mercredi 7 janvier 2009

Survivre par l'excellence opérationnelle, se différencier par la valeur-ajoutée

Toujours dans la préparation du cours de stratégie. Je réfléchissais à la façon d’utiliser l’article scientifique qui m’a le plus marqué au cours des trois derniers mois. Et soudain le déclic : tellement bon, qu’il faut faire tourner.
Dans ma série « réhabilitation de la recherche en administration des entreprises », aujourd’hui : TALLON P.P., (2008), “A Process-Oriented Perspective on the Alignment of Information Technology and Business Strategy”, Journal of Management Information Systems, 24(3), 227–268.
Partez pas tout de suite, vous allez voir, les conclusions sont utiles, même pour des gestionnaires.

Petite mise en contexte
Mon sujet de recherche tourne autour de l’alignement stratégique au sein des PME. La présomption est qu’une entreprise dont les différents éléments (sa stratégie, son organisation, son infrastructure TI, sa compétence, sa culture, etc.) sont cohérents, est plus performante.
Les résultats empiriques semblent aller, globalement, dans ce sens. J’insiste sur le globalement, on reste en sciences humaines, donc ça dépend. Ca dépend en particulier pour les entreprises qui adoptent une stratégie particulière : les défenseurs (dans la typologie de Miles et Snow) ou l'excellence opérationnelle (dans la typologie de Treacy et Wiersema). Plusieurs études montrent que les entreprises qui suivent ces stratégies ont beau être plus alignées, elles ne sont pas plus performantes.
L'étude de Tallon nous donne une piste d'explication. Et croyez moi, cela soulage, parce que je commençais à sérieusement m'inquiéter.

Ce qui compte, c’est la mise en œuvre de la stratégie plus que la stratégie
Tallon distingue deux dimensions dans la stratégie : son contenu (ce qu’elle est) et son processus (comment elle est mise en œuvre). Beaucoup de recherches sur l’alignement étudient le contenu des stratégies et ne tiennent pas compte de la façon dont les entreprises les mettent en œuvre. Or des stratégies identiques peuvent être mises en œuvre à travers des processus et des activités différentes. Selon la théorie basée sur les ressources, c’est même cette configuration unique de processus, d’activités et de compétences qui crée un avantage concurrentiel durable. Pour l’auteur, comprendre l’impact de l’alignement sur la performance, et expliquer les différences et paradoxes constatés, suppose donc de dépasser l’analyse au niveau du contenu des stratégies pour étudier les processus de mise en œuvre.

Concentrer les efforts sur les processus clés en fonction de la stratégie choisie
Pour être performante et mettre en œuvre la stratégie qu’elle a choisie, l’entreprise recherche un alignement de processus et d’activités pertinent. L’hypothèse posée par Tallon est que si un alignement étroit est essentiel pour les processus clés, un alignement lâche, voire un non-alignement des processus secondaires n’a pas d’impact sur la performance. C’est ce que vérifie son étude empirique
Tallon s’appuie sur la typologie des « disciplines de valeur » développée par Treacy et Wiersema. Selon cet auteur une entreprise peut choisir une des trois stratégies : excellence opérationnelle, intimité client, ou leadership produit. Des processus clés différents sont nécessaires pour mettre en œuvre chacune de ces stratégies. De même le rôle des infrastructures TI varie (voir le tableau).


L’échantillon étudié est constitué de 241 grandes entreprises. La performance est mesurée à partir de données financières. Les autres informations ont été recueillies par questionnaire auprès du dirigeant et du responsable TI de chacune des entreprises.

Pour les stratégies d’intimité client et de leadership produit : un lien entre alignement des processus clés et performance
Il ressort des résultats que, conformément aux hypothèses, l’alignement des processus clés est critique pour soutenir la discipline de valeur choisie : le support aux ventes et au marketing pour l’intimité client, l’amélioration des produits et services et dans une moindre mesure le support aux ventes et marketing pour le leadership produit. En outre, l’utilisation des TI crée de la valeur lorsqu’elles sont utilisées dans les processus clés.
L’étude conclut aussi qu’un plus grand alignement entre les processus clés et les disciplines de valeur génère de la performance pour les entreprises poursuivant des stratégies d’intimité client et de leadership produit. En revanche, pour celles poursuivant des stratégies de coûts, il n’y pas de lien entre alignement et performance.

Enseignement 1 pour un gestionnaire : en fonction de votre stratégie, identifiez vos processus clés et investissez massivement pour les améliorer. Mettre des efforts sur des processus secondaires a un impact très marginal sur la performance. Et attention : vos processus clés sont intimement liés à votre stratégie et peuvent être très différents d’un concurrent qui adopte une proposition de valeur différente.

L’excellence opérationnelle : une stratégie de survie et non de différenciation
En ce qui concerne la stratégie d’excellence opérationnelle, l’hypothèse d’un alignement plus grand dans le domaine des relations avec les fournisseurs et de la production et opérations n’est pas supportée. Cela ne signifie pas que cet alignement n’est pas important pour cette discipline de valeur, mais que cela ne leur permet pas aux entreprises de se différencier. Dit autrement, l’excellence opérationnelle apparaît comme un incontournable pour toutes les stratégies. Une entreprise qui n’est pas fiable opérationnellement (dans la qualité de ses produits, la fiabilité de ses délais, etc.) ne peut pas exister sur un marché quelle que soit sa promesse aux clients. Les entreprises qui visent une excellence opérationnelle minimisent l’alignement sur trois processus secondaires (l’amélioration de l’offre, le support aux ventes et le marketing et relations clients), sans créer un alignement supérieur aux autres stratégies dans leurs processus clés (focus sur la relation fournisseurs et opérations). Cela fait dire à Tallon que la stratégie de l’excellence opérationnelle est une stratégie de survie plus que de différenciation.

Enseignement 2 pour un gestionnaire : L’excellence opérationnelle est un incontournable quelle que soit votre stratégie. C’est un seuil pour exister sur un marché. Mais une entreprise ne peut pas se différencier sur cette base. C’est parce que vous allez apporter une valeur particulière à vos clients qu’ils vont vous choisir, et non seulement parce que vous faîtes bien votre métier. Dans un contexte d’hyperconcurrence, il n’est de salut que dans l’innovation et la création de valeur-ajoutée.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

je suis bien d'accord sur l'aspect académique des suggestions et des conclusions, mai il est important de dire (je le dis par expérience) 15 ans en tant que responsable à différents niveaux, la stratégie de l'entreprise, pour moi est unique, répondre à la question, pour vivre doit-on être le meilleur, si le marché est vaste y aura de la place pour de nombreux acteurs, mais si le marché est réduit, y aura t-il de la place pour plus de trois, alors la question est : comment être le meilleur et en quoi?, la réponses n'est pas rigide , elle est flexible sur le temps, l'entreprise se trouve entraînée par son propre jeu, par les nouvelles technologies, par l'aspect socio-culturelle de la nation, exemple un retour aux sources amoindri l'importance de la technologie dans certain cas, un produit des terroires devient le plus demandé, dans ce cas ehmm.
le choix stratégique est modifiable, le but est unique, les méthodes et les process, dépendent de la capacité et de l'ingéniosité des hommes.
ce qui fait la différence c'est ce point, que les patrons des fois oublient.

Jean-François Rougès a dit…

Bien d'accord avec vous.
Comme le dit Miller : "C'est la configuration qui fait la différence".
Comme le dit Collins : "First who then what".
Comme le dit Hamel : "Ne copiez pas les bonnes pratiques, les bonnes pratiques ce sont celles des autres".
Comme quoi l'académique peut rejoindre l'expérience pratique et c'est bien heureux.