés autour de quatre pôles :

1. Des magasins en ligne
La vente en ligne est développée pour les produits de bazar, vêtements, produits culturels, électroménager, informatique, ainsi que pour les produits alimentaires non périssables (conserves, etc.), surgelés et certains produits frais (yaourts, fromages, etc.). Des interfaces nouvelles, conviviales permettent au client de remplir son caddy virtuel.
Dans dix ans les univers virtuels auront beaucoup progressé. Oubliez les pages tristes d’aujourd’hui, transpositions à peine améliorées des pages des catalogues papier. Allez voir par exemple le mannequin virtuel pour vous faire une petite idée de ce qui pourra se passer demain. Et pourquoi pas un jeu « Carrefour » avec la Wii Gen5 qui permettrait de faire du sport tout en faisant ses courses ?

Une très bonne connaissance des profils de chaque client permettra d’adapter l’offre. Au fur et à mesure, cette connaissance s’affinera et permettra la proposition d’une offre de plus en plus adaptée aux besoins de chacun, tout en proposant des ouvertures vers des nouveautés :
- identification de produits récurrents
- propositions de vente croisée en lien avec les habitudes de consommation
- propositions de produits « découverte » adaptés au profil du client
- ajustement de la tarification en fonction du profil : volume de consommation, fidélité, promotions sur des produits découverte, etc.

Dès lors se pose la question complexe de la livraison chez le client. La gestion de la livraison à domicile à grande échelle met en œuvre des infrastructures et des compétences spécifiques que les distributeurs ne maîtrisent pas aujourd’hui, et qu’il peut être très coûteux de développer. Or, dans ce modèle de distribution, les capacités stratégiques pour les distributeurs seront la gestion des informations clients et la gestion de l’assortiment afin de constituer des offres attractives et personnalisées. La capacité à livrer n’apparaît pas comme une capacité distinctive (le client s’attend à être livré), mais comme un impératif.
C’est pourquoi les enseignes ont développé des partenariats avec des experts en logistiques (UPS, FedEx, etc.) qui ont créé des filiales spécialisées dans la livraison à domicile.

2. Des magasins de proximité
De taille moyenne, voire réduite, ces petites surfaces permettent au client de trouver une épicerie à proximité de chez lui. Y sont présents les produits frais, les produits phares adaptés en fonction de l’achalandage, et les produits de première nécessité.
La gestion de l’assortiment de ces points de vente est très décentralisée pour permettre une adaptation aux réalités locales : âge, niveau socio-culturel des clients, adaptation à la culture locale et à la saison.
L’autonomie de gestion ainsi élargie permet aussi de redonner un attrait aux carrières dans le monde de la distribution qui a été perdu avec les stratégies (nécessaires) de centralisation.

3. Une communauté de clients
Pour donner de la valeur-ajoutée à leur offre, les distributeurs animent des communautés de clients et de regroupements (clubs, associations, etc.) qui échangent informations et conseils autour de l’achat et de l’utilisation des produits (recettes de cuisine, conseils de bricolage, etc.).
Cette information permet de valoriser certains produits que les clients n’achètent pas parce qu’ils ne savent pas quoi en faire. Elle accompagne certaines opérations thématiques (le mois chinois, la semaine malgache), qui permettent d’animer l’offre proposée de manière personnalisée aux clients.
Cette communauté anime aussi un marché de l’occasion.

Voilà un des scénarios possibles pour le futur. Il y en a bien d’autres. Je continue à surveiller les signaux faibles et je vous préviens.

Aucun commentaire: